Cour suprême du Canada
Brant Dairy Co. c. Milk Commission of Ontario, [1973] R.C.S. 131
Date: 1972-10-18
Brant Dairy Company Limited et Walkerton Dairies Limited (Demanderesses) Appelantes;
et
The Milk Commission of Ontario et The Ontario Milk Marketing Board (Défendeurs) Intimés.
1972: les 20, 21, 22 mars; 1972: le 18 octobre.
Présents: Le Juge en Chef Fauteux et les Juges Abbott, Martland, Judson, Ritchie, Hall, Spence, Pigeon et Laskin.
EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.
APPEL d’un jugement de la Cour d’appel de l’Ontario[1], rejetant un appel d’un jugement du Juge Donohue. Appel accueilli, les Juges Abbott, Martland, Judson et Ritchie étant dissidents.
B.H. Kellock, pour les demanderesses, appelantes.
J.J. Robinette, c.r., et H.E. Harris, c.r., pour le défendeur, intimé, Ontario Milk Marketing Board.
C.L. Dubin, c.r., F.J. Gallant, c.r., et R.P.
Armstrong, pour la défenderesse, intimée, Milk Commission of Ontario.
T.B. Smith, pour le Procureur Général du Canada.
John D. Hilton, c.r., pour le Procureur Général de l’Ontario et Ministre de la Justice.
M. Trudeau, c.r., pour le Procureur Général de Québec.
G.S. Cumming, c.r., pour le Procureur Général de la Colombie-Britannique.
Le jugement du Juge en Chef Fauteux et des Juges Hall, Pigeon et Laskin a été rendu par
LE JUGE LASKIN — Les questions de droit soulevées dans le présent appel découlent de la prétention des appelantes qu’en tant que propriétaires de fermes laitières où elles ont leurs propres troupeaux de vaches et effectuent des opérations intégrées de production, de traitement et de distribution de lait et de produits laitiers liquides,
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elles ne sont pas assujetties au pouvoir réglementaire revendiqué à leur égard en vertu du Milk Act, 1965 (Ontario) c. 72, et de certains de ses règlements d’application. Elles allèguent qu’il est illégal de les obliger à vendre leur lait à l’Ontario Milk Marketing Board (l’Office) et de les obliger à acheter leur lait de l’Office aux fins du traitement et de la distribution aux clients. L’une des appelantes, Brant Dairy Company Limited, est également transporteur de lait et soutient que cette activité ne relève pas non plus de la compétence légale de l’Office.
En cette Cour, les plaidoiries ont mis en cause la constitutionnalité des règlements établis en vertu du Milk Act parce que ceux-ci empiéteraient sur le pouvoir exclusif du Parlement en matière de commerce interprovincial ou encore, allègue-ton, parce que l’autorité législative provinciale excéderait sa compétence en visant par ces règlements à régir la mise en marché extra-provinciale et interprovinciale du lait. La loi dont il s’agit n’est pas elle-même contestée et je me demande donc si une question constitutionnelle, au sens strict de l’expression, se pose lorsque des règlements sont annulés (advenant que les prétentions des appelantes soient fondées) pour le simple motif qu’ils vont au delà des pouvoirs délégués aux autorités qui les font. Quoi qu’il en soit, c’est en raison de causes implicites seulement et non pas à cause du libellé des règlements que leur validité est contestée. En pareil cas, et à défaut de quelque preuve de la coutume administrative établie en vertu des règlements et étayant l’allégation d’invalidité, il faut donner une interprétation compatible avec les limites de la compétence législative provinciale. L’allégation d’inconstitutionnalité doit donc être rejetée.
Les appelantes ont prétendu en deuxième lieu, et ceci touche au nœud du problème, que le règlement ontarien 294/65 (et particulièrement les alinéas (c) et (i) de l’art. 6), promulgué par la Milk Commission of Ontario (la Commission), est ultra vires des pouvoirs de cette Commission et que les règlements ontariens 52/68 (particulièrement les art. 3, 4 et 7), 68/68 (particulièrement l’art. 3), 70/68 (particulièrement les art. 3, 4 et 5) et 71/68 établis par le Ontario Milk Marketing Board (l’Office) sont ultra vires des
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pouvoirs de cet Office. Pour comprendre la portée de cette prétention, il faut se reporter au projet que comporte le Milk Act, aux pouvoirs qu’il délègue et au libellé des règlements contestés.
La loi est très sommaire. L’article 2 déclare que son objet est le suivant:
[TRADUCTION] 2. La présente loi a pour but et objet le contrôle et la réglementation, sous tous ses aspects,
(a) de la mise en marché du lait, de la crème ou du fromage, ou de toute combinaison de ceux-ci, à l’intérieur de l’Ontario, y compris l’interdiction de pareille mise en marché en totalité ou en partie, et
(b) de la qualité du lait, des produits laitiers et des produits laitiers liquides à l’intérieur de l’Ontario.
La loi crée la Milk Commission of Ontario, corps constitué responsable devant le ministre de l’Agriculture; ceux-ci se partagent les pouvoirs permettant de réaliser l’application de la loi et ils sont soumis au pouvoir de surveillance du lieutenant-gouverneur en conseil.
Le pouvoir réglementaire sur le lait, la crème ou le fromage dépend d’abord de l’établissement d’un plan à l’égard duquel une recommandation est faite au ministre par la Commission, si elle accède à une requête en ce sens présentée par les producteurs (art. 6). La primauté, relativement au pouvoir d’établir des plans et de constituer des offices de mise en marché en vue d’administrer ces plans, est conférée au lieutenant-gouverneur en conseil (art. 7(1)). Le plan en vigueur en l’espèce, le Ontario Milk Marketing Plan, qui a trait au lait et au fromage, a été promulgué par le lieutenant-gouverneur en conseil en vertu du règlement ontarien 202/65 le 28 octobre 1965, jour de la proclamation du Milk Act. En vertu dudit Milk Act, le règlement en question établissait le Ontario Milk Marketing Board.
L’établissement de ce plan a permis à la Commission d’exercer sur le lait et le fromage, en tant que produits réglementés, les pouvoirs étendus qui lui étaient conférés par les art. 4(2) et 8 de la loi. La loi ne confère nulle part à un office de mise en marché constitué en vertu d’un plan quelque pouvoir réglementaire initialement délé-
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gué (sauf que l’art. 10 autorise un office de mise en marché à inspecter les livres, registres et locaux), mais elle prévoit que l’office doit dépendre d’une sous-délégation à lui de pouvoirs appartenant à la Commission. Cette sous-délégation est autorisée par les art. 4(4) et 8(6), sur lesquels je reviendrai.
Les pouvoirs de la Commission sont conférés en termes différents à l’art. 4 et à l’art. 8 respectivement, et à mon avis c’est là une différence importante en ce qui concerne la question de la validité des règlements de l’Office qui sont contestés en l’espèce. Avant d’étudier ces articles, je tiens à citer certaines définitions données à l’art. 1 de la loi:
[TRADUCTION] 9. «distributeur» signifie une personne s’occupant de vendre ou de distribuer des produits laitiers liquides directement ou indirectement à des consommateurs;
11. «produits laitiers liquides» signifie les sortes de lait et de produits laitiers traitées à partir du lait de catégorie A et désignées dans les règlements comme étant des produits laitiers liquides;
12. «lait de catégorie A» signifie le lait désigné dans les règlements comme étant du lait de catégorie A;
15. «mise en marché» signifie l’achat, la vente ou l’offre en vente, et comprend la publicité, l’assemblage, l’entreposage, la distribution, le financement, l’emballage et l’expédition et le transport de quelque façon que ce soit par toute personne, et les expressions «mettre en marché» et «mis en marché» ont des sens correspondants;
23. «traitement» signifie la cuisson, la pasteurisation, l’évaporation, le séchage, le barattage, la congélation, la séparation en parties constituantes, la combinaison avec d’autres substances par quelque procédé que ce soit ou toute autre façon de traiter le lait ou la crème dans la transformation ou la préparation de produits laitiers ou de produits laitiers ou de produits laitiers liquides;
24. «fabricant» signifie une personne s’occupant du traitement de produits laitiers ou de produits laitiers liquides;
25. «producteur» signifie un producteur de lait, de crème ou de fromage;
27. «produit réglementé» signifie du lait, de la crème ou du fromage, ou toute combinaison de ceux-ci, à l’égard duquel un plan est en vigueur;
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L’article 4 édicté d’abord au par. 1 que: [TRADUCTION] «la Commission exerce les pouvoirs et remplit les devoirs qui lui sont conférés ou imposés par la loi ou en vertu de celle-ci». Ce paragraphe est suivi du par. (2) qui décrète que: [TRADUCTION] «sans limiter la généralité du paragraphe 1, la Commission peut» accomplir les actes énumérés dans les onze alinéas (a) à (k) inclusivement. Entre autres, elle peut faire ce qui suit:
[TRADUCTION] d) obliger les personnes engagées dans la production ou la mise en marché d’un produit réglementé à faire enregistrer leurs nom, adresse et occupation devant la Commission ou l’office de mise en marché;
e) obliger les personnes engagées dans la production ou la mise en marché d’un produit réglementé à fournir, relativement à la production ou à la mise en marché du produit réglementé, les renseignements que la Commission ou l’office de mise en marché demande;
f) nommer des personnes pour inspecter les livres, registres, documents et locaux des personnes engagées dans la production ou la mise en marché d’un produit réglementé;
g) stimuler, accroître et améliorer la mise en marché du lait et des produits laitiers par les moyens qu’elle juge appropriés;
h) coopérer avec un office de mise en marché ou un organisme de mise en marché du Canada ou de toute province du Canada aux fins de la mise en marché de tout produit réglementé;
k) prendre les mesures et rendre les ordonnances et donner les directives nécessaires pour assurer l’observation et l’application des dispositions de la présente loi, des règlements, de tout plan ou de toute entente ou répartition.
Puis vient un pouvoir de sous-délégation, à l’art. 4(4), qui se lit comme suit:
[TRADUCTION] La Commission peut déléguer à un office de mise en marché les pouvoirs conférés au paragraphe 2 qu’elle juge nécessaires et peut en tout temps mettre fin à pareille délégation.
Contrairement à l’art. 4, qui autorise expressément la Commission à procéder sur une base ad hoc dans les matières énumérées, l’art. 8 oblige la Commission à agir en vertu de ce dernier article en faisant des règlements. Le début de l’art. 8(1) se lit comme suit:
[TRADUCTION] La Commission peut faire des règlements relativement aux produits réglementés en
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général ou relativement à tout produit réglementé, et sans limiter la généralité de ce qui précède, elle peut faire des règlements,
puis vient une liste de quarante-cinq alinéas, numérotés consécutivement, désignant ce qui peut faire l’objet des règlements. Entre autres, se trouvent les alinéas suivants:
[TRADUCTION] 1. prévoyant l’octroi d’un permis à toute personne qui désire commencer ou continuer à s’engager dans la production, le traitement ou la mise en marché d’un produit réglementé;
2. interdisant à une personne de s’engager dans la production, le traitement ou la mise en marché de tout produit réglementé, sauf en conformité d’un permis;
3. prévoyant le refus de délivrer un permis accordant le droit de commencer à s’engager dans la production, le traitement ou la mise en marché d’un produit réglementé, pour le motif que le requérant ne remplit pas les conditions requises, en ce qui concerne l’expérience, la solvabilité ou le matériel, pour exploiter de façon appropriée l’entreprise à l’égard de laquelle la requête est présentée, ou pour tout autre motif que la Commission juge approprié;
4. prévoyant la suspension ou la révocation d’un permis accordant le droit de continuer de s’engager dans la production, le traitement ou la mise en marché d’un produit réglementé, ou le refus de délivrer ou de renouveler pareil permis, pour défaut d’observer, d’exécuter ou de réaliser les dispositions de la présente loi, des règlements, de tout plan ou de toute ordonnance ou directive de la Commission ou d’un office de mise en marché;
11. prévoyant
i. la mise en marché d’un produit réglementé sur une base de quotas,
ii. la fixation et l’attribution de quotas à des personnes à l’égard de la mise en marché d’un produit réglementé, sur la base que la Commission juge appropriée,
iii. le refus de fixer et d’attribuer à toute personne un quota à l’égard de la mise en marché d’un produit réglementé, pour tout motif que la Commission juge approprié;
iv. l’annulation ou la réduction d’un quota fixé et attribué à une personne à l’égard de la mise en marché d’un produit réglementé, ou le refus d’augmenter ce quota, pour tout motif que la Commission juge approprié; et
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v. les dispositions et conditions en vertu desquelles une personne peut mettre en marché un produit réglementé au delà du quota fixé et attribué pour elle;
13. prévoyant le contrôle et la réglementation de la mise en marché de tout produit réglementé, y compris les époques et endroits auxquels le produit réglementé peut être mis en marché;
16. autorisant un office de mise en marché à fixer à l’occasion le prix ou les prix qui doivent être payés pour le produit réglementé ou pour tout genre, espèce, catégorie ou grosseur du produit réglementé, et à fixer différents prix pour différentes régions de l’Ontario;
18. autorisant un office de mise en marché à payer, à l’aide des frais de service imposés en vertu de l’alinéa 17, les dépenses qu’il subit en réalisant les buts du plan;
19. autorisant un office de mise en marché à utiliser toute catégorie de droits de permis et toutes autres sommes qui lui sont payables afin de payer ses dépenses, exécuter et appliquer la loi et les règlements et réaliser les buts du plan en vertu duquel l’office de mise en marché est constitué;
20. autorisant un office de mise en marché à établir un fonds pour le plan, en vue de payer toute somme qui peut être requise aux fins mentionnées à l’alinéa 19;
31. prévoyant que le produit réglementé doit être mis en marché par ou depuis l’office de mise en marché ou par son intermédiaire, et interdisant à toute personne de mettre en marché l’un quelconque des produits réglementés sauf par ou depuis l’office de mise en marché ou par son intermédiaire;
32. autorisant tout office de mise en marché à interdire la mise en marché d’un genre, d’une espèce, d’une catégorie ou d’une grosseur d’un produit réglementé;
33. obligeant toute personne qui produit un produit réglementé à l’offrir en vente et à le vendre soit à l’office de mise en marché constitué en vue d’administrer le plan en vertu duquel le produit est réglementé, soit par l’intermédiaire de cet office;
34. interdisant à toute personne de traiter ou d’emballer l’un quelconque des produits réglementés qui n’a pas été vendu à l’office de mise en marché constitué en vue d’administrer le plan établi pour contrôler et réglementer la mise en marché du produit, ou qui n’a pas été vendu par cet office ou par l’intermédiaire de celui-ci;
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35. autorisant tout office de mise en marché à exiger que le prix ou les prix du produit réglementé soient payés à lui ou par son intermédiaire, et à recouvrer pareil (s) prix au moyen d’une action devant le tribunal compétent;
36. autorisant un office de mise en marché à acheter ou autrement acquérir la quantité ou les quantités du produit réglementé que l’office de mise en marché juge indiquées et à vendre pareille (s) quantité(s) du produit réglementé ainsi acheté ou autrement acquis, ou à en disposer de quelque autre façon;
37. autorisant tout office de mise en marché à diriger un pool ou des pools, relativement à la distribution de toute somme tirée de la vente du produit réglementé, et obligeant pareil office de mise en marché, après avoir déduit tous les déboursés et dépenses nécessaires et justes, à distribuer le reste des sommes tirées de la vente de façon que chaque producteur reçoive une partie du reste des sommes tirées de la vente proportionnellement à la quantité, au genre, à l’espèce, à la catégorie et à la grosseur du produit réglementé qu’il a livré, et autorisant pareil office de mise en marché à faire un paiement initial au moment de la livraison du produit réglementé et des paiements subséquents jusqu’à ce que tout le reste des sommes tirées de la vente soit distribué aux producteurs;
La sous-délégation à un office de mise en marché des pouvoirs de réglementation conférés à la Commission à l’art. 8(1) est autorisée par l’art. 8(6), qui se Ht comme suit:
[TRADUCTION] La Commission peut déléguer à un office de mise en marché les pouvoirs à elle conférés au paragraphe (1) qu’elle juge nécessaires et peut en tout temps mettre fin à pareille délégation.
Je tiens à faire remarquer ici que, de façon générale, le pouvoir de réglementation de la Commission se divise en deux groupes ou catégories. Une catégorie a trait aux règlements «prévoyant», «interdisant» ou «prescrivant» certaines choses. La deuxième catégorie (par exemple, les alinéas 16, 18, 19, 20, 32, 35, 36 et 37, tous précités) a trait aux règlements autorisant un office de mise en marché à faire les actes énumérés. La distinction entre les deux catégories a été suivie par la Commission dans son règlement ontarien 294/65, sur lequel je reviendrai. A mon avis, c’est là une dis-
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tinction importante ayant directement trait à la validité des règlements de l’Office contestés en l’espèce.
Durant les quelque trois années qui ont suivi l’adoption et la proclamation du Milk Act, on n’a exercé aucun pouvoir ni fait aucun règlement touchant à la direction des entreprises des appelantes. Après que le Ontario Milk Marketing Plan eut été établi par le règlement ontarien 202/65 du 28 octobre 1965, la Commission a fait le règlement ontarien 294/65, qui est entré en vigueur le 1er novembre 1965. Ce règlement constituait une délégation générale à l’Office de certains pouvoirs conférés à la Commission à l’art. 4(2) de la loi, comme le montre l’art. 5 du règlement, ainsi que de certains pouvoirs de réglementation de la Commission, comme le montre l’art. 6 du règlement. Je citerai l’art. 5 du règlement qui, comme le montre une comparaison, est identique à l’art. 4(2)d), e), g), h), de la loi:
[TRADUCTION] 5. La Commission délègue à l’office de mise en marché le pouvoir
(a) d’obliger les personnes engagées dans la production ou la mise en marché du lait à faire enregistrer leurs nom, adresse et occupation devant l’office de mise en marché;
(b) d’obliger les personnes engagées dans la production ou la mise en marché du lait à fournir, relativement à la production ou à la mise en-marché du lait, les renseignements que l’office de mise en marché demande;
(c) de stimuler, d’accroître et d’améliorer la mise en marché du lait par les moyens que l’office de mise en marché juge appropriés;
(d) de coopérer avec un office de mise en marché ou un organisme de mise en marché du Canada ou de toute province du Canada aux fins de la mise en marché du lait.
L’article 6 du règlement de la Commission ci-dessus mentionné délègue à l’Office la majeure partie des pouvoirs de la Commission formant la première catégorie («prévoyant», «interdisant» ou «prescrivant»). Dix neuf clauses, a) à s), se trouvent à l’art. 6; elles reproduisent le texte, littéralement dans la plupart des cas, des alinéas 1 à 8 inclusivement de l’art. 8(1) de la loi, des alinéas 11 à 15 inclusivement dudit art. 8(1) et des alinéas 17, 33, 34, 44, 45 et 31 de ce dernier, dans le même ordre.
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L’article 7 du règlement de la Commission porte sur son pouvoir d’«autoriser» un office de mise en marché à accomplir les actes énumérés dans la loi aux alinéas 16, 18, 19, 20, 32, 35, 36, 37 et 43, et il est rédigé dans les mêmes termes que ceux-ci.
En ce qui concerne la délégation à l’Office, le règlement ontarien 294/65 a d’abord pour effet de remplacer la Commission par l’Office quant à l’exercice des pouvoirs conférés à l’art. 4(2) du Milk Act; en second lieu, il est en quelque sorte l’exercice par la Commission de certains des pouvoirs qui lui sont conférés à l’art. 8(1) d’«autoriser» l’Office à accomplir les actes mentionnés dans les pouvoirs, et, en ce qui concerne ces pouvoirs, il met l’Office dans une situation semblable à celle dans laquelle celui-ci a été placé du fait de la délégation à lui des pouvoirs prévus à l’art. 4(2) de la loi; troisièmement, il transmet à l’Office les divers pouvoirs qu’a la Commission de «prévoir» d’«interdire» ou de «prescrire» certaines choses par règlement. (J’ai mis le mot en italique.)
L’Office s’est fondé, pour agir, sur les pouvoirs ci-dessus mentionnés qui lui avaient été délégués en vertu des quatre règlements contestés par les appelantes, soit le règlement ontarien 52/68, déposé le 26 février 1968, le règlement ontarien 68/68, déposé le 1er mars 1968, et les règlements ontariens 70/68 et 71/68, déposés le même jour. C’est en vertu de ces ordonnances, que le Milk Act, environ trois ans après son adoption, a pris effet contre les appelantes.
Avant d’examiner l’effet légal de ces règlements de l’Office, je me propose de parler des alinéas c) et i) de l’art. 6 du règlement ontarien 294/65 de la Commission, qui est contesté par les appelantes. Ces dispositions se lisent comme suit:
[TRADUCTION] La Commission délègue à l’office de mise en marché ses pouvoirs de faire, relativement au lait, des règlements
c) prévoyant le refus de délivrer un permis accordant le droit de commencer à s’engager dans la production du lait, pour le motif que le requérant ne remplit pas les conditions requises, en ce qui concerne l’expérience, la solvabilité ou le
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matériel, pour exploiter de façon appropriée l’entreprise à l’égard de laquelle la requête est présentée, ou pour tout autre motif que l’office de mise en marché juge approprié;
i) prévoyant
(i) la mise en marché du lait sur une base de quotas,
(ii) la fixation et l’attribution à des personnes de quotas, à l’égard de la mise en marché du lait, sur la base que l’office de mise en marché juge appropriée,
(iii) le refus de fixer et d’attribuer à toute personne un quota à l’égard de la mise en marché du lait, pour tout motif que l’office de mise en marché juge approprié, et
(iv) l’annulation ou la réduction d’un quota fixé et attribué à une personne à l’égard de la mise en marché du lait, ou le refus d’augmenter ce quota, pour tout motif que l’office de mise en marché juge approprié, et
(v) les dispositions et conditions en vertu desquelles une personne peut mettre en marché du lait au delà du quota fixé et attribué pour elle;
Les dispositions citées délèguent à l’Office les pouvoirs de la Commission en vertu des alinéas 3 et 11 de l’art. 8(1) de la loi. Pour contester cette délégation, on se fonde sur ce que les pouvoirs de la Commission en vertu de ces alinéas sont associés à un devoir qui n’est imposé qu’à elle seule; la loi dit expressément que ce qui est déterminant, c’est ce que la Commission «juge approprié». Je ne puis souscrire à cette interprétation des alinéas 3 et 11 de l’art. 8(1). En autorisant la Commission à faire une délégation inconditionnelle à l’Office, la loi envisageait que celui-ci allait remplacer celle-là dans la mesure où la Commission le jugeait approprié. Selon moi, cela veut dire que la Commission pourrait légalement donner à l’Office la discrétion qu’elle a initialement reçue quant à l’exercice des pouvoirs conférés par la loi.
La discrétion associée aux pouvoirs conférés à la Commission par les alinéas 3 et 11 peut être déléguée autant que les pouvoirs eux-mêmes; de fait, elle en fait intégralement partie: voir Mungoni v. Attorney-General of Northern Rhodesia[2], à la p. 350. Si l’on y oppose le pouvoir énoncé à l’art. 4(2)e) de la loi (la fin du texte étant: «que la
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Commission ou l’office de mise en marché juge approprié»), selon moi, il faut en venir à la conclusion contraire à celle de l’avocat des appelantes; soit, que l’art. 4(2) est rédigé de façon à permettre une délégation partielle d’un pouvoir et d’une discrétion par ailleurs intégrés, alors que les alinéas 3 et 11 de l’art. 8(1) ne permettent pas que la Commission et l’Office exercent ensemble les pouvoirs qui y sont mentionnés; plutôt, il doit y avoir ou bien une délégation globale ou bien aucune délégation. A mon avis, par conséquent, il faut rejeter la contestation que l’on oppose au règlement ontarien 294/65.
Quant aux règlements de l’Office ci-dessus mentionnés, ce sont particulièrement les art. 3, 4 et 7 qui sont contestés dans l’attaque visant le règlement ontarien 52/68; ils se lisent comme suit:
[TRADUCTION] 3. (1) Chaque producteur doit offrir en vente et vendre le lait qu’il produit à l’office de mise en marché.
(2) Aucun producteur ne doit offrir en vente ni vendre le lait qu’il produit à une personne autre que l’office de mise en marché.
(3) Personne, sauf l’office de mise en marché, ne doit acheter du lait d’un producteur.
4. (1) Tout le lait de catégorie A acheté d’un producteur par l’office de mise en marché doit être vendu par le producteur et acheté par l’office de mise en marché sur une base de quotas.
(2) L’office de mise en marché peut fixer et attribuer des quotas à des personnes à l’égard de la mise en marché du lait, sur la base qu’il juge appropriée.
(3) L’office de mise en marché peut refuser de fixer et d’attribuer à une personne un quota à l’égard de la mise en marché du lait, pour tout motif qu’il juge approprié.
(4) L’office de mise en marché peut annuler, réduire ou refuser d’augmenter le quota fixé et attribué à une personne en vertu du paragraphe (2) pour tout motif qu’il juge approprié.
7. (1) Le lait des producteurs doit être transporté par les personnes nommées à titre d’agents à cette fin par l’office de mise en marché.
(2) Personne, sauf une personne nommée à titre d’agent à cette fin par l’office de mise en marché, ne doit transporter du lait produit par un producteur.
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L’article 3 du règlement ontarien 52/68 constitue un exercice du pouvoir délégué mentionné à l’art. 60) du règlement ontarien 294/65 qui, lui, constitue une délégation par la Commission, de façon presque textuelle, du pouvoir qui lui est conféré à l’art. 8(1), alinéa 33, de la loi. Selon moi, l’exercice par l’Office de ce pouvoir délégué est inattaquable; par règlement, il a fait exactement, en sa qualité de sous-délégué, ce que l’alinéa 33 l’obligeait à faire.
L’article 4 du règlement ontarien 52/68 est d’un autre ordre. Il vise à donner suite aux pouvoirs délégués à l’Office aux sous-alinéas (i), (ii), (iii) et (iv) de l’art. 6(i) du règlement ontarien 294/65 de la Commission. Ces dispositions du règlement de la Commission reprennent simplement les termes de l’alinéa 11 de l’art. 8(1) de la loi en remplaçant l’expression «Commission» de la loi par «office de mise en marché». L’alinéa 11 de l’art. 8(1) est une clause «prévoyant» telle et telle chose; la Commission, et par délégation, l’Office, sont autorisés à établir par règlement un système de quotas et des quotas. L’Office a exercé ce pouvoir en usant des termes mêmes du mandat qui lui a été conféré. Il n’a pas établi un système de quotas ni attribué des quotas, mais a simplement repris la formule de la loi, en ne précisant aucune norme et en laissant tout à sa discrétion.
Je suis d’avis que l’art. 4 du règlement ontarien 52/68 est ultra vires. Le fait que les pouvoirs conférés doivent être exercés sur la base que l’Office juge appropriée ne l’autorise pas à ne pas préciser ses normes dans le règlement. Cette clause de la loi habilitante qui se distingue par l’expression «juge approprié» donne une grande latitude à l’Office (en sa qualité de sous-délégué) dans l’établissement et la fixation de quotas, mais, selon mon interprétation de la loi, elle ne lui permet pas d’échapper à son obligation d’incorporer sa ligne de conduite dans un règlement.
Les organismes créés par statut qui ont le pouvoir de faire quelque chose par règlement n’agissent pas dans les limites de leurs attributions en se contentant de reprendre, dans un règlement, les termes par lesquels ce pouvoir a été conféré. C’est là se soustraire à l’exercice de ce pouvoir et, de fait, c’est là faire d’un pouvoir législatif un pouvoir administratif. Cela équivaut à une nouvelle délégation que l’Office se fait à lui-même,
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dans une forme différente de celle qui a initialement été autorisée; il est évident que cela est illégal, d’après le jugement que cette Cour a rendu dans l’affaire Procureur général du Canada c. Brent[3].
Dans l’affaire Brent, il était question de l’exercice du pouvoir délégué au gouverneur en conseil par la Loi sur l’immigration de faire des règlements sur des matières spécifiées. Le gouverneur en conseil avait incorporé les pouvoirs mêmes dans un règlement, confiant leur application à un enquêteur spécial. Il a été jugé que c’était là une sous-délégation invalide; était substituée à l’opinion du gouverneur en conseil, que devait refléter le règlement, l’opinion que pourrait se former à l’occasion un enquêteur spécial, sans que ce dernier ne soit soumis à des contraintes réglementaires.
Le principe est ici le même. L’Office était tenu de légiférer par règlement, mais il a plutôt tenté de se conférer le pouvoir arbitraire d’administrer comme il le jugeait bon sans préciser ses normes par règlement.
Le principe qui ressort de l’affaire Brent avait déjà été adopté par cette Cour dans l’affaire Verdun c. Sun Oil Co. Ltd.[4] Dans cette affaire-là, la municipalité était autorisée, en vertu d’une loi provinciale, à agir par règlement, entre autres, pour régler les endroits où devaient se trouver, dans la municipalité, les établissements industriels et commerciaux et les autres édifices destinés à des fins spéciales, pour diviser la municipalité en districts ou zones aux fins du règlement et, pour chaque district ou zone, prescrire diverses choses énumérées dans la loi provinciale. Par règlement, la municipalité avait laissé (et je citerai les termes du Juge Fauteux, alors juge puîné, qui parlait au nom de cette Cour) [TRADUCTION] «d’une façon finale à la discrétion exclusive des membres du conseil de la ville alors en fonction ce que la législature provinciale l’a autorisée. à régir effectivement par règlement» (p. 229). Le savant juge de cette Cour a ajouté ce qui suit: (commentaire particulièrement pertinent en l’espèce):
[TRADUCTION] Ainsi, l’article 76 [du règlement] transforme de fait un pouvoir de réglementer par
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législation en un simple pouvoir administratif et discrétionnaire d’annuler par résolution un droit qui, illimité à défaut de quelque règlement, serait nécessairement, dans un règlement valide, réglementé.
On a prétendu que la validité de l’art. 4 du règlement ontarien 52/68 est établie par le jugement que cette Cour a rendu dans l’affaire Robbins c. Ontario Flue-Cured Tobacco Growers Marketing Board[5], confirmant l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario[6], et le jugement du Juge Grant[7], lesquels rejetaient les griefs formulés à rencontre de certains règlements faits par le Tobacco Board en conformité de pouvoirs qui lui avaient été délégués par le Ontario Farm Products Marketing Board. Les arrêts de cette Cour et de la Cour d’appel de l’Ontario sont fondés sur le jugement du Juge Grant, et je me propose d’examiner les motifs qu’il a donnés relativement à la question de savoir si l’on avait outrepassé le pouvoir délégué en l’espèce, en ce sens que ce pouvoir n’aurait pas été exercé en conformité de la délégation. Je n’ai pas à m’étendre sur la proposition que les organismes créés par statut, comme l’Office en l’espèce, particulièrement lorsqu’ils sont visés par une sous-délégation, doivent agir strictement dans les limites de leurs attributions; à défaut de termes adéquats à cette fin dans la loi, comme il a été conclu que c’était le cas dans le Renvoi sur les règlements (produits chimiques)[8], ils ne peuvent pas déléguer de nouveau soit à eux-mêmes, soit à un autre, les pouvoirs conférés à eux seuls et destinés à être exercés par règlement.
Il existe une ressemblance entre les pouvoirs conférés au Ontario Farm Products Marketing Board dans l’affaire Robbins et ceux qui ont été conférés à la Commission en l’espèce. Dans l’affaire Robbins, le Marketing Board était, là aussi, autorisé à déléguer ses pouvoirs de réglementation à un office local. Dans cette affaire-là comme dans celle-ci, des pouvoirs étendus de réglementation avaient été conférés en vertu de l’art. 8 (le même numéro d’article dans les deux causes). Le Farm Products Marketing Act, actuellement R.S.O. 1970, c. 162, qui était en jeu dans l’affaire Robbins, et le Milk Act ont été modifiés
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tous deux à leurs articles 8 par 1968-69 (Ont.), c. 37, art. 3(3) et par 1968-69 (Ont.), c. 67, art. 1, l’alinéa suivant y étant ajouté (et je cite ici la modification apportée au Milk Act):
[TRADUCTION] Lorsque la Commission autorise un office de mise en marché (marketing board) à exercer l’un quelconque des pouvoirs mentionnés au paragraphe 1, l’office de mise en marché, en exerçant pareils pouvoirs, peut faire des règlements,, rendre des ordonnances ou donner des directives.
Je signale cette modification parce qu’elle porte directement sur la question soulevée par l’art. 4 du règlement ontarien 52/68. En faisant des distinctions entre les règlements, les ordonnances et les directives, la modification montre le caractère législatif des règlements. A mon avis, rien ne dépend de l’incorporation dans la loi apportant ladite modification au Milk Act d’un article prévoyant que les règlements ontariens 294/65,, 52/68, 68/68 et 70/68, entre autres, sont réputés avoir été faits en vertu du Milk Act tel que modifié par l’inclusion de la clause précitée, et avoir été; déposés en vertu de la Loi sur les règlements le jour où ils l’ont réellement été. Les règlements en question sont demeurés tels quels après aussi bien qu’avant le jour de la modification.
Les pouvoirs invoqués dans l’affaire Robbins n’étaient toutefois pas uniquement ceux dont il était question à l’art. 8, tel que modifié par 1962-63 (Ont.), c. 45, (pouvoirs ayant trait à tout produit réglementé), car étaient également invoqués, en plus de ceux de l’article 8, des pouvoirs particuliers, qui étaient conférés par un nouvel art. 18, également adopté par 1962-63 (Ont.), c. 45, et qui s’appliquaient uniquement au tabac. Pour autant que l’affaire Robbins portait sur l’application rétroactive des règlements au tabac produit en 1963, il est clair qu’elle importe peu en l’espèce. D’autres aspects distinctifs se présentaient, fondés sur le contenu de certains des règlements adoptés par le Tobacco Board où étaient reflétées des normes connues sur lesquelles ce dernier se fondait pour imposer, à cause des surplus accumulés, des limitations et des interdictions relatives à la production du tabac.
Ce en quoi l’affaire Robbins est semblable à la présente cause, c’est la façon dont le Tobacco Board avait exercé son pouvoir délégué de faire des règlements (selon les termes de l’art. 18(2)a)
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de la loi) [TRADUCTION] «prévoyant le refus d’accorder un permis de production de tabac pour tout motif jugé approprié par l’Office». La délégation de ce pouvoir au Tobacco Board par le Farm Products Marketing Board était évidemment rédigée dans ces termes, le terme « office » étant remplacé par l’expression «office local». Le Tobacco Board s’est fondé sur cette délégation pour adopter le règlement suivant:
[TRADUCTION] L’office local peut refuser d’accorder un permis de production de tabac pour tout motif qu’il juge approprié.
En confirmant la validité de ce règlement, le Juge Grant a dit ce qui suit (pp. 66-67):
[TRADUCTION] Les modifications apportées à la loi en 1963 montrent clairement que la Législature avait l’intention de conférer une discrétion absolue à l’office local relativement à l’octroi de permis de production de tabac, aux attributions annuelles d’étendues de culture du tabac et aux quotas de mise en marché du tabac. La loi ne limite aucunement la discrétion accordée à l’office et aucune de ses dispositions n’oblige celui-ci à établir des normes.
Je ne crois pas que c’est là une analyse correcte de la loi en question. On n’y tient pas compte du fait que non seulement une délégation mais également une sous-délégation est en jeu, et que le pouvoir se trouve limité par l’obligation de l’exercer au moyen de règlements. C’est là le point de vue qu’avait adopté cette Cour dans l’affaire Brent. Dans l’extrait précité de ses motifs, dans l’affaire Robbins, le Juge Grant range le pouvoir dans la catégorie de ceux que viserait l’octroi initial de pouvoirs pouvant être exercés ad hoc ou traite le pouvoir comme s’il était inclus parmi ceux qui ont été conférés d’une façon générale à l’art. 4 du Milk Act, ou à l’art. 4, identique, du Farm Products Marketing Act. J’ai déjà signalé que l’art. 8 est d’un autre ordre.
Je ne méconnais pas l’élément discrétionnaire qui est en jeu lorsque l’on octroie des pouvoirs à la Commission puis, par le biais de la sous-délégation, à l’Office en cause dans la présente espèce, comme c’était aussi le cas pour les tribunaux en cause dans l’affaire Robbins. Ce à quoi l’on peut s’occuper, selon mon interprétation du droit, ce n’est pas à l’étendue de la délégation ou de la
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sous-délégation, mais au défaut du sous-délégué (défaut de la Commission elle-même en sa qualité de déléguée) de fournir ne serait-ce qu’un minimum de directives et de précisions à l’art. 4 du règlement ontarien 52/68. On a donné à la Commission la discrétion d’établir des « règles » en certaines matières et on l’a autorisée à sous-déléguer son pouvoir à l’Office. En sa qualité d’organisme de réglementation, chacun d’eux peut conserver un pouvoir discrétionnaire quant à l’exécution ou à l’application des « règles », mais ce n’est pas le cas pour autant que l’art. 4 est en jeu. Aucune « règle » n’a été énoncée.
L’Office a constaté le besoin d’offrir certaines lignes de conduite à ceux sur lesquels il voulait exercer son autorité. H a adressé une note datée du 27 février 1968 à [TRADUCTION] « toutes les laiteries, tous les distributeurs, toutes les manufactures de lait industriel et tous les transporteurs de lait »; il y informait ceux-ci qu’on était en train de rédiger des règlements, lesquels devaient entrer en vigueur le 1er mars 1968 et devaient, entre autres choses, inaugurer des pools régionaux en vue de permettre à l’Office d’exploiter des pools pour le prix du lait liquide et, à cet égard, d’octroyer des permis à tous les producteurs, de nommer des transporteurs et d’établir cinq pools régionaux pour le prix du lait. Je remarque que cette note est datée du jour suivant le dépôt du règlement ontarien 52/68, mais il appert en outre que les règlements ontariens 52/68 (qui parlait de cinq régions de pools), 70/68 et 71/68 devaient donner suite à cette note.
L’Office avait déjà formulé sa ligne de conduite relativement aux quotas dans une déclaration du 1er novembre 1967, qui s’ajoutait à une déclaration antérieure datée du mois d’octobre de cette année-là. Cet imprimé ou cette brochure du 1er novembre 1967 indique les bases sur lesquelles on donnerait des quotas aux producteurs de lait liquide, et traite également des transferts de quotas et du maintien et de l’ajustement des quotas. Cette déclaration ne laisse pas entendre qu’un règlement serait promulgué en vue d’exercer le pouvoir délégué à l’art. 6(0 du règlement ontarien 294/65. Une déclaration révisée portant sur les quotas a été faite le 1er août 1968; encore une
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fois, il n’y est pas précisé qu’on veut incorporer la nouvelle ligne de conduite dans un règlement. Cette déclaration se termine par la phrase suivante:
[TRADUCTION] Cette ligne de conduite contient l’intention du Ontario Milk Marketing Board, mais elle est exprimée sous réserve des révisions, modifications ou opinions juridiques qui pourront intervenir.
On ne saurait soutenir, et l’on ne soutient pas, que cette déclaration était conforme au pouvoir de réglementation délégué à l’Office par la Commission. Dans une partie au moins de son règlement ontarien 70/68, l’Office a montré qu’il savait comment établir des normes dans l’exercise de son pouvoir de réglementation, comme la Commission l’avait d’ailleurs fait dans son règlement ontarien 432, portant, entre autres, sur les conditions relatives à la qualité et à l’hygiène; cette capacité d’établir des normes, l’Office l’a en outre démontrée dans son règlement ontarien 71/68 portant sur le transport.
Deux questions se posent relativement à l’arrêt Robbins; il s’agit d’abord de savoir si, eu égard aux objets semblables du Milk Act et du Farm Products Marketing Act, cet arrêt devrait être suivi à cause de la règle d’interprétation in para materia; il s’agit ensuite de savoir s’il devrait être suivi de toute façon parce qu’il est plus récent que l’arrêt Brent. Quant à la première question, je suis d’avis que ce n’est pas uniquement une question d’interprétation de lois comparables qui est en jeu, mais plutôt un principe général quant à l’étendue du pouvoir législatif délégué. La seconde question a trait à l’autorité des décisions de cette Cour dans des affaires subséquentes et a plus d’importance.
Aucune des Cours qui ont entendu et décidé la cause Robbins n’a fait mention de l’arrêt Brent dans ses motifs. A coup sûr, ce dernier a été cité, comme le révèle le factum déposé en cette Cour par les appelants dans cette cause-là. Je ne me propose pas de faire des conjectures dans les présents motifs quant à savoir pourquoi elles n’en ont pas fait mention et ne l’ont pas étudié. Quant à moi, je crois que c’était un précédent pertinent et que le principe qui y a été énoncé s’applique autant à l’affaire Robbins qu’à la présente espèce. C’est un principe que cette Cour a également
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exprimé dans l’affaire Verdun c. Sun Oil Co. Ltd., précitée. Le fait que l’affaire Robbins est plus récente que l’affaire Brent n’établit pas un principe invariable de préférence entre deux jugements de cette Cour apparemment contradictoires. Il se peut que dans l’affaire Robbins, la situation précaire à laquelle l’industrie ontarienne du tabac devait faire face ait donné lieu à une interprétation plus large du pouvoir spécial conféré à l’art. 18 du Farm Products Marketing Act, tel qu’il a été adopté par 1962-63 (Ont.), c. 45, que celle qui aurait autrement prévalu. C’est ce que le Juge Grant semble indiquer dans le dernier alinéa de ses motifs. Plus haut dans ses motifs, il avait dit que les modifications apportées à la loi étaient d’une nature [TRADUCTION] «économique et non pas simplement réglementaire». Je ne crois pas que c’est là une distinction justifiant une différence sur le plan des principes de droit. De toute façon, on ne peut invoquer aucune circonstance semblable d’urgence dans la présente cause; pour autant qu’un principe est en jeu, je suis d’avis que ce qui a été dit par cette Cour dans l’affaire Brent, et auparavant dans l’affaire Verdun c. Sun Oil Co. Ltd., devrait s’appliquer ici. Ces arrêts s’appliquent toujours même si cette Cour n’en a pas tenu compte en rendant ses motifs dans un arrêt ultérieur.
Je reviens au règlement ontarien 52/68 et aux prétentions formulées contre l’art. 7 de celui-ci, dont j’ai déjà fait mention. On soutient que l’Office ne pouvait pas être autorisé à réglementer le transport parce qu’il n’en était fait mention ni à l’art. 4 ni à l’art. 8. On soutient la même chose en ce qui concerne le règlement ontarien 71/68, déposé le 1er mars 1968, et portant en détail sur le transport. A l’encontre de cette prétention, on dit que le «transport» est compris dans la définition de l’expression «mise en marché» de l’art. 1, alinéa 15 du Milk Act, et que parmi les pouvoirs conférés à la Commission à l’art. 8 et qui peuvent être délégués à l’Office, se trouvent celui de prévoir le [TRADUCTION] «contrôle et la réglementation de la mise en marché de tout produit réglementé» (alinéa 13), celui de prévoir qu’un produit réglementé [TRADUCTION] «doit être mis en marché par ou depuis l’Office de mise en marché, ou par son intermédiaire» (alinéa 31), et celui de nommer des agents (alinéa 43). La réponse don-
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née à cette prétention composite est que l’art. 18 du Milk Act inclut expressément le «transport» (alinéa 16) dans les pouvoirs de réglementation de la Commission (à l’égard desquels l’approbation du lieutenant-gouverneur en conseil est requise), et qu’aucun de ces pouvoirs ne peut être délégué par la Commission. «Inclusio unius, exclusio alterius» semble être la proposition qui s’applique.
La liste des pouvoirs énumérés aux art. 4, 8 et 18 du Milk Act, qui doivent être exercés par la Commission en grande partie par réglementation et dans une moindre mesure sans réglementation, et dont seuls ceux qui sont prévus aux art. 4 et 8 peuvent être délégués par celle-ci, constitue presque une énumération in terrorem; à mon avis, il y a double emploi et recoupement. Ce n’est pas à moi qu’il appartient de dire comment la Législature devrait traiter les problèmes que comporte la réglementation de la mise en marché du lait, mais je ne puis croire qu’un arrangement plus symétrique, tout en étant flexible, n’aurait pas été pratique. Toutefois, je ne suis pas disposé à frustrer par une interprétation étroite le but de la loi, expressément mentionné à l’art. 2 du Milk Act, et je n’exclurais donc pas la réglementation du transport en vertu de l’art. 8(1) pour le motif qu’elle est également visée à l’art. 18. A mon avis, par conséquent, les prétentions formulées contre l’art. 7 du règlement ontarien 52/68, et contre le règlement ontarien 71/68, doivent être rejetées. En tirant cette conclusion, je ne me fonde absolument pas sur le pouvoir de nommer des agents, conféré à l’alinéa 43 de l’art. 8(1).
L’autre prétention des appelantes a trait à la validité du règlement ontarien 68/68, traitant de l’octroi de permis aux producteurs de lait. Cette prétention porte sur l’art. 3(4) du règlement qui se lit comme suit:
[TRADUCTION] L’office de mise en marché peut refuser de délivrer un permis accordant le droit de commencer à s’engager dans la production du lait, pour le motif que le requérant ne remplit pas les conditions requises, en ce qui concerne l’expérience, la solvabilité ou le matériel, pour exploiter de façon appropriée l’entreprise à l’égard de laquelle la requête est présentée, ou pour tout autre motif que l’office de mise en marché juge approprié.
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Cette disposition constitue un exercice du pouvoir délégué énoncé à l’art. 6c) du règlement ontarien 294/65 et découle directement du pouvoir conféré à la Commission par l’alinéa 3 de l’art. 8(1) de la loi (en reprenant ses termes). Pour les raisons que j’ai déjà données pour déclarer l’art. 4 du règlement ontarien 52/68 ultra vires, je suis d’avis que l’art. 3(4) du règlement ontarien 68/68 est également ultra vires.
Le règlement ontarien 70/68 est contesté pour le même motif que celui qui est invoqué contre l’art. 3 du règlement ontarien 52/68. Il découle de l’art. 6o), p) et s) du règlement ontarien 294/65, rédigé d’après les alinéas 33 et 34 de l’art. 8(1) de la loi. Les articles 3, 4 et 5 du règlement ontarien 70/68, au cœur de la contestation de ce règlement, se lisent comme suit:
[TRADUCTION] 3. Tout le lait fourni à un fabricant doit être vendu à celui-ci par l’office de mise en marché et acheté par le fabricant de l’office de mise en marché aux conditions prescrites dans le présent règlement.
4. (1) Aucun fabricant ne doit acheter du lait d’une personne autre que l’office de mise en marché.
(2) Personne, sauf l’office de mise en marché, ne doit vendre du lait à un fabricant.
(3) Aucun fabricant ne doit vendre le lait produit par un producteur.
5. Aucun fabricant ne doit traiter ou emballer du lait qui n’a pas été vendu par l’office de mise en marché.
Ces articles ne sont pas isolés; comme le dit l’art. 3, ils sont renforcés par des dispositions détaillées faisant partie du règlement ontarien 70/68. Je suis d’avis que le règlement ontarien 70/68 constitue un exercice valide du pouvoir valablement délégué à l’Office par la Commission.
Il reste à examiner les prétentions de l’appelante quant aux art. 11 et 12 du Milk Act. Je n’ai rien à ajouter sur ce point à ce qu’a dit mon collègue le Juge Judson dans ses motifs, et par conséquent, je conclus que les art. 11(2) et 12(2) n’ont pas pour effet d’exempter les appelantes de l’application des règlements ontariens 52/68 et 70/68.
En définitive, je suis d’avis d’accueillir l’appel et d’infirmer les ordonnances de la Cour d’appel de l’Ontario et du Juge Donohue pour autant qu’elles confirment la validité de l’ensemble des
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règlements ontariens 52/68 et 68/68; je suis d’avis de modifier ces ordonnances par une déclaration que Fart. 4 du règlement ontarien 52/68 et l’art. 3(4) du règlement ontarien 68/68 sont ultra vires. Les appelantes devraient avoir droit à leurs dépens en toutes les Cours.
Le jugement des Juges Abbott, Martland, Judson et Ritchie a été rendu par
LE JUGE JUDSON (dissident) — Les deux appelantes en cette Cour sont les demanderesses dans une action intentée contre la Milk Commission of Ontario (la Commission) et le Ontario Milk Marketing Board (l’Office) pour obtenir un jugement déclarant:
(a) que le règlement 294/65 de la Commission est ultra vires;
(b) que les quatre règlements de l’Office 52/68, 68/68, 70/68, 71/68, sont ultra vires; et
(c) que les règlements 52/68 et 70/68 de l’Office ne s’appliquent pas à elles, étant donné les articles 11 et 12 du Milk Act.
Le juge de première instance a rejeté l’action et la Cour d’appel a confirmé son jugement.
Les appelantes sont des producteurs, fabricants et distributeurs de lait de catégorie A, selon la définition des règlements, et elles l’étaient avant l’adoption du Milk Act de 1965. De plus, l’une des appelantes, Brant Dairy, est un transporteur de lait. Chaque appelante est propriétaire d’une ferme, d’un troupeau de vaches laitières et d’une laiterie de traitement du lait cru en vue de la fabrication des divers produits laitiers liquides. Chaque appelante distribue ces produits laitiers liquides au consommateur.
Après le 1er mars 1968, jour où les règlements de l’Office sont entrés en vigueur, ce dernier et la Commission ont cherché à obliger les appelantes à vendre à l’Office tout le lait qu’elles produisaient et à racheter celui-ci, ou d’autre lait, pour le traitement dans leurs laiteries et la distribution à leurs clients.
Les appelantes soutiennent que les articles 11 et 12 du Milk Act de 1965 les exemptent de l’application des règlements qui les obligent à vendre leurs produits à l’Office et à acheter de ce dernier
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les quantités requises pour leur opération de traitement.
Le Milk Act de 1965 a été adopté en vue de contrôler sous tous rapports la mise en marché du lait en Ontario. La loi créait la Commission et l’autorisait à faire des règlements relativement à la mise en marché du lait, y compris les quotas et les pools pour la distribution des sommes tirées de la vente du lait, et à déléguer ces pouvoirs à l’Office.
Se fondant sur l’art. 7(1) (a) du Milk Act de 1965, le lieutenant-gouverneur en conseil a fait le règlement 202/65 établissant un plan de contrôle et de réglementation de la mise en marché du lait et du fromage à l’intérieur de l’Ontario et constituant le Ontario Milk Marketing Board comme Office chargé de l’administration du plan.
Se fondant sur l’art. 8 de la loi, la Commission a fait le règlement ontarien 294/65, déléguant à l’Office les pouvoirs de réglementer la mise en marché du lait, y compris la mise en marché sur une base de quotas, et le pouvoir de diriger un pool ou des pools pour la distribution de toutes les sommes tirées de la vente du lait.
Par la suite, l’Office a fait le règlement ontarien 295/65, dans lequel il exerçait certains des pouvoirs qui lui étaient délégués par la Commission en vertu du règlement ontarien 294/65, mais l’Office n’a pas exercé son pouvoir de diriger un pool ou des pools à ce moment-là.
Puis, l’Office a fait les règlements ontariens 52/68, 70/68 et 71/68 en vue de créer le pool relatif au lait de catégorie A. En vertu de ces règlements, tous les producteurs de lait de catégorie A de la province doivent vendre leur lait uniquement à l’Office. Tout le lait de catégorie A acheté d’un producteur par l’Office de mise en marché est vendu par le producteur et acheté par l’Office sur une base de quotas. Tous les fabricants de lait de catégorie A sont tenus d’acheter uniquement de l’Office. Les producteurs doivent traiter avec des fabricants désignés, et des transporteurs sont nommés pour agir à titre d’agents de l’Office dans le transport du lait depuis les locaux du producteur jusqu’à ceux du fabricant approprié. L’Office achète le lait franco locaux du producteur et le livre au fabricant. Ce dernier paie l’Office, qui paie le producteur. Étant donné
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que le prix du lait et les frais de transport sont différents d’une région à l’autre de la province, cinq pools régionaux ont été créés pour la distribution des sommes d’argent aux producteurs.
Je parlerai d’abord des art. 11 et 12 du Milk Act. Les appelantes affirment qu’à cause du par. 2 de chacun de ces articles, les règlements 52/68 et 70/68 ne s’appliquent pas à elles. Ces articles se lisent comme suit:
[TRADUCTION] 11. (1) Quiconque est un producteur et un distributeur a, en ses qualités respectives de producteur et de distributeur, tous les droits et privilèges et est soumis à tous les devoirs et obligations d’un producteur et d’un distributeur.
(2) Quiconque est un producteur et un distributeur est censé avoir reçu en sa qualité de distributeur, de lui-même en sa qualité de producteur, le lait produit par lui qu’il distribue, et avoir conclu en cette qualité, avec lui-même en sa qualité de producteur, un contrat de mise en marché du lait, avec la réserve que les règlements, ordonnances, directives, ententes et répartitions et les ententes et répartitions renégociés faites en vertu de la présente loi, s’appliqueront.
12. (1) Quiconque est un producteur et un fabricant a, en ses qualités respectives de producteur et de fabricant, tous les droits et privilèges et est soumis à tous les devoirs et obligations d’un producteur et d’un fabricant.
(2) Quiconque est un producteur et un fabricant est censé avoir reçu en sa qualité de fabricant, de lui-même en sa qualité de producteur, le lait produit par lui qu’il transforme, et avoir conclu en cette qualité, avec lui-même en sa qualité de producteur, un contrat de mise en marché du lait, avec la réserve que les règlements, ordonnances, directives, ententes et répartitions et les ententes et répartitions renégociées faites en vertu de la présente loi, s’appliqueront.
La seule différence entre les deux articles, c’est que l’art. 11 parle des «producteurs et distributeurs» alors que l’art. 12 parle des «producteurs et fabricants». Les deux appelantes sont des producteurs, fabricants et distributeurs. Le paragraphe (1) de chacun des articles précités montre clairement que les appelantes ont, en leurs qualités respectives, tous les droits et privilèges mais sont également soumises à tous les devoirs et obligations édictés par la loi. Il s’agit de savoir si les
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paragraphes 2 modifient ou restreignent l’application des paragraphes 1, en ce qui concerne les appelantes. A mon avis, ils ne le font pas.
Les paragraphes 2 ont été adoptés par suite de certaines observations faites en cette Cour dans la cause Crawford et ai c. Procureur général de la Colombie-Britannique[9], dans laquelle le British Columbia Milk Industry Act a été étudié. Le plan de mise en marché prévu par cette loi était fondamentalement différent de celui qui est actuellement en vigueur en Ontario. En vertu de la loi de la Colombie-Britannique, les producteurs pouvaient conclure leurs propres contrats avec les fabricants en ce qui concerne les moments de livraison et les quantités, mais uniquement à un prix unifié établi par la British Columbia Milk Board. L’objet de ce prix unifié était de fixer, pour tous les acheteurs, un prix fondé sur une combinaison du prix du lait à l’état liquide (plus élevé) et du prix du lait de transformation (moins élevé). En vertu de la loi de la Colombie-Britannique, le plan prévoyait que les acheteurs qui vendaient plus de lait que les autres acheteurs sur le marché du lait liquide seraient tenus de rendre compte, par l’intermédiaire de l’Office, à ces autres acheteurs qui vendaient moins qu’eux. L’objet ultime, c’était que chaque producteur de lait accepté devait avoir un prix unifié uniforme pour son produit, indépendamment de l’utilisation finale de son lait.
Cette Cour a fait le commentaire suivant:
[TRADUCTION] Il faut interpréter l’art. 44 de la loi comme imposant aux producteurs-vendeurs les obligations d’un vendeur qui, par leur nature, sont applicables. La relation qui existe entre un producteur et un vendeur, du genre dont il a été question plus tôt, est celle qui existe entre un vendeur et un acheteur, et l’obligation imposée par l’article 24 s’applique au vendeur en sa qualité d’acheteur. Étant donné qu’on ne peut conclure un contrat avec soi-même, cette partie de l’ordonnance ne peut pas viser les producteurs-vendeurs.
La question de savoir si l’office prend, dans ses marchés avec les producteurs-vendeurs, des mesures auxquelles on pourrait s’opposer parce qu’elles ne sont pas dans les limites de ses attributions, ne peut être tranchée à l’aide des données à notre disposition.
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Pour comprendre le problème, il faut noter que dans la loi de la Colombie-Britannique, le terme «vendeur» est employé dans le sens de fabricant ou de distributeur. Par conséquent, il semblerait que les paragraphes (2) des articles 11 et 12 ont été adoptés par la législature ontarienne en vue de régler le problème discuté dans l’affaire Crawford, au cas où l’Office adopterait une technique de mise en marché semblable à celle qui existe en Colombie-Britannique, c’est-à-dire, en vertu de laquelle les producteurs vendent le lait aux acheteurs à un prix unifié fixé par l’Office.
A la suite de la décision rendue en cette Cour, la Colombie-Britannique a modifié sa loi en adoptant un libellé qui correspond à celui du par. (2) des articles 11 et 12. Ces modifications ont été approuvées en Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans la cause Milk Board v. Hillside Farm Dairy Ltd. et al.[10]
Le plan ontarien présentement à l’étude est différent du plan de la Colombie-Britannique examiné dans l’affaire Crawford. En somme, on peut dire que le plan de la Colombie-Britannique est un système de péréquation de paiements à être effectués par les producteurs qui vendent directement aux fabricants ou aux distributeurs. Le règlement ontarien 52/68, présentement à l’étude, oblige les producteurs à vendre leur lait à l’Office et seulement à celui-ci. Le règlement ontarien 70/68 oblige les fabricants à acheter le lait de l’Office et uniquement de celui-ci. Dans ces conditions, par conséquent, les paragraphes un sont clairement applicables et les paragraphes deux ne s’appliquent pas.
Règlement 294/65 de la Commission
Le plan que nous examinons a été établi par le règlement ontarien 202/65. Il s’agissait d’un règlement fait par le lieutenant-gouverneur en conseil en vertu de l’article 7 de la loi. Ce règlement portait sur la mise en marché du lait et du fromage à l’intérieur de l’Ontario et créait l’Office en vue d’administrer le plan. Vint ensuite le règlement ontarien 294/65, fait par la Commission en vertu de l’article 8 de la loi. Il délègue des pouvoirs étendus à l’Office de mise en marché en ce qui concerne la réglementation des permis, des quotas, de l’obligation pour les producteurs de vendre à l’Office de mise en marché ou par son
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intermédiaire, et de l’interdiction de traiter ou d’emballer le lait qui n’a pas été vendu à l’Office de mise en marché, ou par lui ou par son intermédiaire. Il confère le pouvoir de déterminer les prix et de diriger des pools. Ce règlement (294/65) de la Commission est contesté pour le motif qu’il tend à déléguer à l’Office des pouvoirs plus étendus que ceux que la Commission est autorisée à déléguer et est donc entièrement ultra vires.
Les motifs précis pour lesquels la délégation est contestée sont énoncés aux paragraphes 14 et 15 de la déclaration:
[TRADUCTION] 14. Le règlement ontarien 294/65 de la Commission est ultra vires des pouvoirs de celle-ci parce que les alinéas (c) et (i) de l’article 6 de ce règlement délèguent à l’Office le pouvoir de faire des règlements relativement au refus d’accorder des permis, à la fixation et à l’attribution des quotas, au refus de fixer et attribuer ces quotas et à l’annulation ou à la réduction des quotas pour tout motif que l’Office juge approprié, en contravention des termes précis du Milk Act, 1965, article 8.
15. Le règlement ontarien 294/65 de la Commission est ultra vires des pouvoirs de celle-ci parce que l’alinéa (h) de l’article 7 de ce règlement autorise l’Office à diriger des pools pour la distribution des sommes d’argent tirées de la vente du lait alors que pareils pools n’ont pas été établis.
Les pouvoirs de la Commission dans ces matières sont énoncés à l’art. 8(1) de la loi, aux alinéas (3) et (11) respectivement. Le pouvoir de délégation de la Commission est énoncé à l’article 8(6) de la loi dans les termes suivants:
[TRADUCTION] 8. (6) La Commission peut déléguer à un office de mise en marché les pouvoirs à elle conférés au paragraphe (1) qu’elle juge nécessaires et peut en tout temps mettre fin à pareille délégation.
Ce sont là des termes très clairs. Ce que la Commission a fait dans le règlement ontarien 294/65, c’est de déléguer à l’Office ses pouvoirs en matière d’octroi de permis et de fixation de quotas, définis en termes précis par la loi à l’art. 8(1), alinéa 3, et à l’art. 8(1), alinéa 11. La loi n’exige pas que la Commission fixe elle-même les normes relatives aux permis ou aux quotas; en vertu de la loi, elle a le pouvoir de déléguer à l’Office tous ses pouvoirs discrétionnaires quant
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à ces deux matières. En interprétant la loi simplement, je n’ai aucun doute en ce qui concerne cette délégation.
Un pouvoir semblable de délégation était en jeu dans la cause Robbins et al. v. Ontario Flue-Cured Tobacco Growers’ Marketing Board[11], dont la décision a été confirmée par la Cour d’appel de l’Ontario[12] et par cette Cour[13]. A mon avis, l’arrêt rendu dans cette cause fait clairement échec aux prétentions des appelantes sur la question de la délégation.
Les autres règlements contestés sont quatre règlements de l’Office: 52/68, 68/68, 70/68 et 71/68.
52/68
Ce règlement oblige chaque producteur à vendre le lait qu’il produit à l’Office de mise en marché et interdit toute vente à un tiers. Il interdit également à toute autre personne que l’Office de mise en marché d’acheter le lait. Il prévoit également l’établissement de quotas. Le règlement est contesté pour le motif qu’il ne peut viser les producteurs et fabricants et les producteurs et distributeurs, étant donné les articles 11 et 12 de la loi. J’ai déjà répondu à cet argument.
Le pouvoir de l’Office de réglementer les quotas est également contesté, particulièrement son pouvoir d’annuler ou de réduire ou de refuser d’augmenter les quotas [TRADUCTION] «pour tout motif que l’Office juge approprié». Son pouvoir d’établir et de réglementer des pools est également contesté, ainsi que son pouvoir de réglementer le transport.
A mon avis, tous ces pouvoirs font partie des pouvoirs que la Commission avait valablement délégués à l’Office.
68/68
L’article 3 de ce règlement, qui traite de l’octroi des permis, est contesté pour l’un des motifs précités, soit, que l’Office peut refuser de délivrer un permis parce que les conditions relatives à l’expérience, à la solvabilité ou au matériel ne sont pas remplies ou [TRADUCTION] «pour tout autre motif que l’Office de mise en marché juge approprié». Cette prétention a déjà été examinée.
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70/68
Les articles 3 et 4 de ce règlement traitent de l’obligation, pour les fabricants, d’acheter de l’Office et de vendre à l’Office. Ce règlement est contesté pour le motif qu’il va à rencontre des articles 11 et 12 du Milk Act. J’ai déjà parlé de cette question.
71/68
Ce règlement traite du transport du lait de catégorie A et édicté que chaque transporteur (nommé par l’Office de mise en marché à titre d’agent pour le transport du lait) doit transporter le lait en respectant les conditions prescrites dans le règlement. Ce dernier règlement est contesté pour le motif qu’il ne serait pas autorisé. Cette objection n’est pas valable. L’article 1(15) de la loi définit le terme «mise en marché» comme incluant le transport. L’article 8(1), alinéa (13), de la loi permet à la Commission de prévoir [TRADUCTION] «le contrôle et la réglementation de la mise en marché de tout produit réglementé», et en vertu de l’article 8(1), alinéa (31), la Commission a le pouvoir de faire des règlements prévoyant que le produit réglementé doit être mis en marché par ou depuis l’Office de mise en marché, ou par son intermédiaire. L’article 8(1), alinéa (43), permet à la Commission à faire des règlements autorisant tout office de mise en marché à nommer des agents, à établir leurs fonctions dans les conditions d’emploi, et à fixer leur traitement.
Tous ces pouvoirs, la Commission peut les déléguer à l’Office de mise en marché en vertu de l’article 8(6) de la loi, ce qu’elle a fait en vertu de son règlement ontarien 294/65. L’Office a valablement exercé les pouvoirs qui lui avaient été délégués.
Pour ces motifs, je suis d’avis de confirmer les jugements des cours d’instance inférieure qui ont rejeté l’action déclaratoire.
En cette Cour, pour la première fois dans le présent litige, les appelantes ont soulevé une question constitutionnelle — qui n’a été ni mentionnée dans les conclusions, ni plaidée devant les cours d’instance inférieure. La question est énoncée, par une ordonnance de cette Cour datée du 9 septembre 1971, en ces termes:
Les règlements ontariens 294/65, 52/68, 68/68 et 70/68 sont-ils ultra vires des pouvoirs de la Milk
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Commission of Ontario et du Ontario Milk Marketing Board pour le motif que leurs dispositions ne sont pas restreintes dans leur application (soit expressément, soit implicitement) au commerce intra-provincial et constituent donc une législation qui ne pourrait être adoptée qu’en vertu des pouvoirs que l’article 91, alinéa 2, de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique a conférés au Parlement canadien?
Les appelantes soutiennent que ces règlements sont ultra vires parce qu’ils ne sont pas restreints dans leur application, soit expressément, soit implicitement, au commerce intra-provincial, et qu’ils visent le lait et la mise en marché du lait produit à l’intérieur de l’Ontario aux fins de l’exportation ainsi que le lait produit ailleurs et importé, et interdisent le commerce interprovincial du lait en ce qui concerne l’Ontario.
D’autre part, la Commission, l’Office et les provinces représentées dans le présent appel soutiennent qu’aucune question constitutionnelle ne se pose, que les règlements ne portent pas atteinte au pouvoir fédéral en matière de réglementation du trafic et du commerce, et que, bien interprétés, ils ne s’appliquent qu’au commerce intra-provincial du lait et non au commerce interprovincial de cette denrée. Ils ajoutent que l’Office n’a pas revendiqué et ne revendique pas, en vertu de ces règlements, le pouvoir de réglementer la mise en marché du lait, dans le cadre du commerce interprovincial, et que rien ne prouve que l’Office ait déjà tenté de le faire. La constitutionnalité même du Milk Act n’est pas en jeu dans le présent appel et n’est pas contestée par les appelantes.
L’article 2 du Milk Act renferme la déclaration suivante:
[TRADUCTION] 2. La présente loi a pour but et objet le contrôle et la réglementation, sous tous ses aspects,
(a) de la mise en marché du lait, de la crème ou du fromage, ou de toute combinaison de ceux-ci, à l’intérieur de l’Ontario, y compris l’interdiction de pareille mise en marché en totalité ou en partie, et
(b) de la qualité du lait, des produits laitiers et des produits laitiers liquides à l’intérieur de l’Ontario.
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De plus, chacun des règlements contestés renferme la disposition maîtresse suivante:
[TRADUCTION] Le présent règlement vise le contrôle et la réglementation, sous tous ses aspects, de la mise en marché du lait à l’intérieur de l’Ontario, y compris l’interdiction de pareille mise en marché en totalité ou en partie.
On peut établir des distinctions claires entre la présente cause et le jugement que cette Cour a rendu récemment dans le Renvoi concernant les œufs du Manitoba[14], jugement selon lequel le plan examiné dans cette cause-là avait pour but de restreindre ou de limiter le commerce interprovincial en vue de permettre aux producteurs du Manitoba de restreindre ou de limiter, par l’intermédiaire de l’Office devant être établi en vertu de la loi projetée, au moyen de quotas de contrôle, l’entrée des œufs sur le marché provincial.
Les règlements contestés ne font que réglementer la mise en marché du lait produit, traité et distribué en Ontario. Rien dans ces règlements n’indique que la Commission ou l’Office avaient l’intention de restreindre ou de contrôler la libre circulation des échanges commerciaux interprovinciaux. Aucune disposition ne tend à régir le commerce interprovincial du lait ou à autoriser sa restriction. S’il en était ainsi, ce serait à rencontre de l’objet déclaré de la loi, dont nous avons parlé ci-dessus, et de chaque règlement. Chaque règlement doit s’interpréter de façon à s’appliquer d’une façon restreinte et rien ne laisse supposer que l’un d’entre eux a pour but de restreindre ou de contrôler le commerce interprovincial.
Les règlements ne s’appliquent à bon droit qu’à une catégorie restreinte de personnes et d’opérations, soit à l’octroi de permis de producteur, en Ontario, aux producteurs de lait de l’Ontario et à la vente ou à la mise en marché du lait en Ontario par l’intermédiaire du Ontario Milk Marketing Board, ainsi qu’au traitement du lait en Ontario par les fabricants ontariens. Rien dans les règlements n’indique qu’ils ne visent pas exclusivement des personnes et des opérations relevant de la compétence territoriale de la province.
Dans le présent appel, il n’existe aucune preuve selon laquelle on aurait cherché à réglementer des échanges relevant du commerce interprovincial du
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lait. Il n’existe aucune preuve indiquant que les règlements visent à régler certains problèmes relatifs au commerce interprovincial. Par conséquent, on ne saurait déduire que les règlements doivent s’interpréter comme visant le commerce interprovincial. De plus, il n’existe aucune preuve, quant à l’application des règlements, propre à favoriser l’interprétation que ceux-ci ne sont pas intra vires.
Il n’existe non plus aucune preuve que les demanderesses se sont livrées au commerce interprovincial du lait produit ou traité dans leurs laiteries. Les faits, tels qu’ils ressortent, indiquent plutôt le contraire: que le lait traité par les deux laiteries était produit localement et qu’après le traitement, il était distribué et consommé localement. Il n’existe aucune preuve que la Milk Commission of Ontario ou le Ontario Milk Marketing Board aient appliqué ou tenté d’appliquer quelque partie du plan de mise en marché établi par les règlements au lait produit en Ontario et destiné à être traité ou consommé en dehors de la province, ou au lait produit en dehors de l’Ontario et destiné à être traité ou consommé à l’intérieur de l’Ontario. Dans le présent appel, nous ne faisons pas face aux problèmes qui pourraient se présenter si l’on avait tenté d’appliquer ces règlements de façon à contrôler ou à entraver le commerce interprovincial du lait.
Le critère permettant de déterminer si un plan de mise en marché ou son administration par la province est ultra vires et celui qui a été appliqué dans le Renvoi du Manitoba (M. le Juge Martland, p. 703). Le plan est-il «destiné à restreindre ou à limiter la libre circulation des échanges commerciaux entre les provinces comme telles»? Eu égard aux faits du présent appel, on ne saurait conclure que les règlements ontariens 294/65, 52/68, 68/68 et 70/68 sont destinés à réaliser un tel objet.
Je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens et de répondre non à la question concernant la constitutionnalité.
LE JUGE SPENCE — J’ai eu l’occasion d’examiner les motifs écrits de mes collègues les Juges Judson et Laskin; je n’ai pas à reprendre l’analyse détaillée qu’ils ont faite des circonstances. J’ai conclu que je suis disposé à souscrire à l’avis ex-
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primé par mon collègue le Juge Laskin dans ses motifs, sauf une exception. Le Juge Laskin a adopté l’avis de mon collègue le Juge Judson que les art. 11(2) et 12(2) du Milk Act, 1965 (Ont.), c. 72, ne s’appliquent pas ici. Avec regret, je ne puis souscrire à cet avis. Certes, je suis disposé à accepter l’analyse de mon collègue le Juge Judson, d’après laquelle ces articles ont été adoptés à la suite de la décision que cette Cour avait rendue dans l’affaire Crawford et al. c. Le procureur général de la Colombie-Britannique et al.[15], décision dans laquelle le Juge Locke, pp. 357 et 358, avait fait la déclaration citée par le Juge Judson dans ses motifs. A la suite de cette déclaration, des modifications furent apportées à la loi de la Colombie-Britannique; elles ont le même effet que celles qui apparaissent maintenant aux art. 11(2) et 12(2) du Milk Act ontarien et elles ont été maintenues dans l’arrêt Milk Board v. Hillside Farm Dairy Ltd. et al.[16]
Bien que les articles aient eu pour origine la situation dans laquelle la législature envisageait un système de péréquation de paiements à être effectués par les producteurs qui vendent directement aux fabricants ou aux distributeurs, les textes des deux paragraphes ne contiennent rien limitant leur application à pareil plan. Les articles 11 et 12 édictent ce qui suit:
[TRADUCTION] 11. (1) Quiconque est un producteur et un distributeur a, en ses qualités respectives de producteur et de distributeur, tous les droits et privilèges et est soumis à tous les devoirs et obligations d’un producteur et d’un distributeur.
(2) Quiconque est un producteur et un distributeur est censé avoir reçu en sa qualité de distributeur, de lui-même en sa qualité de producteur, le lait produit par lui qu’il distribue, et avoir conclu en cette qualité, avec lui-même en sa qualité de producteur, un contrat de mise en marché du lait, avec la réserve que les règlements, ordonnances, directives, ententes et répartitions et les ententes et répartitions renégociées faites en vertu de la présente loi, s’appliqueront.
12. (1) Quiconque est un producteur et un fabricant a, en ses qualités respectives de producteur et de fabricant, tous les droits et privilèges et est soumis à tous les devoirs et obligations d’un producteur et d’un fabricant.
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(2) Quiconque est un producteur et un fabricant est censé avoir reçu en sa qualité de fabricant, de lui-même en sa qualité de producteur, le lait produit par lui qu’il transforme, et avoir conclu en cette qualité, avec lui-même en sa qualité de producteur, un contrat de mise en marché du lait, avec la réserve que les règlements, ordonnances, directives, ententes et répartitions et les ententes et répartitions renégociées faites en vertu de la présente loi, s’appliqueront.
Par conséquent, nous voyons que, par leurs termes mêmes, le paragraphe (2) de l’art. 11 et le paragraphe (2) de l’art. 12 s’appliquent généralement à tout plan pouvant être adopté pour contrôler la production, le traitement et la distribution du lait.
Dans le Milk Act, l’utilisation possible de divers plans est prévue. L’alinéa (16) du par. (1) de l’art. 8 prévoit l’adoption par la Commission de règlements autorisant un office de mise en marché à déterminer de temps en temps le prix ou les prix qui doivent être payés pour le produit réglementé ou pour tout genre, espèce, catégorie ou grosseur de celui-ci, envisageant ainsi un plan semblable à celui qui s’applique en Colombie-Britannique. Si la commission ontarienne avait adopté un plan semblable en Ontario, les art. 11(2) et 12(2) auraient remédié à l’anomalie signalée par le Juge Locke dans l’affaire Crawford. En Ontario, la commission a choisi un système différent, qui prévoit que tout le lait doit être vendu à l’office de mise en marché et que le lait ou les produits laitiers peuvent seulement être achetés par les fabricants ou les distributeurs dudit office. Donc, pour tous ceux qui sont uniquement producteurs, uniquement fabricants ou uniquement distributeurs, le plan s’applique conformément aux règlements. Lorsque quelqu’un est à la fois producteur et fabricant ou fabricant et distributeur, ou encore producteur, fabricant et distributeur, les art. 11(2) et 12(2) empêchent clairement l’art. 3 du règlement 52/68 et les art. 3 et 5 du règlement 70/68 de s’appliquer. L’article 3 du règlement 52/68 édicte ce qui suit:
[TRADUCTION] 3. (1) Chaque producteur doit offrir en vente et vendre le lait qu’il produit à l’office de mise en marché.
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(2) Aucun producteur ne doit offrir en vente ni vendre le lait qu’il produit à une personne autre que l’office de mise en marché.
(3) Personne, sauf l’office de mise en marché, ne doit acheter du lait d’un producteur.
Les art. 3 et 5 du règlement 70/68 édictent ce qui suit:
[TRADUCTION] 3. Tout le lait fourni à un fabricant doit être vendu à celui-ci par l’office de mise en marché et acheté par le fabricant de l’office de mise en marché aux conditions prescrites dans le présent règlement.
5. Aucun fabricant ne doit traiter ou emballer du lait qui n’a pas été vendu par l’office de mise en marché.
Lorsqu’une loi édicte, comme le font les art. 11(2) et 12(2), que celui qui est à la fois producteur et distributeur est réputé avoir reçu le lait, en sa qualité de distributeur, de lui-même en sa qualité de producteur, et que celui qui est producteur et fabricant est réputé avoir reçu de lui-même en sa qualité de producteur le lait qu’il traite, et que dans un cas comme dans l’autre cette personne est réputée contracter avec elle-même en sa double qualité, la disposition d’un règlement l’obligeant à vendre à l’office, à un titre, et à acheter de l’office, à un autre titre, et ce, exclusivement dans chaque cas, est en tous points contraire aux dispositions de la loi. Bien entendu, il est inutile de citer un précédent à l’appui de la proposition qu’aucun règlement ne peut renfermer une disposition contraire à la loi qui autorise les règlements et en ce qui concerne l’art. 3 du règlement 52/68 et les art. 3 et 5 du règlement 70/68, la contradiction est manifeste.
Je ne puis convenir que parce que la législature peut avoir envisagé un plan défini lorsqu’elle a adopté les art. 11(2) et 12(2), on peut ne pas tenir compte des dispositions de ces paragraphes (2) lorsque la Commission adopte un plan différent. Comme je l’ai dit, en vertu de la loi, la Commission aurait pu adopter tout plan qu’elle estimait approprié, et si la législature avait voulu que certaines des dispositions de la loi ne s’appliquent que si la Commission adoptait un certain plan et que d’autres dispositions ne s’appliquent qu’en cas d’adoption d’un autre plan par la Com-
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mission, la loi aurait pu être rédigée en conséquence. Aucune disposition législative à cet effet n’a été adoptée et toute tentative de limiter les termes généraux d’une loi au cas où la Commission adopte un certain plan et de ne pas en tenir compte lorsque la Commission adopte un autre plan est, selon moi, contraire au principe bien établi d’interprétation des lois que recouvre la méthode d’interprétation diversement appelée naturelle, ordinaire ou littérale. Dans l’arrêt Salomon v. A. Salomon & Co., Ltd.[17], p. 38, Lord Watson a dit ce qui suit:
[TRADUCTION] Dans une cour de justice ou d’equity, on ne peut s’assurer à bon droit de ce que la législature voulait imposer ou ne pas imposer qu’en se fondant sur ce qu’elle a choisi d’adopter soit en termes exprès, soit par implication raisonnable et nécessaire.
On peut trouver bon nombre d’autres exemples de cette règle bien connue et je n’ai pas à les énoncer ici.
Pour ces motifs, je suis d’avis que l’art. 3 du règlement 52/68 et les art. 3 et 5 du règlement 70/68 sont ultra vires parce qu’ils sont contraires aux dispositions claires des art. 11(2) et 12(2) du Milk Act et qu’ils excèdent donc les pouvoirs conférés par ce dernier.
Par conséquent, je suis d’avis d’accueillir l’appel comme en a disposé mon collègue le Juge Laskin; de plus, j’annulerais ledit art. 3 du règlement 52/68 et les art. 3 et 5 du règlement 70/68.
Je suis également d’avis d’accorder leurs dépens aux appelantes en toutes les Cours.
Appel accueilli avec dépens, les Juges ABBOTT, MARTLAND, JUDSON et RITCHIE étant dissidents.
Procureurs des demanderesses, appelantes: Waterous, Holden, Kellock & Kent, Brantford.
Procureur de la défenderesse, intimée, The Milk Commission of Ontario: F.F. Gallant, Toronto.
Procureurs du défendeur, intimé, The Ontario Milk Marketing Board: Fleming, Harris, Barr, Hildebrand & Co.,St. Catharines.
[1] Sub. nom. Augustine’s Farm Dairy et al. v. Milk Commission of Ontario et al., [1971] 2 O.R. 119, 17 D.L.R. (3d) 155.
[2] [1960] A.C. 337.
[3] [1956] R.C.S. 318.
[4] [1952] 1 R.C.S. 222.
[5] [1965] R.C.S. 431.
[6] [1964] 1 O.R. 653.
[7] [1964] 1 O.R. 56.
[8] [1943] R.C. S. 1.
[9] [1960] R.C.S. 346, 358, 22 D.L.R. (2d) 321.
[10] (1963), 43 W.W.R. 131, 40 D.L.R. (2d) 731.
[11] [1964] 1 O.R. 56, 41 D.L.R. (2d) 107.
[12] [1964] 1 O.R. 653, 43 D.L.R. (2d) 413.
[13] [1965] R.C.S. 431, 52 D.L.R. (2d) 96.
[14] [1971] R.C.S. 689.
[15] [1960] R.C.S. 346, 22 D.L.R. (2d) 321.
[16] (1963), 43 W.W.R. 131, 40 D.L.R. (2d) 731.
[17] [1897] A.C. 22.