Cour suprême du Canada
Fleck et al. c. Jones, [1973] R.C.S. 42
Date: 1972-06-29
Romeo S. Fabbi et Stanley A. Fabbi faisant affaires sous la raison sociale «Purity Dairy Ltd.» et ladite Purity Dairy Ltd. (Défendeurs) Appelants;
et
William Owen Jones (Demandeur) Intimé.
George Fleck et Robert W. Fleck faisant affaires sous la raison sociale «Fleck Bros.» et ladite Fleck Bros., Bernard Riehl, fils, Edward Kriese, Edward Siebert, Adolf Lang, Joseph Pogany, fils, et Thomas Jensen (Défendeurs) Appelants;
et
William Owen Jones (Demandeur) Intimé.
1972: le 23 mai; 1972: le 29 juin.
Présents: Les Juges Martland, Judson, Ritchie, Pigeon et Laskin.
EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE
APPELS d’un jugement de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, accueillant l’appel de l’intimé d’un jugement du Juge Branca. Appel incident du refus de la Cour d’appel d’adjuger des dommages-intérêts punitifs. Appels et appel incident rejetés.
S.W. Enderton, pour les défendeurs, appelants, Romeo S. Fabbi et al.
M.E. Moran, c.r., pour les défendeurs, appelants, George Fleck et al.
R.H. Vogel, pour le demandeur, intimé.
Le jugement des Juges Martland, Pigeon et Laskin a été rendu par
LE JUGE LASKIN — Les appelants en cette Cour sont deux groupes de défendeurs que l’intimé Jones a poursuivis dans des actions distinctes. La première, engagée le 21 juin 1963 contre les deux frères Fabbi, est une action en dommages-intérêts pour le délit civil d’avoir amené la rupture des contrats passés entre le demandeur et certains propriétaires de Fermes laitières, producteurs de lait, pour le transport du lait en vrac depuis la région de Creston (Colombie-Britannique) jusqu’à une laiterie située à Cranbrook et exploitée par les frères Fabbi. Le 16 décembre 1963, la Purity Dairy Ltd., dans laquelle les Fabbi avaient un intérêt et dont l’un des deux frères était président, a été jointe à titre de défenderesse; une réclamation a été ajoutée contre tous les défendeurs en dommages-intérêts pour la rupture d’un contrat passé avec le demandeur le 2 novembre 1962 et dans lequel ce dernier s’était engagé à
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transporter des produits laitiers de la laiterie de Cranbrook à la région de Creston, en s’arrêtant à certains endroits entre ces deux points. Cette réclamation a été rejetée en première instance et aucun appel n’a été interjeté à son égard; par conséquent, elle n’est pas en question ici.
La seconde action est une action en dommages-intérêts intentée par le demandeur le 2 novembre 1964 contre les producteurs de lait ci-dessus mentionnées, pour la rupture des contrats de transport en jeu dans la réclamation pour délit contre les frères Fabbi. Les deux actions ont été réunies pour les fins du procès et elles ont toutes deux été rejetées par le juge de première instance qui a décidé que la réclamation pour délit devait échouer, la preuve n’établissant pas que les Fabbi avaient amené ou avaient tenté d’amener la rupture des contrats de transports conclus avec les producteurs de lait; il a décidé que la réclamation contractuelle contre ces derniers devait être rejetée à cause d’une condition implicite que renfermaient ces contrats et selon laquelle la laiterie accepterait le lait quand il lui serait livré par le demandeur, qu’il n’existait aucune preuve à cet effet (de fait, la laiterie n’était pas obligée de continuer à acheter le lait des producteurs de lait), et que Jones n’avait pas non plus fait de cueillette de lait pour essayer d’effectuer la livraison en conformité de son obligation contractuelle.
Malgré la conclusion du juge de première instance quant à la crédibilité de la déposition du témoin principal des défendeurs, un nommé English, directeur de la laiterie, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a conclu en faveur du demandeur dans les deux réclamations en jeu dans l’appel et a renvoyé l’affaire pour une évaluation des dommages. Toutefois, elle a refusé d’adjuger des dommages-intérêts punitifs au demandeur. Cette question a fait l’objet d’un appel incident en cette Cour, mais au cours des plaidoiries, les avocats ont été prévenus que cette Cour ne modifierait pas cette conclusion de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique.
Cette dernière Cour a accueilli l’appel du demandeur relativement à sa réclamation contractuelle en rejetant la conclusion du juge de première instance sur l’existence d’une condition
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implicite; elle a conclu en faveur du demandeur relativement à sa réclamation pour délit pour le motif que les Fabbi avaient à tort cherché à modifier les arrangements existants avec les producteurs au sujet de l’achat de leur lait par la laiterie, et avaient aussi clairement laissé entendre sous ce rapport que la laiterie n’accepterait pas le lait s’il était transporté par le demandeur, bien qu’ils aient su que celui-ci avait conclu des contrats de transport avec les producteurs.
Les faits à l’origine des réclamations dans les présentes procédures sont les suivants. Les producteurs de lait de la région de Creston (y compris ceux qui étaient défendeurs dans la seconde action) faisaient partie d’une coopérative formée en compagnie, par l’intermédiaire de laquelle ils faisaient la mise en marché de leur lait selon leurs quotas respectifs. Le 26 juillet 1962, la coopérative a accepté de vendre son entreprise aux Fabbi; dans le contrat en bonne et due forme du 11 octobre 1962, les Fabbi s’engageaient à acheter certaines quantités de lait à des producteurs désignés (parmi lesquels se trouvaient tous les défendeurs producteurs) à des prix établis. Le 16 octobre 1962, les divers producteurs ont conclu avec Jones des contrats dans lesquels ce dernier s’engageait à transporter leur lait dans des bidons jusqu’à la laiterie des Fabbi à Cranbrook. Pour ce service de transport, Jones devait détenir un permis, en vertu du Motor Carriers Act, R.S.B.C. 1960, c. 252, et les contrats ont été conclus sous réserve du consentement de la Public Utilities Commission, l’organisme de réglementation en vertu de la Loi.
Les arrangements contractuels conclus avec les producteurs ont été exécutés par Jones au cours des mois qui ont suivi et la laiterie a accepté le lait livré par celui-ci sans poser de question. La pratique se trouvait ainsi établie pour les producteurs de vendre leur lait à la laiterie selon leurs quotas et d’effectuer la livraison par l’intermédiaire de Jones, en conformité des contrats qu’ils avaient passés avec lui.
A l’époque de la négociation de ces contrats, on a envisagé la possibilité de transporter le lait
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non plus dans des bidons, mais en vrac, dans des citernes. Les contrats aux-mêmes renfermaient la clause suivante:
[TRADUCTION] Le présent contrat demeurera en vigueur jusqu’à ce qu’une citerne soit requise ou selon un avis écrit de 30 jours donné en vue de la résiliation du contrat par l’expéditeur ou le voiturier.
Pour effectuer le transport par citerne, il fallait installer des réservoirs de stockage sur les diverses fermes laitières et transporter le lait au moyen d’un camion-citerne passablement différent du camion à plate-forme sur lequel les bidons de lait étaient transportés. Il fallait que les producteurs investissent de nouveaux capitaux et Jones également, s’il voulait continuer à transporter leur lait.
Les Fabbi auraient aimé effectuer eux-mêmes le transport du lait par citerne jusqu’à leur laiterie; il est établi que les producteurs ont été mis au courant de ce fait en février 1963. Jones savait également que la laiterie voulait le remplacer pour transporter le lait des producteurs. Diverses réunions ont eu lieu, et le 9 mars 1963, les producteurs ont finalement signé avec Jones des contrats dans lesquels ce dernier s’engageait à transporter leur lait par citerne. Dans chaque cas, le contrat stipulait ce qui suit: [TRADUCTION] «ce contrat additionnel demeurera en vigueur 36 mois». Suivait cette clause de résiliation, mal rédigée:
[TRADUCTION] LE PRÉSENT CONTRAT pourra être annulé par l’une ou l’autre des parties comme suit: LE CONTRAT POURRA ÊTRE RÉSILIÉ PAR CONSENTEMENT MUTUEL SUR AVIS ÉCRIT DE 90 JOURS. L’OPTION DE RENOUVELER LE CONTRAT DEVRA ÊTRE DONNÉE 90 JOURS AVANT L’EXPIRATION DU CONTRAT.
Comme auparavant, il était stipulé que les contrats étaient conclus sous réserve du consentement de la Public Utilities Commission étant donné que Jones devait en vertu de la loi détenir un permis pour pouvoir fournir les services de transport. Le consentement, emportant l’octroi d’un permis, a été donné le 7 mai 1963.
Les défendeurs Fabbi ont soutenu qu’aucun contrat n’existait entre Jones et les producteurs avant le 7 mai 1963 et que par conséquent,
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même si des actes en vue d’influencer les producteurs ont été commis, comme on l’allègue, ils ne visaient aucun contrat en vigueur. Je n’accepte pas cette prétention. En concluant les ententes à exécuter, les parties n’avaient plus rien à négocier; elles avaient des obligations l’une envers l’autre et c’était l’exécution des contrats et non pas leur existence qui dépendait de l’octroi d’un permis par l’organisme gouvernemental. Si, eu égard aux faits, c’est après le 9 mars 1963 qu’a eu lieu l’intervention délictueuse, soit le délit d’avoir amené les producteurs à abandonner Jones et à confier à la laiterie la cueillette du lait qu’elle achetait, le fait que Jones ne détenait encore aucun permis ne nous empêcherait pas de tenir les frères Fabbi responsables.
Ces derniers connaissaient l’existence des contrats en question depuis le 23 mars 1963 au moins. Jones s’est fié aux contrats lorsqu’il a acheté un camion-citerne pour le transport du lait, le 22 avril 1963. Il avait rencontré les producteurs en février 1963 à ce sujet et les contrats avaient été conclus, même si la laiterie avait elle-même pris des mesures en février 1963 pour acheter un camion-citerne pour le transport du lait et avait informé les producteurs au cours d’une réunion, la première semaine de mars 1963, qu’elle avait l’intention d’effectuer le transport du lait qu’elle achetait des producteurs.
Qu’est-il arrivé après la première semaine de mars 1963 et après que Jones et les producteurs ont signé leurs contrats, le 9 mars 1963? C’est là le point essentiel. Notons ici que le transport par citerne ne pouvait commencer avant que les réservoirs de stockage des producteurs n’aient été calibrés en conformité des exigences du gouvernement. La preuve établit que pareil transport n’est devenu possible que le 31 mai ou le 1er juin 1963, est c’est la laiterie qui s’en est chargée à ce moment-là.
Le 23 mars 1963, Jones, ainsi qu’un porte-parole des producteurs et des représentants de la laiterie, se sont réunis dans un motel. D’après le dossier, la discussion a porté sur le transport par citerne et la situation contractuelle de Jones a été bien définie, comme l’a été l’intention de la laiterie de transporter le lait des producteurs dans son propre camion-citerne.
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Le 2 mai 1963, la laiterie a écrit aux divers producteurs la lettre suivante:
[TRADUCTION] Le camion-citerne de la Purity Dairy pour le transport du lait sera utilisé dès que les réservoirs des fermes seront installés et calibrés.
Le lait sera payé selon la formule f. à b. locaux.
La mention «f. à b. locaux» voulait dire, bien sûr, que les Fabbi se proposaient de payer le transport du lait à leur laiterie. En réponse aux lettres du 2 mai 1963 (certaines étaient datées du 3 mai 1963), les producteurs, après s’être réunis, ont écrit ce qui suit à la laiterie, le 4 mai 1963:
[TRADUCTION] NOUS, soussignés, producteurs de lait de la région de Creston-Lister, désirons vous informer que nous avons retenu par contrat un camion-citerne et un conducteur, comme vous en avez déjà été informés.
Le lait sera transporté par ce camion-citerne f. à b. jusqu’à Purity Dairies, Cranbrook, tel que préalablement convenu.
Par suite de cet échange de lettres, les représentants du producteur et English, directeur de la laiterie, se sont réunis. Ce qui s’est passé lors de cette réunion n’est pas très clair, mais on sait du moins que les positions respectives, y ont été réaffirmées: les producteurs respecteraient leurs contrats avec Jones et la laiterie voulait se charger du transport par citerne. Une autre rencontre a eu lieu le 10 mai 1963, entre English et les producteurs; ces derniers ont finalement décidé d’écrire le jour même à Jones une lettre qui équivalait à un avis de répudiation des contrats du 9 mars 1963. Cette lettre était rédigée dans les termes suivants:
[TRADUCTION]
M.W.O. Jones, Creston, (C.-B.) Monsieur,
Au cours de la réunion de ce soir, nous avons décidé de vous laisser transporter notre lait en vrac à la condition que vous obteniez un contrat de transport de Purity Dairies.
B. Riehl T.Jensen
A. Lang E. Siebert
J. Pogany Ed. Kriese
Fleck Bros.
Par: Robert W. Fleck
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Il était évident, d’après la suite des événements, que Jones ne réussirait pas à obtenir un contrat de transport de la laiterie. Les producteurs se sont trouvés pris entre deux feux: Jones et la laiterie; il se peut qu’ils aient regretté d’avoir signé des contrats de transport avec Jones, mais en cette Cour, comme dans les cours d’instance inférieure, il s’agit de savoir s’ils ont décidé de répudier le contrat à cause de pressions illégales exercées par English (par voie de menace de refuser de prendre livraison du lait livré par Jones) ou simplement s’ils ont pris cette décision de leur propre chef et de plein gré, tout en sachant que la laiterie voulait effectuer le transport.
Le juge de première instance a accepté le témoignage de English qu’il n’avait pas menacé de refuser le lait des producteurs s’il était transporté par Jones. Mais English a également dit que le camion-citerne de la laiterie était pour être mis en service et qu’il appartenait aux producteurs de déterminer s’ils voulaient expédier leur lait par ce camion-citerne. La preuve présentée par l’autre partie tendait à établir qu’il y avait eu menace de mettre fin à l’achat du lait des producteurs. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique s’est fondée sur cette preuve pour conclure que des pressions illicites avaient été exercées sur les producteurs.
Les paroles exactes prononcées par les représentants de la laiterie lors de leurs rencontres avec les producteurs de lait pourraient être littéralement innocentes et pourtant, compte tenu des circonstances et du contexte, elles pourraient équivaloir à des pressions illicites. Si j’apprécie la preuve sous cet angle, les opérations commerciales entre la laiterie et les producteurs en mars, avril et mai 1963, me paraissent être d’une importance capitale. Rien dans la preuve n’indique que les producteurs avaient d’autres débouchés pour leur lait et c’est un fait que la laiterie Fabbi était située à 70 milles de la région de Creston, où les fermes des producteurs étaient situées. Ce que l’on peut déduire du marché entre les frères Fabbi et la coopérative constituée en compagnie, et des événements qui ont suivi, c’est que la laiterie a remplacé la coopérative comme acheteur de plein gré du lait des producteurs. Toute menace de mettre fin à ce commerce, bien
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qu’en soi légale, prendrait un tout autre aspect si on y avait recours, non pour négocier des modifications au commerce, mais pour obliger les producteurs à rompre leurs contrats avec Jones.
Je ne dis pas que les frères Fabbi ne pouvaient pas acheter du lait ailleurs; ce que la preuve établit, selon moi, c’est qu’ils ont continué à accepter le lait qui leur était offert par les producteurs défendeurs selon leurs quotas respectifs, sans manifester le moindre mécontentement vis-à-vis de l’arrangement, et sans chercher à le modifier, jusqu’à ce qu’ils s’aperçoivent qu’ils pouvaient s’en servir pour obtenir les contrats de transport que Jones, comme ils le savaient, avait conclus avec les producteurs. Le rapport des diverses réunions me convainc que la laiterie a parlé aux producteurs en se servant de sa situation d’acheteur de leur lait pour les forcer à se plier à ses exigences et à lui confier le transport de leur lait.
C’est ce que fait ressortir le fait que la laiterie payait le lait des producteurs selon la formule f. à b. Cranbrook, en conformité de la disposition à cet effet dans l’entente du 11 octobre 1962 que les frères Fabbi avaient conclue avec la coopérative. C’est après cela que Jones est entré en scène pour effectuer le transport du lait des producteurs. J’ai déjà mentionné les lettres de la laiterie du 2 mai (et du 3 mai) 1963, par lesquelles celle-ci faisait savoir que son camion-citerne serait utilisé et que le paiement serait f. à b. locaux des producteurs. L’affaire a abouti aux événements suivants: (1) la laiterie a envoyé à Jones, le 30 mai 1963, une lettre dans laquelle elle confirmait la déclaration qu’elle avait faite à ce dernier le 27 mars: [TRADUCTION] «nous nous chargeons de notre propre transport à partir du 1er juin», et (2) la laiterie a effectivement recueilli le lait des producteurs ce jour-là.
La lettre du 30 mai à Jones ne peut être justifiée par le simple fait que la laiterie était dorénavant libre de prendre en charge le transport parce que les producteurs avaient eux‑mêmes mis fin, quoique illicitement, à leurs relations avec Jones. Comme l’indique la lettre, elle s’inscrivait dans une ligne de conduite délibérée, remontant au 27 mars au moins, et à ce moment-là, les producteurs n’avaient apporté aucun changement dans leurs contrats avec Jones.
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A mon avis, la conduite des défendeurs dans la première action était plus qu’une simple immixtion incidente dans les contrats entre Jones et les producteurs pour servir leurs propres intérêts. Il ne s’agit pas ici d’un cas où les défendeurs auraient simplement causé une rupture de contrat, tout en connaissant l’existence de celui-ci, dans la poursuite d’un but distinct qui leur était propre, mais d’un cas où intentionnellement et en pleine connaissance de cause une rupture a été amenée par des pressions exercées sur les producteurs, qui étaient parties aux contrats, dans la poursuite du même but que réalisait Jones en exécutant les contrats qu’il avait conclus avec les producteurs: voir D.C. Thomson & Co. v. Denkin[1].
Au cours des plaidoiries en cette Cour, on a soulevé la question de savoir si la laiterie avait décompté les frais de transport après s’être engagée à les prendre à sa charge dans ses lettres du 2 mai (et du 3 mai) («le lait sera payé selon la formule f. à b. locaux») ou si elle avait simplement modifié le prix du lait acheté. A mon avis, cette question est sans relation avec la conclusion que j’ai formulée ci-dessous.
En demandant le rétablissement du jugement de première instance rendu en faveur des producteurs, lequel tenait ceux-ci non responsables des dommages découlant de la rupture des contrats qu’ils avaient conclus le 9 mars 1963 avec Jones, l’avocat des producteurs s’est fondé sur le jugement que cette Cour a rendu dans l’affaire McKenna and Mitchell c. F.B. McNamee & Co.[2]. Dans cettte cause-là, les appelants avaient conclu un contrat pour l’achèvement de certains travaux de construction du gouvernement, et l’intimée, pour le compte de qui ils devaient faire ce travail, avait perdu le contrat de ces travaux, mais espérait le ravoir. Les parties avaient conclu leur entente tout en sachant que son exécution dépendait du rétablissement du contrat du gouvernement. Ce dernier contrat n’a pas été rétabli — ni l’une ni l’autre des parties n’étant à blâmer — et il a été décidé que les appelants ne pouvaient pas demander réparation à l’intimée sur la base d’une obligation implicite de fournir le travail
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Il a été dit que cette dernière cause ressemble à la présente en ce sens que Jones et les producteurs ont conclu les contrats tout en sachant de part et d’autre que la laiterie avait l’intention de se charger du transport. Toutefois, la laiterie n’était pas dans la même situation que le gouvernement dans l’affaire McKenna and Mitchell, où l’objet du contrat dépendait du gouvernement; elle était tout au plus en concurrence avec Jones pour fournir des services aux producteurs à la demande de ces derniers. Il appartenait aux producteurs de décider avec qui ils concluraient les contrats. Par conséquent, je suis d’avis de confirmer le jugement rendu en faveur de Jones à l’encontre des producteurs.
Au cours de l’audition, la question du droit à une indemnité dont jouiraient les producteurs à l’encontre de la laiterie a été soulevée, même si elle n’a pas fait l’objet de conclusions. Dans les présentes procédures, rien ne permet à cette Cour de déterminer le droit d’indemnisation, s’il y a lieu, et je n’exprimerai aucune opinion à cet égard.
En fin de compte, l’arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, qui a conclu en faveur de Jones et renvoyé l’affaire pour une évaluation des dommages, devrait être confirmé. En cette Cour, les parties n’ont présenté aucun argument sur le sens à donner à la clause de résiliation dans les contrats du 9 mars 1963 et je ne suis pas disposé à modifier les conclusions de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique à ce sujet.
Je suis d’avis de rejeter les appels avec dépens mais de n’accorder qu’un seul honoraire d’avocat en cette Cour; je suis d’avis de rejeter l’appel incident sans dépens.
Le jugement des Juges Judson et Ritchie a été rendu par
LE JUGE RITCHIE — J’ai eu l’avantage de lire les motifs de mon collègue le juge Laskin, auxquels je souscris.
Toutefois, la décision rendue me rend perplexe en ce qui concerne les producteurs de lait.
Bien que je sois convaincu, à l’instar de mon collègue Laskin, que ces cultivateurs sont, à strictement parler, responsables, je suis néanmoins préoccupé par le fait que ceux-ci ont été,
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en fait, les victimes d’une dispute entre Jones et la laiterie et que ceci a eu pour résultat de les placer dans une situation quasi intenable. S’ils remplissaient les engagements prévus aux contrats qu’ils avaient conclus avec Jones, ils étaient susceptibles de subir ce dont les menaçait la laiterie; pour avoir cédé à cette menace, ils ont à supporter les dépens d’un procès qui a fait l’objet d’un jugement défavorable en la Cour d’appel de leur province et, maintenant, en cette Cour.
L’avocat de l’intimé Jones a dit à l’audition qui a eu lieu devant nous que son client n’entendait pas procéder en recouvrement des dommages-intérêts contre les producteurs et, étant donné les circonstances, je n’adjugerais aucuns dépens contre eux dans le présent appel.
Appels rejetés avec dépens; appel incident rejeté sans dépens.
Procureurs des défendeurs, appelants, Romeo S. Fabbi et al.: Emberton, Kent & Holland, Nelson.
Procureurs des défendeurs, appelants, George Fleck et al: Moran, D’Andrea & Geronazzo, Castlegar.
Procureurs du demandeur, intimé: Cooper & Vogel, Creston.
[1] [1952] Ch. 646.
[2] (1888), 15 R.C.S. 311.