Cour suprême du Canada
Registraire des Marques de Commerce c. Coles Book Stores Ltd., [1974] R.C.S. 438
Date: 1972-01-25
Le Registraire des Marques de Commerce Appelant;
et
Coles Book Stores Limited Intimée.
1971: le 5 novembre; 1972: le 25 janvier.
Présents: Les Juges Judson, Ritchie, Hall, Pigeon et Laskin.
EN APPEL DE LA COUR DE L’ÉCHIQUIER DU CANADA
APPEL d’un jugement de la Cour de l’Échiquier du Canada infirmant une décision du registraire des marques de commerce. Appel accueilli.
M.A. Garneau, pour l’appelant.
M.D.F. Sim, c.r., et M.R.T. Hughes, pour l’intimée.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE JUDSON — Coles Book Stores Limited a demandé l’enregistrement du mot «Coles» comme marque de commerce destinée à être employée dans des publications imprimées. Le registraire des marques de commerce a rejeté la requête pour le motif qu’elle était contraire aux prescriptions de l’art. 12(1)a) de la Loi sur les marques de commerce de 1953 vu que ce mot
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n’était «principalement qu’un nom de famille.» En appel, la Cour de l’Échiquier a infirmé cette décision et déclaré que ce mot était enregistrable. L’intimée reconnaît que dans son jugement la Cour de l’Échiquier aurait dû se borner à déclarer que le mot n’était pas «principalement qu’un nom de famille.» Le registraire a interjeté un appel à cette Cour et demande que la décision qu’il a rendue soit rétablie. Je suis d’avis d’accueillir l’appel.
Le savant juge de première instance a résumé comme suit les conclusions qu’il a tirées d’après la preuve et le droit applicable:
Considérant l’ensemble de cette preuve, il est établi que le mot «Coles» n’est pas seulement qu’un nom de famille. Il a une autre signification. Il ne reste qu’à définir le mot «primarily» relativement aux faits dans cette cause.
Si on applique la même règle que dans l’arrêt Standard Oil Company c. Le registraire des marques de commerce (précité) aux faits de cette cause, la dernière question à résoudre peut se formuler ainsi: la caractéristique principale du mot «Coles» est-elle d’être un nom de famille ou ce mot a-t-il été inventé principalement ou également pour servir de marque de commerce?
La preuve établit qu’il y a un bon nombre de personnes qui portent le nom «Coles», mais l’affidavit qui retraçait l’évolution étymologique du mot «Cole» ou du pluriel «Coles» (mot d’origine anglaise, existant déjà au XIe siècle; sa signification la plus connue est chou, mais on l’emploie pour désigner d’autres concepts, par exemple, couper (qu’on lui coupe la tête), couper le foin ou le sénevé, gerbe de sénevé) établit que le mot est connu depuis longtemps comme un mot de dictionnaire courant.
Après avoir revu l’ensemble de la preuve, je crois que la caractéristique principale du mot «Coles» est d’être à la fois un nom de personne et un mot du dictionnaire, c’est‑à‑dire le pluriel du mot «cole» ou le 3e personne du singulier du verbe «cole».
L’avocat du registraire s’est également fondé sur le jugement rendu dans l’affaire Standard Oil. La marque de commerce projetée dont il était question dans cette cause-là était le mot inventé «FIOR». Le registraire a refusé d’enregistrer celui-ci pour le motif qu’il n’était pas mentionné dans les dictionnaires mais figurait
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dans les annuaires de Toronto et de Montréal comme nom de famille. Infirmant la décision du registraire, la Cour a décidé que le critère de l’enregistrabilité en vertu de l’art. 12(1)a) de la Loi sur les marques de commerce devrait dépendre de la réponse apportée à la question suivante: Quelle serait la réaction du grand public au Canada vis-à-vis du mot dont on demande l’enregistrement? Le Président a décidé qu’au Canada, il serait tout aussi probable, sinon davantage, qu’en entendant le mot «FIOR», une personne d’intelligence moyenne ayant fait des études normales en anglais ou en français pense autant à une marque de fabrique ou de commerce qu’à un nom de famille. Dans cette cause-là, le Président a décidé que FIOR ne constituait probablement pas «un mot qui était principalement le nom de famille d’un particulier» et qu’il ne constituait certainement pas «un mot n’étant principalement» qu’un nom de famille.
En l’espèce, la preuve établit clairement que «Coles» est un nom de famille bien connu du grand public au Canada. D’autre part, les sens attribués par les dictionnaires au mot «cole» et, au pluriel à «coles», par le Oxford English Dictionary particulièrement, sont en grande partie surannés. Le client qui veut un chou ne demande pas un «cole». Je crois qu’il n’y a que l’expression «coleslaw» (salade de choux) qui soit d’usage courant. De la preuve relative aux définitions données par les dictionnaires du mot «cole» je déduis que c’est là un terme dont l’usage est rare, sinon suranné, qui serait peu connu du grand public au Canada. Je ne suis pas d’accord avec le savant juge de la Cour de l’Échiquier lorsqu’il conclut que la principale caractéristique du mot «Coles», c’est qu’il est à la fois un nom de famille et un mot anglais figurant dans les dictionnaires. En l’espèce, je puis uniquement conclure qu’au Canada une personne d’intelligence moyenne ayant fait des études normales en anglais ou en français réagirait immédiatement à la marque de commerce «Coles» en pensant à un nom de famille et ne saurait probablement pas que ce terme figure dans les dictionnaires.
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L’article 12(1)a) de la Loi sur les marques de commerce se lit comme suit:
12. (1) Sous réserve de l’article 13, une marque de commerce est enregistrable si elle ne constitue pas
a) un mot n’étant principalement que le nom ou le nom de famille d’un particulier vivant ou qui est décédé dans les trente années précédentes;
Les dispositions qui s’appliquaient antérieurement, soit l’art. 26(1) de la Loi sur la concurrence déloyale, S.R.C. 1952, c. 274, prévoyaient qu’un mot servant de marque était enregistrable s’il n’était pas «b) le nom d’une personne, firme ou corporation.» Le libellé de l’art. 12(1)a) est apparu pour la première fois dans la loi en 1953; il était tiré de la loi américaine de 1946. On voulait par là éviter les subtilités d’application auxquelles l’ancienne disposition avait donné lieu. A l’heure actuelle, il est essentiel que tout examen de l’enregistrabilité d’un mot soit fondé sur le nouveau texte lui-même. Il s’agit de termes d’usage courant. Le mot n’a-t-il comme sens principal (premier) (primordial) (premier en importance) que (simplement) (rien de plus) la désignation d’un nom de famille?
Ce problème a été abordé de façon semblable dans la cause Kimberly-Clark Corporation v. Marzal Commissioner of Patents[1]. Le problème consiste, y a-t-on affirmé, à rechercher une caractéristique dominante. Une marque dont la caractéristique dominante était qu’elle constituait un nom de famille a été refusée.
Je ne crois pas que cette Cour devrait tenter d’établir une formule d’interprétation. Les mots ont le sens qu’ils suggèrent. A mon sens, il n’y a pas de doute que le registraire a eu raison de décider qu’en l’espèce la marque projetée n’est principalement qu’un nom de famille.
Je suis d’avis d’accueillir l’appel et de rétablir la décision du registraire refusant l’enregistrement de la marque projetée pour le motif qu’elle n’est principalement qu’un nom de famille. Le registraire a droit à ses dépens en cette Cour ainsi qu’en Cour de l’Échiquier.
Appel accueilli avec dépens.
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Procureur de l’appelant: D.S. Maxwell, Ottawa.
Procureurs de l’intimée: McCarthy & McCarthy, Toronto.
[1] (1951), 88 U.S.P.Q. 277, à p. 279.