Cour suprême du Canada
Pollock c. Ministre des Transports, [1974] R.C.S. 749
Date: 1972-01-25
Robert James Pollock Appelant;
et
L’honorable Ministre des Transports Intimé.
1971: le 8 décembre; 1972: le 25 janvier.
Présents: Les Juges Abbott, Martland, Ritchie, Hall et Pigeon.
EN APPEL DE LA COUR DE L’ÉCHIQUIER DU CANADA
APPEL d’un jugement de la Cour de l’Échiquier du Canada[1] rejetant une requête d’ordonnance. Appel accueilli.
T. Cameron, pour l’appelant.
P.M. Troop, c.r., et Guy Major, pour l’intimé.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE RITCHIE — Il s’agit d’un appel interjeté avec la permission de cette Cour à l’encontre d’un jugement rendu par la Cour de l’Échiquier du Canada en sa juridiction d’amirauté, comme on la désignait alors, rejetant une requête présentée en vue d’obtenir une ordonnance rayant l’avis d’appel du ministre des Transports de cette partie de la conclusion de l’investigation formelle en l’espèce, dans laquelle le commissaire, deux assesseurs s’étant ralliés à ses conclusions, a décidé de ne pas annuler ou suspendre le certificat de capitaine de l’appelant, ni d’autrement statuer sur ce point.
M. le Juge en chef Jackett (alors Président), avec qui M. le Juge Thurlow s’est dit d’accord, a conclu que la décision de la Cour qui a tenu l’investigation formelle de ne pas annuler ou suspendre le certificat de l’appelant, ni d’autrement statuer sur ce point, constitue une décision «relativement à l’annulation ou la suspension du certificat d’un capitaine» et que le Ministre est partie à l’investigation et a droit d’interjeter appel de cette décision en vertu des dispositions de l’art. 576, par. (3), de la Loi sur la marine
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marchande du Canada, S.R.C. 1952, c. 29, parce qu’en sa qualité de représentant «du public» il a été lésé par cette décision. M. le Juge Noël, d’autre part, dans ses motifs de dissidence a conclu qu’aucun droit d’appel de cette décision n’avait été conféré au Ministre.
Le présent appel découle d’une investigation formelle sur les circonstances qui sont à l’origine de l’abordage entre le N.M. «QUEEN OF VICTORIA» et le N.M. «SERGEY YESENIN» dans Active Pass (Colombie-Britannique), le 2 août 1970.
Le Ministre a nommé Son Honneur le Juge E.J. C. Stewart commissaire chargé de tenir l’investigation. Il a également nommé pour l’aider deux assesseurs ayant la compétence requise. Après avoir entendu des témoignages durant 29 jours, le savant commissaire, aux conclusions duquel s’étaient ralliés les deux assesseurs, décidait de ne pas statuer sur le certificat du Capitaine Pollock, pour les motifs que voici:
[TRADUCTION] L’affaire du capitaine R.J. Pollock a posé des problèmes à la Cour. Il n’y a pas de doute que sa faute et sa prévarication étaient suffisamment graves pour justifier le fait de mettre en cause son certificat. En même temps, il convient de remarquer qu’il s’agissait d’une erreur passagère, du point de vue des normes acceptables de la navigation, qui s’est produite au moment où les messages radio‑téléphoniques du «Queen of Esquimalt» ont dû le bercer d’une vaine sécurité.
Que l’action désespérée du capitaine Pollock de donner l’ordre à bâbord toute ait atténué les conséquences de l’abordage en diminuant l’angle d’impact est une conclusion raisonnable découlant de la preuve. On ne saura jamais si c’était là le but de la manœuvre, mais il faut considérer cette action comme circonstance atténuante.
On ne peut tenir compte de la conduite du capitaine Pollock après l’abordage pour décider s’il faut traiter du certificat, car elle n’a aucunement contribué à l’avarie du navire ni à la perte de vies.
Le capitaine Pollock avait 57 ans au moment de l’audition et était évidemment dans un état de grande tension, ce qui le faisait paraître plus âgé qu’il ne l’était. Il possède trente-six années d’expérience de la mer, dont certaines dans la Marine royale du Canada pendant la guerre, dans la section aéronavale de
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l’Aviation royale du Canada, et ultérieurement dans le commerce intérieur à titre de lieutenant en 1948 et de capitaine à partir de 1953. Il est capitaine pour le compte de la British Columbia Ferries depuis 1963 et il a pris le commandement du «Queen of Victoria» voilà presque deux ans. Je n’ai entendu parler d’aucune difficulté antérieure.
Le jour de la clôture des auditions, on a annoncé que le capitaine Pollock avait été suspendu par son employeur. Sans critiquer aucunement cette mesure, je la considère comme une sanction qu’on lui aurait déjà imposée. Il se pourrait bien que la mauvaise note que lui a value le présent accident puisse empêcher sa réintégration dans son commandement antérieur ou dans un commandement semblable.
Le capitaine Pollock a déjà reçu une grande punition. Compte tenu de toutes les circonstances, la Cour doute sérieusement que la suspension de son certificat profite de quelque façon au public ou vise quelque but pratique. La Cour a donc décidé de ne pas statuer sur son certificat.
Vingt-sept jours après le prononcé de la décision en cour, le ministre des Transports présentait ce qui est censé être un avis d’appel de cette partie de la décision du Commissaire [TRADUCTION] «où il a décidé que le certificat dudit capitaine James Pollock ne devrait pas être annulé ou suspendu à la suite de fautes ou de prévarication qui ont causé l’avarie grave du navire ou la perte de vie…».
Même si le savant Président de la Cour de l’Échiquier a cité au long dans ses motifs de jugement un certain nombre d’articles de la Partie VIII de la Loi sur la marine marchande du Canada, traitant des investigations formelles ordonnées par le Ministre sur les sinistres maritimes, je n’en estime pas moins nécessaire de reproduire les articles que je considère strictement pertinents quant à la question du pouvoir qu’a une cour d’investigation formelle d’ordonner l’annulation ou la suspension du certificat d’un capitaine et les dispositions visant l’appel de semblable ordonnance. À cet égard, l’art. 568 décrète ce qui suit:
568. (1) Le certificat d’un capitaine, d’un lieutenant ou d’un mécanicien, ou le brevet d’un pilote, peut être annulé ou suspendu
a) par une cour tenant une investigation formelle sur un sinistre maritime en vertu de la présente
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Partie, ou, par une cour maritime constituée en vertu de la présente loi, si la cour constate que la perte ou l’abandon ou l’avarie grave d’un navire, ou la perte de vies, a pour cause la faute ou la prévarication dudit capitaine, lieutenant, mécanicien ou pilote; mais la cour ne doit annuler ou suspendre un certificat que si au moins un des assesseurs se rallie à sa conclusion;
b) par une cour tenant une enquête en vertu de la Partie II, ou en vertu de la présente Partie, sur la conduite d’un capitaine, d’un lieutenant ou d’un mécanicien, si elle constate qu’il est incompétent ou qu’il s’est rendu coupable d’inconduite, d’ivresse ou tyrannie grossière, ou que, dans le cas d’un abordage, il n’a pas prêté l’assistance, ni fourni les renseignements prévus à la Partie XIV; ou…
(5) Lorsqu’une affaire portée devant une telle cour, comme il est dit ci-dessus, comporte une question touchant l’annulation ou la suspension d’un certificat, la cour doit, à l’issue de l’affaire ou aussitôt que possible par la suite, faire connaître en audience publique la décision à laquelle elle en est venue relativement à l’annulation ou à la suspension du certificat.
Les dispositions relatives à une nouvelle audition et à un appel dans les affaires du genre se trouvent à l’art. 576(1) (2) et (3) où il est édicté que:
576. (1) Dans tous les cas où une investigation formelle a été tenue, le Ministre peut en ordonner la reprise, soit d’une façon générale, soit à l’égard de l’une de ses parties; et il en ordonne ainsi
a) si des preuves nouvelles et importantes qui ne pouvaient être produites à l’investigation ont été découvertes, ou
b) si, pour quelque autre raison, il est d’avis qu’il y a lieu de soupçonner un déni de justice.
(2) Le Ministre peut ordonner que la cause soit entendue de nouveau par la cour qui en a connu en premier lieu ou il peut nommer un autre commissaire et désigner les mêmes assesseurs ou d’autres pour entendre de nouveau la cause.
(3) Lorsque, dans une telle investigation, une décision a été rendue relativement à l’annulation ou à la suspension du certificat d’un capitaine, d’un lieutenant ou d’un mécanicien, ou du brevet d’un pilote, et qu’une demande de reprise ou de nouvelle audition, en vertu du présent article, n’a pas été faite ou a été rejetée, il peut être interjeté appel de cette décision à la Cour d’Amirauté.
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L’avocat du Ministre cherche à établir, comme il a réussi à le faire devant la Cour de l’Échiquier, que l’art. 576(3) lu dans le contexte global de la loi, accorde au Ministre un droit d’appel en sa qualité publique en tant que personne lésée par la décision de ne pas statuer sur le certificat de l’appelant. Il me paraît d’importance fondamentale de reconnaître en tout premier lieu que l’interprétation d’une disposition législative censée créer un droit d’appel est assujettie à des principes établis et reconnus que M. le Juge Fauteux, alors Juge puîné, a énoncés succinctement lorsque, s’exprimant au nom de la majorité de cette Cour dans Welch c. Le Roi[2], il a dit:
[TRADUCTION] Le droit d’appel est un droit exceptionnel. Que toutes les dispositions quant au fond et à la procédure s’y rattachant doivent être tenues pour exhaustives et exclusives, ne doit pas nécessairement être énoncé de façon expresse dans la loi. Cela découle nécessairement de la nature exceptionnelle du droit.
Je suis par conséquent d’avis que, à moins qu’on puisse conclure que la Loi sur la marine marchande prévoit un droit d’appel par le Ministre dans des termes précis ou dans des termes qui amènent à le déduire nécessairement, semblable droit d’appel n’existe pas.
Il est difficile d’imaginer un cas où le Ministre serait en droit de chercher à faire reviser une décision de la cour d’investigation, sauf s’il était d’avis qu’il y a lieu de soupçonner un déni de justice et certes l’avis d’appel en l’espèce alléguant huit chefs d’erreur dans la décision, ne pourrait se fonder que sur un semblable déni de justice. Il est cependant clair d’après les termes de l’art. 576(1) que dans un tel cas le Ministre est tenu d’ordonner une reprise de l’investigation. Le libellé de l’article ne laisse au Ministre aucun choix s’il est de cet avis; les mots de la loi sont «il en ordonne ainsi».
Lorsque le Ministre a ordonné une nouvelle audition conformément à l’art. 576(1), il peut
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exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’art. 576(2) et décider si la cause sera entendue de nouveau par la cour qui en a connu en premier lieu, ou par un autre commissaire et d’autres assesseurs. Il n’y a aucune disposition prévoyant une nouvelle audition devant la Cour d’Amirauté, bien que le Ministre a sans doute le pouvoir de désigner un de ses membres pour siéger en qualité de commissaire.
D’autre part, l’art. 576(3) traite spécifiquement d’une décision concernant «l’annulation ou la suspension du certificat d’un capitaine, d’un lieutenant ou d’un mécanicien» et dans un tel cas ce n’est que lorsqu’il n’y a pas eu de demande de reprise ou de nouvelle audition ou qu’une demande a été rejetée que «il peut être interjeté appel de cette décision à la Cour d’Amirauté». A cet égard, je suis d’accord avec M. le Juge Noël qui dit, dans sa dissidence:
Cependant, rien dans le paragraphe (3) n’accorde clairement au Ministre un droit d’appel de la décision d’un commissaire qui refuse d’annuler ou de suspendre un brevet. En effet les termes utilisés dans le paragraphe (3) selon lesquels il peut être interjeté appel «relativement à l’annulation ou à la suspension du certificat d’un capitaine, d’un lieutenant ou d’un mécanicien, ou du brevet d’un pilote» ne pourraient avoir de sens et, à mon avis, n’ont de sens que lorsqu’un certificat a vraiment été annulé ou suspendu.
Je ne crois pas que les mots «relativement à l’annulation ou à la suspension du certificat» puissent s’interpréter comme visant une décision de ne pas s’occuper du tout du certificat. Avec le plus grand respect pour le savant Président, je ne trouve rien dans les termes de l’art. 568(5) qui change cette interprétation, car la stipulation de cet article que la cour doit «faire connaître en audience publique la décision à laquelle elle en est venue relativement à l’annulation ou à la suspension» d’un certificat peut fort bien se rapporter à la décision qu’un certificat sera annulé tout à fait ou qu’il sera simplement suspendu et, dans ce cas, pour quelle durée.
Les dispositions de la règle 3(1) et (2) des Règles sur les appels en cas de sinistres mariti-
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mes établies par décret du Conseil sous le régime de l’art. 578 de la Loi sur la marine marchande servent à clarifier le sens des mots «une demande de reprise ou de nouvelle audition» qu’emploie l’art. 576(3). Cette règle édicte:
3. (1) Lorsqu’une investigation formelle a eu lieu, toute partie à cette investigation peut demander au Ministre d’en ordonner la reprise soit d’une façon générale, soit à l’égard de quelqu’une de ses parties.
(2) Toute demande formulée en vertu du présent article doit être présentée au Ministre dans les vingt-huit jours qui suivent soit la communication en audience publique de la décision de la cour, soit la réception de cette décision par le Ministre.
Il est donc clair que «demande de reprise ou de nouvelle audition» en vertu de l’art. 576(3) signifie une demande au Ministre, et comme je partage les vues de M. le Juge Noël qu’il serait absurde de conclure qu’en vertu de la loi le Ministre pourrait se faire une demande à lui-même, je ne puis que conclure que le droit de faire ainsi une demande est restreint aux autres parties à l’investigation formelle et que le droit d’appel qui découle de l’abstention de faire une telle demande, ou de son rejet, est un droit conféré à la personne dont le certificat a été suspendu par ordonnance de la Cour. Il est vrai que l’art. 576(3) ne déclare pas spécifiquement conférer un droit d’appel à un capitaine dont le certificat a été annulé ou suspendu, mais il n’y a pas de doute que ce paragraphe prévoit un appel et, bien respectueusement, il me paraît très illogique de l’interpréter comme signifiant que le Ministre qui a omis d’ordonner une nouvelle audition comme l’art. 576(1) l’y oblige ou qui a refusé de faire droit à une demande de nouvelle audition, est une personne à qui le droit d’appel en vertu de l’art. 576(3) est accordé.
Le savant Président de la Cour de l’Échiquier paraît avoir fondé son raisonnement en grande partie sur le fait que le Ministre «représente le public dans cette affaire» et qu’à ce titre il est une personne lésée par la décision de ne pas statuer sur le certificat de l’appelant. A cet égard, le Président Jackett dit:
Pour moi, il n’y a donc pas de doute que les termes de la disposition concernant l’appel sont assez larges
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pour autoriser l’appel. La difficulté réside dans le fait de déterminer qui est autorisé par l’article 576(3) à en appeler d’une telle décision. Sur cette question le paragraphe est muet.
Il est évident que, lorsqu’une disposition d’appel est muette sur ce sujet, les personnes lésées par une décision sont celles qui peuvent porter appel. L’article 576(3) confère donc un droit d’appel à la personne dont le certificat est annulé ou suspendu. La question est de savoir si, d’après les faits de l’espèce, il est possible de dire que le Ministre est une personne lésée par la décision relative à l’annulation ou la suspension du certificat de sorte qu’elle puisse bénéficier du droit d’appel établi par l’article 576(3).
Le Ministre occupe certainement une place particulière en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada relativement au régime des officiers brevetés. Il constitue l’autorité qui accorde les certificats et il a le devoir et le pouvoir de procéder à des enquêtes lorsqu’il a lieu de croire que les certificats sont détenus par des personnes incapables ou inaptes; après certaines de ces enquêtes, il est l’autorité compétente pour annuler ou suspendre un certificat.
Puis le savant Président continue en disant:
Outre les règles déjà citées qui permettent au Ministre d’être partie dans une telle investigation, ces règles imposent au Ministre la tâche essentielle de fournir la preuve et permettent à ce dernier de «plaider en réplique sur l’ensemble de la cause». Il me semble que, par ces règles, le gouverneur en conseil a, en exerçant les pouvoirs prévus par l’article 578, imposé au Ministre un nouveau rôle relativement aux investigations formelles. En tant que ministre de la Couronne, chargé ainsi de la place la plus éminente comme partie dans l’investigation, il devient la partie qui «représente le public dans cette affaire».
Et le savant Président conclut:
Puisqu’il représente «le public» en ce domaine, si la décision de la Cour concernant l’annulation ou la suspension d’un certificat de capitaine est erronée, à mon avis, le Ministre, au nom du «public», constitue une partie lésée par cette décision.
En considérant la difficulté qu’a éprouvée le savant Président pour déterminer qui est autorisé par l’art. 576(3) à interjeter appel de semblable décision, j’ai trouvé une aide précieuse dans la lecture du jugement du Président de la Probate, Divorce and Admiralty Division de la High Court of Justice d’Angleterre, dans l’af-
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faire The Golden Sea[3], où le Président a examiné le deuxième article du Shipping Casualty Investigations Act, 1879 42-43 Vict., c. 72, qui, je dois le dire, me paraît avoir été un devancier de l’art. 576(3). Sir James Hannen y disait:
[TRADUCTION] Le droit d’appel à cette division est donné par le Shipping Casualty Investigations Act, 1879. Au deuxième article de cette loi, il est décrété, premièrement, que [TRADUCTION] «lorsqu’une investigation sur la conduite d’un capitaine, d’un lieutenant, ou d’un mécanicien, ou sur un sinistre maritime, a eu lieu…le Board of Trade peut, dans chaque cas, et doit» en certain cas, ordonner la reprise de l’audition de la cause; secondement, que [TRADUCTION] «lorsque, dans une telle investigation, une décision a été rendue relativement à l’annulation ou à la suspension du certificat d’un capitaine, d’un lieutenant, ou d’un mécanicien, et qu’une demande de reprise ou de nouvelle audition n’a pas été faite ou a été rejetée, il peut être interjeté appel de la décision». Nous sommes d’avis que le sens clair de ces mots est que la décision au sujet de laquelle un appel est permis est une décision concernant l’annualation ou la suspension du certificat, et nulle autre. Si l’on considère le but visé par la législation, il confirme nos vues sur l’interprétation de cet article. La décision du commissaire aux épaves peut priver le capitaine de son gagne-pain. On a donc jugé bon de donner au capitaine un droit d’appel. Si on avait eu l’intention de donner au propriétaire un droit d’appel, nous ne pouvons imaginer pourquoi on aurait subordonné ce droit au fait que la question du certificat a été tranchée ou non, car le tort infligé au propriétaire par une décision erronée est le même, peu importe que le capitaine soit ou non jugé blâmable.
Avec le plus grand respect pour les vues exprimées par le savant Président, je suis incapable de conclure qu’il faut nécessairement déduire que le public ou l’un de ses membres a été «lésé» par le défaut de la Cour d’investigation de s’occuper de la question du certificat, et je ne trouve rien dans le dossier pour étayer une telle déduction; je ne crois pas non plus que, dans tous les cas où une disposition visant un appel reste muette au sujet de celui qu’elle veut autoriser à interjeter appel, il s’ensuit nécessairement qu’un droit d’appel est conféré à tous ceux qu’une décision a lésés. En fait, selon moi, lorsqu’un droit d’appel est accordé à toutes les
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personnes lésées par une décision, il l’est dans un texte législatif précis, et c’est certainement le cas pour ce qui est de la partie VIII de la Loi sur la marine marchande du Canada où l’art. 530 prévoit un appel au Ministre d’une décision du receveur d’épaves. Les premiers mots de cet article sont les suivants:
530. Toute partie qui se croit lésée par la décision de ce receveur peut interjeter appel au Ministre dans les trente jours qui suivent la décision…
Je n’en suis pas moins d’accord avec le savant Président que le Ministre est institué partie aux procédures relatives à l’investigation formelle (voir la règle 8 des Règles sur les appels en cas de sinistres maritimes), et je conviens avec M. le Juge Thurlow que dans la mesure où le Ministre a la responsabilité d’exercer la «surintendance générale de tout ce qui se rapporte aux…sinistres maritimes» (art. 496 de la Loi sur la marine marchande du Canada) on peut dire que, en sa qualité publique, il est une personne intéressée dans une décision «rendue relativement à l’annulation ou à la suspension du certificat d’un capitaine».
Je suis toutefois d’avis que l’intérêt public est plus que suffisamment sauvegardé par les pouvoirs imposés et les obligations conférées au Ministre sous le régime de la Loi sur la marine marchande du Canada. Bien respectueusement, il ne me paraît pas approprié de qualifier de «personne lésée» le Ministre qui a nommé la Cour et ses assesseurs et qui a négligé d’ordonner une reprise ou nouvelle audition conformément aux exigences législatives applicables chaque fois «qu’il est d’avis qu’il y a lieu de soupçonner un déni de justice».
Le moyen de droit prévu par la Loi sur la marine marchande du Canada et les Règles sur les appels en cas de sinistres maritimes, dans le cas d’une partie touchée par la décision d’une investigation formelle, est de demander au Ministre d’en ordonner la reprise (voir la règle 3(1)), mais il n’y a pas de disposition visant un appel à la Cour d’amirauté, sauf lorsqu’une décision a été rendue relativement à l’annulation ou à la suspension d’un certificat et alors seulement
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si une demande de reprise ou de nouvelle audition n’a pas été faite ou a été rejetée.
La règle 6 des Règles sur les appels en cas de sinistres maritimes décrète que les dispositions des règles 11 à 16 qui traitent de la procédure relative à l’audition d’un appel «s’appliquent à la reprise d’une investigation tout comme s’il s’agissait d’un appel et si la cour ou l’autorité saisie de la reprise était la Cour de l’Échiquier». En se fondant sur ces termes on a exprimé l’avis que toute distinction entre un appel et une reprise d’audition en vertu de l’art. 576 est une distinction de forme plutôt que de fond et que, dès lors, l’avis d’appel signifié par le Ministre en la présente instance peut être traité comme s’il était un ordre de reprise d’investigation.
A cet égard, je pense qu’il suffit de signaler deux différences fondamentales entre la reprise et l’appel visé par l’art. 576:
1. La disposition relative à la reprise de l’investigation est que le Ministre peut «en ordonner la reprise, soit d’une façon générale, soit à l’égard d’une de ses parties», tandis que l’appel se limite à cette partie de la décision qui traite de l’annulation ou de la suspension d’un certificat.
2. Ce n’est que sur la question de l’annulation ou de la suspension d’un certificat que la Cour d’Amirauté a compétence lorsqu’il s’agit d’une nouvelle appréciation des conclusions d’une investigation formelle.
Il est donc clair que même si la procédure est la même pour une nouvelle audition que pour un appel, et même si la Cour devant laquelle a lieu la nouvelle audition doit être considérée, aux fins de la procédure, comme si elle était la Cour de l’Échiquier, il existe néanmoins entre les deux genres de revision une différence fondamentale en ce qu’une reprise a lieu devant un commissaire et deux assesseurs nommés par le Ministre et qu’un appel est entendu par la Cour d’Amirauté.
Pour tous ces motifs, il m’est impossible de conclure qu’il y a dans la Loi sur la marine marchande du Canada des dispositions quelconques quant au fond ou à la procédure qui confè-
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rent au Ministre un droit d’appel dans une affaire où la Cour tenant une investigation formelle sur un sinistre maritime décide de ne pas statuer sur le certificat d’un capitaine.
Il s’ensuit donc, conformément aux principes exposés dans Welsh v. The King (précité), que le ministre des Transports n’a aucun droit d’appel en l’espèce et que son avis d’appel doit être rayé.
Je suis par conséquent d’avis d’accueillir l’appel avec dépens.
Appel accueilli avec dépens.
Procureurs de l’appelant: McMaster, Bray, Mair, Cameron & Jasich, Vancouver.
Procureur de l’intimé: D.S. Maxwell, Ottawa.
[1] [1970] C. de l’É. 980.
[2] [1950] R.C.S. 412, à p. 428.
[3] (1882), VII Probate 194, p. 198.