Cour suprême du Canada
Polai c. Ville de Toronto, [1973] R.C.S. 38
Date: 1972-06-29
Magdalene Polai (Défenderesse) Appelante;
et
The Corporation of the City of Toronto (Demanderesse) Intimée.
1972: le 5 mai; 1972: le 29 juin.
Présents: Les Juges Martland, Judson, Ritchie, Spence et Pigeon.
EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.
APPEL d’un jugement de la Cour d’appel de l’Ontario[1], accueillant un appel d’un jugement du Juge Haines. Appel rejeté.
I.G. Scott, pour la défenderesse, appelante.
D.C. Lyons et M.J. Winer, pour la demanderesse, intimée.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE JUDSON — La ville de Toronto a intenté une action contre Magdalene Polai; elle y réclame une injonction empêchant celle-ci d’utiliser aux fins d’un logement multi-familial, en contravention du règlement de zonage de la ville, l’immeuble connu comme étant le 169, chemin Warren, Toronto. Le juge de première instance a rejeté l’action. La Cour d’appel a accueilli l’appel et a accordé l’injonction, ordonnant que l’application de celle-ci soit suspendue pour une période de douze mois. Mme Polai demande en cette Cour le rétablissement du jugement de première instance.
Mme Polai a acheté la propriété en question en novembre 1963. Le savant juge de première instance a tiré la conclusion de fait que la propriété avait été utilisée uniquement comme résidence privée isolée jusqu’au moment de son acquisition par l’appelante. Cette dernière a acheté la propriété pour la transformer en un logement multiple. Elle a dépensé environ $20,000 pour des transformations de structure. Une fois ces transformations complétées, elle pouvait louer quatre logements indépendants dont chacun avait ses propres installations sanitaires, ainsi qu’une cuisinière et un réfrigérateur; tous ces travaux ont été exécutés sans le permis de la ville requis par les règlements de construction. Elle résidait elle-même au rez‑de-chaussée et elle a loué les appartements du premier et du deuxième.
En 1965, Mme Polai a été accusée d’avoir enfreint le règlement de zonage; elle a été déclarée
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coupable. Son appel a été rejeté. Elle a continué à utiliser les locaux comme logement multi‑fami-lial. Le bref d’injonction a été émis en septembre 1966. Les principaux témoins appelés contre elle étaient des voisins qui s’opposaient à l’utilisation qu’elle faisait des locaux.
Le juge de première instance a rejeté l’action de la ville parce qu’il a conclu que celle-ci conservait une liste secrète, à «application différée», de contrevenants contre lesquels aucune mesure, soit par voie de poursuite soit par voie de requête en vue d’obtenir une injonction, n’avait été ou ne serait prise. En Cour d’appel, le Juge d’appel Schroeder n’a pas accepté cette description de la liste, que ce soit quant à son caractère secret ou quant à sa permanence ou sa rigidité. Il a expressément conclu que le comité responsable de la liste n’avait pas agi de mauvaise foi ou arbitrairement en remplissant ses fonctions. Les Juges d’appel Jessup et Brooke eux, ont estimé que l’existence et le mode d’utilisation de la liste équivalaient à de la discrimination contre Mme Polai; toutefois, les trois juges ont décidé que le public avait un intérêt direct et important dans l’application du règlement municipal et que cet intérêt public devait prévaloir sur l’intérêt privé de Mme Polai. A mon avis, cette conclusion est juste.
Je ne crois pas que l’application laxiste d’un règlement de zonage — et je ne suis en aucune façon certain que l’on puisse parler d’« application laxiste»en l’espèce — puisse fournir un moyen de défense contre une requête en vue d’obtenir une injonction en vertu de l’art. 486 du Municipal Act, qui édicté ce qui suit:
[TRADUCTION] 486. Lorsqu’il y a infraction à un règlement d’une municipalité ou d’un office local d’une municipalité, adopté sous le régime de la présente loi ou de toute autre loi générale ou spéciale, en plus de tout autre recours et de toute autre peine imposée par le règlement, l’infraction peut être empêchée au moyen d’une action en justice intentée par un contribuable, par la corporation ou par l’office local.
En l’espèce, on a violé le règlement d’une façon constante et irréductible. Le moyen de défense invoqué équivaut réellement à alléguer immunité tant que la liste ne sera pas abandonnée et que
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tous les contrevenants ne seront pas poursuivis. C’est là un faible réconfort pour un voisin, habitant dans une zone censée résidentielle, qui se plaint de l’infraction. L’article 486 n’accorde pas un recours uniquement à la municipalité. Les contribuables ont un droit d’action. On ne peut invoquer comme moyen de défense contre l’action du contribuable d’autres cas où il y a eu une infraction qui n’a pas soulevé d’opposition. En l’espèce, il est évident que ce sont les voisins immédiats qui se sont opposés. Ils ont témoigné. Il importe peu que l’action ait été intentée par eux ou par la municipalité. Par son action, la ville cherche à protéger et à faire respecter un droit public, et on ne devrait pas lui refuser le recours de l’injonction simplement parce que d’autres, en plus de la défenderesse, sont coupables d’infractions semblables et que rien n’a été fait à leur égard.
Je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens.
Appel rejeté avec dépens.
Procureurs de la défenderesse, appelante: Cameron, Brewin & Scott, Toronto.
Procureur de la demanderesse, intimée: W.R. Callow, Toronto.
[1] [1970] 1 O.R. 483, 8 D.L.R. (3d) 689.