Cour suprême du Canada
J. Nunes Diamonds Ltd. c. Dominion Electric Protection Company, [1972] R.C.S. 769
Date: 1972-03-30
J. Nunes Diamonds Ltd. (Demanderesse) Appelante;
et
Dominion Electric Protection Company (Défenderesse) Intimée.
1971: les 2, 3 et 4 novembre; 1972: le 30 mars.
Présents: Les Juges Martland, Judson, Spence, Pigeon et Laskin.
EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.
APPEL d’un jugement de la Cour d’appel de l’Ontario[1], rejetant un appel d’un jugement du Juge Addy. Appel rejeté, les Juges Spence et Laskin étant dissidents.
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W.B. Williston, c.r., et R.B. Tuer, c.r., pour la demanderesse, appelante.
T.A. King, c.r., et J.N. Unwin, pour la défenderesse, intimée.
Le jugement des Juges Martland, Judson et Pigeon a été rendu par
LE JUGE PIGEON — Les faits de la présente cause sont exposés au long et fidèlement dans les motifs de M. le Juge Spence, que j’ai eu l’avantage de lire. Je souscris à son avis que pour autant que la réclamation de la demanderesse («Nunes») est fondée sur une violation de contrat, c’est avec raison qu’elle a été rejetée. En ce qui concerne la responsabilité délictuelle, je conviens également que, quant aux fausses déclarations imputées, qui auraient été faites à un certain Frank B. Mortimer, il n’y a pas lieu de modifier la conclusion concordante défavorable au sujet de la crédibilité.
Il reste donc deux questions à étudier:
(a) La déclaration qu’un employé non identifié de la défenderesse («D.E.P.») a faite à Mlle Geddes peu après l’incident chez M. Baumgold: [TRADUCTION] «Même nos propres ingénieurs ne pourraient pas passer à travers sans actionner l’alarme»;
(b) Les lettres envoyées par le directeur général de la D.E.P., R.Y. Atlee, à deux courtiers en assurances le 26 octobre 1959, soit un peu plus de trois semaines après l’effraction chez M. Baumgold.
En ce qui concerne la déclaration à Mlle Geddes, il me paraît que les cours d’instance inférieure ont eu raison de décider qu’elle a été faite sans autorisation réelle ou apparente. M. Numes-Vaz lui-même a témoigné qu’il avait demandé à un directeur de la D.E.P.:
[TRADUCTION] que quelqu’un vienne au moins voir notre dispositif — voir s’il fonctionnait ou non; c’est ce qu’ils ont fait.
C’est finalement ce qu’il a dit. Il a ainsi clairement renoncé à sa tentative antérieure de reformuler sa demande en disant que par «fonctionnait», il voulait dire [TRADUCTION] que ce
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«dispositif ne serait pas déjoué». De toute façon, il faut tenir compte de ce qu’il a réellement dit et non pas de ce qu’il a pu vouloir dire. Il ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’un employé envoyé à la suite d’une telle demande ait la compétence requise pour faire une déclaration allant plus loin que le but de sa visite, soit de vérifier si le dispositif fonctionnait. La façon dont il a fait la déclaration montre qu’il n’était pas un ingénieur. On peut raisonnablement présumer que seul un dirigeant de la société ou un ingénieur aurait su jusqu’à quel point le dispositif fourni par la D.E.P. était sûr. Il est tout à fait clair que l’employé n’était pas réellement autorisé à faire pareille déclaration parce que c’était une ligne de conduite établie de ne divulguer aux abonnés aucun détail du mode de fonctionnement du dispositif sauf en certains cas, par exemple, les banques et les gouvernements. Le juge de première instance a tiré la conclusion suivante, amplement étayée par la preuve, si l’on tient compte que l’un des deux préposés à l’entretien qui ont témoigné devant lui est celui qui a fait l’inspection du 7 juin 1961, le lendemain du jour où une fausse alarme a été donnée, deux semaines avant l’effraction:
[TRADUCTION] Quant à la déclaration qu’a faite à Mlle Geddes le préposé à l’entretien non identifié (voir ci-dessus ma conclusion de fait n° 6), il me semble déraisonnable de présumer que M. Nunes-Vaz se fierait à la déclaration d’un simple préposé à l’entretien au sujet de la sûreté du dispositif. De toute évidence, ce n’était pas un ingénieur et il n’a pas été établi qu’il était électricien. Apparemment, c’était simplement un homme qui vérifiait régulièrement le courant dans le coffre-fort pour voir si le dispositif fonctionnait comme il devait, en procédant à une série d’essais déterminée. J’ai pu voir deux personnes qui accomplissaient ces tâches pour la D.E.P.; elles ont témoigné au procès et ni l’une ni l’autre n’avaient quelque compétence ou connaissance particulière. Les deux se rangeraient dans la catégorie des ouvriers non spécialisés.
Quant aux lettres, il est loin d’être clair que la déclaration [TRADUCTION] «Le dispositif a fonctionné normalement» était inexacte. A cet égard, le juge de première instance a conclu ce qui suit:
[TRADUCTION] On n’a jamais établi comment les diamants ont pu être enlevés du coffre-fort de M. Baumgold; on ne sait pas encore si c’est parce que
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le dispositif d’alarme a été déjoué ou si c’est grâce à la complicité des employés de M. Baumgold ou de ceux de la D.E.P., ou par une combinaison de deux de ces trois possibilités.
Cette conclusion est entièrement étayée par la preuve. Le surintendant-détective Long, témoin cité par Nunes, a dit que lorsqu’il a enquêté sur le cambriolage chez M. Baumgold, il a considéré les trois possibilités. Il a finalement écarté la seconde mais quant aux deux autres, il a affirmé qu’ils [TRADUCTION] «ne le savaient vraiment pas» et a ajouté que même maintenant [TRADUCTION] «Je peux faire des conjectures mais je ne puis rien affirmer». Ce témoin n’était sûrement pas hostile à Nunes. Il a expliqué comment il pouvait, en deux ou trois minutes, déjouer le dispositif en y substituant une résistance. Il n’a pas dit que lorsqu’il a tenté de déjouer le dispositif dans les laboratoires de la D.E.P., peu après le cambriolage chez Nunes, il n’a pas réussi malgré toutes ses connaissances et son expérience comme radiotechnicien et en électronique des communications. Ce fait est ressorti à la fin du procès seulement, lorsque l’avocat de Nunes a produit le rapport Grosso à la société mère américaine de la D.E.P. Grosso est un ingénieur en chef des projets qui a fait une investigation poussée, à la demande de l’avocat de la D.E.P., après le cambriolage chez Nunes. Dans le rapport confidentiel qu’il a présenté à son employeur et qui n’a jamais été communiqué aux procureurs de la D.E.P., Grosso, qui était au courant du cambriolage chez Baumgold et avait noté que [TRADUCTION] «Cette fois-là non plus, les signaux n’ont pas été reçus au poste central», a écrit:
[TRADUCTION] On a expliqué que bien que certaines méthodes permettant de déjouer le dispositif soient connues et que des tentatives de compromettre l’intégrité du circuit en liaison directe aient été faites, on n’y est jamais parvenu.
Je ne puis trouver aucune preuve que [TRADUCTION] «des circonstances importantes» soient survenues après l’envoi des lettres et n’aient pas été rapportées. Je ne vois pas non plus comment les lettres pourraient être interprétées comme laissant entendre qu’on s’engageait à faire rapport et comment le manquement à un tel engagement pourrait constituer un délit civil.
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Même en supposant que chez M. Baumgold on avait effectivement déjoué le dispositif d’alarme en compromettant l’intégrité de la ligne entre le poste central et le cabinet protégé du coffre-fort, il n’est pas clair que la déclaration [TRADUCTION] «Le dispositif a fonctionné normalement» était inexacte. Pour autant que le dispositif était conçu de façon à n’actionner l’alarme que si le courant transmis par la ligne aux locaux d’un abonné déviait de plus de quelque 40 pour cent, en plus ou en moins, par rapport aux 25 milliampères réguliers, on pourrait dire qu’il n’a pas fait défaut. D’autre part, en supposant que ce courant régulier a été maintenu en substituant au réseau dans le cabinet protecteur, une résistance équivalente et en compromettant ainsi l’intégrité de la liaison, on peut dire que le dispositif, dans l’ensemble, n’a pas fonctionné normalement parce qu’il n’a pas actionné l’alarme lorsqu’il devait le faire, soit lorsque le circuit à l’intérieur du cabinet a été coupé quand on a enlevé le devant pour atteindre le coffre-fort. De plus, il se peut que ce soit là la façon dont on aurait dû s’attendre que la déclaration soit interprétée. Je traiterai donc cette question comme si les lettres renfermaient une déclaration inexacte. Il n’est pas allégué qu’elle était malhonnête et elle pouvait tout au plus être interprétée comme une déclaration que le dispositif qui se trouvait dans les locaux de M. Baumgold n’avait pas été déjoué.
L’appelante se fonde sur le jugement rendu par la Chambre des Lords dans la cause Hedley Byrne & Co. Ltd. v. Heller & Partners Ltd.[2], où il a été dit que dans certaines circonstances, il peut y avoir responsabilité par suite d’une déclaration inexacte faite par négligence. La Chambre n’a pas conclu à la négligence parce qu’elle a décidé que la stipulation d’irresponsabilité suffisait pour exclure toute obligation de diligence. Il ressort du jugement que ce n’est pas n’importe quelle déclaration négligente qui peut donner ouverture à une action en dommages-intérêts. L’énoncé de Lord Reid, p. 486, cité par mon collègue Spence, a récemment été étudié par le Conseil privé dans
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une cause australienne, Mutual Life & Citizens Assurance Co. Ltd. et al. v. Evatt[3], et il a fait l’objet des observations suivantes de la part de Lord Diplock (p. 159):
[TRADUCTION] Il ne s’agit d’une codification législative du droit des délits civils, mais d’un exposé judiciaire des motifs pour lesquels une décision particulière est prise eu égard aux faits de l’espèce. Si nous le lisons hors du contexte où se sont déroulés les débats de l’affaire Hedley Byrne, soit à l’égard d’un conseil donné dans des affaires ou une profession qui comporte la communication de conseils empreints d’habileté, de compétence et de diligence, ces termes sont assez généraux pour que l’intimé ait gain de cause dans le présent appel. Mais Leurs. Seigneuries sont d’avis que «la diligence requise par les circonstances» présuppose l’existence d’une norme determinable d’habileté, de compétence et de diligence que connaît ou declare connaître celui qui donne le conseil. A moins que dans ses affaires ou dans sa profession, il soit appelé à donner des conseils de ce genre, on ne peut raisonnablement s’attendre à ce qu’il sache s’il faut une certaine habileté, compétence ou diligence et, s’il le sait, jusqu’à quel point il faut en faire preuve. A fortiori, Leurs Seigneuries croient qu’on ne peut raisonnablement décider qu’il a assumé la responsabilité de se conformer à une norme d’habileté, de compétence et de diligence qu’il ne connaît pas, simplement, parce qu’il a répondu à la question, sachant que l’autre partie avait l’intention de s’y fier. Leurs Seigneuries croient, que ce passage devrait être interprété comme visant uniquement ceux qui, dans leurs affaires ou leur profession, sont appelés à donner des conseils du genre de celui qui est demandé, et comme visant uniquement les conseils qu’ils donnent dans le cours, de ces affaires.
Il a donc été décidé que le réclamant ne pouvait pas se faire indemniser de la perte subie par suite des renseignements erronés qu’une compagnie d’assurances avait donnés avec négligence au sujet de la solvabilité d’une compagnie associée. Lord Diplock dit (pp. 160‑161):
[TRADUCTION] Les modifications apportées en Cour d’appel montrent les raisons pour lesquelles il est allégué que la compagnie était mieux placée que l’intimé, et ce à la connaissance de ce dernier, pour donner une conseil digne de confiance sur la question qu’il lui a posée…
Leurs Seigneuries croient que ces allégations supplémentaires sont insuffisantes pour remédier au défaut fatal de la déclaration, l’absence d’allégation
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qu’à la connaissance de l’intimé, la compagnie, dans le cours de ses affaires était appelée à donner des conseils en matière d’investissements ou lui avait de quelque autre façon laissé savoir qu’elle prétendait avoir l’habileté et la compétence nécessaires et était disposée à exercer la diligence requise en lui donnant un conseil digne de confiance sur cette question. A défaut de quelque allégation à cet effet, l’intimé ne pouvait pas présumer que la compagnie avait assumé une autre obligation envers lui que celle de lui répondre du mieux qu’elle le pouvait et Leurs Seigneuries croient que la loi ne lui imposait aucune obligation plus lourde.
La D.E.P. n’a pas agi à titre de fiduciaire ou de conseiller envers Nunes. Elle s’était seulement engagée par contrat à fournir des services déterminés. Ce sont les courtiers en assurances qui ont donné des conseils à Nunes. En leur donnant des renseignements, la D.E.P. n’a pas cessé d’être une partie contractante pour devenir, envers l’appelante, un conseiller en matière de protection contre le cambriolage. Si elle a fait une déclaration honnête, mais inexacte, quant au fonctionnement du dispositif, elle ne s’est pas trouvée à assumer une responsabilité à l’égard de tous les dommages que l’appelante pouvait éventuellement subir si le dispositif était déjoué dans ses locaux.
Il ne s’agit pas ici d’une demande de renseignements adressée à une personne appelée, dans ses affaires, à donner de tels renseignements. Il ne s’agit pas d’une fausse déclaration menant à la conclusion d’un contrat. Les parties ayant mutuellement établi leurs droits et obligations dans un contrat, on cherche à imposer à l’une d’elles une obligation beaucoup plus lourde que celle qui est stipulée dans le contrat parce qu’elle aurait, allègue-t-on, fait une fausse déclaration quant à l’infaillibilité du dispositif qu’elle fournit. L’appelante soutient essentiellement que, bien qu’elle ait convenu d’accepter le dispositif de l’intimée pour ce qu’il valait et que l’intimée ne serait pas un assureur, elle peut maintenant réclamer des dommages-intérêts parce que l’intimée a subséquemment déclaré qu’il était impossible de déjouer le dispositif, et celui-ci a ensuite été déjoué.
Le critère de responsabilité délictuelle étudié dans l’affaire Hedley Byrne ne peut pas s’appliquer lorsque les relations entre les parties sont régies par un contrat, à moins qu’il soit possible de considérer que la négligence imputée constitue
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un délit civil indépendant n’ayant aucun rapport avec l’exécution du contrat, comme on l’a dit dans la cause Elder, Dempster & Co. Ltd. v. Paterson, Zochonis & Co. Ltd.[4], p. 548. En l’espèce, c’est là un point particulièrement important, à cause des dispositions contractuelles relatives à la nature des obligations assumées et l’exclusion virtuelle de toute responsabilité en cas de défaut de les remplir.
C’est une condition essentielle du contrat que la D.E.P. ne doit pas être dans la situation d’un assureur. C’est à cause de cette stipulation que les frais sont fondés [TRADUCTION] «uniquement sur la valeur probable du service», et non sur la valeur des biens à protéger. Déclarer la compagnie de protection responsable dans le cas d’une défaillance du dispositif de protection, non pas jusqu’à concurrence des dommages symboliques stipulés ($50.00), mais pour la pleine valeur des marchandises à protéger, c’est apporter au contrat une modification fondamentale.
A mon avis, on ne peut considérer les déclarations auxquelles s’est fiée l’appelante comme des actes indépendants des liens contractuels unissant les parties. On peut aisément le constater en se demandant: ces déclarations auraient-elles été faites si les parties n’avaient pas été liées par contrat? Il ne faut donc pas apprécier la responsabilité découlant de ces déclarations comme si les parties étaient étrangères l’une à l’autre, mais bien sur la base du contrat intervenu entre elles. Par conséquent, la question doit être: Est-il possible de considérer que ce contrat de service est devenu l’équivalent d’un contrat d’assurance, par suite de déclarations inexactes ou incomplètes au sujet de la valeur réelle du service de protection fourni? A mon avis, il est certain qu’il faut répondre à cette question par la négative. Il n’y a rien qui permette de déduire que Nunes a considéré que le contrat avait été ainsi modifié et il est tout à fait évident que les dirigeants de la D.E.P. n’ont jamais eu l’intention d’assumer pareilles obligations.
Indépendamment de ma conclusion à cet égard, je dois ajouter qu’il ne me semble pas que Nunes ait établi que les dommages imputés sont attribuables à la déclaration et aux letttres d’octobre 1959. A l’appui de sa prétention, elle a dit que
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si la déclaration et les lettres ne l’avaient pas rassurée quant à la valeur du dispositif de protection, elle aurait pris d’autres précautions pour éviter la perte. Ainsi, elle aurait:
a) Ajouté un autre dispositif de protection;
b) Diminué les stocks;
c) Utilisé la chambre forte d’une banque.
Voyons ce que le vice-président de la Nunes, D.F. Edminson, a dit à ce sujet:
[TRADUCTION] Après le vol chez M. Baumgold, ou le cambriolage, si vous le préférez, nous sommes entrés en communication — nous nous sommes renseignés auprès d’autres compagnies de protection.
Q. Oui?
R. Pour voir si elles pouvaient nous offrir quelque chose, que nous pourrions installer, quelque chose qui pourrait nous donner une protection supplémentaire.
Q. Oui?
R. Je crois que c’était là notre…
Q. Vous êtes-vous procuré un autre dispositif?
R. Non. Nous avons songé à une autre compagnie, mais nous avons décidé de ne pas la prendre.
Q. Sur quoi votre décision se fondait-elle, en ce qui vous concerne personnellement?
R. Personnellement, j’étais convaincu que la compagnie à laquelle nous songions n’avait aucun système central d’alarme, et je croyais toujours que la Dominion Electric avait un dispositif invincible, et j’étais passablement convaincu, et ce serait simplement compliquer nos dispositifs que d’en installer un autre, alors qu’un suffisait.
Rien dans le dossier ne permet de déduire que ce témoin s’est trompé lorsqu’il a considéré qu’à l’époque, il n’existait aucun autre dispositif donnant une protection efficace. Au contraire, toute la preuve indique que les cambrioleurs, assez habiles pour déjouer le dispositif de la D.E.P., auraient tout aussi facilement réussi à déjouer un second dispositif, si on en avait ajouté un. Si l’on présume que dans une première tentative de compromettre l’intégrité des dispositifs, les cambrioleurs auraient échoué, il est raisonnable de déduire que cela aurait actionné une alarme qui aurait été considérée comme une fausse alarme, tout comme l’alarme enregistrée et rapportée à
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peu près deux semaines avant l’effraction réussie. La conclusion que l’effraction aurait été évitée, est, à mon avis, et je le dis respectueusement, injustifiée; on ne peut pas dire qu’elle se fonde sur la balance des probabilités. En fait, il n’existe absolument aucune preuve à l’appui de pareille conclusion. Les seuls témoins qui ont donné leur opinion d’expert sur ce point, Leighton et Grosso, ont tous deux affirmé que les marchandises n’auraient pas été plus en sécurité, ou du moins pas pour la peine. Lorsqu’on a demandé au courtier en assurances Curtis ce qu’il aurait fait si dans sa lettre, M. Atlee avait dit que le dispositif avait été déjoué, il a répondu: [TRADUCTION] «J’aurais certainement examiné toutes les possibilités d’obtenir des dispositifs supplémentaires, ou un bon dispositif qui serait à la satisfaction des assureurs des compagnies». Le témoignage d’Edminson montre que de toute façon, c’est ce qui a été fait.
La deuxième possibilité ne devrait aucunement être étudiée parce que la réclamation ne se fonde pas sur elle. De toute évidence, s’il est soutenu que, sans ces renseignements inexacts, on aurait conservé moins de stocks, il ne serait possible de réclamer que la différence entre la valeur des stocks ainsi conservés et la valeur réelle des stocks au moment du vol. Aucune prétention n’a été soumise ni aucun montant présenté à cet égard. La réclamante a sans aucun doute constaté qu’il lui aurait été très difficile de montrer qu’elle conservait plus de stocks que ses affaires le lui demandaient, ou qu’elle aurait choisi de limiter ses activités commerciales et donc de diminuer ses profits, si elle avait été mieux informée du risque de cambriolage malgré le dispositif de protection.
Quant à l’utilisation de la chambre forte d’une banque, il n’est pas établi que le risque évident que crée le transport quotidien des stocks en dehors des locaux aurait été moindre que celui qui aurait existé s’ils avaient été gardés dans un coffre-fort mal protégé. De fait, la chambre forte d’une banque n’a été utilisée que pendant une très courte période après le cambriolage, bien que plusieurs années se soient écoulées avant qu’un dispositif de protection efficace, impossible à déjouer en compromettant l’intégrité de la liaison, ait été mis à la disposition de Nunes.
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En l’espèce, la preuve a montré qu’en fait de protection contre le cambriolage, Nunes comptait réellement sur l’assurance. Elle était si bien protégée qu’après l’effraction, ses assureurs ont payé $67,000 de plus que le coût réel des stocks, comme l’a conclu le juge de première instance. Ce montant étant de beaucoup supérieur à celui des autres dépenses et pertes découlant du vol, que le juge de première instance a fixées à $22,795.07, le comptable agréé de Nunes, Adams, a dû s’entendre avec le ministère du Revenu national pour que le profit découlant de «l’incident» soit partagé entre les années d’imposition 1960 et 1961. Bien sûr, l’existence d’une assurance d’indemnisation ne constitue pas un moyen de défense pour celui qui commet un délit. Toutefois, cela ne veut pas nécessairement dire que l’étendue de la protection n’est pas un facteur à considérer lorsqu’on examine si un réclamant a réellement été imprégné d’un sentiment de fausse sécurité par des déclarations inexactes quant à l’efficacité d’autres mesures de protection.
Je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.
Le jugement des Juges Spence et Laskin a été rendu par
LE JUGE SPENCE (dissident) — Le présent appel est à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario[5] prononcé le 1er mai 1970 et rejetant l’appel interjeté contre le jugement du Juge Addy, daté du 19 mars 1969, par lequel l’action de la demanderesse avait été rejetée.
Sauf en ce qui concerne la responsabilité délictuelle imputée, j’adopte l’exposé des faits dans les motifs minutieux et détaillés que le Juge d’appel Schroeder a rendus au nom de la Cour d’appel de l’Ontario:
[TRADUCTION] L’appelante (ci-après appelée Nunes) achetait et vendait en gros des diamants taillés. Depuis le mois d’avril 1951, son commerce était établi sur une propriété appelée pour les besoins de la municipalité le 14, rue Temperance, dans la ville de Toronto, mais à l’automne 1958, elle a emménagé dans des locaux situés au premier étage d’un édifice dont l’adresse était le 9, est, rue Richmond.
Le 18 avril 1951, la demanderesse a demandé à la défenderesse Dominion Electric Protection Com-
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pany (ci-après appelée la D.E.P.) de lui fournir, pour ses locaux de la rue Temperance, un service d’alarme contre le cambriolage au moyen de son système électrique de protection existant. Le 26 septembre 1958, un nouveau contrat a été conclu pour un service semblable aux nouveaux locaux de la demanderesse, sur la rue Richmond est; ce dernier est rédigé dans les mêmes termes que le contrat antérieur, sauf quant au prix à payer et aux locaux à protéger. Le montant stipulé est de $252.00 Tan payable en versements mensuels de $21.00 chacun.
La clause 1 de la convention, stipulant les services à rendre en vertu du contrat, se lit comme suit:
[TRADUCTION] «1. La compagnie Dominion s’engage à installer son dispositif électrique de protection contre le cambriolage aux locaux de l’abonnée, 9 est, rue Richmond dans la ville de Toronto, et à le relier à son bureau central; si le bureau central reçoit un signal d’alarme des locaux protégés, un représentant ou des représentants de la compagnie Dominion seront envoyés aux locaux protégés (lorsqu’un trousseau complet de clés de porte d’entrée aura été fourni) et, en leur qualité d’agents de l’abonnée, ce représentant ou ces représentants feront tout ce qui est raisonnablement possible de faire pour protéger du vol les biens de l’abandonnée. Dès leur arrivée, le représentant ou les représentants examineront les locaux en vue de déceler la présence de tout intrus non autorisé. (Si un trousseau complet de clés de porte d’entrée n’a pas été fourni, les locaux seront patrouilles pour une période d’au plus deux (2) heures, pendant qu’on tentera d’aviser l’abonnée, ou jusqu’à ce qu’on puisse pénétrer dans les locaux protégés, selon le cas.)»
Les clauses 5, 6 et 16, également à retenir, stipulent ce qui suit: —
«5. Les parties aux présentes conviennent que la compagnie Dominion n’est pas un assureur, et que les taux ci-après mentionnés sont fondés uniquement sur la valeur probable du service dans l’exploitation du système décrit: si ledit service n’est pas fourni et que des pertes en résultent, la responsabilité de la compagnie en vertu des présentes sera limitée et fixée, à titre de dommages liquidés, à la somme de cinquante dollars.
6. Si le service est temporairement interrompu à cause de grèves, d’émeutes, de tremblements de terre, de conflagrations, d’autres cas fortuits ou
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circonstances indépendantes de la volonté de la compagnie Dominion, cette dernière ne sera pas tenue de fournir le service à l’abonnée pendant la durée de l’interruption, pourvu que l’abonnée ou son représentant autorisé soit mis au courant de la situation.
…
16. Aucune condition, garantie ni déclaration n’ont été faites par la compagnie Dominion, ses fonctionnaires préposés ou agents, à part celles qui figurent par écrit aux présentes.»
Il n’est pas nécessaire de décrire en détail le système de la défenderesse; pour les besoins du présent appel, un bref aperçu suffira. La défenderesse a fourni un cabinet de bois, dont les parois internes étaient couvertes de fils formant un circuit continu, et qui était conçu pour contenir le coffre-fort de la demanderesse. L’avant du cabinet était amovible, mais lorsqu’on l’enlevait, le circuit s’ouvrait ou se brisait — et lorsqu’on le remettait en place, le circuit se refermait. Un fil partait du cabinet et se rendait jusqu’à une boîte de fusibles, sur le palier du premier, dans le corridor adjacent aux locaux de la demanderesse, puis à un poste terminal de la compagnie de téléphone Bell, au premier, et de là, jusqu’à un gros poste terminal de cette compagnie, au sous-sol. Le courant était transmis de la compagnie au poste central de contrôle de la D.E.P., 92 ouest, rue Adelaide, où se trouvait la source d’énergie, par deux fils de la Compagnie de téléphone; si quelqu’un tentait de forcer le cabinet, le circuit s’ouvrait, un signal sonore et des signaux visuels consistant en trois voyants lumineux donnaient l’alarme au bureau principal de la D.E.P.
Entre l’heure de fermeture, le 15 juin 1961, et l’heure d’ouverture, le 16 juin 1961, soit entre 17 h 50 et 7 h 50, quelqu’un s’est introduit par effraction dans les locaux de l’appelante; le coffre-fort a été forcé et une grande quantité de diamants a été volée. L’effraction a eu lieu sans que l’alarme sonne au poste central de la D.E.P., bien que des essais aient indiqué qu’à l’heure de fermeture et après l’heure d’ouverture, ces jours-là, le système fonctionnait normalement.
La demanderesse appelante a fondé sa réclamation contre l’intimée tant sur la responsabilité contractuelle que sur la responsabilité délictuelle; ces deux moyens ont été longuement traités au cours des plaidoiries en cette Cour. Pour autant que la réclamation de la demanderesse est fondée sur un manquement à un contrat, le savant juge de première instance, en ce qui concerne les con-
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ditions du contrat et particulièrement le par. 16 précité, a décidé que la demanderesse avait reçu tous les avantages convenus dans le marché et avait joui de ces avantages. Dans ses motifs, le Juge d’appel Schroeder a adopté cette conclusion dans les termes suivants:
[TRADUCTION] Pour autant que la réclamation de la demanderesse est fondée sur un manquement à un contrat, je suis entièrement d’accord avec le savant juge que, eu égard aux conditions du contrat, la demanderesse a reçu tous les avantages convenus dans le marché et qu’elle a joui de ces avantages. La défenderesse a exploité le système comme elle s’était engagée à le faire; le matériel n’était pas défectueux; si le cambriolage a réussi, ce n’est pas parce que le système n’a pas fonctionné, mais à cause de l’intervention illégale de criminels astucieux et bien renseignés, contre lesquels les meilleurs systèmes d’alarme contre le vol sur le marché ne sont pas invincibles. Le contrat n’accorde aucune garantie s’étendant à un cas comme celui-ci; de fait, il exclut expressément «toute condition, garantie ou déclaration de la part de la D.E.P., ses fonctionnaires, préposés ou agents,» à part celles qui figurent par écrit dans le contrat. La preuve est loin d’établir que la défenderesse n’a pas respecté une condition essentielle de son contrat ni qu’elle n’a pas rempli une obligation contractuelle continue et l’action ne peut être accueillie sur ce moyen.
Je souscris respectueusement aux conclusions du savant juge de première instance et du Juge d’appel Schroeder; je n’ai rien à ajouter aux motifs qu’ils ont exprimés dans leurs jugements.
J’examinerai maintenant la question très difficile de la responsabilité délictuelle de l’intimée. L’appelante a allégué que cette responsabilité découlait d’une déclaration inexacte faite par négligence, violant une obligation envers l’appelante et entraînant une perte. Il est nécessaire de donner un compte rendu passablement détaillé des circonstances relativement à cette cause d’action.
Le 1er octobre 1959, les locaux de M. Baumgold, également diamantaire, et concurrent de l’appelante, ont été cambriolés; le coffre-fort a été ouvert et les stocks de pierres précieuses enlevés. Le coffre-fort était protégé par un dispositif fourni par la Dominion Electric Protection Company, l’intimée, et identique à celui que cette compagnie avait fourni à l’appelante pour sa protection. Bien qu’on ait ouvert le cabinet et le coffre-fort, au-
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cune alarme n’a sonné au poste de la Dominion Electric Protection Company; de fait, l’intimée n’a entendu parler du cambriolage que lorsque la police en a informé son personnel, les voleurs ayant été poursuivis dans la rue et ayant laissé échapper les bijoux volés en s’enfuyant. Cet incident a causé beaucoup d’émoi au bureau de l’appelante et, de fait, chez tous les clients de l’intimée qui recevaient le même genre de service de protection que M. Baumgoid. Ce matin-là, le: 1er octobre 1959, M. Nunes-Vaz, président et unique propriétaire de l’appelante, a chargé Mlle Ella Geddes, sa secrétaire, de téléphoner au bureau de l’intimée et de demander à parler à l’un; des dirigeants. Au sujet de l’appel téléphonique, M. Nunes-Vaz a témoigné comme suit:
[TRADUCTION] Q. Avez-vous fait quelque chose en entendant la nouvelle?
R. Oui. J’ai téléphoné au bureau de la D.E.P., masecrétaire a téléphoné et a demandé à parler à l’un des dirigeants; je ne puis me rappeler le nom de celui à qui j’ai parlé.
Q. Savez-vous quel poste il occupait?
R. C’était un poste important, oui, très certainement, un poste important; je lui ai d’abord demandé ce qui était arrivé; il a répondu qu’ils, essayaient eux-mêmes d’aller au fond de l’affaire, je leur ai demandé de m’envoyer une note dans laquelle ils expliqueraient ce qui était arrivé; j’ai demandé…
LE JUGE: Un moment. Le dirigeant à qui vous avez parlé a déclaré que la cause n’était pas encore connue et qu’ils essayaient de la trouver, est-ce bien cela?
R. Oui, Votre Seigneurie.
Q. Oui?
R. Puis, nous avons demandé que quelqu’un vérifie si notre dispositif fonctionnait.
M. TUER:
Q. Que voulez-vous dire par «fonctionnait»?
R. Qu’en cas de tentative de cambriolage, le dispositif ne serait pas déjoué, celui que nous avions dans nos locaux pour protéger nos…
Q. Vous avez parlé d’une note, qu’entendez-vous par une note?
R. Une note expliquant ce qui était arrivé lors du vol chez M. Baumgoid…
[Page 786]
Q. D’accord, qu’est-il arrivé ensuite?
R. Nous avions — nous n’avons pas — eh bien, je crois que nous les avons appelés de nouveau pour demander que quelqu’un vienne au moins voir notre dispositif — voir s’il fonctionnait ou non; c’est ce qu’ils ont fait. Ils ont envoyé un homme, et je m’occupais d’un client, de sorte que je ne l’ai pas vu — je l’ai plus ou moins vu, mais Mlle Geddes l’a reçu, et lui a parlé. Elle lui a demandé ce qu’il pensait de notre dispositif, et il…
Mlle Geddes a également témoigné au sujet de l’appel téléphonique et de ce qui était arrivé par la suite. A l’interrogatoire principal, elle a fait le témoignage suivant:
[TRADUCTION] Q. Après cette conversation, qu’estil arrivé?
R.M. Nunes voulait que quelqu’un vienne immédiatement vérifier notre dispositif et s’assurer qu’il fonctionnait bien parce qu’on croyait que le dispositif devait avoir quelque chose de défectueux, un défaut quelconque et nous voulions que quelqu’un vienne immédiatement vérifier notre dispositif pour s’assurer qu’il fonctionnait bien.
Q. Oui.
R. Si je me rappelle bien, nous avons téléphoné une seconde fois, parce qu’ils ne sont pas venus tout de suite; nous leur avons donc téléphoné, un homme est venu, pas celui qui venait d’habitude, ce n’était pas le même homme, il occupait un poste plus important.
Q. A-t-il été identifié comme étant un employé de la D.E.P.?
R. Il a dû l’être — personne n’entrait sans l’être.
Q. Et qu’a fait ce monsieur, un fois arrivé?
R. Il s’est mis à faire la vérification de notre coffre-fort, du fil au haut du mur; en lui parlant…
Q. Étiez-vous là pendant ce temps-là?
R. Pardon?
Q. Étiez-vous là pendant ce temps-là?
R. Oui, je le regardais faire, parce que le reste du personnel devait téléphoner, ou recevait des appels de clients; je le regardais donc faire et je discutais avec lui des diverses possibilités; je lui ai demandé s’il pouvait arriver quelque chose à ce dispositif, s’il était possible de passer à travers.
[Page 787]
Ce témoignage a été suivi d’une objection, et d’une discussion, quant à son admissibilité. Le témoignage s’est poursuivi comme suit:
[TRADUCTION] Q. Êtes-vous certaine que c’était un employé de la D.E.P.; est-ce qu’il ne pourrait pas s’agir de quelque autre personne envoyée par la D.E.P.?
R. On ne l’aurait pas laissé entrer s’il n’avait pas été envoyé par la D.E.P.
Q. Oui, mais savez-vous s’il était employé à temps plein par la D.E.P. ou si c’était un technicien retenu par la D.E.P.?
R. Je crois qu’il était employé à temps plein par la D.E.P.; il a présenté sa carte d’identité parce que tous ceux qui venaient devaient le faire. Si c’étaient des étrangers…
Q. Il s’est donc présenté à vous comme étant un employé à temps plein?
R. Pour autant que je sache, oui.
M. Nunes-Vaz a témoigné, puis Mlle Geddes, rappelée, a fait le témoignage suivant:
[TRADUCTION] M. TUER:
Q. Mademoiselle Geddes, vous nous avez dit hier qu’un homme s’est rendu au bureau et s’est présenté comme étant envoyé par la D.E.P.
R. Oui.
Q. Est-ce bien cela?
R. Oui.
Q. Au cours des années, est-ce qu’un homme venait de temps en temps inspecter votre dispositif?
R. Le même homme venait régulièrement vérifier notre matériel.
Q. Etait-ce le même homme, cette fois-là?
R. Non.
Q. C’était un autre homme?
R. C’est exact.
Q. Qu’a-t-il fait en arrivant?
R. Il est entré, il s’est dirigé vers le coffre-fort et il a vérifié les fils le long du mur et autour de celui-ci; naturellement, nous voulions savoir si notre matériel était défectueux, c’est ce qu’il était venu vérifier, parce que nous croyions, à la suite de l’autre incident, que le matériel pouvait être défectueux; c’est surtout ce dont nous voulions nous assurer, que le matériel était en bon état et qu’il n’était pas défectueux.
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Q. Oui?
R. Pendant ce temps, je lui parlais; nous discutions de l’autre affaire.
Q. De quoi discutiez-vous exactement?
R. De l’affaire Baumgold, de ce qui était arrivé et comment cela — c’était le sujet de toutes les conversations, tout le monde dans notre commerce en parlait; c’était très important pour nous, parce qu’il est vital que nous soyons protégés; c’est pourquoi nous voulions que notre dispositif soit vérifié. Tout en lui parlant, je lui ai demandé s’il était possible de passer à travers ce dispositif, parce que nous avions entendu dire que c’était peut-être ce qui était arrivé.
Q. Chez M. Baumgold?
R. Chez M. Baumgold.
Q. Oui?
R. Il a répondu par la négative, il a dit: «Même nos propres ingénieurs ne pourraient pas passer à travers sans actionner l’alarme».
Q. Quelle a été votre réaction?
R. C’était réglé.
Q. Qu’entendez-vous par là?
R. Notre dispositif fonctionnait bien, nous étions protégés. Il était impossible que la cause ait été le dispositif; chez M. Baumgold, il y a eu élément humain qui a…
LE JUGE: Il a dit: «Même nos propres ingénieurs ne pourraient pas passer à travers ce dispositif»?
R. Oui, sans actionner l’alarme.
LE JUGE: Je m’excuse pourriez-vous répéter ce qui a été dit, autant que possible. Je crois que le témoin a mentionné autre chose, à propos d’un «élément humain».
M TUER:
Q. Oui, pourriez-vous répéter, et en passant, Mademoiselle, je veux que vous essayiez de vous rappeler autant que possible et aussi exactement que possible les paroles précises de ce monsieur.
R. Les voici: «Même nos propres ingénieurs ne pourraient pas passer à travers ce dispositif sans actionner l’alarme». Quant à moi, c’était réglé, notre dispositif fonctionnait toujours bien et il nous protégeait.
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Q. Vous avez mentionné quelque chose d’autre qui vous a renforcée dans votre opinion sur l’affaire Baumgold.
R. Je voulais dire que notre dispositif fonctionnait bien, qu’un élément humain était en jeu dans l’incident de chez M. Baumgold, quelqu’un avait oublié d’actionner l’alarme, ou quelque autre élément était en jeu.
Mlle Geddes a ajouté ce qui suit:
[TRADUCTION] Q. En avez-vous parlé à M. Nunes-Vaz?
R. Certainement, et à M. Edminson, et au personnel.
Il n’y a eu aucun contre-interrogatoire à ce sujet.
Comme je l’ai dit, ces événements se sont déroulés le 1er octobre 1959. Celui qui s’est présenté au bureau de l’appelante et dont Mlle Geddes a parlé dans son témoignage n’a jamais été identifié. L’avocat de l’appelante a informé cette Cour que la seule déposition à ce sujet par un témoin de l’intimée était celle de Gordon William Neil Leighton, technicien et surveillant des services d’ingénierie de l’intimée, qui a dit ce qui suit au cours de l’interrogatoire principal:
[TRADUCTION] Q. On a mentionné qu’après le vol chez M. Baumgold, un représentant de la défenderesse s’est rendu aux locaux de la compagnie Nunes. Savez-vous quelque chose à ce sujet?
R. Un représentant d’où, Monsieur King?
Q. Un représentant de la défenderesse, la D.E.P. Est-ce qu’un employé de la D.E.P. s’est rendu aux locaux de la compagnie Nunes après le vol chez Baumgold?
R. Je l’ignore.
Q. Vous l’ignorez?
R. Je l’ignore.
Notons que Mlle Geddes était plus qu’une simple secrétaire au service du président. Les fonctionnaires de la compagnie appelante étaient M. Nunes-Vaz, président, M. Edminson, vice-président, Mme Nunes-Vaz, secrétaire-trésorière. Toutefois, cette dernière ne faisait pas partie du personnel régulier du bureau et elle ne semble avoir eu d’un fonctionnaire que le titre. La seule autre personne régulièrement présente au bureau de la compagnie appelante, en plus de
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M. Nunes-Vaz et de M. Edminson, était Mlle Geddes; M. Nunes-Vaz et Mlle Geddes ont tous deux témoigné qu’elle était responsable du bureau et prenait part aux décisions administratives.
Le savant juge de première instance n’a tiré aucune conclusion précise quant à la crédibilité du témoignage de Mlle Geddes. Toutefois, ce témoignage n’a pas été contredit et le savant juge de première instance, lorsqu’il a refusé de sanctionner la prétention qu’il y avait eu fausse déclaration donnant ouverture à poursuites, en ce qui a trait aux propos que Mlle Geddes allègue qu’on lui a tenus, est parti du fait que le présumé technicien non identifié ne pouvait pas lier ses employeurs par cette déclaration. Je crois donc pouvoir examiner le présent appel en considérant comme acquis qu’on a ajouté foi au témoignage de Mlle Geddes.
Il faut examiner le deuxième ensemble de circonstances qui entourent la fausse déclaration. M. Frank B. Mortimer, enquêteur et estimateur indépendant, a été chargé de l’enquête sur l’affaire Baumgold. Appelé à témoigner pour le compte de l’appelante, il a affirmé avoir parlé à un dénommé Lyttle, alors gérant du poste de la rue Adelaide de l’intimée, à Toronto, et décédé avant le procès; ce dernier lui aurait dit que le vol chez M. Baumgold était un coup de hasard, et que l’intimée ne croyait pas que son dispositif pouvait être mis en doute, c.-à-d. que le coffre-fort puisse être ouvert sans que le dispositif avertisseur entre en action. Mortimer a ajouté qu’il avait mis M. Nunes-Vaz au courant de cette conversation. Toutefois, le savant juge de première instance a fait une conclusion définitive quant au témoignage de Mortimer:
[TRADUCTION] Je n’ai pas du tout été impressionné par le témoignage de M. Mortimer; je ne crois pas qu’on lui ait dit qu’il était absolument impossible de déjouer le dispositif.
La Cour d’appel de l’Ontario a accepté cette conclusion sur la crédibilité et je ne vois aucune raison de la modifier; par conséquent, je ne pousserai pas plus loin mon examen de la question de la fausse déclaration du point de vue du témoignage de Mortimer.
[Page 791]
La troisième circonstance relative à la fausse déclaration est la suivante: le 8 octobre 1959, Curtis Insurance Limited, de Toronto, a écrit la lettre suivante à feu M. Lyttle:
[TRADUCTION] Monsieur,
Nous représentons un certain nombre d’assureurs des Lloyd’s qui ont des clients à Toronto; l’effraction qui a eu lieu à la Baumgold Bros, of Canada Limited a grandement éveillé leur intérêt.
Nous voulons le plus tôt possible être mis au courant de la cause de cet incident et des mesures prises pour prévenir d’autres cambriolages. La situation est grave et des mesures correctives devraient être prises, car les assureurs autant que les assurés veulent être sûrs que le système est vraiment utile à leur protection et à leurs intérêts.
Nous attendons donc de vous un rapport sur la situation.
Agréez, Monsieur, l’expression
de mes meilleurs sentiments,
CURTIS INSURANCE LIMTED
Le 14 octobre, Eyl Brothers a également écrit à M. Lyttle la lettre suivante:
[TRADUCTION] Monsieur,
Notre compagnie assure un nombre important de diamantaires de Toronto et de Montréal et l’effraction à la Baumgold Brothers of Canada Limited nous a évidemment grandement troublés et inquiétés. Pour nous permettre d’envoyer un rapport complet aux assureurs, auriez-vous l’obligeance de nous mettre au courant le plus tôt possible de la cause de cet incident et des mesures que votre compagnie a prises pour prévenir pareils vols. Vous conviendrez comme nous que la situation est extrêmement grave, étant donné que la souscription des polices se fonde en grande partie sur la protection offerte par l’assuré. Nous vous serions reconnaissants de bien vouloir nous donner les renseignements demandés dès qu’il vous sera possible de le faire.
Agréez, Monsieur, l’expression
de mes meilleurs sentiments,
EYL BROTHERS
M.R.Y. Atlee, directeur général de l’intimée, a répondu à ces deux lettres le 26 octobre 1959.
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Les réponses sont identiques; je citerai uniquement la lettre destinée à Eyl Brothers:
[TRADUCTION] Messieurs,
Je vous remercie de votre lettre du 14 octobre, adressée à M.J.A. Lyttle.
Nous vopaulons être sûrs, autant que vous voulez l’être, que les dispositifs que nous installons et dont nous assurons l’entretien donnent la meilleure protection possible à nos abonnés.
L’enquête commencée immédiatement après l’incident chez M. Baumgold se poursuit. La police de Toronto et nous-mêmes n’en sommes encore arrivés à aucune conclusion. Le dispositif a fonctionné normalement.
Soyez assurés que nous poursuivons et continuerons à poursuivre sans relâche notre objectif principal: que nos services soient toujours la garantie d’une bonne protection. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour résoudre l’affaire Baumgold.
Agréez, Messieurs, l’expression
de mes meilleurs sentiments,
Il est établi que le contenu de ces deux lettres a été transmis à M. Nunes-Vaz. On se rappellera que dans le témoignage précité, ce dernier a affirmé avoir demandé aux intimés de lui «envoyer une note dans laquelle ils expliqueraient ce qui était arrivé». D’après la preuve, M. Nunes-Vaz, Eyl Brothers et Curtis Insurance Limited n’ont reçu après cette lettre aucun autre renseignement sur le vol chez M. Baumgold.
Il a été dit que dans le contrat qu’elle a conclu avec l’appelante, l’intimée a fixé une redevance très modique et a expressément stipulé que cette redevance constituait uniquement la contrepartie des services spécifiés, et par conséquent, qu’en lui imputant une responsabilité très importante, on se trouverait à la placer dans la position d’un assureur — position qu’elle a expressément rejetée aux termes mêmes du contrat. Je crois que ce n’est pas ce qui ressort de la lettre bien claire que j’ai citée plus haut, dans laquelle Eyl Brothers demandait à être rassurée. Dans cette lettre, il est clair que les assureurs de l’appelante pensent non pas à la redevance minime que l’appelante était tenue de payer à l’intimée, mais à la somme
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très importante qu’ils risquaient en assurant l’appelante et d’autres diamantaires, et que, s’ils ont assuré ce risque, c’est en grande partie à cause de la protection dont jouissait l’appelante grâce aux services de l’intimée. A mon avis, celle-ci a été prévenue que les renseignements demandés étaient de la plus haute importance pour les assureurs et, par conséquent, pour l’appelante également. Ce n’est donc pas sur le fait que la redevance stipulée est minime qu’il faut se fonder pour déterminer si l’intimée devrait être tenue des dommages-intérêts, non pour quelque violation de contrat mais pour une déclaration inexacte entraînant sa responsabilité délictuelle et dont les conséquences graves lui avaient été rappelées par Eyl Brothers.
Se fondant sur la preuve de ces trois ensembles de circonstances, l’appelante réclame à l’intimée des dommages-intérêts pour déclaration inexacte à laquelle elle a à son détriment donné suite. M. Nunes-Vaz a témoigné que si, à un moment donné, il avait appris que le dispositif avertisseur fourni à sa compagnie par l’intimée pouvait être déjoué, c.-.à-d., que le coffre-fort pouvait être dévalisé sans actionner l’alarme, il aurait pris certaines précautions en vue de diminuer ses risques. Entre autres mesures, il a mentionné qu’il aurait eu un autre dispositif avertisseur, qu’il aurait gardé passablement moins de diamants dans le coffre-fort pendant la nuit et qu’il aurait envisagé la possibilité de les transporter quotidiennement à la banque, après les heures d’affaires, pour les faire entreposer dans la chambre forte. A vrai dire, aucune de ces autres précautions, séparément ou peut-être ensemble, n’aurait pu empêcher de façon absolue les pertes par cambriolage. Tout autre dispositif de protection remplaçant ou complétant le dispositif de l’intimée serait à peu près aussi incertain que celui de l’intimée car, d’après la preuve, le 6 juin 1961, jour du vol, le dispositif de l’intimée était aussi efficace que tout autre dispositif utilisé au Canada. Toutefois, si le coffre-fort était protégé par deux dispositifs avertisseurs au lieu d’un, il faudrait alors les déjouer tous deux, ce qui exigerait plus de temps, plus de matériel, et l’étude du montage du second dispositif. En deuxième lieu, si on optait pour la réduction du stock de diamants, le stock réduit serait susceptible d’être volé; enfin, si les diamants étaient placés quotidiennement
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dans la chambre forte d’une banque, ils seraient soumis, en cas de hold-up, à un danger probablement aussi grave et peut-être plus grave que celui qui les menacerait s’ils étaient laissés là où ils étaient protégés par un bon dispositif, encore que non parfait. Évidemment, Tune ou l’autre de ces précautions aurait rendu le cambriolage beaucoup plus difficile et je suis personnellement disposé à conclure que si le cambriolage a réussi, c’est probablement parce que M. Nunes-Vaz n’a pris aucune précaution, non seulement parce qu’il n’a pas été informé que le dispositif fourni par l’intimée pouvait être déjoué, mais aussi parce quon lui a dit que même les fonctionnaires de la compagnie intimée ne pouvaient réussir à le déjouer.
Je me propose de déterminer d’abord si la déclaration faite à Mlle Geddes et transmise par cette dernière à M. Nunes-Vaz, lie l’intimée. Il faut se rappeler que M. Nunes-Vaz a demandé que le dispositif soit examiné; à cet égard, j’accorde beaucoup d’importance à ses paroles: «Puis, nous avons demandé que quelqu’un vérifie si notre dispositif fonctionnait». Et lorsque l’avocat lui a demandé ce qu’il voulait dire par «fonctionnait», il a répondu: «Qu’en cas de tentative de vol, le dispositif ne serait pas déjoué, celui que nous avions dans nos locaux pour protéger nos…». Par conséquent, je ne doute pas que l’employé ait été envoyé chez l’appelante pour vérifier le dispositif et s’assurer qu’il fonctionnait, c.-à-d. qu’il ne serait pas déjoué et qu’il protégerait le stock de diamants de l’appelante. La compagnie appelante, et son président, M. Nunes-Vaz, n’étaient pas le moindrement intéressés à savoir si les fils étaient tous reliés ou comment fonctionnait le système électrique du dispositif. Ce qu’ils voulaient, c’était que le dispositif fonctionne et sonne l’alarme si on forçait le coffre-fort ou ce qui l’entourait. C’est la raison pour laquelle l’appelante s’était procuré le dispositif et la cause immédiate de l’inquiétude de M. Nunes-Vaz était qu’un dispositif semblable n’avait apparemment pas fonctionné lors du vol chez M. Baumgold. L’employé non identifié qui, d’après le témoignage de Mlle Geddes, était un employé à temps plein de l’intimée et qui n’était pas l’inspecteur habituel qui venait régulièrement, s’est bien présenté, a
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montré sa carte d’identité en arrivant sur les lieux, croit-elle se souvenir, et a effectué une inspection. M. Nunes-Vaz était occupé avec des clients; ni lui ni Mlle Geddes ne pouvaient comprendre ce que comportait l’inspection, mais il est très naturel que Mlle Geddes ait demandé à celui qui effectuait l’inspection s’il lui était possible de dire, d’après l’inspection, que le but dans lequel il avait été envoyé était atteint, savoir, déterminer si le dispositif fonctionnerait et protégerait le stock de diamants. Mlle Geddes a témoigné qu’elle a posé cette question en des termes très courants et faciles à comprendre, qui traduisaient bien le but de la visite du technicien:
[TRADUCTION] Je lui ai demandé s’il était possible de passer à travers ce dispostif, parce que nous avions entendu dire que c’était peut-être ce qui était arrivé.
Q. Chez M. Baumgold?
R. Chez M. Baumgold.
Dans son témoignage, Mlle Geddes a dit que celui qui effectuait l’inspection lui a répondu exactement en ces termes: «Même nos propres ingénieurs ne pourraient pas passer à travers ce dispositif sans actionner l’alarme». C’est là exactement ce que M. Nunes-Vaz voulait savoir lorsqu’il a effectué l’appel. Celui qui s’est présenté au nom de l’intimée et dont on a dit qu’il était un employé supérieur a donné le renseignement précis qui lui était demandé; je ne puis comprendre comment on peut dire que l’appelante et son président, M. Nunes-Vaz, à qui la réponse a été transmise, n’auraient pas le droit de se fier à la déclaration de cet employé de l’intimée. Je le répète, M. Nunes-Vaz a demandé une inspection pour que soit déterminé ce point précis. A sa demande, un inspecteur a été envoyé à son établissement. L’inspecteur a fait une vérification et a donné la réponse même qu’on voulait obtenir. La compagnie intimée tient de toute évidence un rapport très exact sur les employés et sur le temps qu’ils consacrent à diverses tâches aux locaux des abonnés. Un des documents produits
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au procès, la pièce 11, est un rapport des inspections qui ont eu lieu du 6 mars 1959 au mois de février 1964 aux locaux de la Nunes Diamonds Limited. Il indique la date de délivrance de la carte d’inspection, le nom des inspecteurs, la date de l’inspection, la date à laquelle celle-ci s’est terminée et si des réparations étaient nécessaires. Le rapport ne fait mention d’aucune inspection en octobre 1959. A mon avis, l’intimée aurait pu produire des registres indiquant qu’aucun de ses employés ne s’était présenté aux locaux de l’appelante le 1er octobre 1959 ou quelque autre jour, ce mois-là. Elle ne l’a pas fait; j’ai exposé toute la preuve fournie par l’intimée relativement à celle que l’appelante avait produite au sujet de l’inspection. Il me semble que la preuve de l’appelante établit bien, prima facie, qu’une déclaration a été faite par un employé dans l’exercice de ses fonctions, lesquelles consistaient à déterminer si le dispositif qui se trouvait dans les locaux de l’appelante fonctionnait, et que, certainement le travail de l’employé consistait aussi à rassurer les fonctionnaires de l’appelante si l’inspecteur arrivait à la conclusion que le dispositif fonctionnait; en prononçant les paroles que Mlle Geddes a rapportées dans son témoignage, dans la mesure où ces paroles voulaient dire que le dispositif fonctionnait, l’inspecteur ne faisait que s’acquitter, me semble-t-il, de la tâche pour laquelle il avait été envoyé. Il est certain qu’il est allé plus loin que cela; mais quant à l’appelante, il semble qu’elle était fondée à croire que l’employé de l’intimée était autorisé à faire cette déclaration. Signalons qu’il ne s’agit pas ici du cas où un préposé commet un acte qui constitue en soi un délit civil et cause un préjudice, la question à trancher étant alors celle de savoir si le préposé a agi dans les limites de ses fonctions.
Certaines causes, telle C.P.R. v. Lockhart[6], montrent que les actes accomplis dans l’exécution des fonctions du préposé engagent la responsabilité de l’employeur, même si ces actes vont à rencontre des intérêts de ce dernier.
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A mon sens, il s’agit ici d’un de ces cas où il faut déterminer si l’employé était ostensiblement autorisé à faire la déclaration qu’il a faite à Mlle Geddes, déclaration que celle-ci a transmise à M. Nunes-Vaz; dans ces conditions, je puis uniquement conclure que l’appelante et ses fonctionnaires avaient raison de présumer que l’inspecteur ou le technicien non identifié, quel qu’il soit, était autorisé à faire la déclaration.
Quant aux lettres susdites que M. Atlee a écrites le 26 octobre 1959, l’autorisation de faire une déclaration ne pose pas de question. M. Atlee était directeur général de l’intimée et a signé les lettres en cette qualité.
Il reste à déterminer si ces deux déclarations, soit, celle du technicien à Mlle Geddes et celle de M. Atlee, sont inexactes et confèrent un droit d’action à l’appelante. La déclaration que le technicien ou l’inspecteur non identifié a faite à Mlle Geddes est de toute évidence inexacte. La déclaration que même les fonctionnaires de la compagnie intimée ne pouvaient pas déjouer le dispositif sans actionner l’alarme est inexacte et l’intimée l’a admis. Lesdits fonctionnaires de l’intimée ont témoigné qu’ils connaissaient trois façons différentes de déjouer le dispositif. La déclaration faite dans les lettres est d’une nature différente et il se peut que ce que l’on a omis de dire soit aussi important que ce qui a été dit. La déclaration: «La police dé Toronto et nous-mêmes n’en sommes encore arrivés à aucune conclusion. Le dispositif a fonctionné normalement», laisse sûrement entendre que même si l’enquête n’était pas terminée, il semblait que le dispositif avertisseur avait fonctionné normalement et que si le vol avait réussi, c’était pour une autre raison. Le dernier paragraphe de la lettre se lit comme suit:
[TRADUCTION] Soyez assurés que nous poursuivons et continuerons à poursuivre sans relâche notre objectif principal: que nos services soient toujours la garantie d’une bonne protection. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour résoudre l’affaire Baumgold.
On y donne sûrement à entendre que l’enquête se poursuivra jusqu’à ce que l’affaire Baumgold
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soit résolue et il peut certainement en être déduit que l’appelante, que l’enquête intéressait au plus haut point, serait mise au courant des résultats de celle-ci. D’après la preuve, les fonctionnaires de la compagnie appelante n’ont jamais eu d’autres nouvelles de l’intimée.
Le savant juge de première instance a tiré la conclusion de fait suivante, entièrement étayée par la preuve:
[TRADUCTION] On n’a jamais établi comment les diamants ont pu être enlevés du coffre-fort de M. Baumgold; on ne sait pas encore si c’est parce que le dispositif avertisseur a été déjoué ou si c’est grâce à la complicité des employés de M. Baumgold ou de ceux de la D.E.P., ou encore par une combinaison de deux de ces trois possibilités.
A coup sûr, ce résultat de l’enquête Baumgold, si peu satisfaisant soit-il, était d’un très grand intérêt pour l’appelante. S’il était possible, simpliciter, de déjouer le dispositif, M. Nunes-Vaz a exposé les autres mesures qu’il aurait pu prendre et que j’ai mentionnées ci-dessus. Si des employés de la Dominion Electric Protection Company étaient impliqués dans le vol, ce fait était du plus haut intérêt pour les autres abonnés au service qu’assurait la compagnie intimée. Aucun employé de l’intimée n’a jamais été déclaré coupable de pareille complicité, mais immédiatement après le vol chez M. Baumgold, l’intimée a congédié quatre employés pour des motifs de sécurité. Étant donné la conclusion du juge de première instance quant au résultat de l’enquête Baumgold, il est impossible de comprendre pourquoi cet important renseignement n’a pas été communiqué à l’appelante. L’intimée a prétendu qu’une caractéristique inhérente du service qu’elle offrait à ses abonnés était que personne ne sache comment déjouer le dispositif, et qu’il aurait donc été très peu sage d’admettre à l’appelante, ou à quelque autre abonné, qu’on pouvait le déjouer. L’appelante était dans une situation quelque peu particulière. Seules trois personnes auraient eu le droit d’obtenir des renseignements quant à la sûreté du dispositif: le président, le vice-président et Mlle Geddes, qui est en quelque sorte secrétaire à titre officieux. Il était certainement moins dangereux pour la sécurité en général de leur révéler que le dispositif pouvait être déjoué que de ne pas le faire, étant donné surtout qu’il était fort
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possible que ce fait soit bien connu du milieu interlope si le vol Baumgold était le résultat d’un dispositif déjoué, et étant donné qu’il était même possible que certains employés de l’intimée aient été complices des voleurs. Quatre employés ont par la suite été congédiés parce qu’ils constituaient des risques pour la sécurité.
Évidemment, on peut faire une déclaration inexacte en taisant la vérité, comme le dit le Juge d’appel Hodgins dans la cause Kenny v. Lockwood[7], p. 161. En l’espèce, je suis d’avis qu’en omettant d’informer l’appelante des résultats de l’enquête Baumgold, après les lettres du 26 octobre 1959 du directeur général de l’intimée, on n’a pas simplement «tu la vérité». On avait pris un engagement tacite de donner un compte rendu plus détaillé, et on n’a pas donné suite à cet engagement, alors que des circonstances très importantes auraient dû être rapportées.
Par conséquent, il reste à déterminer si ces déclarations, que je déclare être des déclarations inexactes, confèrent un droit d’action. En l’espèce, on ne se fonde sur aucune allégation de fraude ni de tromperie et il s’agit donc simplement d’une affaire de déclaration inexacte faite de bonne foi.
L’interprétation généralement donnée à la décision de la Chambre des Lords dans Derry v. Peek[8], est qu’aucune action en dommages-intérêts n’est recevable à l’égard d’une déclaration inexacte faite de bonne foi et que la fraude, au sens strict du terme, doit être alléguée et prouvée. Il a été dit que la fraude était soit une déclaration que l’on sait erronée sur des faits, soit une déclaration faite d’une façon négligente sans souci de son exactitude; une simple déclaration erronée, faite sans s’être au préalable renseigné sur son exactitude, ne constitue pas une fraude propre à donner un droit d’action.
Dans une série de causes que nous n’avons pas à analyser ici, la doctrine énoncée dans l’arrêt Derry v. Peek a été suivie et appliquée. Toutefois, dans l’affaire Nocton v. Lord Ashburton[9], la Chambre des Lords a eu l’occasion d’étudier l’arrêt Derry v. Peek et de restreindre d’une façon
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stricte la portée du principe qui y est énoncé. Dans l’affaire Nocton v. Ashburton, un avocat avait convaincu son client de libérer une partie de la garantie d’une hypothèque que ce client détenait et, à cette fin, lui avait déclaré que ce qui resterait de la garantie était plus que suffisant. L’avocat détenait lui-même une hypothèque subséquente sur les biens libérés; évidemment, sa garantie se trouvait considérablement améliorée par la libération des biens garantissant l’hypothèque antérieure de son client. Le débiteur hypothécaire a manqué à son engagement de payer au client le montant de l’hypothèque et la garantie s’est avérée insuffisante; M. Ashburton a subi de très lourdes pertes et a actionné l’avocat Nocton, alléguant que ce dernier lui avait fait une déclaration inexacte. En première instance, le Juge Neville a conclu que bien que la déclaration inexacte ait été faite d’une façon négligente, elle n’était pas frauduleuse; se fondant sur l’arrêt Derry v. Peek, il a rejeté l’action. La Cour d’appel a infirmé cette conclusion, décidé que la déclaration était frauduleuse et par conséquent tenu l’avocat responsable. Sur appel subséquent, les membres juristes de la Chambre des Lords ont exprimé l’avis qu’ils ne pouvaient infirmer une conclusion de fait quant au caractère non frauduleux de la déclaration, à laquelle le juge de première instance était arrivé après avoir entendu les témoins et examiné toutes les circonstances. Ils ont ensuite conclu que l’arrêt Derry v. Peek ne s’appliquait pas à tous les cas de déclarations inexactes faites de bonne foi, mais que, d’autre part, dans certains cas, une déclaration inexacte, bien que faite de bonne foi, conférait un droit d’action. Dans un long et très minutieux jugement, le vicomte Haldane, Lord chancelier, a accepté comme prémisse un commentaire dans lequel Lord Herschell, en rendant ses motifs dans la cause Derry v. Peek, avait bien exclu de la catégorie,
[TRADUCTION]…les cas où une personne, obligée de par sa spécialité de connaître un fait particulier, a donné une réponse erronée à ce sujet à une personne désireuse d’être fixée sur le fait en question pour déterminer les mesures qu’elle devait prendre…
Dans l’affaire Nocton v. Ashburton, la Cour a conclu que les relations entre un avocat et son
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client étaient un de ces cas. Il est vrai que la majeure partie des motifs donnés par les membres juristes de la Chambre des Lords dans cette cause-là vise la situation où celui qui fait la déclaration a pour ainsi dire des rapports fiduciaires avec la personne à qui il s’adresse, mais on peut validement expliquer cette circonstance en disant que telle était la situation sur laquelle les Lords devaient se pencher dans cette affaire-là et que l’exception précitée que Lord Herschell a soigneusement énoncée ne visait pas uniquement une relation fiduciaire.
Il existe une série de causes dans lesquelles une déclaration inexacte faite de bonne foi a donné lieu à l’octroi de dommages-intérêts, suivant l’affaire Nocton v. Ashburton. Ces situations comprennent les relations de banquier à client. Toutefois, dans la cause Candler v. Crane, Christmas & Co.[10], la Cour a refusé de reconnaître l’applicabilité de la responsabilité en vertu du principe; il s’agissait de la réclamation d’une personne qui voulait faire un placement dans une compagnie et à qui le comptable de cette dernière a fait une déclaration erronée sur les affaires de la compagnie. Dans cette cause-là, Lord Denning, dans une dissidence très marquée, était disposé à conclure à la responsabilité; il a dit, p. 178:
[TRADUCTION] La lecture des causes célèbres de Ashby v. White, (1703) 2 Ld. Raym. 938, Pasley v. Freeman, (1789) 3 Term. Rep. 51, et Donoghue v. Stevenson, [1932] A.C. 562, nous montre que dans chacune de ces causes, les juges étaient partagés en deux camps. D’un côté, il y avait les timorés qui craignaient de permettre la création d’une nouvelle cause d’action. De l’autre, il y avait les téméraires qui étaient disposés à le permettre si c’était dans l’intérêt de la justice. Heureusement pour la common law, l’opinion progressive a prévalu. Chaque fois que cet argument de la nouveauté est mis de l’avant, je rappelle la réponse catégorique que le Juge en chef Pratt a donnée il y a près de deux cents ans dans l’affaire Chapman v. Pickersgill, (1762) 2 Wilson 145, 146:
J’espère ne plus jamais avoir à entendre cette objection. Il s’agit d’une action découlant d’un délit civil: il existe un nombre infini de délits civils; ils ne sont ni limités ni restreints, car il n’y a rien dans la nature qui ne peut être un instrument de tort.
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Dans la cause Donoghue v. Stevenson, Lord Macmillan a donné la même réponse:
Le critère de jugement doit se régler sur les circonstances changeantes de la vie et s’y adapter. Les diverses sortes de négligence ne sont jamais définitivement figées.
Qu’on me permette d’invoquer ces causes et ces extraits contre ceux qui préconisent l’importance primordiale de la certitude aux dépens de la justice. Il suffit de faire preuve d’un peu d’imagination pour s’apercevoir jusqu’à quel point la common law aurait souffert si ces décisions avaient favorisé l’autre point de vue.
La portée de l’application de ce principe a finalement été déterminée dans la cause Hedley Byrne & Co. Ltd. v. Heller & Partners Ltd.[11] Dans cette cause-là, Hedley Byrne faisait affaires avec une compagnie appelée Easypower Ltd.; en août 1958, elle a demandé à ses propres banquiers, la National Provincial Bank, s’il leur était possible de l’informer confidentiellement sur la situation financière de Easypower Ltd. La succursale Piccadilly de la National Provincial Bank a communiqué avec son établissement urbain et le représentant de ce dernier a téléphoné à Heller & Partners Ltd., banquiers de Easypower Ltd. Le jour de l’appel, le fonctionnaire de cette dernière banque, l’intimée, a noté par écrit la demande précise qui lui avait été faite par téléphone:
[TRADUCTION] Ils voulaient savoir confidentiellement et sous toutes réserves de notre part si Easypower Ltd. était une entreprise respectable, quelle était sa situation et si elle pouvait honorer un contrat de publicité de 8,000 à 9,000 livres sterling. J’ai répondu que la compagnie avait récemment ouvert un compte à notre établissement. Qu’on la croyait honorablement constituée et apte à faire face à ses engagements commerciaux normaux…
Par la suite, en novembre de la même année, l’appelante a écrit à ses banquiers, la National Provincial Bank, à sa succursale Piccadilly, leur demandant encore une fois d’enquêter sur la structure et l’état financiers de Easypower Ltd.; ils terminaient en disant qu’ils seraient reconnaissants à la banque de faire une vérification aussi complète qu’il leur était raisonnablement possible de
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faire. La National Provincial Bank a adressé à l’intimée Heller & Partners Ltd. la lettre suivante, au haut de laquelle figurait l’inscription «Personnel et confidentiel»:
[TRADUCTION] Monsieur,
Auriez-vous l’obligeance de nous faire parvenir votre opinion, en toute confidence, sur la respectabilité et la situation de Easypower Ltd., 27 rue Albemarle, Londres, W.1., et de nous dire si vous la considérez digne de confiance, en affaires, pour un contrat de publicité de 100,000 livres par an.
Quatre jours plus tard, l’intimée a répondu ce qui suit: [TRADUCTION] «Confidentiel, pour votre usage personnel et sous toutes réserves de la part de la banque ou de ses fonctionnaires»…
Objet: E..................... Ltd.
Compagnie honorablement constituée, considérée apte à faire face à ses engagements commerciaux ordinaires. Les montants que vous mentionnez sont plus importants que ceux que nous avons l’habitude de voir.
Hedley Byrne & Co. Ltd. a alors passé des contrats de publicité, en vertu desquels elle s’est engagée personnellement à payer une somme très importante, et lorsque Easypower Ltd. est devenue insolvable, Hedley Byrne a subi une perte de quelque 17,000 livres. Notons que Heller & Partners Ltd. n’était pas le banquier de Hedley Byrne & Co. et n’avait aucun rapport avec elle; l’opinion qu’elle lui a donnée par l’intermédiaire de la National Provincial Bank, a été donnée à titre gratuit et sans qu’il lui soit possible d’une façon ou d’une autre de profiter de la situation.
D’après l’exposé des faits, évidemment, il n’est aucunement question de fraude ni de tromperie. Toutefois, il a été tenu pour établi que la déclaration relative à la situation de Easypower Ltd. a été faite avec négligence et était en réalité une déclaration inexacte. La cause a été entendue par le Juge McNair, qui a rejeté l’action pour le motif que la défenderesse Heller & Partners n’avait aucune obligation de diligence envers l’appelante; il a affirmé, entre autres choses:
[TRADUCTION] A mon sens, toutefois, bien que ces faits eussent clairement été pertinents si la question de l’honnêteté avait été en jeu, ils ne suffisent pas à établir quelque relation particulière comportant une
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obligation de diligence et ce, même si j’avais la faculté d’étendre la sphère des relations particulières au-delà des relations contractuelles et fiduciaires.
(J’ai ajouté les italiques.)
La Cour d’appel, se sentant liée et n’étant pas convaincue qu’il serait raisonnable d’imposer au banquier l’obligation alléguée, a confirmé le jugement de première instance. Les cinq membres juristes de la Chambre des Lords qui ont siégé lors de l’appel ont tous rendu jugement. Bien qu’ils aient unanimement rejeté l’appel pour le motif que l’intimée Heller & Partners Ltd. avait expressément et en termes précis décliné toute responsabilité à l’égard de sa première et de sa seconde déclaration, les divers membres juristes de la Chambre des Lords ont tous exprimé l’avis que si elle ne l’avait pas fait, l’intimée aurait été responsable. Dans ses motifs, Lord Reid a mentionné que le vicomte Haldane s’était fondé, en rendant jugement dans la cause Nocton v. Ashburton, sur l’exposé de Lord Herschell dans l’affaire Derry v. Peek, précitée; il a également fait mention du commentaire suivant que le Lord Chancelier Haldane avait fait dans la cause Robinson v. National Bank of Scotland Ltd.[12]:
[TRADUCTION] A cet égard, je répète avec insistance ce que j’ai dit en conseillant cette Chambre dans la cause Nocton v. Lord Ashburton, [1914], A.C. 932, savoir que l’on commet une grave erreur en présumant que parce que le principe établi dans la cause Derry v. Peek, 14 App. Cas. 337, vise clairement tous les cas de la catégorie dont j’ai parlé, cela influe sur la latitude des tribunaux de reconnaître l’existence de devoirs particuliers découlant d’autres sortes de relations que la preuve, selon eux, a établies. Comme je l’ai dit dans la cause Nocton, je crois que bien des gens ont exagéré la portée de l’arrêt Derry v. Peek. L’ensemble de la doctrine ayant trait aux relations fiduciaires, à l’obligation de diligence découlant de contrats exprès ou tacites, à l’obligation de diligence découlant d’autres relations particulières à l’existence desquelles les Cours peuvent conclure dans certains cas, s’applique encore et je ne voudrais vraiment pas qu’une seule de mes paroles donne à penser que la latitude des tribunaux pour reconnaître que l’obligation de diligence peut être établie quand ces cas se présentent vraiment, est de quelque façon entravée.
(J’ai ajouté les italiques.)
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Lord Reid signale que ce passage montre clairement que Lord Haldane ne croyait pas que l’obligation de diligence devait se limiter aux seuls cas où existent des relations fiduciaires au sens strict de l’expression, et que Lord Haldane a d’autre part parlé de «relations particulières», et il exprime l’avis qu’il n’est pas logique de fixer des limites qui excluraient toutes les relations qui sont de celles où il est clair que la partie qui demande un renseignement ou un conseil croit que l’autre partie exercera la diligence requise par les circonstances, où il est raisonnable pour elle de le croire, et où l’autre partie a donné le renseignement ou le conseil demandé lorsqu’elle savait ou aurait dû savoir que la personne en question comptait sur ce renseignement ou ce conseil. Lord Reid a ajouté, p. 486:
[TRADUCTION] Un homme raisonnable qui sait qu’on lui fait confiance ou qu’on se fie à son habileté ou à son jugement, pourrait choisir, à mon avis, entre les trois partis suivants. Il pourrait ne rien dire ou refuser de donner le renseignement ou le conseil demandé; ou il pourrait répondre avec la réserve bien claire qu’il n’assume aucune responsabilité à cet égard ou qu’il n’y a pas consacré le temps de réflexion ou de recherche que nécessiterait une réponse minutieuse; ou encore, il pourrait tout simplement répondre sans apporter pareille réserve. S’il prend le troisième parti, on doit, à mon avis, présumer qu’il a accepté d’assumer une certaine responsabilité quant à l’exactitude de sa réponse ou qu’il a accepté la formation d’une certaine relation avec l’autre partie, relation qui l’oblige à exercer la diligence requise par les circonstances.
Les autres membres juristes de la Chambre des Lords ont exprimé un avis semblable et il n’est pas nécessaire de reprendre en détail leurs jugements.
Lorsqu’il a étudié la cause Hedley Byrne & Co. Ltd. v. Heller & Partners Ltd., dans les motifs qu’il a rendus au nom de la Cour d’appel de l’Ontario, le Juge d’appel Schroeder a cité le paragraphe que je viens de citer et exprimé l’avis qu’en l’espèce, l’intimée avait pris le premier parti mentionné par Lord Reid, c’est-à-dire qu’elle n’avait rien dit ou avait refusé de donner le renseignement. Je dois dire que je ne suis respectueusement pas de cet avis. Bien que dans son commentaire, le Juge d’appel Schroeder ait exclu le témoignage relatif à la déclaration du présumé
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technicien, estimant que cette déclaration ne pouvait pas lier la compagnie, je suis d’avis que, dans les deux lettres du 25 octobre dont j’ai fait mention, le directeur général a fait plus que s’abstenir de donner quelque renseignement ou conseil que ce soit. Il y affirme simplement que le dispositif avait bien fonctionné et, comme je l’ai signalé, il a certainement laissé entendre qu’un rapport serait fait une fois l’enquête close, engagement auquel l’intimée n’a pas donné suite; en ne faisant pas cet autre rapport, en «taisant la vérité», pour reprendre l’expression employée, il a en réalité fait une déclaration inexacte au sujet de la situation.
Je suis donc d’avis qu’en l’espèce, l’intimée n’a pas choisi de prendre le premier des partis énoncé par Lord Reid, mais le troisième, c’est-à-dire que l’intimée a simplement répondu sans apporter de réserve. Comme l’a signalé Lord Reid, il faut présumer que l’intimée qui choisit le dernier parti accepte d’assumer une certaine responsabilité pour avoir donné une réponse négligente, ou accepte d’avoir avec l’autre partie des relations qui l’obligent à exercer la diligence requise par les circonstances. Lord Morris of Borth-y-Gest dit, p. 502:
[TRADUCTION] Je considère, chers collègues, qu’il s’ensuit et qu’il devrait maintenant être considéré comme établi que, lorsque quelqu’un qui possède une habileté particulière s’engage, tout à fait indépendamment d’un contrat, à mettre cette habileté au service d’une autre personne qui se fie à cette habileté, une obligation de diligence est créée. Le fait que le service doit être rendu à l’aide ou au moyen de mots ne peut faire de différence. De plus, lorsqu’une personne, qui occupe dans un domaine déterminé une place propre à inciter les gens à avoir raisonnablement confiance en son jugement ou en son habileté, ou en son aptitude à faire des recherches minutieuses, prend sur elle de donner un renseignement ou un conseil, ou permet que ce renseignement ou ce conseil soit transmis à un tiers qui, comme elle le sait ou devrait le savoir, s’y fiera, une obligation de diligence est créée.
Lord Devlin dit, p. 530:
[TRADUCTION] Je me contenterai donc du principe que chaque fois qu’il y a une relation équivalant à une relation contractuelle, il y a une obligation de diligence.
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En parlant de la cause Hedley Byrne v. Heller & Partners, le savant auteur de Fleming on The Law of Torts, 4e édition, p. 564, dit:
[TRADUCTION] L’ancre de salut d’une obligation de diligence, c’est que la personne qui parle assume la responsabilité de ce qu’elle dit. En d’autres termes, la personne qui reçoit le message doit avoir eu des motifs raisonnables de croire que cette autre personne s’attendait à être crue. Il existe une différence considérable, par exemple, entre une remarque faite en passant au cours d’une réunion mondaine ou officieuse, et une communication faite sérieusement dans des circonstances propres à inspirer confiance. D’habitude, mais pas toujours cependant, ce dernier genre de communication se rencontre dans le domaine des affaires ou des relations professionnelles, mais pas nécessairement entre des personnes ayant entre elles des liens contractuels ou fiduciaires, au sens courant de ces termes.
A mon avis, le savant auteur a bien résumé, dans ce commentaire, l’effet de l’arrêt Hedley Byrne v. Heller & Partners et j’applique cette décision et ce résumé aux faits de l’espèce. A coup sûr, les renseignements demandés par les représentants des assureurs, dans des lettres auxquelles a répondu le directeur général de l’intimée le 26 octobre 1959, et le renseignement demandé par Mlle Geddes au technicien non identifié, n’ont pas été demandés au cours de réunions mondaines ou officieuses; il s’agit plutôt de communications sérieuses faites dans des circonstances où celui qui faisait la déclaration ne pouvait pas ne pas présumer qu’on se fierait à son opinion d’expert.
Je suis personnellement d’avis que dans les circonstances de l’espèce, où l’intimée fournissait à l’appelante un service très important en vertu d’un contrat écrit, où on a voulu savoir si le service était et pouvait être efficace et où la réponse a été qu’il l’êtait, l’arrêt Nocton v. Lord Ashburton nous permet de prononcer en faveur de l’appelante. Je crois qu’il convient de citer ces commentaires du Juge Addy dans les motifs qu’il a rendus en l’espèce:
[TRADUCTION] Je crois également, en l’espèce, étant donné l’existence du contrat et les connaissances spéciales de la D.E.P. relativement aux dispositifs de protection contre le cambriolage, qu’il existait une relation particulière entre la demanderesse et la défenderesse, De ce fait, la D.E.P. serait,
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à mon avis, responsable de toute déclaration inexacte au sujet du service de protection qu’elle a fait d’une façon négligente à la demanderesse, et qui a causé des dommages en incitant cette dernière à ne pas prendre les précautions qu’elle aurait autrement prises. Si, dans le cours ordinaire des affaires ou des relations professionnelles, on demande un renseignement ou un conseil à une personne qui n’est pas contractuellement tenu de donner cet avis, et ce, dans des circonstances où un homme raisonnable à qui on fait cette demande soit qu’on lui fait confiance ou qu’on se fie à son habileté ou à son jugement, cette personne, en décidant de donner le renseignement ou le conseil, sans clairement apporter de réserve, de façon à montrer qu’elle n’assume aucune responsabilité, accepte l’obligation légale d’exercer la diligence requise par les circonstances en donnant sa réponse; si elle omet d’exercer cette diligence, elle sera susceptible de poursuites en cas de préjudice.
Pour autant que ce paragraphe constitue un exposé de faits, je l’accepte; pour autant que c’est un énoncé du droit, j’y souscris. En l’espèce, il n’existe aucune stipulation expresse d’irresponsabilité telle que celle pour laquelle il a été conclu en faveur de Heller & Partners dans l’affaire Hedley Byrne v. Heller & Partners. A mon avis, l’appelante peut avoir gain de cause selon la doctrine énoncée dans cette affaire-là, même si elle croyait que la cause Nocton v. Ashburton n’allait pas assez loin pour pouvoir lui être utile.
Avant de conclure mon examen de la question de savoir si la réclamation de l’appelante pour déclaration inexacte propre à faire l’objet de poursuites doit être accueillie, je dois citer le jugement rendu par cette Cour dans l’affaire Guay c. Sun Publishing Company Limited[13]. Dans cette cause-là, une maison d’édition de Vancouver avait publié un article dans lequel il était rapporté que le mari de l’appelante et ses trois enfants avaient été tués dans un accident de la route, en Ontario, où le mari et les trois enfants résidaient alors. L’accident en question n’avait pas eu lieu et l’intimée n’a pas pu donner quelque explication que ce soit sur la publication de l’article. L’appelante a poursuivi pour négligence mais n’a pas allégué la fraude ou la malice, ni l’existence de quelque relation contractuelle entre elle et le journal. La
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Cour de première instance a fait droit à l’action, mais la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a accueilli l’appel et cette Cour a confirmé ce dernier arrêt. Il est difficile de dégager une ratio decidendi. Il convient de signaler, en premier lieu, que le Juge Cartwright, alors juge puîné, dans un jugement rendu en son nom et au nom du Juge en chef Rinfret, dissident, a simplement refusé de tenir compte des causes précitées qui portent sur de fausses déclarations, car il était d’avis que la cause alors à l’étude se rapprochait des cas où non intentionnellement, mais avec négligence, l’intimée avait frappé l’appelante ou fait que quelque objet la frappe, et que l’intimée aurait dû prévoir que l’appelante lirait probablement l’article et en subirait un préjudice; elle était donc tenue de vérifier l’exactitude de l’article avant de le publier. Le Juge Estey a admis que l’intimée était tenue envers l’appelante d’exercer une diligence raisonnable et de vérifier l’exactitude de l’article, mais il a décidé que l’appelante ne pouvait avoir gain de cause parce que la preuve n’établissait pas que cette nouvelle l’avait rendue physiquement malade ni qu’elle avait autrement souffert à la suite du choc ou du trouble émotif qu’elle avait subi à la lecture de l’article. Le Juge Kerwin, alors juge puîné, a décidé que l’appelante n’avait aucun «rapport» avec l’intimée, selon le sens que Lord Atkin donne à cette expression dans la cause Donoghue v. Stevenson[14], étant donné qu’elle n’était pas touchée de si près et si directement par la publication de l’article que l’intimée aurait raisonnablement dû prévoir, au moment de la publication, que l’appelante en subirait un préjudice. Que l’on souscrive ou non à cette conclusion de faits, il n’en demeure pas moins que ce jugement porte sur des faits. Seul le Juge Locke a fondé sa décision sur les causes dans lesquelles des déclarations inexactes mais non pas frauduleuses étaient en jeu; il a adopté les arrêts Le Lievre v. Gould[15]; Balden v. Shore-ter[16], et Candler v. Crane, Christmas & Co., précité. Ce sont tous des arrêts auxquels la Chambre des Lords a directement passé outre dans la cause Hedley Byrne & Co. v. Heller & Partners, précitée. J’estime qu’on ne peut considérer que le Juge
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Locke exprimait l’avis de la Cour sur la question et que cette Cour est maintenant libre d’adopter les principes énoncés dans l’arrêt Hedley Byrne v. Heller & Partners, plutôt que l’interprétation stricte antérieurement adoptée dans les arrêts cités, laquelle a été rejetée dans ce dernier arrêt.
Il reste à savoir si le par. 16 de la convention que l’appelante a conclue avec l’intimée s’applique. Ce paragraphe si lit comme suit:
[TRADUCTION] 16. Aucune condition, garantie ni déclaration n’ont été faites par la compagnie Dominion, ses fonctionnaires, préposés ou agents, à part celles qui figurent par écrit aux présentes.
Cette clause est stipulée dans le contrat écrit du 26 septembre 1958. Elle vise expressément les conditions, garanties ou déclarations qui ont été faites et ne peut aucunement s’appliquer aux déclarations faites quelque treize mois après la signature du contrat. Dans les motifs qu’il a rendus en première instance, le Juge Addy dit:
[TRADUCTION] Dès le début, j’aimerais préciser qu’à mon avis, la demanderesse n’a pas renoncé à son droit de réclamer des dommages-intérêts à la défenderesse, si ces dommages-intérêts peuvent être établis dans une action pour délit civil. Les clauses visant à écarter la responsabilité pour négligence sont interprétées strictement et même si elles peuvent écarter la responsabilité fondée sur une obligation contractuelle, elles ne peuvent écarter la responsabilité fondée sur un manquement à une obligation générale de diligence, à moins que les termes à cet égard soient clairs et sans équivoque.
Je souscris à cet avis et je n’bésite pas à conclure que la clause 16 de la convention entre l’appelante et l’intimée ne peut servir à rendre irrecevable une réclamation fondée sur une déclaration inexacte à caractère délictueux, faite plusieurs mois après la signature du contrat renfermant pareille clause.
La convention entre les parties importe dans la mesure où elle établit une relation entre ces dernières et constitue ainsi une base sur laquelle, à la lumière des événements qui ont suivi, l’appelante pourrait à bon droit affirmer que les déclarations inexactes faites par négligence de l’intimée ont violé une obligation de diligence envers l’appelante. Je ne puis admettre que la simple existence
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d’un contrat antérieur ait empêché toute responsabilité délictuelle en vertu du principe énoncé dans la cause Hedley Byrne.
Pour ces motifs, j’en suis venu à la conclusion que la réclamation de l’appelante pour déclaration inexacte propre à faire l’objet de poursuites devrait être accueillie. On a consacré quelque temps dans les plaidoiries en cette Cour, et évidemment beaucoup plus de temps encore en Cour d’appel de l’Ontario, à la question du montant des dommages-intérêts. Je souscris respectueusement à l’avis suivant du Juge d’appel Schroeder:
[TRADUCTION] A mon avis, le savant juge de première instance a eu raison de fixer les dommages-intérêts à $303,147.07, eu égard à la preuve qu’il a acceptée, et il n’y a pas lieu pour cette Cour de modifier sa décision quant aux dépens.
Par conséquent, je suis d’avis d’accueillir l’appel et d’accorder ce montant à l’appelante, avec les dépens en toutes les Cours.
Appel rejeté avec dépens, les JUGES SPENCE et LASKIN étant dissidents.
Procureurs de la demanderesse, appelante: Fasken & Calvin, Toronto.
Procureurs de la défenderesse, intimée: Blake, Cassels & Graydon, Toronto.
[1] [1971] 1 O.R. 218, 15 D.L.R. (3d) 26.
[2] [1964] A.C. 465.
[3] [1971] 1 All E.R. 150.
[4] [1924] A.C. 522.
[5] [1971] 1 O.R. 218, 15 D.L.R. (3d) 26.
[6] [1942] A.C. 591.
[7] [1932] O.R. 141, [1932] 1 D.L.R. 507.
[8] (1889), 14 App. Cas. 337.
[9] [1914] A.C. 932.
[10] [1951] 2 K.B. 164.
[11] [1964] A.C. 465 (C. des L.).
[12] [1916] S.C. (C. des L.) 154, 157.
[13] [1953] 2 R.C.S. 216, [1953] 4 D.L.R. 577.
[14] [1932] A.C. 562.
[15] [1893] 1 Q.B. 491.
[16] [1933] 1 Ch. 427.