Cour suprême du Canada
Séminaire de Chicoutimi c. La Cité de Chicoutimi, [1973] R.C.S. 681
Date: 1972-05-24
Séminaire de Chicoutimi (Demandeur)
et
Le procureur général et ministre de la Justice de la Province de Québec Appelants;
et
La Cité de Chicoutimi (Défenderesse) Intimée.
1971: les 29 et 30 avril et le 3 mai; 1972: le 24 mai.
Présents: Le Juge en Chef Fauteux et les Juges Abbott, Martland, Judson, Ritchie, Hall et Laskin.
EN APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE, PROVINCE DE QUÉBEC
APPEL et APPEL INCIDENT d’un jugement de la Cour du Banc de la Reine, province de Québec[1], infirmant un jugement de la Cour provinciale. Appel et appel incident rejetés.
R. Dufour, pour le demandeur, appelant.
J. Landry, c.r., et C. Gagnon, c.r., pour le Procureur général de la province.
G. Prévost, et L.P. de Grandpré, c.r., pour la défenderesse, intimée.
P.M. Ollivier, c.r., pour le Procureur général du Canada, intervenant.
P. Lamontagne, pour l’intimée, contre-appelante.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE EN CHEF — L’intimée, la Cité de Chicoutimi, ci-après appelée «la Cité», adopta le 1er août 1966, un règlement portant le numéro
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717 ayant pour objet d’imposer une taxe foncière spéciale sur la base de la superficie des terrains assujettis à cette taxe dans la municipalité de Chicoutimi. A la suite de ce règlement, les immeubles de l’appelant, Séminaire de Chicoutimi, ci-après appelé «le Séminaire», furent imposés et portés au rôle de perception.
Prétendant que ce règlement était nul, illégal, ultra vires, discriminatoire et injuste, le Séminaire en chercha la cassation, en s’adressant à la Cour provinciale — ci-devant la Cour de Magistrat — et ce, en s’autorisant des dispositions de l’art. 42 de la Loi concernant certains recours judiciaires en matières municipales et scolaires, 13 George VI, c. 59, adoptée par la Législature en 1949. Ces dispositions, reproduites à l’art. 411 de la Loi des Cités et Villes, S.R.Q. 1964, c. 193, ont pour objet de transférer à la Cour de Magistrat la compétence dont la Cour supérieure était alors nantie par les dispositions de l’art. 411, S.R.Q. 1941, c. 233, en matière de cassation de règlement municipal pour cause d’illégalité.
Selon la Cité, ces dispositions des articles 42 de 13 George VI, c. 59 et 411 de la Loi des Cités et Villes, S.R.Q. 1964, c. 193, sont ultra vires de la Législature provinciale parce qu’elles transfèrent à une cour provinciale présidée par un juge nommé par le gouvernement de la province des matières qui doivent être jugées par une cour présidée par un juge nommé par le Gouvernement du Canada, conformément aux dispositions de l’art. 96 de l’Acte de l’Amérique du Nord Britannique. Aussi bien, dans une requête de la nature d’une exception déclinatoire, la Cité demanda-t-elle au juge de la Cour provinciale, saisi de l’affaire, M. le Juge André Gauthier, de prononcer l’inconstitutionnalité de ces dispositions et de se déclarer incompétent à procéder à l’audition de cette requête en cassation de règlement.
Éventuellement, le savant juge décida de procéder à l’audition de la requête en cassation et, dès lors, la Cité plaida au fond, sous réserve de son objection quant à la compétence. Conformément à l’art. 95 C.P.C., la Cité donna avis au
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Procureur général qui intervint alors pour soutenir la constitutionnalité de ces dispositions édictées par la Législature.
Du jugement rendu par la Cour provinciale, le 25 avril 1968, il paraît suffisant, à ce stade de la procédure, de retenir que M. le Juge Gauthier considéra que la Cour provinciale n’avait pas d’autorité pour décider de la question constitutionnelle, que le défaut ou l’excès de juridiction devait être soulevé par voie d’évocation, que le tribunal avait au moins une juridiction de facto. Poursuivant cependant l’étude de la question constitutionnelle, il exprima l’avis que les lois en question étaient intra vires de la Législature. Au mérite de la requête en cassation du règlement 717, le savant juge jugea que ce règlement était injuste, discriminatoire, nul et ultra vires de la Cité et, pour ces raisons, fit droit à la requête du Séminaire, accueillit l’intervention du Procureur général et cassa et annula le règlement.
Ce jugement fut infirmé par une décision unanime de la Cour d’appel[2], alors composée de M. le Juge en chef Tremblay et de MM. les Juges Casey, Taschereau, Montgomery et Rivard. Les motifs de cette décision furent donnés par M. le Juge Montgomery. Après avoir déclaré que la Cour provinciale était compétente à se prononcer sur la question constitutionnelle, que le bref d’évocation prévu aux articles 846 et suivants du Code de procédure civile était un remède alternatif et non exclusif, le savant juge considéra la question principale, soit celle de la constitutionnalité des dispositions des articles 42, 13 George VI, c. 59 et 411 de la Loi des Cités et Villes, S.R.Q. 1964, c. 193, conclut que ces dispositions étaient ultra vires de la Législature et que, pour cette raison, la Cour provinciale était incompétente à entendre la requête du Séminaire. D’où le jugement unanime de la Cour d’appel qui maintient l’appel de la Cité avec dépens, infirme le jugement de la Cour provinciale, rejette l’intervention du Procureur général
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en lui recommandant d’en payer les frais et réfère à la Cour supérieure la requête du Séminaire en cassation du règlement.
Le Séminaire de Chicoutimi et le Procureur général et Ministre de la Justice de la province de Québec se pourvoient à cette Cour à l’encontre de ces décisions et la Cité, par un pourvoi incident, attaque le dispositif qui ordonne de référer à la Cour supérieure la requête du Séminaire.
La question cruciale en cette affaire est de savoir si les dispositions des art. 42 de 13 George VI, c. 59 et 411 de la Loi des Cités et Villes, S.R.Q. 1964, c. 193, sont ultra vires de la Législature provinciale parce qu’elles confèrent à une cour provinciale, présidée par un juge nommé par le gouvernement de la province, la compétence d’instruire et juger d’une matière — soit d’une requête en cassation d’un règlement municipal pour cause d’illégalité et non de simples irrégularités de forme — qui, selon la Cité et la Cour d’appel, doit être instruite et jugée par une cour présidée par un juge nommé par le Gouvernement du Canada suivant l’art. 96 de l’Acte de l’Amérique du Nord Britannique.
Disons, à ce point, que si, comme en a jugé la Cour d’appel et ainsi que je le crois pour les raisons ci-après exprimées, il faut répondre affirmativement à cette question, il devient évident que les autres questions — notamment celle de savoir si l’évocation était, en l’affaire, un remède exclusif et non alternatif et celle de savoir si la Cour provinciale était compétente à se prononcer sur la constitutionnalité des articles ci-dessus — sont, à ce stade de la procédure, devenues manifestement académiques. Du reste et telles que ces deux questions se présentent en l’espèce, j’ajouterais que je suis respectueusement d’accord avec la conclusion à laquelle en est venue la Cour d’appel. C’est que l’incompétence ratione materiae ayant été soulevée in limine litis et tout au cours du débat par la Cité, comme elle pouvait d’ailleurs l’être d’office par le tribunal selon que l’implique l’art. 164 C.P.C., je ne vois guère comment le tribunal pouvait, en l’espèce, comme il en avait le devoir, s’assurer de sa compétence ratione materiae et disposer
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ainsi de l’objection de la Cité, sans se prononcer sur la constitutionnalité de la loi qui lui confère cette compétence. Ces deux questions sont ici inextricablement liées puisque la compétence du tribunal est inéluctablement conditionnée par la constitutionnalité des dispositions législatives qui prétendent la lui conférer.
Sur la question de la constitutionnalité: — Le problème, en l’espèce, naît de la conjugaison de ces dispositions de l’Acte de l’Amérique du Nord Britannique qui attribuent, d’une part, aux provinces la compétence exclusive en ce qui concerne l’administration de la justice dans la province, incluant la création, le maintien et l’organisation des tribunaux de justice dans la province et — sauf l’exception créée par l’art. 96 — le pouvoir de nommer les juges à ces cours, et, qui attribuent, d’autre part, au gouvernement central le pouvoir exclusif de nommer
«…les juges des cours supérieures, de district et de comté dans chaque province, sauf ceux des cours de vérification dans la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick.»
Ainsi donc, et par voie de conséquence, cette disposition de l’art. 96 refuse implicitement aux provinces le pouvoir de nantir les cours, présidées par les juges qu’elles nomment, de la compétence des cours décrites à cet article. (Toronto Corporation v. York Corporation[3]; The Attorney General for Ontario v. Victoria Medical Building Limited[4].)
La question qui se pose dans le cas qui nous occupe est de savoir si la juridiction conférée par les dispositions des art. 42 de 13 George VI, c. 59 et 411 de la Loi des Cités et Villes, S.R.Q. 1964, c. 193, est, d’une façon générale, conforme au genre de juridiction exercée en 1867 par les cours de juridiction sommaire plutôt qu’au genre de juridiction exercée par les cours décrites à l’art. 96 (In Re Adoption Act Refer-
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ence[5]; Labour Relations of Saskatchewan v. John East Iron Works[6].)
Réservant pour l’instant toute référence à la législation concernant le régime municipal du Bas-Canada, on ne saurait mettre en doute que la juridiction conférée à la Cour de Magistrat par les lois dont la constitutionnalité est ici mise en question était, avant le 1er juillet 1867, exercée par la Cour supérieure et exceptionnellement par la Cour de Circuit qui, pour un temps du moins, partageait dans certaines circonstances et en certains districts judiciaires cette juridiction conférée à la Cour supérieure. Ceci ressort (i) de la Loi de 1849, 12 Victoria, c. 38, intitulée Acte pour amender les lois relatives aux cours de juridiction civile de première instance, dans le Bas-Canada; (ii) de la Loi de 1853, 16 Victoria, c. 211, ayant notamment pour objet de faire disparaître certains doutes élevés relativement au sens de la dernière partie de l’art. 7 de 12 Victoria, c. 38; et (iii) du Code de procédure civile de 1867 mis en vigueur le 28 juin 1867, soit quelques jours à peine avant l’entrée en vigueur de l’Acte de l’Amérique du Nord Britannique.
En effet, l’on sait qu’à la veille de la Confédération, la Cour supérieure conservait toujours — et ce depuis sa création en 1849 — (a) la compétence générale qui lui fut conférée par l’art. 6 de la Loi de 1849 et que lui continua l’art. 2 du c. 78 de S.R.B.C. 1860, pour connaître et décider, en première instance, de toute demande ou action qui n’était pas exclusivement de la compétence de la Cour de Circuit ou d’Amirauté et (b) la juridiction spéciale que lui conférait l’art. 7 de la Loi de 1849 et que lui continua l’art. 4 du c. 78, S.R.B.C. 1860, pour exercer un droit de surveillance, réforme et contrôle sur les tribunaux de juridictions inférieures et notamment sur les corps politiques et incorporés dans le Bas-Canada dont, évidemment, les corporations municipales. Cette compétence générale, qui fait de la Cour supérieure le tribunal de droit commun en première instance, est reconnue à l’art. 28 du Code de
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procédure civile de 1867 et si, d’autre part, on ne retrouve en ce code aucune disposition spécifique relativement à cette compétence spéciale de surveillance, réforme et contrôle de la Cour supérieure, on voit que cette compétence lui est continuée avant comme après 1867, ainsi qu’il appert notamment à l’art. 2329 des statuts refondus de l’année 1888 dont les dispositions pertinentes ont été substantiellement réitérées à l’art. 50 du Code de 1897 et aujourd’hui à l’art. 33 du présent Code.
Notons que la juridiction spéciale de surveillance que la Cour de Circuit pouvait exercer concurremment avec la Cour supérieure suivant les dispositions de l’art. 3(2) du c. 79 des Statuts revisés du Bas-Canada de 1860 s’étendait, selon cet article, aux juges de paix et aux commissaires pour la décision sommaire des petites causes et non aux corps politiques et incorporés dans le Bas-Canada.
Rappelons enfin qu’au Code de procédure civile de 1867 sont énumérés et classifiés, suivant leur compétence, les tribunaux du Bas-Canada. C’est la Cour du Banc de la Reine en appel, la Cour de Revision, la Cour supérieure, la Cour de Circuit et, classifiées au livre cinquième sous le titre de JURIDICTIONS INFÉRIEURES, c’est la Cour des Commissaires pour la décision sommaire des petites causes, dans certaines villes les Cours de Recorder et enfin la Maison de la Trinité. Aucun texte de ce Code ne permet d’affirmer qu’un tribunal autre que la Cour supérieure avait juridiction, en première instance, en matière de cassation de règlements municipaux pour cause d’excès de pouvoir.
Référant maintenant à la législation concernant spécifiquement le régime municipal du Bas‑Canada au moment de la Confédération, il faut s’en reporter, sauf en ce qui concerne le cas d’une cité, ville ou bourg incorporé par un acte spécial, à l’Acte concernant les municipalités et les chemins dans le Bas-Canada également cité sous le nom de l’Acte municipal du Bas-Canada de 1860, S.R.B.C. 1860, c. 24. La quatrième partie de cette loi — art. 62 et suivants — se rapporte principalement aux amendes, actions, appels et comprend diverses dispositions d’or-
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dre déclaratoire, temporaire et spécial. On a fait grand état du fait qu’à l’art. 66(1), on donne au Conseil de comté le droit de reviser, ou rejeter, sur appel logé par au moins cinq électeurs ou une majorité des intéressés, s’ils sont moins de dix, un règlement passé par une municipalité locale. Le Conseil de comté, organisme municipal, composé des maires des diverses municipalités locales du comté dans lesquelles des maires étaient élus ou nommés, était appelé comme tel à rendre des décisions administratives en certaines matières municipales. Il convient, cependant, de souligner que le Conseil de comté n’avait, suivant la prohibition qui lui en était faite à l’art. 66(5), aucun pouvoir de rejeter ou amender un règlement passé par le Conseil d’une municipalité de ville ou de village.
Les lois d’avant la Confédération, auxquelles on nous a référés pour établir que la Cour de Circuit avait dans certaines matières municipales une juridiction d’appel des décisions des Conseils de comté et des conseils locaux, ne sont d’aucune assistance pour affirmer, avec assurance, qu’à la veille même de la Confédération il y avait, outre la Cour supérieure, un autre tribunal de première instance ayant juridiction par tout le Bas-Canada en matière de cassation de règlements de municipalités de villes ou villages pour cause d’illégalité. La question de savoir si la Cour de Circuit pouvait avoir semblable juridiction me paraît d’ailleurs académique en regard de la question qui nous occupe. Car, ainsi que les Juges de la Cour d’appel s’en sont unanimement exprimés dans le Renvoi concernant la Constitutionnalité de la Loi concernant la Juridiction de la Cour de Magistrat 11-12 Elizabeth II, c. 62[7], la Cour de Circuit, telle qu’elle existait à l’époque de la Confédération, — comme, d’ailleurs, elle le demeura jusqu’à son abolition en 1953, — était la deuxième en importance des cours civiles de première instance au Bas-Canada et est toujours demeurée comprise dans l’énumération des cours décrites à l’art. 96 de l’Acte de l’Amérique du Nord Britannique. Il me paraît pertinent de citer particulièrement un
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extrait des motifs donnés par M. le juge Choquette aux pages 17, 18 et 19: —
Avant comme après la Confédération, la Cour de circuit fut toujours présidée par un juge de la Cour supérieure et, à Montréal depuis 1889, par l’un des juges spécialement nommés pour cette cour par le gouvernement fédéral. Jamais la Province n’a prétendu au droit de nommer ces juges. La Cour de circuit ne figure d’ailleurs pas au chapitre des juridictions inférieures du Code de procédure civile de 1867. L’article 1061 de ce code désigne le tribunal sous le nom de «Cour de circuit du district» lorsqu’il siège au même lieu que la Cour supérieure, et sa juridiction s’étend alors à tout le district. L’article 1062 désigne ce tribunal sous le nom de «Cour de circuit dans et pour le comté de…», lorsqu’une proclamation du gouverneur lui permet de siéger dans un comté autre que celui où siège la Cour supérieure du district. L’article 1064 reconnaît aux seuls juges de la Cour supérieure l’autorité de présider la Cour de circuit. Parlant de la Cour de circuit de district, l’article 1198 la désigne sous le nom de «Cour (de circuit) du district», les mots «de circuit» étant entre parenthèses.
Dans son rapport relatif au désaveu de la loi de 1888, le ministre de la Justice de l’époque, sir John Thompson, cité par W.E. Hodgins, écrivait ce qui suit:
«La cour de circuit était donc, à l’époque de l’Union, en un sens, une branche de la cour supérieure. Les attributions des juges de la cour supérieure comprenaient celles des juges de la cour de circuit. Lorsque le gouverneur général nommait un juge à la cour supérieure, en vertu de l’article 96 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, la nomination comportait en même temps une nomination comme juge de la cour de circuit.
Les juges de la cour de circuit étaient donc au nombre des juges qui, en vertu de l’article 96, devaient être nommés par le gouverneur général. Ils étaient au nombre des juges de qui le seul titre requis était, aux termes de l’article 98, d’être membre du barreau de la province.
C’est l’article 99 qui prévoyait la durée des fonctions des juges de la cour de circuit, en tant que juges d’une cour supérieure. Ils restaient en fonction durant bonne conduite et pouvaient être révoqués par le gouverneur général sur une adresse commune du Sénat et de la Chambre des Communes. Ils étaient au nombre des juges dont les salaires, en vertu de l’article 100, étaient fixés et payés par le parlement du Canada».
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Dans l’affaire Small Debts Act, le Juge Walken dit:
«La Small Debts Court n’est pas une des cours que mentionne l’article, ni par son appellation, ni par sa nature. Elle n’est pas une cour supérieure; elle n’est pas non plus une cour de district, celle-ci étant, au sens de l’article, une cour particulière à la province de Québec; elle n’est pas davantage une cour de comté telle que constituée ici ou en Ontario».
Dans Rimmer v. Hannon, le Juge Lamont dit:
«Dans le Bas-Canada, il existait des cours dites cours de circuit. La province était divisée en 20 districts et une cour était établie dans chaque district, avec compétence en matières civiles jusqu’à $200. M. Lefroy, dans son article mentionné plus haut[8], déclare que le terme ‘district’ était employé alternativement avec le terme ‘circuit’. C’est un juge de la cour supérieure qui présidait ces cours et Sir John Thompson, dans son célèbre rapport sur la loi de 1888 relative aux magistrats de district, dit qu’elles étaient, en un sens, des branches des cours supérieures».
On dit que cette division en vingt districts ne concerne que la Cour supérieure; mais on a vu que la Cour de circuit de district se tenait au même lieu que la Cour supérieure et que sa juridiction s’étendait à tout le district.
Lors de la Confédération, la Cour de circuit était la deuxième en importance des cours civiles de première instance du Bas-Canada, comme la Cour de comté l’était pour le Haut-Canada. Si les auteurs de la Constitution avaient voulu exclure la Cour de circuit du champ d’application de l’article 96, ils s’en seraient sûrement exprimés, comme ils l’ont fait pour la Cour de vérification de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick.
Je conclus qu’en 1867 et jusqu’à son abolition en 1953, la Cour de circuit était une «cour de district» au sens de l’article 96 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. Il s’ensuit que la Province n’aurait pu nommer les juges de cette cour et qu’elle ne pouvait le faire indirectement en changeant le nom du tribunal ou en transférant ses pouvoirs à un tribunal inférieur. Comme le dit le juge Drake dans l’affaire Small Debts Act précitée, à la p. 264:
«…la province ne pourrait pas, en abolissant les tribunaux existants et en établissant d’autres tribunaux sous une appellation différente et avec compé-
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tence égale, se soustraire à l’autorité suprême conférée au gouverneur général de nommer les juges.»
Il convient également de rappeler, ainsi que le signale M. le Juge Montgomery à la page 31 du recueil précité, que telle qu’originairement constituée — et ce après la Confédération — la Cour de Magistrat devait exercer la juridiction antérieurement conférée à la Cour des Juges de paix et à la Cour des Commissaires qui, toutes deux, étaient au temps de la Confédération reconnues comme Cours de juridictions inférieures. Il est vrai que l’appel, dont cette décision fut l’objet, fut maintenu par notre Cour[9] qui a cru devoir se limiter strictement à répondre à la question soumise par le Lieutenant-gouverneur en Conseil, question portant uniquement sur la constitutionnalité de la loi concernant la juridiction de la Cour de Magistrat 11-12 Elizabeth II, c. 62. Ceci n’atténue en rien, cependant, le respect dû aux opinions très motivées des savants juges, et il me paraît suffisant, aux fins de la détermination de la question qui nous occupe présentement, de faire miens les motifs ci-dessus de M. le Juge Choquette.
Pour ces raisons et celles données au jugement a quo, je dirais donc que la juridiction conférée par les dispositions législatives dont la constitutionnalité est ici attaquée est d’une façon générale, non pas conforme au genre de juridiction exercée en 1867 par les Cours de juridiction sommaire, mais plutôt conforme au genre de juridiction exercée par les Cours décrites à l’art. 96.
Je rejetterais donc le pourvoi avec dépens.
Sur le pourvoi incident: — L’intimée a soumis que si le pourvoi principal était rejeté, le dispositif de la Cour d’appel ordonnant que la requête du Séminaire soit référée à la Cour supérieure devrait être écarté et que, de plus, les parties devraient être mises hors de Cour. Il s’agit là d’une question de pratique et de procédure dans la province. Dans Houle v. Dame Lessard[10] la Cour d’appel a récemment encore considéré la
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question pour décider qu’en règle générale, une action intentée devant un tribunal autre que celui qui doit connaître de la contestation, n’est pas rejetée mais renvoyée devant le tribunal compétent et que cette règle s’applique même dans le cas d’un tribunal incompétent ratione materiae. Dans le cas qui nous occupe il n’a pas été démontré que la Cour d’appel a erré en rendant l’ordonnance qu’il était au pouvoir de la Cour de première instance de rendre.
Je rejetterais le pourvoi incident avec dépens.
Appel et appel incident rejetés avec dépens.
Procureurs de l’appelant, Séminaire de Chicoutimi: Dufour, Tremblay & Larouche, Chicoutimi.
Procureurs de l’appelant, Procureur général de la province de Québec: Talbot & Landry, Chicoutimi.
Procureurs de l’intimée, Cité de Chicoutimi: Chouinard, Prévost, Casgrain, Vaillancourt & Angers, Chicoutimi.
Procureurs de l’intervenant, le Procureur général du Canada: Paul Ollivier, Ottawa.
Procureurs de l’intimée, Cité de Chicoutimi, en contre-appel: Geoffrion & Prud’homme, Montréal.
[1] [1970] C.A. 413.
[2] [1970] C.A. 413.
[3] [1938] A.C. 415.
[4] [1960] R.C.S. 32.
[5] [1938] R.C.S. 398.
[6] [1949] A.C. 134.
[7] [1965] B.R.I.
[8] 37 D.L.R. 183.
[9] [1965] R.C.S. 772.
[10] [1962] B.R. 830.