Cour Suprême du Canada
Arrow Transfer Company Ltd. c. Banque Royale du Canada et al., [1972] R.C.S. 845
Date: 1972-03-30
Arrow Transfer Company Ltd. (Demanderesse) Appelante;
et
La Banque Royale du Canada, Banque de Montréal, Banque Canadienne Impériale de Commerce (Défenderesses) Intimées;
et
Anthony Ernest Seear (Défendeur).
1971: les 25, 26 et 29 novembre; 1972: le 30 mars.
Présents: Les Juges Abbott, Martland, Ritchie, Spence et Laskin.
EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE
APPEL d’un jugement de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique[1], confirmant un jugement du Juge Seaton. Appel rejeté.
B.W.F. McLaughlin, pour la demanderesse, appelante.
C.C.I. Merritt, c.r., et H.A. McCandless, pour la défenderesse, intimée, La Banque Royale du Canada.
Robert J. Harvey, F.R. Read et J. Stuart Clyne, pour la défenderesse, intimée, Banque de Montréal.
Le jugement des Juges Abbott, Martland, Ritchie et Spence a été rendu par
LE JUGE MARTLAND — Le présent appel est à l’encontre d’un jugement unanime de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique rejetant l’appel de l’appelante contre le jugement de première instance.
La réclamation de l’appelante porte sur 73 faux chèques qui, au cours d’une période de cinq ans, ont été payés par l’intimée, la Banque Royale du Canada, ci-après appelée «Royale», et ont été portés au débit du compte de l’appelante à cette banque. La somme de ces chèques s’élève à $165,109.03. Le faussaire, Seear, employé de l’appelante, avait déposé à la Banque de Montréal,
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l’intimée, ci-après appelée «Montréal», certains de ces chèques, d’une valeur totale de $128,418.23, et Montréal avait reçu ce montant de la Royale.
En 1963, Seear était devenu comptable en chef et chef de bureau de l’appelante. Il utilisait les formules de chèques en blanc de l’appelante; il inscrivait le nom d’un bénéficiaire, ou la mention «Caisse», et un montant. Il contrefaisait la signature des fonctionnaires de l’appelante autorisés à signer les chèques. Il encaissait les chèques payables à «Caisse» à la Royale. Certains des autres chèques ont été déposés à la Banque de Montréal au crédit de certaines raisons commerciales adoptées par Seear. De temps en temps, il retirait les montants déposés à ces comptes. Ce n’est qu’en mai 1968 qu’une vérification a révélé que lé 73e des chèques en question, d’un montant de $9,077.14, était un faux et la Royale a alors été avisée du fait.
En 1962, l’appelante avait conclu l’accord suivant avec la Royale:
[TRADUCTION] Moyennant l’ouverture ou le maintien par LA BANQUE ROYALE DU CANADA (ci-après appelée la «Banque») d’un compte au nom du soussigné, ledit soussigné s’engage par les présentes envers la Banque, à l’égard de chaque compte qu’il a ou qu’il aura à l’une quelconque des succursales ou agences de la Banque, à vérifier l’exactitude de chaque état de compte reçu de la Banque; s’il ne, reçoit pas l’état de compte et les pièces justificatives dans les dix jours qui suivent la fin du mois ou, advenant le cas où les états ne seraient pas dressés mensuellement, dans les dix jours qui suivent l’expiration du délai convenu pour leur préparation, il s’engage à les obtenir de la Banque et dans les 30 jours qui suivent le jour où il aurait dû les recevoir, à aviser la Banque par écrit, à la succursale ou à l’agence où le compte est tenu, de toute omission, tout débit erroné ou toute écriture inexacte qui, selon lui, figure dans l’état de compte et à l’expiration dudit délai de 30 jours, le compte, tel qu’arrêté par la Banque, établira d’une façon concluante, sans qu’une autre preuve soit requise, qu’à l’exception des erreurs alléguées ainsi notifiées et de paiements faits sur endossements faux ou non autorisés, le compte renferme tous les crédits qui devraient y figurer et ne renferme aucun débit qui ne devrait pas y figurer et
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que toutes les écritures y figurant sont exactes; sous réserve de l’exception susdite, la Banque sera exonérée de toute responsabilité à l’égard du compte.
Fait à Vancouver, le 6e jour d’août, 1962.
ARROW TRANSFER CO. LTD. Compte Général
(Signé) J.W. Charles
(Signé) G.T. Campbell
L’appelante allègue principalement contre la Royale que celle-ci a versé la somme totale en question sans autorisation. La défense de la Royale à cette allégation est fondée sur l’accord précité, ci-après appelé «accord de vérification». Sauf pour le dernier chèque, l’appelante n’a pas informé la Royale, dans les délais prescrits dans l’accord, que les chèques étaient contrefaits. L’appelante a obtenu jugement pour le montant du dernier chèque, soit $9,077.14, mais quant au reste de sa réclamation, soit le montant de $156,031.89, son action a été rejetée.
La réclamation de l’appelante contre la Banque de Montréal s’élève à la somme de $128,418.23, réclamée à titre de montant d’argent indu reçu par cette dernière à l’usage de l’appelante, ou, subsidiairement, à titre de montant des dommages-intérêts pour détournement de cette somme. Cette réclamation a été rejetée.
Je souscris aux avis exprimés en Cour d’appel que l’accord de vérification constitue pour la Royale une défense complète. Il s’agit d’un contrat, stipulant les conditions en vertu desquelles la banque maintenait le compte de l’appelante. L’appelante s’est engagée à vérifier chaque état de compte que la banque lui envoyait, et, dans le délai prescrit, à l’aviser de toute erreur dans les débits inscrits au compte. A l’expiration du délai stipulé, le compte, tel qu’il figurait à l’état tenu par la banque, établissait d’une façon concluante qu’il ne renfermait aucun débit qui ne devait pas y apparaître, sous réserve de deux exceptions seulement:
1. Les erreurs notifiées à la banque dans le délai prescrit;
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2. Les paiements sur endossements faux ou non autorisés.
Les débits inscrits au compte de l’appelante par suite des faux chèques payés par la Royale constituent des «débits erronés». Le paiement n’a pas été effectué sur un endossement faux. Sauf en ce qui concerne le dernier des 73 chèques, l’appelante a omis de donner l’avis requis relativement aux débits erronés. Quant aux 72 premiers chèques, le compte établit d’une façon concluante qu’il ne s’y trouvait aucun débit qui ne devait pas y apparaître; la Royale s’est trouvée exonérée de toute responsabilité à leur égard.
Je ne souscris pas à la prétention que l’expression «débits erronés» ne s’applique pas à un faux chèque. L’obligation du client de donner avis à la banque dans le délai prescrit se rapporte à toute erreur dans les débits; il est clair qu’une banque ne peut débiter le compte d’un client du montant d’un faux chèque qu’elle a payé. En l’absence d’un accord de vérification, la banque qui porterait le montant d’un faux chèque au débit du compte d’un client serait responsable envers ce dernier. L’accord assure une certaine protection à la banque en ce sens que le client doit vérifier le compte et les pièces justificatives pertinentes et donner sans délai un avis s’il veut que la responsabilité de la banque puisse être retenue. Je ne vois pas pourquoi il faudrait restreindre le sens de l’expression «débits erronés». Cette expression s’applique à tout débit inscrit au compte que la banque n’aurait pas dû inscrire.
De plus, l’accord de vérification fait bien mention des faux, en parlant de paiements faits sur endossements faux. Ces paiements sont visés par l’une des deux exceptions au caractère concluant du compte. Le fait qu’une exception expresse est créée pour les faux de ce genre montre que l’accord s’applique à un débit erroné se rapportant à un chèque sur lequel la signature du tireur est contrefaite.
Je ne considère pas la décision de cette Cour dans la cause Stewart c. La Banque Royale du Canada et Fraser[2], comme étant contraire à mon interprétation de l’accord de vérification en ques-
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tion ici. Dans cette cause-là, le gérant d’une succursale de la banque défenderesse avait pris, sans autorisation, des fonds du compte bancaire d’un client. Le principal moyen de défense de la banque dans l’action en recouvrement de ces montants était que ces montants avaient été remboursés. Comme défense supplémentaire, la banque a produit un document signé par le client et rédigé en ces termes:
[TRADUCTION] REÇU de LA BANQUE ROYALE DU CANADA, Middle Musquodoboit, N.-É., un état de mon (notre) compte à la clôture des comptes, le 29 avril 1922, accusant un solde de $6,684.05 en ma faveur, ainsi que les pièces justificatives pour toutes les sommes imputées sur ledit compte jusqu’audit jour inclusivement.
En contrepartie, je (nous) conviens (convenons) de vérifier sans délai l’exactitude dudit état, ainsi que la régularité et la validité desdites pièces justificatives; je (nous) conviens (convenons) de plus qu’à l’expiration du délai de dix jours à compter de la présente date, ledit état établira d’une façon concluante l’exactitude du solde y indiqué et que la banque est et sera libérée de toute réclamation de ma (notre) part relativement à chaque inscription figurant audit état, sauf celles qui auront été mises en doute ou contestées par écrit dans ledit délai de dix jours.
(signé) T.E. STEWART.
Il a été décidé, eu égard aux faits de la cause, que ce document ne libérait pas la banque de toute responsabilité. Le Juge Duff, alors juge puîné, en rendant les motifs de la majorité de cette Cour, a dit:
[TRADUCTION] Il faut d’abord noter que le document est un reçu des pièces justificatives, pour toutes les sommes imputées sur «ledit compte» jusqu’«audit jour» inclusivement. C’est là un reçu que la banque a soumis à la signature de son client; il ne peut y avoir aucun doute possible quant au sens de l’expression «pièce justificative» qui y est employée; il s’agit d’une sorte d’autorisation, d’une preuve d’autorisation en vertu de laquelle la banque pouvait disposer des sommes imputées. Il est reconnu qu’il n’y a jamais eu de pièce justificative de ce genre pour les montants de $3,500 et de $1,500; quant à la somme de $3,500, il existe un vague indice, mais qui constitue une preuve négligeable. Et ici il importe de souligner, parce que c’est là une question vitale, que l’on a toujours pris pour acquis que ni la banque ni Fraser n’étaient autorisés à soustraire ces sommes. Fraser a toujours soutenu qu’il a pris l’argent pour
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effectuer des prêts personnels à la Creamery Company. Par conséquent, il est parfaitement clair que ce document est fondé sur une erreur fondamentale et qu’en ce qui concerne le défunt Stewart, il ne peut avoir aucune force probante quant à l’état du compte. Il est à noter que le document, rédigé par la banque et présenté à son client, est l’un de ces documents qui, de par leur ambiguïté, ne peuvent constituer une protection. Le client qui le lit avec une attention normale, parce qu’il se fie non seulement à l’honnêteté mais également à la diligence raisonnable de son banquier, pourrait très bien s’en faire l’idée suivante: voici des pièces justificatives pour toutes les sommes imputées, examinez-les et voyez si elles sont authentiques ou non et si d’ici dix jours vous ne communiquez pas avec nous, nous pourrons présumer que le solde est exact. Vu les circonstances, je crois que c’est là le sens que donnerait probablement le client à ce document; la signature du client n’a donc absolument aucune valeur comme preuve en faveur de la banque ou d’un tiers.
L’accord de vérification en question ici n’est pas ambigu. C’est un contrat en vertu duquel le client s’engage envers la banque à signaler dans un certain délai, entre autres choses, les débits erronés. En l’espèce, l’appelante a reçu les états et les pièces justificatives pertinentes. Le client, ayant omis de remplir son engagement contractuel, les états devenaient, en conformité de l’accord, une preuve concluante qui lui était opposable.
Dans la cause Rutherford c. La Banque Royale du Canada[3], dans laquelle le Juge Duff siégeait, on avait honoré un chèque qui était signé par un seul fonctionnaire de la compagnie alors que la résolution concernant les opérations bancaires exigeait la signature de deux fonctionnaires. Le Juge Smith, qui a rendu le jugement au nom de la Cour, a dit:
[TRADUCTION] La compagnie ne s’est jamais opposée au paiement de ce chèque par la banque. Le vice-président et le trésorier Gregg étaient pleinement autorisés à signer la décharge au nom de la compagnie; ce document lie prima facie la compagnie. On n’a présenté aucune preuve pour réfuter la défense prima facie ainsi établie, et il n’est donc pas nécessaire de se demander en l’occurrence dans quelles circonstances ou conditions le client de la banque pourrait être libéré de l’effet ordinaire de pareille décharge.
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Cette Cour a déjà été saisie d’une cause portant sur la responsabilité d’une banque qui avait imputé les montants de faux chèques sur le compte de son client; il s’agit de La Banque de Montréal c. Le Roi[4]. Les chèques avaient été contrefaits par un commis employé par le Gouvernement du Canada. Après paiement, les chèques étaient périodiquement envoyés au Gouvernement; celui-ci donnait un reçu à la banque ainsi qu’une reconnaissance de l’exactitude du solde indiqué sur l’état de la banque. Même si, dans cette cause-là, la banque a été tenue responsable, à mon avis, cette décision ne s’applique pas dans le présent appel. La distinction essentielle est que dans cette cause-là, le client ne s’était pas contractuellement engagé à vérifier l’état de compte et à l’accepter comme ayant une valeur concluante si les erreurs n’étaient pas notifiées à la banque dans un certain délai. La banque a invoqué les reconnaissances signées non pour les faire valoir comme contrat, mais comme fin de non-recevoir. Dans sa décision, la majorité de la Cour s’est fondée sur la proposition que la fin de non-recevoir ne pouvait pas être invoquée contre la Couronne.
Dans les causes Columbia Graphophone Co. v. Union Bank of Canada[5]; Mackenzie v. Imperial Bank[6], B. & G. Construction Ltd. v. Bank of Montreal[7], et Syndicat des Camionneurs Artisans du Québec Métropolitain v. Banque Provinciale du Canada[8], il a été décidé que les accords de vérification s’appliquaient aux débits inscrits à l’égard de faux chèques.
A mon avis, l’accord de vérification constitue une défense complète à la réclamation contre la Royale, en ce qui concerne les 72 premiers chèques.
Quant à la réclamation contre Montréal, je souscris aux motifs du Juge d’appel Robertson en Cour d’appel et aux motifs de mon collègue le Juge Laskin en cette Cour. Pour autant que la réclamation a trait à de l’argent indu reçu, l’argent reçu par Montréal à l’égard des faux chèques n’appartenait pas à l’appelante mais a été versé à
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Montréal par la Royale. La Banque Royale n’avait pas le droit d’imputer ces sommes sur le compte de l’appelante et sa responsabilité pour leur paiement serait retenue n’était la protection que lui assure l’accord de vérification.
La réclamation pour détournement doit se fonder sur le détournement d’un instrument valable appartenant à l’appelante (Morison v. London County and Westminster Bank, Limited[9], à la p. 365; Lloyds Bank v. The Chartered Bank of India, Australia and China[10], à la p. 55). En l’espèce, toutefois, les chèques de l’appelante n’ont pas fait l’objet d’un détournement. Seear a détourné les blancs de chèque de l’appelante, mais la signature du tireur était un faux et les chèques n’étaient pas payables à l’appelante. La Banque de Montréal n’a pas détourné les chèques de l’appelante.
Pour les mêmes motifs, la réclamation subsidiaire pour détournement contre la Banque Royale doit également être rejetée.
Pour ces motifs, ainsi que pour les motifs exprimés en Cour d’appel, je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens.
LE JUGE LASKIN — Au cours de la période de cinq ans qui s’est écoulée entre le mois d’avril 1963 et le mois d’avril 1968, le comptable en chef de l’appelante (également son chef de bureau) a frustré son employeur de la somme de $165, 109.03. Il a contrefait la signature des fonctionnaires compétents de l’appelante sur soixante-treize chèques tirés sur le compte de celle-ci à une succursale de La Banque Royale du Canada. Certains de ces chèques étaient payables à «Caisse», d’autres émis à l’ordre de preneurs fictifs, d’autres (d’une valeur totale de $128,418.23) étaient établis au nom de deux comptes ouverts par le faussaire à une succursale de la Banque de Montréal. Le faussaire, qui s’est approprié l’argent, a pu cacher ses activités frauduleuses malgré les vérifications régulières semi-annuelles des livres de son employeur; ce n’est que lors de la vérification de mai 1968 que sa fraude a été découverte. Il a été déclaré coupable de faux et a été condamné à l’emprisonnement.
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La question à trancher en cette Cour, sur laquelle devaient également se prononcer les tribunaux de la Colombie-Britannique devant lesquels les procédures ont été engagées, est celle de savoir si l’appelante ou les deux banques devraient supporter la perte, la somme de $156,031.89 étant réclamée à la Banque Royale (qui a admis sa responsabilité en ce qui concerne le soixante-treizième chèque, d’un montant de $9,077.14) et la somme de $128,418.23 étant réclamée à la Banque de Montréal. Les questions qui peuvent se poser entre les banques inter se, si ces dernières sont responsables, ont été ajournées jusqu’à ce que jugement soit rendu sur les réclamations de l’appelante contre elles.
L’appelante a avancé trois motifs de recouvrement dans sa réclamation contre la Banque Royale et trois motifs dans sa réclamation contre la Banque de Montréal. Deux motifs, celui qui a trait à l’argent indu reçu et celui qui a trait au détournement, se retrouvent dans les deux réclamations. Le troisième motif de recouvrement invoqué contre la Banque Royale, celui qui a été plaidé en premier lieu et le plus longuement, c’est qu’il y aurait eu violation de contrat du fait que les faux chèques ont été honorés sans autorisation. Le troisième motif invoqué contre la Banque de Montréal est sa participation alléguée à un manquement au devoir fiduciaire existant entre l’appelante et son employé déloyal. Je le dis tout de suite, je ne vois aucun fondement à cette troisième prétention contre la Banque de Montréal.
Laissons de côté pour le moment les deux motifs communs invoqués contre les banques intimées et parlons de la première prétention formulée contre la Banque Royale; je remarque que les jugements a quo ont pour prémisses que la réclamation de l’appelante est irrecevable principalement en raison de l’accord de vérification qu’elle a conclu avec la Banque Royale. L’avocat de la banque en cette Cour se sert également de cet accord comme principal moyen de défense à la prétention de l’appelante que la banque doit répondre du manquement à son obligation contractuelle, dont elle s’est rendue coupable envers son client en débitant son compte de certaines sommes sans son autorisation.
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L’accord de vérification, conclu avant que les faux aient été commis, se lit comme suit:
[TRADUCTION] Moyennant l’ouverture ou le maintien par LA BANQUE ROYALE DU CANADA (ci-après appelée la «Banque») d’un compte au nom du soussigné, ledit soussigné s’engage par les présentes envers la Banque, à l’égard de chaque compte qu’il a ou qu’il aura à l’une quelconque des succursales ou agences de la Banque, à vérifier l’exactitude de chaque état de compte reçu de la Banque; s’il ne reçoit pas l’état de compte et les pièces justificatives dans les dix jours qui suivent la fin du mois ou, advenant le cas où les états ne sont pas dressés mensuellement, dans les dix jours qui suivent l’expiration du délai convenu pour leur préparation, il s’engage à les obtenir de la Banque et dans les 30 jours qui suivent le jour où il aurait dû les recevoir, à aviser la Banque par écrit, à la succursale ou à l’agence où le compte est tenu, de toute omission, tout débit erroné ou toute écriture inexacte qui, selon lui, figure dans l’état de compte et à l’expiration dudit délai de 30 jours, le compte, tel qu’arrêté par la Banque, établira d’une façon concluante, sans qu’une autre preuve soit requise, qu’à l’exception des erreurs alléguées ainsi notifiées et de paiements faits sur endossements faux ou non autorisés, le compte renferme tous les crédits qui devraient y figurer et ne renferme aucun débit qui ne devrait pas y figurer et que toutes les écritures y figurant sont exactes sous réserve de l’exception susdite, la Banque sera exonérée de toute responsabilité à l’égard du compte.
Le client s’était engagé (1) à vérifier l’exactitude de chaque état de compte reçu de la banque; (2) si la banque ne lui envoyait pas l’état de compte et les pièces justificatives connexes dans les dix jours suivant la fin du mois ou dans les dix jours suivant l’expiration de tout délai plus long convenu pour leur préparation, le client devait les obtenir de la banque; (3) dans les 30 jours suivant le jour où il aurait dû recevoir ces documents, il devait aviser la banque par écrit de «toute omission, tout débit erroné ou toute écriture inexacte qui, selon lui, figurait dans l’état de compte»; et (4) à l’exception des erreurs alléguées ainsi notifiées et des paiements effectués sur endossements faux ou non autorisés, le compte du client, tel qu’arrêté par la banque, devait, à l’expiration du délai prescrit de 30 jours, établir sa propre exactitude de façon concluante, et la
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banque se trouvait exonérée de toute responsabilité à cet égard.
Avant cet accord, l’appelante devait signer une formule de vérification uniquement après avoir obtenu ou reçu un état de compte et les chèques ou pièces justificatives y afférents. Cette formule stipulait également un délai de 30 jours dans lequel la banque devait être informée des erreurs, omissions ou irrégularités, à défaut de quoi l’appelante était liée d’une façon concluante par l’état, sauf en ce qui concerne les endossements faux ou non autorisés. Je ne vois pas l’intérêt qu’il y aurait à déterminer si l’accord de vérification en litige faisait simplement partie des dispositions d’ordre contractuel prises entre les parties intéressées ou s’il constituait une clause d’exemption quant à leurs relations contractuelles. Ce qui est clair, c’est que l’accord de vérification n’englobe pas l’ensemble des relations contractuelles des parties; il n’en vise qu’une partie, importante cependant, et ce faisant, il modifie ces obligations de la banque envers son client qui découleraient autrement de telles relations. Bien sûr, ces relations se fondent elles-mêmes sur une convention, mais on n’a pas laissé entendre devant cette Cour que, compte non tenu du document de vérification, la convention était autre chose que l’assentiment d’une partie à la demande de l’autre partie d’ouvrir un compte.
Par conséquent, la question que soulève l’accord de vérification, c’est la mesure dans laquelle l’accord modifie les obligations que la banque devrait autrement assumer et particulièrement, la question de savoir s’il a pour effet de dégager la banque de son obligation de répondre des conséquences de la contrefaçon non décelée de la signature d’un client comme tireur des chèques tirés sur son compte et honorés par la banque, lorsque le client n’avise pas la banque de telle contrefaçon dans le délai prescrit de 30 jours. Évidemment, la banque allègue que si l’accord de vérification vise les contrefaçons de la signature de son client comme tireur des chèques, le fait que les contrefaçons n’ont pas été découvertes dans ledit délai de 30 jours, et ne pouvaient pas raisonnablement l’être, n’en réduit pas l’application.
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La Banque Royale invoque à son appui une série de cause dont la première est Columbia Graphophone v. Union Bank of Canada[11], dans laquelle le Juge Middleton a décidé que la contrefaçon de la signature du tireur était visée par une formule de vérification que la banque remettait au client avec chaque état de compte, et qui devait être signée et retournée. Cette formule, qui remplaçait une simple attestation de l’exactitude du compte, était semblable au document en jeu en l’espèce mais n’énonçait aucune exception (pas même à l’égard des faux endossements) et était selon ses termes opposable au client d’une façon concluante, sauf quant «imputations inexactes ou erreurs» signalées par écrit dans un délai de 10 jours. Il existe une autre distinction: dans l’affaire Columbia Graphophone, la formule n’était pas destinée à avoir un effet continuel, comme c’est le cas de l’accord de vérification en l’espèce, mais elle devait être signée par le client à intervalles réguliers, à mesure que les états de compte étaient présentés.
Le juge Middleton a parlé très brièvement de l’effet de cette formule périodique; il a dit ce qui suit (p. 332):
[TRADUCTION] Je ne vois pas pourquoi ces reconnaissances et ces ententes ne devraient pas lier le client. Elles constituaient de véritables accords et étaient destinées à définir les relations entre les parties, et, à mon avis, à dégager la banque de toute responsabilité jusqu’au [dernier jour où un de ces imprimés a été signé].
Ce prononcé a engendré d’autres décisions qui, bien que ne reposant pas toutes sur des circonstances semblables, donnaient au moins une continuité, à une exception près, à sa validité et à sa portée apparemment illimitée. Je parlerai d’abord des causes dans lesquelles il n’était pas question de faux, puis de celles où il en était question.
Dans la cause Union Bank of Canada v. Wood[12], les faits étaient différents de ceux qu’a eu à examiner le Juge Middleton. Il s’agissait de savoir si la banque avait omis de porter divers
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chèques au crédit du compte de son client, comme l’alléguait ce dernier, ou si le client avait reçu de l’argent comptant en échange des chèques, comme l’alléguait la banque. Il a été décidé que les imprimés mensuels de vérification signés par le client réglaient la question. Aucune question ayant trait à un faux n’y était en jeu.
Dans la cause Rutherford c. La Banque Royale du Canada[13], un chèque signé par le fonctionnaire autorisé d’une compagnie et payable à lui-même ou à son ordre avait été encaissé par la banque, qui n’était pas au courant qu’une résolution de la compagnie exigeait la signature de deux fonctionnaires. Un bordereau de vérification, visant la période au cours de laquelle le chèque avait été encaissé, et équivalant à un règlement et à une décharge, avait été signé par un fonctionnaire autorisé de la compagnie. Les motifs de la Cour suprême, rendus par le Juge Smith et qui refusaient un redressement au syndic de la faillite de la compagnie, se terminaient par le commentaire suivant: [TRADUCTION] «On n’a présenté aucune preuve pour réfuter la défense prima facie ainsi établie, et il n’est donc pas nécessaire de se demander en l’occurrence dans quelles circonstances ou conditions le client de la banque pourrait être libéré de l’effet ordinaire de pareille décharge.»
Environ un an et demi auparavant, la Cour suprême, dans la cause Stewart c. La Banque Royale du Canada et Fraser[14], avait eu à examiner le cas d’une banque qui invoquait un accord de vérification contre l’acte illicite de l’un de ses gérants de succursales qui, sans autorisation, avait retiré de l’argent du compte d’un client. Dans cette cause-là, l’argument fondé sur la restitution par le gérant de la succursale a été soulevé, mais la question de la restitution a finalement été tranchée contre la banque. Les documents de vérification sur lesquels se fondait la banque faisaient mention d’un état de compte du client, applicable à une date spécifiée, sur lequel figurait le solde [TRADUCTION] «ainsi que les pièces justificatives pour toutes les sommes imputées sur ledit compte jusqu’audit jour inclusivement». Il
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n’existait aucune pièce justificative pour les sommes qu’on avait illicitement prises. Parlant au nom de la majorité de la Cour (un juge était dissident) sur l’importance des documents de vérification, le Juge Duff, alors juge puîné, a dit ce qui suit (p. 549):
[TRADUCTION] Il est à noter que le document, rédigé par la banque et présenté à son client, est l’un de ces documents qui, de par leur ambiguïté, ne peuvent constituer une protection. Le client qui le lit avec une attention normale, parce qu’il se fie non seulement à l’honnêteté mais également à la diligence raisonnable de son banquier, pourrait très bien s’en faire l’idée suivante: voici des pièces justificatives pour toutes les sommes imputées, examinez-les et voyez si elles sont authentiques ou non et si d’ici dix jours vous ne communiquez pas avec nous, nous pourrons présumer que le solde est exact. Vu les circonstances, je crois que c’est là le sens que donnerait probablement le client à ce document; la signature du client n’a donc absolument aucune valeur comme preuve en faveur de la banque ou d’un tiers.
Trois affaires de faux ont suivi l’affaire Columbia Graphophone, mais aucune d’elles ne s’est rendue jusqu’à cette Cour. Dans l’affaire Mackenzie v. Imperial Bank of Canada[15], une banque avait effectué un paiement sur un faux endossement; elle s’est opposée avec succès à la réclamation du tireur, se fondant sur un acte de vérification et sur le prononcé favorable rendu dans l’affaire Columbia Graphophone. Dans le bref compte rendu de l’affaire, il n’était pas fait mention de l’art. 49(3) de la Loi sur les lettres de change, S.R.C. 1952, c. 15, dans sa forme modifiée, maintenant S.R.C. 1970, c. B-5, qui accorde ex facie au tireur un délai d’un an, à compter du jour où il a eu connaissance du faux, pour faire une réclamation contre la banque tirée. Je suis au courant du doute qui existe quant à la question de savoir si l’art. 49(3) fait plus que fixer un délai, d’où la prétention que dans ce délai, une «exonération contractuelle» ou quelque acte restrictif du client peut être invoqué: voir Falconbridge, Banking and Bills of Exchange, 7e éd., 1969, par A.W. Rogers, p. 567. L’article 49(3) ne s’applique pas à la signature contrefaite d’un tireur et je n’ai donc pas à me prononcer sur son
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effet en l’espèce; mais je signale que l’accord de vérification en question ici exclut expressément les faux endossements des situations à l’égard desquelles il est concluant.
Dans la cause B. & G. Construction Co. Ltd. v. Bank of Montreal[16], la signature du tireur avait été contrefaite par un employé, comme en l’espèce. Il s’agissait de trois chèques tirés au cours d’une période d’un mois et demi. Des reçus de vérification visant cette période avaient été signés par le client-tireur; la banque défenderesse s’est fondée sur la clause «de règlement concluant» des reçus, laquelle empêchait le client de contester l’état de compte s’il n’avait pas signalé par écrit [TRADUCTION] «les imputations inexactes ou les erreurs» dans le délai stipulé de 15 jours. Cet accord-là non plus ne faisait pas expressément mention du faux ou de la fraude (et, en fait, aucune exception n’était faite), mais à défaut de l’avis prescrit, les pièces justificatives des sommes débitées devaient être considérées comme [TRADUCTION] «authentiques et pouvant à juste titre être imputées» sur le compte du client. Le tribunal, composé d’un juge seul, a considéré la défense de fin de non-recevoir, qui lui semblait valable, mais il s’est fondé sur l’affaire Columbia Graphophone et sur le principe que les reçus de vérification avaient été signés dans le cadre des rapports d’affaires entre le banquier et son client.
Dans la cause Syndicat des Camionneurs Artisans du Québec Métropolitain c. Banque Provinciale du Canada[17], la Cour d’appel du Québec en est arrivée à une conclusion semblable et a infirmé la décision du juge de première instance; il s’agit d’une affaire analogue de faux où un employé avait contrefait la signature du client sur treize Chèques; l’accord de vérification (excluant expressément les paiements sur endossements contrefaits ou non autorisés) faisait mention des [TRADUCTION] «erreurs, irrégularités ou omissions». La Cour s’est fondée sur l’affaire Rutherford dans laquelle (pour reprendre les paroles du Juge Montgomery de la Cour d’appel du Québec) [TRADUCTION] «la validité d’un contrat semblable a été confirmée».
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Dans aucune des causes précitées, il n’est question de la portée de l’acte de vérification, indépendamment de sa validité, sauf dans l’affaire du Québec mentionnée en dernier lieu, dans laquelle le commentaire suivant a été fait (p. 612):
[TRADUCTION] L’intimée soutient de plus que le contrat ne s’applique pas aux chèques portant une signature contrefaite. Je ne trouve rien dans le contrat qui permette de limiter ainsi son application. Je remarque que dans la cause Rutherford c. Royal Bank… l’une des signatures requises avait été complètement omise; je ne vois pas pourquoi il faudrait faire une distinction lorsqu’une signature est contrefaite plutôt que omise.
Je reviendrai plus loin sur cette question, parce que je désire pour le moment étudier un jugement de cette Cour qui n’a pas été mentionné dans l’arrêt Columbia Graphophone non plus que dans les autres arrêts précités, exception faite de B. & G. Construction Co. où il a été déclaré que le jugement en question dépendait des circonstances particulières de l’espèce étant donné qu’il mettait en jeu une réclamation de la Couronne du chef du Canada.
La cause Banque de Montréal c. Le Roi[18] avait trait à une réclamation faite par la Couronne du chef du Canada, cliente de la banque appelante, en vue de recouvrer de la banque les montants des chèques sur lesquels la signature du tireur avait été contrefaite par un employé d’un ministère du gouvernement qui avait réussi, pendant un certain temps, à cacher ses actes de faux. Le compte du gouvernement était un compte de lettre de crédit en vertu duquel la banque effectuait des avances jusqu’à concurrence d’un certain montant et présentait des états mensuels pour lesquels elle recevait des chèques du gouvernement en remboursement. A mon avis, le genre de compte qui était en cause importe peu. Fait pertinent, les états mensuels étaient accompagnés d’un reçu imprimé qui, une fois signé, comme il l’avait été, par un fonctionnaire compétent du gouvernement, constituait une reconnaissance de leur exactitude. Le fait que le faussaire était celui qui attestait l’exactitude de l’état au fonctionnaire autorisé à signer, ne militerait évidemment pas contre la banque.
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Les cours saisies de l’affaire ont traité de façons différentes l’effet de ces états comme «comptes réglés». Sur ce point, en première instance, le juge Anglin a considéré que parce que la Loi de l’audition prévoyant uniquement le remboursement à la banque des «avances faites en vertu de ces crédits pour couvrir les dépenses faites ou autorisées», cette méthode statutaire de régler des comptes s’appliquait (voir 10 O.L.R. 117, p. 130). En Cour d’appel de l’Ontario, le Juge d’appel Maclaren s’est prononcé comme suit sur l’argument du «compte réglé», fondé sur une relation contractuelle découlant des reçus signés (voir 11 O.L.R. 595, p. 607):
[TRADUCTION] Malgré l’argument ingénieux de l’avocat de la défenderesse sur ce point, il m’est tout à fait impossible de voir comment, eu égard aux faits et circonstances de l’espèce, les reçus donnés par le comptable peuvent avoir pour effet d’empêcher le demandeur de corriger les erreurs qui s’y trouvaient, ou constituent un moyen de défense à la présente action, à moins que, par rapport aux autres faits, il ne suffisent à établir une fin de non-recevoir. Selon moi, il y a une fin de non-recevoir ou aucune défense valable. Si le demandeur n’est pas admis à prouver plus que les reçus et à établir les véritables faits, ce ne doit être uniquement que parce qu’il est irrecevable à le faire en raison des actes de ses fonctionnaires et préposés.
En cette Cour, le Juge Girouard, à l’avis duquel le Juge Maclennan souscrivrait, s’est prononcé sur l’appel de la banque en se fondant sur ce qui est actuellement l’art. 49(1) de la Loi sur les lettres de change, soit qu’une signature contrefaite n’a aucun effet sauf si le tireur dont la signature est contrefaite n’est pas admis à alléguer le faux; examinant ce dernier point, non pas sous l’angle de quelque situation privilégiée de la Couronne, mais comme intéressant des commerçants, il a conclu qu’il n’existait aucune fin de non-recevoir et que la banque ne pouvait pas se fonder sur les reçus à cet égard.
Le Juge Davies a souligné que les reçus ont d’abord été invoqués en vue d’établir une fin de non-recevoir mais que les cours d’instance inférieure avaient décidé que celle-ci ne pouvait pas être opposée à la Couronne; la banque a ensuite
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soutenu qu’une relation contractuelle liant la Couronne avait été créée, comme dans le cas d’un compte réglé. A ce sujet, le Juge Davies a dit ce qui suit (p. 274):
[TRADUCTION] Je ne peux absolument pas comprendre pourquoi la signature attestant l’exactitude des feuilles du livret de compte ne devrait pas avoir le même effet que la signature attestant le règlement d’un compte ordinaire pour ce qui est d’empêcher la réouverture du compte si une erreur est constatée. Le fonctionnaire qui a signé pour attester que le compte était exact a été amené à le faire par un habile faussaire. Le même faussaire a trompé la banque par des signatures contrefaites. Si les circonstances dans lesquelles les comptes ont été reconnus comme étant exacts, à l’intention de la banque, pouvaient être considérées comme constituant une fin de non‑recevoir, d’accord. Mais la doctrine ne peut pas s’appliquer contre la Couronne et je ne puis par ailleurs trouver, entre le gouvernement et la banque, aucun contrat arrêtant le règlement de leurs comptes et interdisant la réouverture de ceux-ci en cas d’erreur.
La banque est devenue débitrice du demandeur à l’égard de l’argent indu reçu et, sauf fin de non-recevoir, seul un paiement, une novation exécutée ou une décharge scellée pourrait être opposée à la demande du demandeur.
Le Juge Idington était lui aussi d’avis qu’aucune disposition contractuelle n’empêcherait la Couronne de demander la rectification [TRADUCTION] «d’une erreur ou série d’erreurs aussi évidentes que celles qui se sont produites quand un ou plusieurs de ses fonctionnaires subalternes ont confirmé un état de compte, et quand, à l’égard d’un tel état de compte, ils ont parfois confirmé erronément le nombre de chèques indiqué dans l’état comme représentant le nombre des chèques imputables» (p. 279); seule une fin de non-recevoir pourrait être considérée comme une défense s’il s’était agi d’une action entre particuliers.
Le Juge Duff partageait l’avis exprimé en Cour d’appel de l’Ontario par le Juge en chef Moss qui, sur ce point, a rejeté la notion d’une obligation incombant au client et découlant des relations entre banquier et client, d’examiner le livret de compte et les chèques et pièces justificatives qui lui sont retournés et de formuler une objection en temps utile s’il veut contester l’état de
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compte, tel que dressé par la banque; l’empêchement opposable au client dans sa demande était une fin de non-recevoir résultant de sa conduite, ce qui ne pouvait être invoqué contre la Couronne. Je dois dire que le Juge en chef Moss n’a pas mentionné expressément les reçus signés, par lesquels on reconnaissait l’exactitude du compte, mais il a affirmé ce qui suit: [TRADUCTION] «un client [n’est pas irrecevable] à contester les débits qui figuraient dans le livret, tant lorsqu’il a reçu celui-ci que lorsqu’il l’a retourné sans objection, ni à nier l’authenticité de sa signature sur les chèques qui correspondent à ces débits, qui lui ont été envoyés avec le livret, une fois payés, et qu’il a conservés sans faire de commentaire» (voir 11 O.L.R. p. 599).
Une distinction ressort de cette série de causes: celle qui peut être faite entre une simple reconnaissance signée de l’exactitude d’un compte, à titre de règlement périodique, et l’engagement précis du client d’examiner l’état et les pièces justificatives et de formuler son objection en temps utile; c’est ce qui distingue le document imprimé en cause dans l’affaire Banque de Montréal c. Le Roi, précitée, voir également l’arrêt antérieur Agricultural Savings & Loan Association v. The Federal Bank[19], de celui dont il était question dans l’affaire Columbia Graphophone. Je ne doute aucunement de l’importance de cette distinction; elle découle, toutefois, d’une interprétation stricte de l’imprimé récognitif. Dans l’affaire Agricultural Savings, le Juge d’appel Burton a dit que l’imprimé en litige dans cette affaire-là était [TRADUCTION] «tout au plus une simple reconnaissance de l’exactitude du solde, les chèques émis par les demanderesses étant présumés avoir été payés aux bonnes personnes» (6 O.A.R., p. 200). En l’espèce, il s’agit de savoir si ce fait même ne montre pas d’une façon évidente que si la banque doit se fonder sur un contrat de vérification, elle doit pouvoir indiquer quels sont ces termes du contrat qui ne laissent aucun doute quant à l’étendue de la protection qu’elle allègue.
L’article 49(1) de la Loi sur les lettres de change était quelque peu ce point de vue. Cet ar-
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ticle édicté qu’une signature contrefaite sur une lettre de change n’a aucun effet, et qu’aucun droit d’exiger le paiement de la lettre de change ne peut être acquis à cause de cette signature, sauf si celui de qui on veut exiger le paiement n’est pas admis à établir le faux. L’article 49(1) ne fait pas partie de la catégorie de lois aux termes desquelles il est impossible de déroger par contrat, mais le fait qu’il y soit expressément question des signatures contrefaites oblige, me semble-t-il, ceux qui voudraient se dégager par contrat de leur responsabilité à établir clairement que la contrefaçon de la signature du tireur sur un chèque est visée par la protection qu’une banque tirée a obtenue dans les dispositions d’ordre contractuel qu’elle a prises avec ses déposants.
Compte non tenu de tout accord de vérification, une banque doit répondre de l’épuisement du compte d’un client en raison d’une opération non autorisée, y compris le faux, à moins que le tireur ne soit pas admis à invoquer l’absence d’autorisation, la banque étant protégée dans la mesure où pareil empêchement s’applique. De même, indépendamment des accords de vérification, la banque doit répondre d’un faux ou d’un retrait non autorisé aux dépens du compte d’un client, commis par un employé de la banque; sur ce dernier point, sa responsabilité ne dépendrait pas nécessairement des principes de la responsabilité du fait d’autrui, mais tiendrait plutôt à son obligation de protéger l’intégrité du compte de son client contre les retraits non autorisés.
D’après l’interprétation que la Banque Royale donne à l’accord de vérification, le client est obligé de déceler dans le délai prescrit de 30 jours toute contrefaçon de sa signature faite, non seulement par ses propres employés ou par des tiers, mais également par les employés de la Banque Royale. Il existe un autre obstacle, si l’on veut s’en tenir au sens littéral de l’accord; c’est que c’est le compte tel qu’arrêté par la banque qui a un effet concluant, indépendamment de ce qui put avoir été livré ou non au client en fait d’états ou de pièces justificatives.
Le faux et les débits non autorisés sur le compte d’un client par suite de l’acte ou de la fraude de tiers ou d’employés ne sont pas les seules choses
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qui engagent la responsabilité de la banque. Il. peut y avoir une erreur de calcul, une omission de porter certaines sommes au crédit d’un compte, une inscription de débits injustifiée mais faite de bonne foi à un compte. Ce sont là des cas qui peuvent se produire, même si cela n’arrive pas fréquemment; ils sont peut-être aussi rares que le faux ou la fraude. Ces cas de manquement à une obligation envers un client ont un rapport direct avec le but que visait la banque par l’accord de vérification. A mon avis, la principale question, ce n’est pas de savoir si la banque a voulu se protéger au cas où elle ne respecterait pas une condition essentielle de ses rapports avec son client, mais plutôt de savoir dans quelle mesure elle est protégée par un document qui est plus un contrat d’adhésion qu’une entente négociée.
Ni le faux ni la fraude ne sont définis comme étant des risques du client. Les mots clé sont «vérifier l’exactitude» des états de compte reçus de la banque; «aviser la Banque par écrit… de toute omission, tout débit erroné ou toute écriture inexacte qui, selon lui, figure dans l’état de compte». C’est à l’égard de cela, à moins qu’avis ne soit donné dans le délai prescrit, que «le compte tel qu’arrêté par la Banque établira d’une façon concluante» sa propre exactitude, et que, sous réserve des exceptions faites, (entre autres les «paiements faits sur endossements faux ou non autorisés»), la banque sera exonérée «de toute responsabilité à l’égard du compte».
Je trouve étrange qu’une banque qui cherche, au moyen d’un contrat, à rejeter sur son client le risque découlant de toute contrefaçon de la signature du tireur, montre tant de réticence à mentionner expressément cette éventualité. Ce n’est pas comme si son imprimé de vérification n’avait aucun objet sans cette mention. L’imprimé de vérification selon ses termes, vise la situation qui s’est présentée dans la cause Union Bank of Canada c. Wood. A part cette situation ou d’autres situations connexes, l’accord est sûrement pour le moins «ambigu» (selon l’expression du Juge Duff dans l’affaire Stewart) quand on essaie de l’appliquer aux cas de faux ou de fraude. Nous avons toutes les raisons d’interpréter l’accord
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contra proferentem, et je conclurais donc que ses termes n’assurent aucune protection contre la contrefaçon de la signature du tireur.
L’interprétation que je donnerais à l’accord de vérification est compatible avec la façon d’aborder les limitations contractuelles de responsabilité dans d’autres genres de relations, par exemple entre dépositaire et déposant, entre transporteur et expéditeur, entre détaillant et acheteur. Les risques qui, en vertu d’un contrat, sont transmis par la partie à qui ils incomberaient normalement, à l’autre partie, doivent l’être expressément s’ils doivent avoir cet effet; du moins en est-il ainsi lorsque la limitation aurait encore un objet si on concluait que les risques non précisés n’étaient pas visés par ses termes généraux.
Quant à cet aspect de l’affaire, il reste à déterminer si la banque est en tout état de cause recevable à invoquer le principe qu’un état de compte a été présenté ou que le compte a été réglé ou si, les relations entre les parties visant un état de compte ou un compte réglé, l’appelante a le droit de réouvrir le règlement du compte pour établir les débits non autorisés. Le juge de première instance s’est prononcé comme suit sur cette question: [TRADUCTION] «le contrat (de vérification) fait beaucoup plus que créer des comptes réglés… Si la présente cause mettait en jeu un simple compte réglé, selon moi, l’injustice nécessaire à la réouverture de ce compte n’a pas été démontrée.» La clé de cette décision semble être dans la conclusion du juge de première instance que [TRADUCTION] «la banque n’aurait pu prendre aucune mesure pour prévenir cette perte et la demanderesse, elle, aurait pu en prendre un bon nombre; et l’une ou l’autre de ces mesures aurait mis au jour les pertes antérieures et empêché de se produire les pertes plus importantes qui ont suivi». Le fondement de cette conclusion n’est exprimé clairement que plus loin dans les motifs du juge de première instance, lorsqu’il traite de la réclamation pour négligence contre la Banque de Montréal (réclamation qui n’a pas été portée en appel), et dit qu’il aurait conclu (si cela s’était avéré nécessaire) que la perte subie par l’appelante avait pour cause principale sa propre négligence. Je reviendrai sur cette question.
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Dans les motifs qu’il a rendus dans la décision de la Chambre des Lords dans la cause Camillo Tank Steamship Co. Ltd. v. Alexandria Engineering Works[20], à la p. 143, Lord Cave a classé les états de compte de trois catégories. Sa troisième catégorie visait le cas [TRADUCTION] «Où une partie fait une réclamation, l’autre partie ayant, pour une contrepartie valable, convenu de l’accepter comme exacte… C’est là un véritable compte approuvé… il ne peut être réouvert sauf en cas de fraude ou pour quelque autre motif qui permettrait à une partie à un accord de faire annuler celui-ci». Parlant au nom du Comité judiciaire dans la cause Firm Bishun Chand v. Seth Girdhari Lal[21], pp. 468-469, Lord Wright a affirmé en termes plus clairs encore que: [TRADUCTION] «il n’a pas été mis en doute qu’en droit il peut y avoir un compte réglé ou arrêté entre un banquier et son client». Il a ajouté ce qui suit: [TRADUCTION] «ce qui a été contesté, c’est la question de savoir si l’approbation sans réserve, par le client, du solde figurant dans le livret de compte constitue un compte réglé, mais il s’agissait uniquement de déterminer si pareil règlement peut se déduire, en fait, de l’envoi et du renvoi du livret de compte. La validité légale de pareil règlement, s’il existe, n’est pas mise en question…».
En l’espèce, on ne saurait se fonder sur l’accord de vérification pour établir l’existence d’un compte réglé et inattaquable, parce que, d’après mon interprétation de l’accord, aucun règlement visant la contrefaçon de la signature du tireur n’a été effectué. Le règlement ne peut pas avoir une portée plus étendue que le document en vertu duquel il est établi.
La Banque Royale a-t-elle donc pour unique défense à la réclamation de l’appelante que cette dernière (d’après ce qui est énoncé à l’art. 49(1) de la Loi sur les lettres de change) n’est pas admise à établir quelque faux que ce soit ou tous les faux? En examinant la portée de cette défense et en étudiant sous cet angle les faits de l’espèce, je dirai d’abord ce que j’aurais pu tout aussi bien dire beaucoup plus tôt dans les présents motifs, que l’adoption en notre pays de reçus et
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d’accords de vérification paraît résulter de la réticence des tribunaux à imposer au déposant l’obligation d’examiner les états bancaires et de signaler toute irrégularité dans un délai raisonnable.
Pareille obligation a été imposée aux États-Unis, l’arrêt faisant autorité étant Leather Manufacturers’ National Bank v. Morgan[22]. Cette obligation fait plus qu’engager la responsabilité d’un client à l’égard d’un faux dont il a connaissance mais dont il n’a pas informé la banque. Le Uniform Commercial Code, d’application presque générale aux États‑Unis, énonce cette obligation en détail à l’art. 4-406:
[TRADUCTION] (1) Lorsqu’une banque envoie à son client un état de compte auquel sont joints des effets payés de bonne foi pour justifier les débits inscrits, ou, à la demande ou sur les instructions de son client, conserve l’état et les effets, ou met autrement d’une façon raisonnable l’état et les effets à la disposition de son client, ce dernier doit, avec une diligence et dans un délai raisonnable, examiner l’état et les effets afin de voir si la signature de son nom a été apposée sans son autorisation ou si un effet a de quelque façon été altéré et, le cas échéant, doit notifier la banque sans délai.
(2) Si la banque établit qu’à l’égard d’un effet, le client a omis de remplir les obligations qui lui sont imposées au paragraphe (1), le client n’est pas admis à établir contre la banque
a) la signature non autorisée de son nom ou toute altération de l’effet, si la banque établit également qu’elle a subi une perte par suite de cette omission; et
b) que le même faussaire a signé, sans son autorisation, ou altéré, un autre effet, payé par la banque de bonne foi après que le premier effet et le premier état eurent été à la disposition du client durant une période raisonnable d’au plus quatorze jours civils et avant que la banque ne soit notifiée par le client de la signature non autorisée ou altération.
(3) L’inadmissibilité édictée au paragraphe (2) ne s’applique pas si le client établit que la banque a omis d’exercer une diligence normale en payant l’effet ou les effets.
(4) Compte tenu de la question de la diligence, ou du défaut de diligence, tant du client que de la
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banque, le client qui ne décèle pas et ne signale pas, au cours de l’année qui suit le jour où l’état et les effets ont été mis à sa disposition (paragraphe (1)), que la signature de son nom a été apposée sans son autorisation ou qu’un effet a été altéré au recto ou à l’endos ou qui ne décèle pas et ne signale pas tout endossement non autorisé dans les trois ans à compter de ce jour, n’est pas admis à établir contre la banque la signature ou l’endossement non autorisé ni l’altération.
(5) Si, en vertu du présent article, la banque qui a payé un effet a un moyen de défense valable contre la réclamation d’un client fondée sur le paiement et renonce à ce moyen ou, sur demande, omet d’établir ce moyen, ladite banque n’est pas admise à faire valoir contre toute banque qui veut toucher l’effet ou contre toute partie antérieure présentant ou transférant l’effet, une réclamation fondée sur la signature non autorisée ou sur l’altération qui donne lieu à la réclamation du client.
Dans Halsbury’s Laws of England, vol. 2, 3e éd., 1953, p. 210, il est mentionné que les arrêts anglais se contredisent sur la question de savoir [TRADUCTION] «si le client a ou non l’obligation d’examiner le livret de compte et les chèques payés, si ces derniers lui sont retournés avec le livret, et de communiquer au banquier dans un délai raisonnable tous les débits qu’il n’admet pas». L’arrêt Kepitigalla Rubber Estates Ltd. v. National Bank of India Ltd.[23], est cité à l’appui de l’opinion que pareille obligation n’existe pas, à moins qu’elle ne soit imposée par une stipulation expresse. Dans cette cause-là, une compagnie, cliente de la banque défenderesse, a recouvré les montants d’un certain nombre de chèques sur lesquels la signature du tireur avait été contrefaite par le secrétaire de la compagnie et qui avaient été portés au débit du compte de cette dernière. L’intérêt que présente cet arrêt au Canada tient au fait que le Juge Middleton, dans l’affaire Columbia Graphophone, l’a approuvé notant que le client pouvait avoir une obligation envers la banque s’il avait connaissance d’un faux. A cet égard, dans la cause Ewing c. Dominion Bank[24] (autorisation d’appeler refusée[25], la Cour a même décidé par une très faible majorité, qu’une personne
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peut avoir une obligation envers une banque lorsqu’elle est informée qu’un de ses billets, qui en fait est un faux, et que la banque a escompte, vient à échéance; cette personne peut engager sa responsabilité si elle ne prend aucune mesure et si le montant est éventuellement retiré. Je signale que cette cause-là a été examinée du point de vue d’une fin de non-recevoir attribuable à la transformation de cette «obligation» en une déclaration tacite.
Je ne crois pas qu’il soit trop tard pour imposer aux clients des banques, dans notre pays, l’obligation d’examiner avec une diligence raisonnable les états bancaires et de signaler dans un délai raisonnable les irrégularités qui y figurent. Dans la cause Pacific Coast Cheese Inc. v. Security First National Bank of Los Angeles[26], la Cour suprême de la Californie a énoncé comme suit le principe applicable (p. 355):
[TRADUCTION] En règle générale, la banque ne peut pas imputer au compte de son déposant les paiements faits sur chèques altérés ou contrefaits à moins que la conduite du déposant, à laquelle s’appliquent les principes de la négligence ou une fin de non‑recevoir, n’ait contribué à la perte et que la banque n’ait pas pour sa part fait preuve de négligence… Cette règle a été appliquée lorsque, comme dans le présent cas, l’altération ou la contrefaçon a été commise par un employé du déposant… Lorsqu’il paraît que la banque a effectué un paiement sur un chèque altéré ou contrefait, il incombe à celle-ci de justifier l’imputation en établissant comme moyen de défense positif qu’elle n’a pas fait preuve de négligence et que le déposant a fait preuve de négligence ou était irrecevable à nier la légitimité des paiements.
Ce principe serait compatible avec l’obligation dont je parle, laquelle ne serait toutefois pas aussi draconienne que celle que la banque a tenté d’imposer à l’appelante par l’accord de vérification.
Le Uniform Commercial Code reconnaît les limitations apportées par contrat à l’obligation mentionnée à l’art. 4-406, précité. L’article 4-103 édicté en partie ce qui suit:
[TRADUCTION] (1) Les parties peuvent modifier d’un commun accord l’effet du présent article, mais aucun accord ne peut dégager la banque de
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sa responsabilité à l’égard de son propre manque de bonne foi ou de son défaut d’exercer une diligence raisonnable, ni ne peut limiter le montant des dommages‑intérêts découlant de pareil manque ou défaut; les parties peuvent cependant définir d’un commun accord les normes selon lesquelles doit être évaluée cette responsabilité, à condition que celles-ci ne soient pas manifestement déraisonnables.
(2) Les règlements et les lettres de service du système Federal Reserve, les règles des chambres de compensation et autres règles semblables, ont l’effet des accords visés au paragraphe (1), que toutes les parties intéressées aux effets négociés y aient consenti expressément ou non…
Cette mention expresse de l’exonération contractuelle en ce qui a trait à l’art. 4 du Code (qui a trait aux dépôts et encaissements bancaires) renforce la disposition générale figurant à l’art. 1-102, qui s’applique à l’ensemble du Code, et dont le par. 3 édicté ce qui suit:
[TRADUCTION] les parties peuvent déroger d’un commun accord aux dispositions de la présente loi à moins que celle-ci n’en dispose autrement et sous réserve de ne pas écarter les obligations de bonne foi, de diligence, de raison et de soin prescrites par la loi; elles peuvent cependant définir d’un commun accord les normes destinées à déterminer si ces obligations ont été remplies, à condition que ces normes ne soient pas manifestement déraisonnables.
Les dispositions précitées ne disent rien au sujet de la portée ou de l’interprétation des accords dérogatoires qui ne violent pas les limitations qu’elles imposent au droit de la banque de se libérer par contrat de certaines responsabilités. C’est là une chose qui relève de ce que j’appellerais le droit général; j’ai déjà dit comment j’envisageais la chose en ce qui concerne l’accord de vérification invoqué en l’espèce. Tout ce que je dois ajouter ici c’est que, abstraction faite de mon opinion quant à sa portée, cet accord ne pourrait pas s’appliquer littéralement s’il était assujetti aux limitations édictées aux art. 1-102 et 4-103.
Toutefois, en l’espèce, les faits constatés montrent plus qu’un défaut de remplir l’obligation que [???]‘ai proposée, et il est donc inutile que je détermine [???]e nombre de faux à l’égard desquels la responsabilité de la banque serait retenue à la suite d’un manquement à une obligation se rapportant uni-
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quement à l’envoi d’états de compte à l’appelante. Le juge de première instance a considéré que la banque n’avait commis aucune négligence en ce qui concerne les faux, habilement exécutés; au sujet de la façon dont l’appelante gérait ses affaires, il a tiré les conclusions suivantes:
[TRADUCTION] La demanderesse a engagé une personne qui, à sa connaissance, avait déjà été trouvée déloyale et l’a affectée à un poste de confiance absolue où personne n’a vérifié d’une façon suffisante son travail. Les procédures suivies par la demanderesse et par ses vérificateurs n’ont pas permis de découvrir la fraude et de découvrir que ses livres ne balançaient pas depuis un certain nombre d’années. Il y a encore des chèques à l’égard desquels le double indique un bénéficiaire et l’original un autre. Les dettes passives ne balançaient pas depuis des années. Pour chaque mois au cours duquel il a eu un faux chèque, M. Seear a pu retirer le chèque et faire balancer les livres. C’était un homme qui se présentait bien, qui avait beaucoup d’expérience en comptabilité. Si la demanderesse avait utilisé de bonnes procédures, on peut raisonnablement présumer qu’elle aurait découvert qu’il y avait eu des faux, que les relevés de la banque ne balançaient pas depuis plusieurs mois, que ses dettes passives ne balançaient pas ou que ses chèques ne correspondaient pas à la copie du registre. On pourrait s’attendre que dans un organisme appelé à manier autant d’argent que la demanderesse, aucun employé ne jouisse d’une si grande confiance que personne d’autre ne soit chargé de vérifier son travail. En l’espèce, la demanderesse savait que le titulaire de ce poste avait déjà été congédié parce qu’on s’était aperçu qu’on ne pouvait lui faire confiance.
Eu égard à ces conclusions, qui portent sur les circonstances particulières de l’espèce, je suis d’avis que l’appelante n’est pas admise à faire une réclamation contre la Banque Royale à l’égard de l’un ou l’autre des soixante-douze chèques qui font l’objet de son action.
Cette conclusion suffit à régler les réclamations subsidiaires contre la banque pour argent indu reçu et pour détournement. Je ne m’arrêterai pas à examiner si ce sont là des causes d’action appropriées à une réclamation qu’un client fait contre sa banque. De toute évidence, l’appelante ne saurait être dans une meilleure situation, quant à ses causes subsidiaires d’action, qu’elle ne l’est quant à son allégation principale. Il faudrait accumuler les fictions, en ne tenant pas compte des
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conclusions de fait, pour pouvoir conclure que la banque a sans justification retenu l’argent ou a, sans justification, porté certaines sommes au débit du compte de l’appelante, ou s’est illicitement approprié les fonds de l’appelante, devenant ainsi coupable de conduite délictueuse.
La réclamation de l’appelante contre la Banque de Montréal, la banque qui a encaissé, pour détournement ou, subsidiairement, pour argent indu reçu, a été rejetée par le juge de première instance pour le motif que le principe établi dans la cause Price v. Neal[27] s’applique et empêche le tireur, qui est censé connaître sa propre signature, de rejeter sur un tiers de bonne foi la perte qu’il a subie par suite du retrait de son compte des montants indiqués sur les faux chèques. Il a fait une distinction entre la présente cause et le cas où la signature est bien celle du tireur mais où le montant du chèque a été illicitement augmenté. A son avis,
[TRADUCTION] La cause d’action du tireur contre sa propre banque lui donne une protection suffisante. S’il choisit de renoncer à cette cause d’action ou la laisse s’éteindre, la perte ne devrait pas être assurée par un tiers de bonne foi.
Ce dernier commentaire, bien sûr, se rapporte à la façon dont le juge de première instance voit l’effet de l’accord de vérification.
En Cour d’appel, le juge Robertson, à l’avis duquel souscrivait le Juge Taggart, a dit dans son exposé (après avoir étudié la doctrine en vertu de laquelle le détournement peut être invoqué jusqu’à concurrence de la valeur représentée par une lettre de change) que [TRADUCTION] «pour établir une réclamation de ce genre, la demanderesse doit être le véritable propriétaire du bout de papier considéré comme chèque, et non simplement le propriétaire du bout de papier considéré comme tel». Dans des motifs concordants, le Juge d’appel Nemetz a rejeté la réclamation pour détournement parce qu’il était reconnu que les prétendus chèques n’étaient pas des lettres de change, selon la définition de la Loi sur les lettres de change; la banque qui a encaissé ne pouvait donc pas être coupable de détournement et ainsi être responsable du montant de la valeur nominale des faux chèques qui lui avaient été payés par la banque tirée.
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La conséquence à strictement parler des faux, soit la destruction du caractère de «lettres de change» des documents en question, n’empêche pas que la valeur du droit incorporel de l’appelante contre la Banque Royale a été considérablement réduite par les actes de la banque qui a encaissé. Mais si c’est ce qui se produit en l’espèce, c’est uniquement parce que la banque du tireur n’était pas, d’après les faits, responsable envers le tireur du paiement des faux. La banque qui a encaissé ne faisait que remplir son obligation envers son client; le fait que ce dernier était le faussaire ne modifie pas à lui seul la situation de la banque, sauf si elle savait ou si l’on peut raisonnablement présumer qu’elle savait qu’il s’agissait de faux, et uniquement dans la mesure de cette connaissance ou de cette présomption. Il s’agit avant tout de déterminer si, bien que la banque qui a encaissé n’ait pas su qu’il s’agissait de faux, ou qu’on n’ait aucune raison de présumer qu’elle le savait, la réclamation du tireur dont la signature a été contrefaite pourrait être accueillie contre elle, du fait qu’elle a reçu de l’argent sur présentation d’effets invalides et a ainsi diminué le crédit du tireur à sa propre banque. Si la question se pose, c’est uniquement parce que la banque qui a encaissé avait abandonné la possession des effets et avait à son tour payé à son client faussaire l’argent perçu à l’encaissement, avant qu’elle ne soit devenue au courant des actes criminels de son client; et, avant tout, la question se pose parce que le tireur se trouve sans recours contre la banque qui a payé.
En l’espèce, la réclamation pour argent indu reçu est irrecevable si aucun droit de recouvrement pour détournement n’existe. Bien que la première réclamation ne dépende pas toujours de la seconde — par exemple, elle peut naître du défaut de contrepartie — en l’espèce, la réclamation pour argent indu reçu a pour fondement la conduite prétendument délictueuse de la banque qui a encaissé les chèques et cette réclamation est recevable s’il y a renonciation au recours délictuel. Quel est donc le délit dommageable qu’a commis contre l’appelante la banque qui a encaissé les chèques? Elle n’a pas privé l’appelante des bénéfices des lettres de change auxquels celle-ci avait droit. Elle n’a pas sciemment aidé à la commission d’une fraude par suite de laquelle
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l’appelante a subi une perte. Il n’a pas été établi qu’elle avait eu connaissance des faux, ou de l’un de ceux-ci, quand les comptes qu’elle avait ouverts au faussaire étaient encore créditeurs, ce qui aurait pu fonder un droit de suivre l’argent.
Je n’estime pas nécessaire d’examiner la situation de la Banque de Montréal en sa qualité de détentrice contre valeur. Certainement, en pareil cas, la doctrice énoncée dans la cause Price v. Neal, précitée, la protégerait contre la réclamation du tiré; de même, il me semble qu’elle serait également protégée contre la réclamation du tireur qui devrait avoir un recours contre le tiré. Je considère que la présente cause fait partie des cas où la perte subie par suite des faux doit être assumée, en ce qui concerne l’appelante et la banque qui a encaissé les chèques, par celui qui l’a subie.
Je rejetterais l’appel interjeté à l’encontre des deux banques avec dépens.
Appel rejeté avec dépens.
Procureurs de la demanderesse, appelante: Lawrence & Shaw, Vancouver.
Procureurs de la défenderesse, intimée, La Banque Royale du Canada: Bull, Housser & Tupper, Vancouver.
Procureurs de la défenderesse, intimée, La Banque de Montréal: Campney, Murphy & Co., Vancouver.
[1] [1971] 3 W.W.R. 241, 19 D.L.R. (3d) 420.
[2] [1930] R.C.S. 544.
[3] [1932] R.C.S. 131.
[4] (1907), 38 R.C.S. 258.
[5] (1916), 38 O.L.R. 326.
[6] [1938] O.W.N. 166.
[7] (1953), 10 W.W.R. (N.S.) 553, [1954] 2 D.L.R. 753.
[8] (1969), 11 D.L.R. (3d) 610.
[9] [1914] 3 K.B. 356.
[10] [1929] 1 K.B. 40.
[11] (1916), 38 O.L.R. 326.
[12] [1920] 3 W.W.R. 173.
[13] [1932] R.C.S. 131.
[14] [1930] R.C.S. 544.
[15] [1938] 2 D.L.R. 764n, [1938] O.W.N. 166.
[16] (1953), 10 W.W.R. (N.S.) 553, [1954] 2 D.L.R. 753.
[17] (1969), 11 D.L.R. (3d) 610.
[18] (1907), 38 R.C.S. 258.
[19] (1880), 45 U.C.Q.B. 214, confirmé (1881), 6 O.A.R. 192.
[20] (1921), 38 T.L.R. 134.
[21] (1934), 50 T.LR. 465.
[22] (1885), 117 U.S. 96.
[23] [1909] 2 K.B. 1010.
[24] (1904), 35 R.C.S. 133.
[25] [1904] A.C. 806.
[26] (1955), 286 P. 2d 353.
[27] (1762), 3 Burr. 1354, (1761), 1 Black. W. 390.