Cour suprême du Canada
Boulis c. Ministre de la Main d’œuvre et de l’Immigration, [1974] R.C.S. 875
Date: 1972-03-30
Konstantinos Boulis Appelant;
et
Le Ministre de la Main d’œuvre et de l’Immigration Intimé.
1972: les 13 et 14 mars; 1972: le 30 mars.
Présents: Les Juges Abbott, Judson, Ritchie, Pigeon et Laskin.
EN APPEL DE LA COMMISSION D’APPEL DE L’IMMIGRATION
APPEL d’une décision de la Commission d’appel de l’immigration rejetant l’appel d’une ordonnance d’expulsion. Appel rejeté.
F.A. Brewin, c.r., et W. Fox, pour l’appelant.
S.F. Froomkin, pour l’intimé.
Le jugement des Juges Abbott, Judson et Ritchie a été rendu par
LE JUGE ABBOTT — Les faits et les dispositions pertinentes de la Loi sur la Commission d’appel de l’Immigration sont énoncés dans les motifs de mon collègue le Juge Laskin. Comme il le dit, la validité de l’ordonnance d’expulsion
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rendue contre l’appelant n’a pas été contestée lors de l’appel à la Commission d’appel de l’immigration à qui on a demandé d’exercer la compétence exceptionnelle qu’elle possède en vertu de l’art. 15 de la Loi. Cet article confère à la Commission des pouvoirs discrétionnaires étendus lui permettant d’autoriser une personne qui n’est pas admissible en vertu de la Loi sur l’immigration à demeurer au Canada. Avant la mise en vigueur de cet article, cette faculté appartenait exclusivement au pouvoir exécutif.
Je suis d’accord avec mon collègue le Juge Laskin que cette Cour a compétence pour entendre un appel comme celui-ci. De fait, elle l’a fait récemment dans l’arrêt Grillas c. Le ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration rendu le 20 décembre 1971 (non encore publié), bien que les moyens de droit invoqués lors de cet appel n’étaient pas les mêmes que ceux qu’on a présentés ici.
À mon avis, cependant, un appel ne peut réussir que si l’on établit que la Commission a) a refusé d’exercer sa compétence ou b) n’a pas exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’art. 15 conformément aux principes de droit bien établis. Quant à ces principes, Lord Macmillan, au nom du Comité judiciaire, dit dans l’arrêt D.R. Fraser and Co. Ltd. c. Le ministre du Revenu national[1], à la p. 36:
[TRADUCTION] Les critères selon lesquels il faut juger l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire conféré par une loi ont été définis dans plusieurs arrêts qui font jurisprudence et il est admis que si le pouvoir discrétionnaire a été exercé de bonne foi, sans influence d’aucune considération étrangère, ni de façon arbitraire ou illégale, aucune cour n’a le droit d’intervenir, même si cette cour eût peut-être exercé ce pouvoir discrétionnaire autrement s’il lui avait appartenu.
À mon avis, la Commission n’a commis aucune erreur de droit en refusant d’exercer en faveur de l’appelant le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’art. 15 de la Loi sur la Commission d’appel de l’immigration.
Je suis d’avis de rejeter l’appel.
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Le jugement des Juges Pigeon et Laskin a été rendu par
LE JUGE LASKIN — L’appelant Konstantinos Boulis, qui est entré au Canada à l’âge de 19 ans en désertant un navire à Halifax, le 2 février 1968, est sous le coup d’une ordonnance d’expulsion après avoir été arrêté le 1er avril 1969 et par la suite soumis à une enquête spéciale le 3 avril 1969. Le 16 juin 1970, la Commission d’appel de l’immigration a rejeté l’appel qu’il a interjeté et l’ordonnance de la Commission, datée du 22 juin 1970, prescrit l’exécution de l’ordonnance d’expulsion aussitôt que possible.
Dans l’appel à la Commission, on n’a pas contesté la validité de l’ordonnance d’expulsion, mais on lui a plutôt demandé d’exercer la compétence exceptionnelle qu’elle possède en vertu de l’art. 15(1), notamment l’art. 15(1)b)(i)(ii) de la Loi sur la Commission d’appel de l’immigration, aujourd’hui S.R.C. 1970, c. I-3. La Commission a conclu, dans ses motifs écrits, qu’on n’avait pas établi de motif qui autoriserait de faire bénéficier l’appelant d’aucun des redressements possibles en vertu de l’art. 15(1). Cette Cour a accordé l’autorisation d’appeler, sous réserve de sa compétence pour recevoir l’appel, sur la question suivante:
La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en refusant d’exercer, en faveur du requérant, le pouvoir qu’elle a en vertu du sous-alinéa (i) de l’alinéa b) du par. 1 de l’art. 15 de la Loi sur la Commission d’appel de l’immigration?
Les dispositions qu’il faut retenir pour décider le pourvoi sont les art. 11, 14, 15(1) et 23(1) qui se lisent ainsi:
11. Une personne frappée d’une ordonnance d’expulsion, en vertu de la Loi sur l’immigration, peut, en se fondant sur un motif d’appel qui implique une question de droit ou une question de fait ou une question mixte de droit et de fait, interjeter appel à la Commission.
14. La Commission peut statuer sur un appel prévu à l’article 11 ou à l’article 12,
a) en admettant l’appel;
b) en rejetant l’appel; ou
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c) en prononçant la décision et en rendant l’ordonnance que l’enquêteur spécial qui a présidé l’audition aurait dû prononcer et rendre.
15. (1) Lorsque la Commission rejette un appel d’une ordonnance d’expulsion ou rend une ordonnance d’expulsion en conformité de l’alinéa 14 c), elle doit ordonner que l’ordonnance soit exécutée le plus tôt possible. Toutefois,
a) dans le cas d’une personne qui était un résident permanent à l’époque où a été rendue l’ordonnance d’expulsion, compte tenu de toutes les circonstances du cas, ou
b) dans le cas d’une personne qui n’était pas un résident permanent à l’époque où a été rendue l’ordonnance d’expulsion, compte tenu
(i) de l’existence de motifs raisonnables de croire que, si l’on procède à l’exécution de l’ordonnance, la personne intéressée sera punie pour des activités d’un caractère politique ou soumise à de graves tribulations, ou
(ii) l’existence de motifs de pitié ou de considérations d’ordre humanitaire qui, de l’avis de la Commission justifient l’octroi d’un redressement spécial,
la Commission peut ordonner de surseoir à l’exécution de l’ordonnance d’expulsion ou peut annuler l’ordonnance et ordonner d’accorder à la personne contre qui l’ordonnance avait été rendue le droit d’entrée ou de débarquement.
23. (1) Sur une question de droit, y compris une question de compétence, il peut être porté à la Cour suprême du Canada un appel d’une décision de la Commission visant un appel prévu par la présente loi, si cette cour accorde la permission d’interjeter appel dans les quinze jours après le prononcé de la décision dont est appel ou dans tel délai supplémentaire qu’un juge de cette Cour peut accorder pour des motifs spéciaux.
D’abord, quant à la prétention de l’intimé selon laquelle cette Cour n’a pas, en vertu de l’art. 23(1), la compétence pour recevoir un appel, même sur une question de droit, du refus de la Commission d’appliquer l’art. 15(1)b)(i), celui-ci soutient qu’une décision de la Commission rendue en vertu de l’art. 15(1) ne constitue pas «une décision de la Commission visant un appel en vertu de la présente loi», aux termes de l’art. 23(1). On affirme que seul l’art. 14 indique ce que signifie une décision de la Commission visant un appel et que, puisque l’art. 15(1) n’a
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d’application que si la Commission rejette un appel d’une ordonnance d’expulsion ou rend, elle-même, une ordonnance d’expulsion, il échappe à la compétence d’appel attribuée à cette Cour, et, de ce fait, l’ordonnance d’expulsion de la Commission délimite les sujets qui peuvent se rendre jusqu’à cette Cour en vertu de l’art. 23(1).
Je considère que ces prétentions donnent une interprétation trop restrictive à la compétence statutaire de cette Cour. L’art. 15(1) confère à la Commission une compétence exceptionnelle à l’occasion d’un appel qui lui est soumis d’une ordonnance d’expulsion (ou, en fait, d’un appel du refus de rendre une ordonnance d’expulsion: voir l’art. 12). Une fois que la Commission a rejeté un appel d’une ordonnance d’expulsion, sa décision, quant à l’application de l’art. 15(1), est tout autant une décision «visant un appel» que celle de confirmer une ordonnance d’expulsion. Je ne vois pas de motif d’interpréter les mots «visant un appel» comme s’ils englobaient, par extension, les mots «d’une ordonnance d’expulsion» ou «du refus de rendre une ordonnance d’expulsion». Les mots «visant un appel» peuvent plus facilement s’interpréter comme signifiant «dans le cours d’un appel» ou «lors de l’audition d’un appel» et visent autant la totalité des procédures que la question plus restreinte du bien-fondé de l’ordonnance d’expulsion en elle-même. Je préfère l’interprétation plus large qui n’écarte pas cette Cour du processus de révision auquel elle participe en accordant son autorisation, sous cette seule réserve qu’il y ait en jeu une question de droit, ce qui comprend une question de compétence.
Quant au fond, l’avocat de l’appelant a soulevé trois points sur l’interprétation de l’article 15(1)b)(i) auxquels il a limité sa plaidoirie. Premièrement, il prétend que puisque la Commission est un organisme judiciaire, une cour d’archives même en vertu de l’art. 7 de sa loi organique, elle était tenue d’analyser d’un point de vue objectif «l’existence de motifs raisonnables de croire» aux conséquences énoncées qui s’ensuivraient si l’ordonnance d’expulsion était exécutée. Deuxièmement, il soutient que si la
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preuve a démontré l’existence de tels motifs raisonnables de croire, la Commission était tenue d’exercer son pouvoir de redressement. Troisièmement, il affirme que, dans ces circonstances, le seul pouvoir discrétionnaire qui appartient à la Commission porte sur le choix du redressement à appliquer, soit un sursis d’exécution de l’ordonnance d’expulsion, soit son annulation, soit son annulation et l’octroi en même temps du droit d’entrée ou de débarquement à la personne en cause. C’est ce dernier redressement que la Commission a accordé dans l’affaire Daniolos c. Le Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration, jugée le 10 novembre 1971 et dont les motifs ont été rendus le 14 décembre 1971. Dans cette affaire‑là, la Commission s’est fondée sur une preuve qui montrait que l’appelant, qui était citoyen grec âgé de 19 ans, témoin de Jéhova et objecteur de conscience et qui avait déserté un navire, était sujet à la conscription en Grèce, qui ne reconnaît pas d’exception pour des motifs religieux, et que son refus de faire son service militaire le rendait passible de périodes d’emprisonnement consécutives chaque fois qu’il refuserait jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge limite, soit 50 ans, et peut-être de la peine de mort si le pays était en guerre ou soumis à la loi martiale d’urgence ce qui était le cas à ce moment-là. La Commission a jugé que la preuve présentée à cet égard et non contestée rendait les dispositions de l’art. 15(1)b)(i) sur les tribulations graves applicables à l’affaire.
A l’appui de l’interprétation de l’art. 15(1)b)(i) qu’il soumet, l’avocat de l’appelant a opposé les termes de l’art. 15(1)b)(ii) qui renferme l’expression limitative «de l’avis de la Commission». Il a également fait observer que l’art. 15(1)b) est la seule disposition de la loi canadienne sur l’immigration qui traite des réfugiés politiques et que, par conséquent, on doit lui donner une interprétation libérale dans le sens du droit d’asile.
J’accepte l’argument que la Commission ne doit pas négliger des preuves dignes de foi apportées en vue d’établir «l’existence de motifs raisonnables de croire que, si l’on procède à l’exécution de l’ordonnance [d’expulsion] la per-
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sonne intéressée sera punie pour des activités d’un caractère politique ou soumise à de graves tribulations». C’est tout ce dont la Commission est obligée de tenir compte en vertu de l’art. 15(1)b)(i); par contre l’article 15(1)a) dit simplement qu’elle doit tenir compte de toutes les circonstances du cas pour choisir parmi les redressements applicables dont j’ai déjà parlé. Toutefois, considérer que l’art. 15(1)b)(i) définit un critère objectif de ses dispositions n’équivaut pas à empêcher la Commission de remplir son obligation d’apprécier la preuve après l’avoir jugée pertinente et digne de foi. Cela étant, la question qui reste à trancher dans la présente affaire est celle de savoir si la Commission a commis une erreur dans son appréciation de la preuve soit en la rapportant ou en la comprenant mal soit en méconnaissant certaines parties pertinentes au point de rendre la décision de la Commission contraire à la preuve. Je ne crois pas que la compétence d’appel de cette Cour à l’égard d’une décision de la Commission rendue en vertu de l’art. 15(1)b)(i) devrait s’étendre jusqu’à modifier le poids que la Commission a attribué à la preuve lorsque, considérée en elle-même ou à la lumière d’une preuve contradictoire ou divergente, la Commission doit décider de sa valeur en regard des critères établis par l’art. 15(1)b)(i).
Dans la présente affaire, lors de l’appel à la Commission, on a présenté une preuve tendant à établir que l’appelant est un adversaire du régime au pouvoir en Grèce, qu’il appartient à un mouvement de jeunes qui a appuyé le groupe d’opposition de M. Papandreou, qu’il a été appelé au service militaire en Grèce pendant qu’il était au Canada, qu’il a participé, à Toronto, à deux assemblées politiques où M. Andreas Papandreou a porté la parole, qu’il croit avoir été photographié par des représentants du régime au pouvoir en Grèce alors qu’il portait une pancarte lors d’une assemblée en faveur de M. Papandreou, à Toronto, que s’il était renvoyé en Grèce il serait traduit en cour martiale pour n’avoir pas répondu à l’appel au service militaire, qu’on lui infligerait une peine certaine de deux ans d’emprisonnement et peut-être un traitement plus sévère, dont il ne faut
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pas exclure la torture, à cause de son activité contre le gouvernement à l’étranger.
Un témoignage sur ce dernier point a été apporté par un Canadien d’origine grecque qui demeure au Canada depuis 1955, qui a été officier de l’armée grecque et, pendant une dizaine d’années, secrétaire administratif d’une association de la colonie grecque de Toronto, et qui était aussi un partisan de M. Papandreou. Il a affirmé que le régime au pouvoir en Grèce, qu’il a décrit comme brutal et sans pitié, a, à Toronto, des représentants qui pratiquent l’intimidation et qui, entre autres activités, transmettent en Grèce les noms et des photographies de personnes d’origine grecque qui s’opposent au régime. On a prétendu que les photographies parues dans le journal de l’assemblée de M. Papandreou au cours de laquelle l’appelant portait une pancarte ont été expédiées en Grèce.
J’ai fait ressortir, dans cet exposé, les éléments de la preuve qui tendent à établir l’existence de motifs raisonnables de croire que l’expulsion de l’appelant vers la Grèce l’exposerait à être puni pour des activités de caractère politique. On a surtout invoqué les activités de Toronto parce qu’il paraît que l’appelant était à l’étranger comme marin quand le régime grec actuel a pris le pouvoir et qu’après son retour en Grèce il ne s’est pas mêlé de politique. La preuve démontre que l’appelant s’est révélé bon travailleur doué d’initiative depuis son entrée illégale au Canada.
L’avocat de l’intimé a contre-interrogé l’appelant et le président de la Commission a, en plus, interrogé le témoin présenté par l’appelant. L’avocat de l’intimé a souligné dans sa plaidoirie devant la Commission que l’appelant n’avait pas demandé l’asile politique, mais qu’il avait été plutôt arrêté.
Les motifs de la Commission de refuser d’exercer le pouvoir statutaire qu’elle possède en vertu de l’art. 15(1)b)(i) ont été contestés sur trois chefs. On a affirmé, premièrement, que la Commission a commis une erreur et amené un élément étranger à la question en affirmant
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qu’«à aucun moment de l’enquête [spéciale] l’appelant n’a apporté de preuve ayant un rapport quelconque avec la persécution politique». On a prétendu qu’une telle preuve ne serait pas pertinente lors d’une enquête spéciale puisque l’enquêteur qui y préside n’a pas le pouvoir exceptionnel dont la Commission jouit en vertu de l’art. 15(1)b). Il semble cependant que la Commission s’est exprimée de la sorte après à propos du témoignage que l’appelant a donné à l’enquête spéciale et selon lequel il ne se serait pas présenté à un fonctionnaire de l’immigration parce qu’il aurait eu peur; on lui a alors demandé de quoi il avait peur, mais il n’a pas répondu.
Le second chef de contestation c’est que la Commission n’aurait pas tenu compte de la déposition du témoin d’appui. Ce n’est pas ainsi que j’interprète les motifs de la Commission. Il est clair que la Commission en a tenu compte, mais n’a pas accordé le même poids à toutes les expressions d’opinions au sujet de ce qui arriverait peut-être à l’appelant s’il était renvoyé en Grèce. C’est en raison de ce témoignage que ce qui suit se trouve aux motifs de la Commission:
[TRADUCTION] La Commission est consciente du fait que l’appelant devra prolonger son service militaire pour s’être illégalement soustrait à sa mobilisation et pour avoir rompu un engagement de marin. L’obligation de l’intéressé de faire son service militaire dans le pays dont il est citoyen n’est pas un motif, pour autant que l’appelant est concerné, pour la Commission d’exercer le pouvoir d’équité qu’elle a en vertu des alinéas 15(1)b)(i) et (ii).
Le troisième argument fondé sur les motifs de la Commission c’est que la Commission n’aurait pas donné de poids aux activités politiques auxquelles s’est livré l’appelant à Toronto par opposition au régime grec. La Commission a fait mention de ces activités telles que les témoignages les rapportent, aussi je ne puis conclure que la Commission n’en a tout simplement pas tenu compte. Plus probablement, la Commission ne les a pas jugées de nature telle qu’en elles-mêmes ou rapprochées du reste de la preuve elles fournissent un motif raisonnable de croire que l’appelant, à cause de ces activités, «sera
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puni» ou «soumis à de graves tribulations», s’il est renvoyé en Grèce.
Le Parlement a imposé à la Commission la tâche à la fois lourde et délicate de se prononcer sur des demandes d’asile politique et de retenir, dans l’examen des demandes d’entrée légale au Canada, des motifs de pitié ou des considérations d’ordre humanitaire. Du fait que le pouvoir d’accorder le droit d’entrée dans les cas de ce genre est un pouvoir judiciaire, la Commission est saisie de questions difficiles quant à l’appréciation de la preuve, parce que son jugement sur le caractère raisonnable des motifs de croire que l’expulsé sera puni pour des activités politiques ou sera soumis à de graves tribulations (j’ai mis des mots en italique) si l’ordre d’expulsion est exécuté comporte l’appréciation des politiques et réactions des autorités gouvernementales de pays étrangers à l’égard de leurs nationaux qui demandent l’asile au Canada quand ils ne peuvent être admis conformément aux exigences régulières. A mon avis, le Parlement du Canada a indiqué clairement que l’octroi de l’asile ne doit pas dépendre de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire fortuit ou arbitraire en vertu de l’art. 15(1)b)(i), mais qu’on peut obtenir l’intervention favorable de la Commission en lui présentant une preuve dont la Commission doit déterminer la pertinence et le poids à la manière d’un tribunal judiciaire. La Commission a donc été investie d’une fonction qui auparavant appartenait au pouvoir exécutif. Le droit d’appel à cette Cour montre bien que l’exercice de cette fonction ne doit pas se faire sans surveillance. D’autre part, il faut accorder à la Commission la confiance que son statut de cour d’archives indépendante commande pour ce qui est d’un examen soigneux et juste des demandes de redressement qui lui sont faites en vertu de l’art. 15(1)b). Il ne faut pas examiner ses motifs à la loupe, il suffit qu’ils laissent voir une compréhension des questions que l’art. 15(1)b) soulève et de la preuve qui porte sur ces questions, sans mention détaillée. Le dossier est disponible pour fin de contrôle des conclusions de la Commission.
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On a invoqué en cette Cour la question de l’inapplicabilité des principes énoncés dans l’avis de la majorité dans l’arrêt Liversidge v. Anderson[2]; on a aussi signalé à l’attention de la Cour la dissidence notable de Lord Atkin et l’accueil fait à cet arrêt dans d’autres décisions anglaises par la suite. Il est clair, évidemment, que la présente affaire, régie par une loi de nature différente, n’exige pas de la Cour qu’elle s’interpose entre un justiciable et le pouvoir exécutif. Il s’agit plutôt d’un tribunal à qui a été confiée la question importante de l’entrée au Canada par privilège pour y résider en permanence et il suffit d’apporter cette distinction par rapport à l’arrêt Liversidge v. Anderson sans entreprendre d’en examiner les fondements.
Je ne trouve aucune erreur, dans la présente affaire, qui justifierait cette Cour de modifier la décision de la Commission de refuser d’agir en faveur de l’appelant en vertu de l’art. 15(1)b)(i). En conséquence, je suis d’avis de rejeter le pourvoi.
Appel rejeté.
Procureurs de l’appelant: Fox & Berg, Toronto.
Procureur de l’intimé: D.S. Maxwell, Ottawa.
[1] [1949] A.C. 24.
[2] [1942] A.C. 206.