Cour suprême du Canada
Preston (Town) c. Langs, [1972] R.C.S. 686
Date: 1972-03-30
The Corporation of the Town of Preston (Défenderesse) Appelante;
et
Thomas W. Langs (Demandeur) Intimé.
1971: les 4 et 5 novembre; 1972: le 30 mars.
Présents: Les Juges Martland, Judson, Ritchie, Spence et Laskin.
EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.
APPEL d’un jugement de la Cour d’appel de l’Ontario[1], infirmant un jugement du Juge Lacourcière. Appel accueilli, le Juge Laskin étant dissident.
J.T. Weir, c.r., et B. Findlay, pour la défenderesse, appelante.
John Sopinka, pour le demandeur, intimé.
Le jugement des Juges Martland, Judson, Ritchie et Spence a été rendu par
LE JUGE JUDSON — Le litige dans le présent pourvoi porte sur la validité du règlement n° 2068
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de la ville de Preston. Ce règlement impose aux propriétaires des terrains le long du chemin Industrial, dans la ville de Preston, une taxe annuelle d’égout de 37 cents le pied de front pendant 24 ans pour défrayer une partie du coût de l’ouvrage. La Cour d’appel, infirmant le jugement de première instance, a déclaré le règlement nul faute d’avoir été approuvé par la Commission municipale de l’Ontario comme l’exige l’art. 380 (2) du Municipal Act avant que l’ouvrage n’ait été autorisé. Dans le présent pourvoi, la municipalité soutient qu’elle a régulièrement suivi toutes les étapes de la procédure conformément à l’art. 41 de l’Ontario Water Resources Commission Act, S.R.O. de 1960, c. 281 et demande le rétablissement du jugement de première instance.
Il y a lieu de décrire par le détail les démarches faites par la municipalité pour autoriser cet ouvrage et en récupérer le coût. Le 7 novembre 1960, la municipalité a adopté en première et deuxième lectures le règlement n° 2067, qui prévoit la signature d’ententes avec l’Ontario Water Resources Commission (la Régie des eaux) en vue de la construction de l’égout en cause. Le règlement a reçu la troisième et dernière lecture le 24 février 1961.
La première de ces ententes, datée du 6 décembre 1960, prévoit l’engagement d’ingénieurs‑conseils pour la préparation des plans et devis d’exécution.
Le 29 juin 1961, la Commission municipale de l’Ontario a approuvé l’entreprise et autorisé la municipalité à signer la seconde entente mentionnée au règlement n° 2067. Cette entente, signée le 6 juin 1961, prévoit la réalisation du programme de travaux d’égout n° 61-S-75(2) et l’entretien et l’exploitation de l’ouvrage. D’une part, la Régie en assumait la construction, l’entretien et la direction, d’autre part, la municipalité s’engageait, conformément à l’art. 40 du Ontario Water Resources Commission Act à en rembourser le coût total à la Régie dans un délai de trente ans.
Le 7 novembre 1960 (en adoptant le règlement n° 2067 en première et deuxième lectures)
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la municipalité a également adopté en première et deuxième lectures, le règlement n° 2068, lequel décrète:
[TRADUCTION] EN CONSÉQUENCE, le Conseil municipal de la ville de Preston décrète ce qui suit:
1. Il est, par les présentes imposé en vertu de l’article 41 de l’Ontario Water Resources Commission Act, 1957, modifié, et de l’article 389 du Municipal Act, aux propriétaires ou occupants des immeubles à qui ledit ouvrage sera ou pourra être utile, une taxe d’égout suffisante pour couvrir 100 p. 100 des versements annuels à faire à la Régie en vertu du sous-alinéa a) de l’alinéa 1 du paragraphe 1 de l’article 40 de l’Ontario Water Resources Commission Act, 1957, modifié, et en vertu de l’alinéa 2 du même paragraphe.
2. Les immeubles dont les propriétaires ou occupants sont réputés tirer avantage de cet ouvrage sont tous des immeubles situés dans la municipalité.
3. La taxe d’égout sera imposée pendant 30 ans à compter de 1962 et sera calculée selon une combinaison des méthodes suivantes:
a) Une taxe de 37 cents le pied de front sur les immeubles désignés à l’alinéa 2 et bornés par les rues ou parties de rues désignées à l’annexe A du présent règlement ou ceux qui sont raccordés à l’égout de ces rues ou parties de rues.
b) Une taxe au millième de l’évaluation des immeubles désignés à l’alinéa 2.
L’annexe B du règlement de taxe d’égout n°2068 se lit ainsi:
[TRADUCTION]
Facture estimative annuelle de l’O.W.R.C.
Intérêts (Prévision actuelle 5.5%)..................................
$4,290
Remboursement de la dette (30 ans)...........................
1,560
Réserve............................................................................
600
$6,450
Revenus estimatifs
9,600 pieds de front à 37 cents le pied........................
$3,552
Environ 22.08 cents du mille dollars d’évaluation sur une évaluation de $13,125,341.....................................
2,898
$6,450
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Ce n’est que le 16 octobre 1961 que la Commission municipale de l’Ontario a entendu la requête présentée par la municipalité de la ville de Preston pour faire approuver son projet de règlement n° 2068. La Commission a pris la requête en délibéré. Le 24 octobre 1961, la municipalité a reçu notification que sa requête avait été rejetée sans motifs écrits.
Les choses en sont restées là jusqu’au 9 novembre 1966, alors que la Commission a fixé une nouvelle date d’audition. Le 5 janvier 1967, M.A.H. Arrell, vice-président de la Commission municipale, a tenu audience à la salle du conseil de la ville de Preston pour y entendre la requête. Son rapport contient un résumé précis des questions pratiques, des positions des opposants et des arguments à l’appui de leur thèse. Je le cite en entier:
[TRADUCTION] Comme il est mentionné ci-dessus, le projet de règlement n° 2068 a reçu les première et deuxième lectures le 7 novembre 1960. L’objet du règlement est de pourvoir au financement de la construction de l’égout principal dans le chemin Industrial, de la rue Bishop à la rue Eagle. Le but de cette construction était d’amener l’apparition d’une zone industrielle de chaque côté du chemin Industrial. La taxe mentionnée au projet de règlement est de 37 cents le pied de front, pendant 30 ans, à compter de 1962. D’après la preuve soumise, ceci devrait couvrir un peu plus de 55 p. 100 du coût réel de construction de l’égout, le solde serait assumé par la municipalité. Les canalisations sont plus grandes que nécessaire en prévision de l’expansion future. En plus de la taxe au pied linéaire, quiconque se branchera à l’égout devra payer une surcharge à sa facture d’eau pour défrayer le coût de construction et d’entretien de l’usine d’épuration, conformément au règlement général d’imposition de la ville.
La Commission municipale a entendu, en 1961, une demande d’approbation de ce règlement; elle avait alors rejeté cette demande. La construction de l’égout s’est faite en vertu des dispositions du Ontario Water Resources Commission Act, S.R.O. de 1960, c. 281, article 39, par suite d’une entente intervenue entre la Régie et la municipalité.
Les opposants ont prétendu que puisque la Commission municipale n’avait pas approuvé le projet de règlement n° 2068, avant que les travaux n’aient été autorisés, l’article 380(2) du Municipal Act,
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S.R.O. de 1960, c. 249, l’empêche de le faire maintenant. Le paragraphe 2 de cet article se lit ainsi:
[TRADUCTION] «(2) Sous réserve d’obtenir l’autorisation préalable de la Commission municipale, le conseil d’une municipalité locale peut, en autorisant la construction de systèmes d’égout ou de réseaux d’aqueduc, par règlement, décréter l’imposition, aux propriétaires ou occupants d’immeubles qui profitent des réseaux d’aqueduc et des systèmes d’égouts ou à ceux qui pourront en profiter à l’avenir, d’une taxe d’aqueduc ou d’égout, selon le cas, de manière à prélever la totalité ou la partie que détermine le règlement du coût en capital des travaux. Moyennant semblable approbation, le conseil peut, à l’occasion, modifier ou abroger ledit règlement.»
L’avocat de la requérante a soutenu que puisque la Régie a autorisé l’ouvrage, l’article 380(2) ne pouvait s’appliquer, qu’en vertu de l’article 41(1) de l’Ontario Water Resources Commission Act, S.R.O. de 1960, le règlement pouvait être approuvé après la signature de l’entente et que le paragraphe 3 de cet article ne faisait qu’indiquer la sorte de taxes que la municipalité pouvait imposer. Les paragraphes 1 et 3 de cet article se lisent ainsi:
[TRADUCTION] «41. — (1) Le conseil d’une municipalité qui a conclu une entente avec la Régie sous l’empire de l’article 39 ou qui projette de le faire peut par règlement, sujet à l’approbation de la Commission municipale, décréter l’imposition aux propriétaires ou occupants d’immeubles qui profitent des travaux ou qui pourront en profiter à l’avenir, d’une taxe d’aqueduc ou d’égout, selon le cas, de manière à prélever la totalité ou la partie que détermine le règlement des sommes que représentent les versements annuels à faire à la Régie en vertu du sous-alinéa a) de l’alinéa 1) et de l’alinéa 2) du paragraphe (1) de l’article 40. Moyennant semblable approbation, le conseil peut modifier ou abroger ledit règlement. S.R.O. de 1960, c. 281, art. 41(1).»
«(3) Sous réserve des dispositions du présent article, l’article 380 du Municipal Act s’applique mutatis mutandis aux taxes d’égout et de service d’égout créées en vertu du présent article.»
Bien qu’il ne semblerait pas que la Commission municipale puisse rendre une décision obligatoire en droit sur ce point, pour les fins d’administration, je préfère cette dernière thèse.
Depuis l’audition précédente, il ne fait pas de doute qu’il s’est produit une expansion industrielle
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importante le long de ce chemin. Les terres bordant ce chemin vaudraient maintenant environ $3,000 l’acre. L’avocat de Thomas Langs, un cultivateur dont la terre est située sur ce chemin, a soutenu que la taxe proposée forcerait son client à vendre sa terre. Par contre, $3,000 l’acre équivaut à plusieurs fois sa valeur en tant que terre de culture et cette appréciation résulte pour une bonne part des sommes que la municipalité a consacrées à cet égout. A mon avis, il n’est donc pas injuste qu’il ait à payer cette taxe.
Je suis d’avis que l’opposition soulevée par l’avocat de Modem Tools Company Limited laquelle possède un grand terrain en bordure du chemin Industrial a plus de poids. Il prétend que bien que le terrain se vende à des prix élevés, le marché est encore limité et qu’en conséquence cette taxe pourrait obliger son client à vendre à un prix beaucoup moindre.
Il est certain que cet ouvrage augmentera de beaucoup l’imposition industrielle de la ville et il ne paraît donc pas déraisonnable que la ville renonce aux perceptions projetées jusqu’à maintenant. Je recommande, en conséquence, l’adoption du projet de règlement à condition que sa durée soit modifiée de 30 à 24 ans, le premier versement de taxe devant avoir lieu en 1968. Je recommande de ne pas adjuger de dépens.
Le 6 février, une ordonnance de la Commission municipale a imposé la taxe d’égout en cause répartie sur vingt-quatre ans à compter de 1968. Le 20 février 1967, le règlement n° 2068, modifié par la Commission municipale, a reçu la troisième lecture et l’approbation définitive de la municipalité.
La Cour d’appel a accordé l’autorisation d’appeler de l’ordonnance rendue par la Commission municipale le 6 février, mais elle a par la suite annulé l’appel à cause de l’omission de l’appelant Langs de se conformer à l’art. 95(2) du Ontario Municipal Board Act, lequel article exige l’envoi à la Commission municipale d’un avis d’inscription de l’appel pour audition dans un délai fixe. (Re: Langs v. Town of Preston[2].) Ce jugement a été rendu le 25 octobre 1967.
L’étape suivante a été la délivrance par la Cour suprême de l’Ontario, le 8 juillet 1968, d’un bref qui soulève les questions qui nous sont maintenant soumises. Le demandeur est Thomas
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W. Langs, propriétaire d’un grand terrain. La question en litige porte sur le pouvoir de la municipalité d’adopter un règlement décrétant l’imposition de la taxe d’égout après que l’ouvrage a été autorisé et terminé. Le contribuable a invoqué l’art. 380(2) du Municipal Act, S.R.O. de 1960, modifié par l’art. 17 du c. 87 de 1962-1963. Le juge de première instance a rejeté cette prétention et a conclu que l’art. 41 de l’Ontario Water Resources Commission Act permet d’adopter un règlement d’imposition de taxe d’égout après la signature de l’entente avec la Régie. Il a rejeté l’action. La Cour d’appel a fait droit aux prétentions du contribuable, elle a accueilli l’appel et annulé le règlement.
Je suis d’avis d’accueillir l’appel et de rétablir le jugement de première instance qui rejette l’action. A mon avis, le règlement n° 2068 a été autorisé en vertu de l’art. 41 de l’Ontario Water Resources Commission Act ci-dessus cité dans le rapport de la Commission municipale. Les mots clés sont les suivants:
[TRADUCTION] Le Conseil d’une municipalité qui a conclu une entente avec la Régie sous l’empire de l’article 39 peut, par règlement, sujet à l’approbation de la Commission municipale, décréter l’imposition aux propriétaires ou occupants d’immeubles qui profitent des travaux ou qui pourront en profiter à l’avenir, d’une taxe d’aqueduc ou d’égout…
Avant 1957, le seul pouvoir d’imposer une taxe d’égout aux propriétaires ou occupants des immeubles à desservir avait sa source dans l’art. 380(2) du Municipal Act également cité dans le rapport de la Commission municipale.
Il y a toutefois eu une modification importante en 1957. Cette année-là, on a refondu l’Ontario Water Resources Commission Act par la loi 5-6 Elizabeth II, c. 88, et les par. 1, 2 et 3 de l’art. 41 sont apparus dans la Loi pour la première fois. Le résultat de cette refonte a été d’établir une seconde source du pouvoir municipal d’imposer des taxes d’égout sur un immeuble en particulier, ce pouvoir ne dépendant plus du seul art. 380(2).
La Cour d’appel paraît cependant avoir adopté l’avis que l’art. 380 du Municipal Act est la disposition maîtresse et que l’art. 41. de l’Ontario Water Resources Commission Act n’amoindrit
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pas les exigences de l’art. 380. Une telle conclusion soulève deux objections. Premièrement, elle fait abstraction des premiers mots de l’art. 41(1) selon lesquels [TRADUCTION] «le conseil d’une municipalité qui a conclu une entente avec la Régie sous l’empire de l’article 39 peut, par règlement… décréter l’imposition… d’une taxe d’aqueduc ou d’égout… Deuxièmement, en vertu de l’art. 41(3), l’application de l’art. 380 du Municipal Act est expressément assujettie à l’art. 41 et doit se faire mutatis mutandis. J’arrive à la conclusion qu’il n’y a pas de conflit entre l’art. 41 de l’Ontario Water Resources Commission Act et l’art. 380(2), que le règlement imposant une taxe d’égout peut être adopté après que l’ouvrage a été autorisé par une entente avec la Régie et qu’il est terminé, et que l’approbation de la Commission municipale peut être donnée par la suite.
L’intimé a soutenu en cette Cour, comme il l’avait fait en Cour d’appel, que l’appelante a prétendu autoriser la construction d’un ouvrage illégal, ne s’étant pas conformée aux dispositions de l’art. 64 du Ontario Municipal Board Act, S.R.O. de 1960, c. 274. L’appelante soutient que l’entente intervenue entre l’appelante et la Régie des eaux de l’Ontario a été autorisée par le règlement n° 2067, que la Commission municipale de l’Ontario a approuvé. Personne n’a interjeté appel de l’ordonnance de la Régie et la validité du règlement n° 2067 n’est pas contestée dans la présente affaire. La déclaration se borne à demander un jugement déclarant le règlement n° 2068 nul. Le juge de première instance a dit ceci:
La présente action ne porte pas cependant sur l’approbation du règlement n° 2067, ce règlement est reconnu valide. C’est l’approbation du règlement imposant une taxe d’égout que l’on conteste présentement.
Je partage l’avis exprimé par le Juge d’appel Kelly au sujet de cette prétention:
[TRADUCTION] L’autre moyen d’appel, soit qu’en ne se conformant pas à l’art. 64 de l’Ontario Municipal Board Act, la municipalité a prétendu autoriser un ouvrage non approuvé, constitue une contestation de la validité du règlement n° 2067. La déclaration ne
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conteste pas directement la validité du règlement n° 2067. Étant donné l’attitude que j’ai prise quant au règlement n° 2068, il est inutile de s’arrêter à la validité du règlement n° 2067. Je ne crois pas qu’à défaut de conclusion demandant de le déclarer nul, le jugement dans la présente action devrait statuer sur sa validité ou sur sa nullité. Si le demandeur juge qu’il a un recours à ce sujet, il devrait le faire valoir par des procédures à cette fin.
Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi avec dépens tant en cette Cour qu’en Cour d’appel et de rétablir le jugement de première instance qui rejette l’action avec dépens.
LE JUGE LASKIN (dissident) — Le règlement n° 2068 de la municipalité appelante, soit le [TRADUCTION] «règlement concernant les taxes d’égout sous l’empire de l’art. 41 de l’Ontario Water Resources Commission Act, S.R.O. de 1960, c. 281 et modifications et de l’art. 380 du Municipal Act, S.R.O. de 1960, c. 249 et modifications» a été adopté en troisième lecture le 20 février 1967. Il avait franchi les étapes de la première et de la deuxième lecture le 7 novembre 1960. Dans sa forme initiale, il décrétait l’imposition d’une taxe d’égout déterminée, répartie sur trente ans à compter de 1962. Par décision communiquée le 24 octobre 1961, l’Ontario Municipal Board (Commission municipale) avait d’abord refusé d’approuver le projet de règlement, dont l’approbation est obligatoire. A la suite d’une nouvelle audition tenue le 5 janvier 1967, la Commission municipale a suivi la recommandation de son vice-président, comme la loi qui la régit le permet, et a approuvé le projet de règlement le 6 février 1967, à condition que la durée de la répartition de la taxe d’égout soit réduite de trente à vingt-quatre ans et que le premier versement soit celui de 1968. On a apporté ce changement au projet de règlement et on l’a adopté en troisième lecture.
Un des propriétaires fonciers touchés par le règlement en a contesté la validité sans succès, mais par un arrêt unanime dont le Juge d’appel Kelly a rédigé les motifs la Cour d’appel de l’Ontario a infirmé la décision du Juge Lacourcière de rejeter l’action. Pour mieux définir les questions de droit soulevées par le pourvoi à cette Cour je donnerai la chronologie des événe-
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merits qui s’y rapportent. Ces questions dérivent des art. 39, 40 et 41 de l’Ontario Resources Commission Act qui se lisent comme suit:
[TRADUCTION] 39 (1) Une ou plusieurs municipalités peuvent demander à la Régie de leur fournir et d’exploiter pour elles des réseaux d’aqueduc ou d’égout.
(2) Sur une telle réquisition, la Régie peut fournir à ces municipalités
a) une estimation du coût des travaux et tous autres renseignements que la Régie juge utiles;
b) une enumeration des clauses et conditions auxquelles la Régie exécutera et exploitera les travaux; et
c) un projet de la convention à intervenir entre la ou les municipalités et la Régie.
(3) Le conseil de toute municipalité peut par règlement autoriser celle-ci à conclure une telle entente avec la Régie et, sous réserve de l’approbation du lieutenant-gouverneur en conseil, la Régie peut conclure toute entente de ce genre avec une ou plusieurs municipalités et après la signature d’une telle entente les parties ont tous les pouvoirs nécessaires à l’exécution des dispositions de l’entente ou de tout engagement qui en découle.
(4)…
(5) Lorsqu’une municipalité qui projette de conclure une entente avec la Régie doit obtenir l’approbation de la Commission municipale à l’égard de tout aspect des travaux projetés, la demande d’approbation doit être faite par la Régie pour le compte de la municipalité.
40 (1) Toute municipalité qui a conclu une entente avec la Régie en vertu de l’art. 39 doit payer, à la Régie, les sommes suivantes, ou, lorsque plusieurs municipalités sont parties à l’entente, ou que les travaux exigent plus d’une entente dont au moins une à laquelle une municipalité est partie, sa part, déterminée par la Régie, des sommes suivantes:
2. Chaque année civile de la période prescrite par l’entente, à compter d’au plus cinq ans après la fin des travaux prévus à l’entente, la somme qui produirait à l’expiration de telle période un fonds égal au coût des travaux avec intérêts composés annuellement au taux de 3¼ pour cent l’an.
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41 (1) Le conseil d’une municipalité qui a conclu une entente avec la Régie sous l’empire de l’article 39 ou qui projette de le faire peut par règlement, sujet à l’approbation de la Commission municipale, décréter l’imposition aux propriétaires ou occupants d’immeubles qui profitent des travaux ou qui pourront en profiter à l’avenir, d’une taxe d’aqueduc ou d’égout, selon le cas, de manière à prélever la totalité ou la partie que détermine le règlement des sommes que représentent les versements annuels à faire à la Régie en vertu du sous-alinéa a) de l’alinéa 1) et de l’alinéa 2) du paragraphe (1) de l’article 40. Moyennant semblable approbation, le conseil peut modifier ou abroger ledit règlement.
(1a) Lorsqu’un règlement impose en vertu du paragraphe (1), une taxe d’aqueduc ou d’égout aux propriétaires ou occupants d’immeubles, le conseil de la municipalité peut permettre la commutation de la totalité ou de partie de la taxe en un seul versement comptant et déterminer les modalités de cette commutation.
(2) Le conseil d’une municipalité qui a conclu une entente avec la Régie en vertu de l’article 39 ou qui projette de le faire peut, par règlement, décréter l’imposition, aux propriétaires ou occupants d’immeubles dont les égouts se déversent pour traitement ou élimination dans un système projeté ou construit, ou aux propriétaires ou occupants d’immeubles alimentés par un réseau d’aqueduc, d’une taxe de service d’égout ou d’aqueduc, selon le cas, de manière à prélever la totalité ou la partie que détermine le règlement des sommes que représentent les versements annuels à faire à la Régie en vertu des sous-alinéas b) et c) de l’alinéa 1 du paragraphe (1) de l’article 40.
(3) Sous réserve des dispositions du présent article, l’article 380 du Municipal Act s’applique mutatis mutandis aux taxes d’égout et de service d’égout créées en vertu du présent article.
(4) Toute taxe d’aqueduc ou de service d’aqueduc imposée en vertu du présent article doit, sous réserve des dispositions du présent article et dans la mesure du possible, être imposée de la même manière que les taxes d’aqueduc ou de service d’égout, selon le cas, créées en vertu de l’article 380 du Municipal Act, et suivant les mêmes modalités; l’article 380 du Municipal Act s’applique mutatis mutandis à l’imposition de ces taxes.
l’Ontario Water Resources Commission Act, refondu en 1957 et modifié en 1958, permet à une municipalité de faire construire et exploiter par la Régie des eaux pour le compte de la
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municipalité et par entente avec la Régie, des systèmes d’aqueduc et d’égout, moyennant des modalités de remboursement. Auparavant, pour autant que c’était la municipalité elle‑même qui y pourvoyait, ces systèmes devaient être fournis selon un processus établi à l’art. 380 du Municicipal Act, en vigueur depuis longtemps dans la province, si la totalité ou partie du coût devait être mise à la charge des propriétaires qui en profiteraient. L’article 380 est un code détaillé sur la façon de prélever des fonds et d’imposer les taxes nécessaires au financement des travaux d’aqueduc et d’égout. Pour les fins des présentes, il suffit de citer le par. (2) de l’art. 380 qui se lit comme suit:
[TRADUCTION] Sous réserve d’obtenir l’autorisation préalable de la Commission municipale, le conseil d’une municipalité locale peut, en autorisant la construction de systèmes d’égout ou de réseaux d’aqueduc, par règlement, décréter l’imposition, aux propriétaires ou occupants d’immeubles qui profitent des réseaux d’aqueduc et des systèmes d’égout ou à ceux qui pourront en profiter à l’avenir, d’une taxe d’aqueduc ou d’égout, selon le cas, de manière à prélever la totalité ou la partie ou pourcentage que détermine le règlement du coût en capital des travaux. Moyennant semblable approbation, le conseil peut, à l’occasion, modifier ou abroger ledit règlement.
Ayant décidé de faire aménager des égouts par entente avec la Régie, la municipalité a adopté le règlement n° 2067 le 24 février 1961. Comme le règlement n° 2068, il a subi les deux premières lectures le 7 novembre 1960. Le règlement n° 2067 autorise la municipalité à conclure une entente avec la Régie sur la phase de planification et de préparation des travaux et à conclure, par la suite, avec l’autorisation de la Commission municipale de l’Ontario, une autre entente portant sur leur réalisation. L’entente sur la phase préparatoire est datée du 6 décembre 1960 et celle portant sur la réalisation a été signée le 6 juillet 1961. La Commission municipale a donné son approbation à la seconde entente le 29 juin 1961.
Les travaux visés à l’entente sur la réalisation ont, de fait, débuté avant l’adoption du règlement n° 2067; ils étaient terminés le 2 avril 1961, avant que la Commission municipale n’accorde son approbation et avant la signature de l’entente. De même, il ressort clairement de ce qui précède
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que les travaux ont été terminés avant l’adoption du règlement n° 2068 et avant son approbation par la Commission municipale. Les approbations en cause sont obligatoires en vertu de l’art. 64 de l’Ontario Municipal Board Act, S.R.O. de 1960, c. 274, lequel se lit ainsi:
[TRADUCTION] 64 (1) Nonobstant les dispositions de toute autre loi générale ou spéciale, une municipalité ne peut:
a) autoriser, ni
b) exercer aucun de ses pouvoirs pour exécuter, ni
c) financer
aucune entreprise, travail, projet, plan, acte, affaire ou chose dont le coût total ou partiel sera
d) prélevé au cours de l’année ou des années suivantes, ou
e) financé par l’émission d’obligations,
avant d’avoir d’abord obtenu l’approbation de la Commission.
(2)…
(3) L’adoption par un conseil d’un règlement ayant pour but d’autoriser ou d’exercer un de ses pouvoirs pour exécuter ou financer une entreprise, travail, projet, plan, acte, affaire ou chose mentionnée au paragraphe (1) ne sera pas censée enfreindre le paragraphe (1) si le règlement comporte une disposition prévoyant qu’il n’entrera en vigueur qu’après avoir reçu l’approbation de la Commission conformément au paragraphe (1).
Ce que nous avons à décider, c’est d’abord si l’art. 41 de l’Ontario Water Resources Commission Act permet à une municipalité de faire approuver son règlement d’imposition et de l’adopter, après avoir fait approuver l’entreprise pour laquelle elle impose des taxes et même après l’exécution des travaux en cause. On admet qu’en vertu de l’art. 380 du Municipal Act il faut adopter un règlement d’imposition avant ou au moment d’autoriser les travaux, l’approbation du règlement par la Commission municipale venant en premier lieu. La deuxième question que soulève le présent pourvoi est celle de savoir si la Commission municipale pouvait légalement approuver le règlement d’imposition (à supposer que le premier grief contre le règlement ne soit pas fondé) alors qu’elle avait déjà refusé de le faire. L’appelante a porté à l’attention de la Cour une
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troisième question, que l’intimé de son côté a traitée, l’appelante soutenant qu’il n’y avait pas contestation liée sur cette question. Cette troisième question a trait au règlement n° 2067 et comporte l’argument que les travaux prévus à ce règlement n’ont jamais été régulièrement autorisés à cause de l’inobservance de l’art. 64 de l’Ontario Municipal Board Act et que, par conséquent, il n’y a pas de fondement légal à un règlement d’imposition.
En cour d’appel de l’Ontario, le juge d’appel Kelly a rejeté les prétentions de l’intimé dans le présent pourvoi au sujet de la deuxième question en se fondant à cet égard sur l’art. 42 de l’Ontario Municipal Board Act et a conclu que la troisième question n’était pas en litige parce qu’elle constitue en réalité une contestation de la validité du règlement n° 2067, validité que l’intimé n’avait pas mise en cause. Le Juge Kelly, toutefois, a rendu une décision défavorable à la municipalité sur la question principale de la validité du règlement n° 2068 et ce, à la lumière des art. 41 et 380; il dit à ce sujet, à la fin de ses motifs, que je cite:
[TRADUCTION] Je ne suis pas d’avis que l’art. 41 prévoit que le règlement d’imposition peut être adopté après que l’ouvrage a été autorisé. L’ouvrage ayant été autorisé le 29 juin 1961 par le règlement n° 2067, le règlement d’imposition n’a pas été validement adopté puisque l’on n’a pas obtenu l’approbation «préalable» de la Commission municipale comme l’exige l’art. 380 (2).
Il n’y a pas de doute que l’art. 41 de l’Ontario Water Resources Commission Act s’écarte des dispositions de l’art. 380 du Municipal Act s’il permet que soit adopté un règlement d’imposition après la signature d’une entente entre une municipalité et la Régie pour la construction d’acqueducs ou d’égouts. La municipalité appelante soutient que cette conséquence découle des premiers mots de l’art. 41 (1) qui traitent d’un conseil municipal «qui a conclu une entente avec la Régie sous l’empire de l’article 39». De plus, il y aurait aussi dérogation aux dispositions de l’art. 380 si l’autorisation de construire un aqueduc ou un égout pouvait s’obtenir en vertu de l’art. 41 après que la construction est de fait terminée. Pour autant que l’approbation de la Commission municipale de l’Ontario est nécessaire pour conclure l’entente elle-même (à ce
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sujet, voir l’art. 39 (5) de l’Ontario Water Resources Commission Act), les dispositions applicables se trouvent à l’art. 64 du Ontario Municipal Board Act. Dans la présente affaire, on s’y est strictement conformé puisque le projet défini à l’entente a fait l’objet d’une approbation avant la signature de l’entente; le dossier indique que l’entente portant sur la phase préliminaire des travaux a également reçu l’approbation de la Commission municipale.
La position de la municipalité appelante est que d’après son interprétation à elle de l’art. 41, il n’importe pas que les travaux visés par une entente aient débuté ou se soient terminés avant la signature de l’entente avec l’approbation de la Commission municipale ou avant l’adoption du règlement d’imposition avec l’approbation de la Commission municipale. L’intimé conteste cette position sur deux plans. D’abord il soutient que l’application mutatis mutandis de l’art. 380 du Municipal Act à l’art. 41 emporte l’obligation de faire autoriser l’ouvrage de façon régulière; cette obligation n’est pas remplie du seul fait de la signature de l’entente avec la Régie mais exige l’adoption préalable ou simultanée d’un règlement d’imposition, surtout à cause de l’art. 64 de l’Ontario Municipal Board Act qui s’applique [TRADUCTION] «nonobstant les dispositions de toute autre loi générale ou spéciale». L’autre moyen est que même d’après l’art. 41, la mention qui y est faite d’une entente sous l’empire de l’art. 39 renvoie à une entente visant l’exécution et l’exploitation d’ouvrages et c’est seulement [TRADUCTION] «après la signature d’une telle entente [que] les parties ont tous les pouvoirs nécessaires à l’exécution des dispositions de l’entente» pour citer l’art. 39(3).
Je ne suis pas d’avis que la première des deux objections soit soutenable dans une affaire où il y a une entente régulièrement approuvée et signée en rapport avec l’ouvrage à construire en vertu de l’entente elle-même. L’application mutatis mutandis de l’art. 380 ne justifie pas la subordination de l’art. 41(1) aux dispositions exactes de l’art. 380 (2); c’est ce qui se produirait si on ne pouvait adopter un règlement d’imposition avec l’approbation préalable de la Commission municipale après l’approbation et la signature d’une entente portant sur l’exécution de travaux comme susdit. Si l’entente du 6 juil-
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let 1961 est typique, il est clair que les contribuables d’une municipalité savent au moment où l’on demande l’approbation d’une telle entente quel sera le coût probable du projet et, par conséquent, n’ignorent pas le montant à prélever en vertu du règlement d’imposition.
A mon avis, le second moyen d’opposition est fatal au règlement n° 2068. La municipalité ne peut procéder ou agir que conformément aux pouvoirs que lui donne la législation. Le pouvoir qu’elle possède d’autoriser la construction d’égouts ou la conclusion d’une entente avec la Régie pour en faire construire un par celle-ci sont des pouvoirs qui portent sur un ouvrage à venir. On n’a pas prétendu, sauf par application de l’art. 41, que la municipalité pouvait valider rétroactivement un ouvrage terminé qu’elle n’avait pas le pouvoir de réaliser sans une entente qui s’y rattache. Puisqu’une telle entente exige l’approbation de la Commission municipale de l’Ontario et que les personnes intéressées ont le droit de faire connaître leur avis à l’occasion d’une demande d’approbation, il serait absurde de tenir une audition et de décider de l’approbation à donner à propos de la construction d’un ouvrage déjà terminé. Si l’on aboutissait à ce résultat, les contribuables n’auraient pas la faculté d’exprimer au préalable leurs vues soit sur l’entente relative à un projet ou sur le règlement d’imposition, mais se trouveraient carrément devant un fait accompli.
Je ne puis interpréter l’art. 41 comme allant jusque-là si on le lit, comme il faut le faire, à la lumière de l’art. 39. L’ordonnance d’approbation rendue par la Commission le 29 juin 1961 n’indique nullement qu’elle porte sur un ouvrage achevé; d’après ses termes mêmes, elle porte sur un ouvrage en projet. Je ne vois rien à l’art. 64 de la loi organique de la Commission municipale qui permette à celle-ci de valider par son approbation une entente que la municipalité n’avait pas le pouvoir de faire. En réalité, l’art. 69 de cette loi me paraît porter nettement sur l’objet du débat. Pour autant qu’il s’applique, il décrète que [TRADUCTION] «lorsque la Commission a donné son approbation comme le prescrit l’article 64, la municipalité peut ensuite procéder de la façon et dans la mesure prévues par cette approbation ou de la façon et dans la mesure qui en décou-
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Lent…» (Les italiques sont de moi.) Je relie ceci non seulement à l’adoption du règlement d’imposition, mais à la prohibition contenue à l’art. 64(1) b) de réaliser tout ouvrage ou programme dont le coût sera prélevé dans les années subséquentes sans avoir obtenu l’approbation préalable de la Commission.
Il s’ensuit que le règlement n° 2068 n’a pas de fondement valide et que, par conséquent, il est sans effet. Cela suffit pour décider le pourvoi qu’il y a lieu, à mon avis, de rejeter avec dépens.
Appel accueilli avec dépens, le JUGE LASKIN étant dissident.
Procureurs de la défenderesse, appelante: Weir & Foulds, Toronto.
Procureurs du demandeur, intimé: Fasken & Calvin, Toronto.
[1] [1970] 3 O.R. 365, 13 D.L.R. (3d) 129.
[2] [1968] 1 O.R. 102.