Cour suprême du Canada
George et al. c. Dominick Corporation of Canada, [1973] R.C.S. 97
Date: 1972-06-29
David George et Louis Miklovic (Demandeurs) Appelants;
et
Dominick Corporation of Canada (Défenderesse) Intimée.
1971: Les 6 et 7 décembre; 1972: le 29 juin.
Présents: Les Juges Martland, Judson, Ritchie, Spence et Laskin.
EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE
APPEL d’un jugement de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique[1], accueillant un appel d’un jugement du Juge Verchere. Appel rejeté.
W.A. Essen, pour les demandeurs, appelants.
C.C. Locke, c.r., et G.R.B. Coultas, pour la défenderesse, intimée.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE JUDSON — Le litige découle de certaines ventes à découvert faites par les appelants, David George et Louis Miklovic, et visant les actions d’un compagnie connue sous le nom de Data Processing Financial and General Corporation. Dominick Corporation of Canada a effectué ces ventes d’actions à la Bourse de New York, où elles étaient cotées.
Entre le 8 décembre 1967 et le 9 janvier 1968, George a vendu à découvert 400 actions à des cours variant de $83 à $125. Du 13 décembre 1967 au 9 janvier 1968, Miklovic a vendu à découvert 200 actions à des cours variant de $94.50 à $131.50.
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A l’exception de deux fléchissements passagers, le prix des actions a augmenté de façon soutenue. Le 18 janvier 1968, il a atteint un sommet sans précédent de $177. Le 19 janvier, le cours de clôture était de $176.50. Le 22 janvier, jour de bourse suivant, il était de $166.00.
Les comptes ont été liquidés le 23 janvier 1968 lorsque le courtier a acheté 400 actions à $162.50 pour couvrir la vente à découvert de George et 200 actions à $163, pour couvrir celle de Miklovic. Le 5 mars 1968, le cours des actions était descendu à $105.
Le 15 mars 1968, George et Miklovic ont intenté une action réclamant (a) la rescision de tous les contrats passés entre eux et le courtier, et le remboursement de tout l’argent versé par eux au courtier; (b) des dommages-intérêts pour fausses déclarations et violation des contrats de courtage, et (c) des dommages-intérêts pour négligence.
Lors du procès, des dommages-intérêts leur ont été adjugés parce que, selon le juge, on ne leur avait pas donné une chance raisonnable de transporter leur compte à un autre courtier et que leur courtier avait agi de façon déraisonnable et précipitée. Ils ont été déboutés de leur action quant aux fausses déclarations et à la négligence. En appel, la Cour d’appel a rejeté à l’unanimité leur action. Je confirmerais l’arrêt de la Cour d’appel.
Leur réclamation pour fausses déclarations et négligence découle des exigences de marge que les courtiers leur ont imposées au début de ces transactions. Elles comportaient le dépôt d’une marge initiale de 70 pour cent du produit de la vente. Ils devaient aussi maintenir la valeur de leur marge quant aux actions sur marge à un montant équivalent à 35 pour cent de la valeur courante de celles-ci, ce qui signifie qu’au fur et à mesure que le cours montait, il leur fallait verser des montants supplémentaires pour maintenir cette marge de 35 pour cent.
Au bureau du courtier à Vancouver, on ne savait pas que le 29 novembre 1967 la Bourse américaine avait publié un avis qu’à compter du 30 novembre 1967 et jusqu’à nouvel ordre, la marge initiale exigée par la Bourse serait de 100 pour cent pour toute nouvelle transaction relative aux actions de Data Processing. Le bureau de
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Vancouver n’a appris ce fait que le 9 janvier 1968, date des dernières ventes à découvert dans chaque compte. Les clients ont alors débattu la question avec le courtier. Ils ont affirmé qu’ils n’auraient pas engagé ces opérations s’ils avaient été au courant de cette exigence de la Bourse, et que le courtier avait fait preuve de négligence en ne la connaissant pas. Ils ont soutenu qu’en leur déclarant que la marge ordinaire de 70 pour cent et que le maintien dans leur compte d’un marge de 35 pour cent, conformément au règlement de la Bourse, s’appliqueraient, le courtier leur avait pour ainsi dire déclaré qu’aucune exigence spéciale n’avait été imposée.
Le juge de première instance, après avoir conclu que la fausse déclaration alléguée par les appelants pouvait, en droit, être interprétée comme importante, a constaté, en se fondant sur la preuve, qu’en fait elle ne l’était pas et qu’elle n’avait pas amené les clients à faire les ventes à découvert. En d’autres mots, il n’a pas ajouté foi à leurs affirmations répétées du contraire. La Cour d’appel a confirmé cette conclusion et cette constatation de fait.
En ce qui a trait à l’autre aspect de l’affaire, la liquidation du compte, le savant juge de première instance a considéré que la convention signée par George et Miklovic n’autorisait pas le courtier à liquider les comptes le 23 janvier 1968. Je me reporte au passage suivant:
[TRADUCTION] A mon avis, les pouvoirs étendus assumés par la défenderesse en vertu de son contrat étaient destinée à être exercés par elle pour sa propre protection contre une perte financière raisonnablement prévue, et ils ne pouvaient l’être qu’à cette fin; en outre, et en tout état de cause, si et quand elle les exerçait sans formalitiés et sans avis, comme c’est ici le cas, elle devait le faire avec un souci raisonnable des intérêts de l’autre partie non incompatible avec la protection à laquelle elle-même avait droit. En d’autres termes, j’accepte l’opinion que les mesures prises par la défenderesse pour assurer sa protection ne doivent être ni inutiles ni déraisonnables dans les circonstances, et que, parce que tel n’a pas été le cas en l’instance, les mesures prises par Campbell le 23 janvier, lorsqu’il a couvert complètement les ventes à découvert des demandeurs, équivalaient à une violation des contrats de la défenderesse avec ces derniers.
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La Cour d’appel a rejeté ces conclusions du savant juge de première instance. En premier lieu, les juges d’appel ont décidé que le courtier avait agi de façon raisonnable; que les deux clients savaient que d’autres versements de maintien étaient nécessaires; qu’ils prétendaient avoir répudié toutes les transactions lesquelles, selon eux, étaient invalides et qu’ils avaient exigé le remboursement immédiat de tous les paiements de marge initiale et de maintien déjà faits. Dans ces conditions, le courtier, abstraction faite de ses droits aux termes de la clause 7 de la convention, avait raison de liquider les comptes.
La Cour d’appel a aussi relevé dans la clause 7 de la convention un pouvoir explicite de liquider des comptes. La clause 7 se lit en partie comme suit:
[TRADUCTION] 7. Vous pouvez, à votre entière discrétion, liquider tout (tous) compte(s) sur marge ou réduire ou éteindre toute dette du soussigné envers vous, chaque fois que la marge de tout (tous) compte (s) du soussigné ne satisfait pas à vos exigences, ou chaque fois que vous le jugez nécessaire pour vous protéger…
La Cour d’appel a énoncé les conclusions suivantes sur ce point:
[TRADUCTION] Les circonstances de cette affaire font voir qu’il n’a pas été satisfait aux exigences de marge de l’appelante et que cette dernière a considéré ou jugé les achats de couverture nécessaires à sa protection. Je signale encore une fois que, même s’il n’y avait eu aucun appel antérieur de marge, les deux intimés n’ignoraient pas la condition relative au maintien d’une marge de 35% (et s’y étaient conformés dans le passé); ils savaient très bien que, vu la forte hausse des cours, leur marge était déficitaire et qu’ils étaient tenus d’effectuer des versements. Cependant, ils ont catégoriquement rejeté cette obligation en répudiant les transactions et en exigeant le remboursement immédiat de tous les fonds déjà versés par eux. Il se peut qu’un appel de marge en bonne et due forme constitue le meilleur moyen de faire connaître «une exigence», mais le contrat ne le stipule pas et, de fait, prévoit spécifiquement que l’exercice du pouvoir n’exige ni avis ni mise en demeure. A mon avis, un appel de marge n’était pas nécessaire, compte tenu de ce que savaient les intimés et de leur comportement, tel qu’indiqué plus haut. Encore une fois, lorsque les clients ont, définitivement et formellement, personnellement ou
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par l’intermédiaire de leurs procureurs, tous deux répudié leurs ventes à découvert respectives lorsque les cours avaient atteint leur plus haut niveau, et qu’ils ont dit, en fait: «nous ne voulons rien savoir de ces transactions; il faut les traiter comme vôtres», il m’est difficile de conclure qu’une mesure visant à liquider immédiatement les ventes à découvert qui comportaient des risques presque illimités, avait un autre but que la protection du courtier.
A mon avis, l’appelante a agi dans les circonstances d’une façon clairement permise par les conventions passées avec chacun des intimés et il n’y a pas eu violation de contrat. En tout état de cause, même si la nécessité et la raison étaient des conditions essentielles pour que la mesure adoptée par l’appelante soit jugée nécessaire à sa «protection», comme en a décidé le savant juge de première instance, je ne puis me ranger à son avis que l’exercice que l’appelante a fait de son droit d’acheter les actions était inutile et déraisonnable.
Je fais miens dans leur intégralité les motifs énoncés par la Cour d’appel. Je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.
Appel rejeté avec dépens.
Procureurs des demandeurs, appelants: Bull, Housser & Tupper, Vancouver.
Procureurs de la défenderesse, intimée: Drost, Coultas, Stanfield & Whitehall, Vancouver.
[1] (1970), 15 D.L.R. (3d) 596.