Cour suprême du Canada
Assessment Commissioner c. Mennonite Home Association, [1973] R.C.S. 189
Date: 1972-10-18
The Assessment Commissioner of The Corporation of the Village of Stouffville (Plaignant) Appelant;
et
The Mennonite Home Association of York County and the Corporation of the Village of Stouffville (Défendeurs) Intimées.
1972: Les 8 et 9 mars; 1972: le 18 octobre.
Présents: Les Juges Judson, Ritchie, Hall, Spence et Laskin.
EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.
APPEL d’un jugement de la Cour d’appel de l’Ontario[1], rejetant un appel du Juge de comté Weaver. Appel rejeté, les Juges Judson et Laskin étant dissidents.
B. Chernos, pour l’appelant.
J.D. Lucas, C.R., pour l’intimée, The Corporation of the Village of Stouffville.
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R.S. Mills, C.R., pour l’intimée, The Mennonite Home Association of York County.
LE JUGE JUDSON (dissident) — La question en litige en cet appel est de savoir si un foyer pour personnes âgées, propriété de la Mennonite Home Association, qui en assure le fonctionnement, est visé par l’exemption d’imposition prévue à l’art. 4, al. 12, suivant de The Assessment Act of Ontario:
4. Tous les biens immeubles en Ontario sont assujettis à l’évaluation et à l’imposition, sous réserve des exemptions suivantes quant à l’imposition:
12. Les biens-fonds d’une institution de charité constituée en corporation et créée dans le but de secourir les pauvres, de la Société canadienne de la Croix-Rouge, de l’Association ambulancière Saint-Jean, ou de toute institution semblable constituée en corporation et conduite selon des principes philanthropiques et non en vue d’un bénéfice ou d’un gain, qui est entretenue, du moins en partie, par des fonds publics, mais seulement lorsque le bien-fonds est la propriété de l’institution et qu’il est occupé pour les fins de l’institution.
Le juge de la Cour de comté et la Cour d’appel, à la majorité, ont décidé que l’exemption vise le foyer parce qu’il est fondamentalement semblable à une institution de charité créée dans le but de secourir les pauvres.
La Mennonite Home Association du comté de York a été constituée en corporation par lettres patentes, datées du 21 mai 1964, où sont énumérés les objets suivants:
a) Fournir un foyer destiné au soin et à la sécurité des personnes âgées membres de la collectivité de Stoufïville-Markham et du district environnant et des églises qui en assurent l’entretien;
b) Remplir la mission de l’Église;
c) Créer des occasions de rendre service; et
d) Devenir un symbole de la foi et de la pratique de l’Église,
et les lettres patentes déclarent:
[TRADUCTION] Et il est par les présentes ordonné et déclaré que la Corporation fonctionnera sans recherche de gain pour ses membres, et tous bénifices ou autres majorations afférant à la Corporation seront employés à promouvoir ses objets.
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L’Association a acquis la propriété en question en juillet 1964 et elle a érigé sur le terrain un bâtiment d’un étage pouvant assurer le soin de 63 personnes, de même que l’hébergement du personnel permanent nécessaire. En 1965, le ministère du Bien-être social de l’Ontario a versé une contribution de $150,000 à l’égard du coût en capital du bâtiment.
Depuis l’érection de cette construction en 1965, l’Association a assuré l’entretien et le fonctionnement d’un foyer destiné principalement au soin de personnes âgées. Ce foyer est semblable à une maison de repos, avec la réserve qu’il fournit ce qu’on a appelé des soins normaux, mais non pas des soins aux personnes alitées ou requérant des soins spéciaux.
Il n’existe pas de critère ni d’enquête quant aux ressources des personnes qui demandent à être hébergées au foyer. Il n’y a pas de restriction de race ou de religion, la seule condition d’admission étant qu’il s’agisse de personnes âgées ayant besoin des services que dispense le foyer.
Le tarif per diem par résident se fonde chaque année sur le coût estimatif d’entretien du foyer. Actuellement, le tarif mensuel est de $165 par mois par personne pour une chambre de deux lits et de $175 par mois pour une chambre à un lit. Si un résident est incapable d’acquitter le plein tarif mensuel, l’écart est en majeure partie comblé par des versements faits à l’Association en son nom par le ministère du Bien-être social. En 1968, sept résidents ont été incapables de verser le plein montant et l’Association a reçu $3,869 du ministère du Bien-être social pour le compte de ces personnes.
Je rejette toute interprétation du par. 12 qui voudrait restreindre l’examen de la question de ressemblance à la Croix-Rouge canadienne et à l’Association ambulancière Saint-Jean. Ce sont là des œuvres de charité uniques et il est difficile d’imaginer quelque chose qui leur ressemble. Voici donc la vraie question: la Home Association estelle semblable à une association constituée en corporation et créée dans le but de secourir les pauvres? Il s’agit manifestement d’une association constituée en corporation et conduite selon des principes philanthropiques et non en vue d’un bénéfice ou d’un gain. Son but est-il de secourir les
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pauvres? Elle offre aux personnes âgées le soin et la sécurité, mais contre une rémunération qui couvre ses frais d’entretien. Les rares personnes incapables d’acquitter ces frais reçoivent du ministère du Bien-être social une allocation qui est versée directement au foyer en leur nom. La pauvreté n’est pas une condition sine qua non de l’admission au foyer. Une telle condition irait à l’encontre de son œuvre, qui confère un avantage réel aux personnes en mesure de s’en prévaloir. Mais cet avantage public n’équivaut pas à du secours apporté aux pauvres.
J’adopte aussi les motifs du Juge Laskin lorsqu’il dit qu’il ne s’agit pas d’une institution «entretenue, du moins en partie, par des fonds publics».
Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et de déclarer que la Mennonite Home Association du comté de York n’a pas droit à l’exemption demandée. Il n’y a pas de réclamation de dépens en cette Cour. L’appelante a droit à ses dépens en première instance et à la Cour d’appel.
Le jugement des Juges Ritchie, Hall et Spence a été rendu par
LE JUGE SPENCE — J’ai eu l’occasion de lire attentivement les motifs en voie d’être rendus par M. le Juge Judson. Cependant, je dois dire qu’à mon avis le présent pourvoi devrait être rejeté.
La question, évidemment, porte sur l’interprétation de l’art. 4, alinéa 12, de The Assessment Act, R.S.O. 1960, c. 23, maintenant l’art. 3 du c. 32 des R.S.O. 1970:
[TRADUCTION] 4. Tous les biens immeubles en Ontario sont assujettis à l’évaluation et à l’imposition, sous réserve des exemptions suivantes quant à l’imposition:
12. Les bien-fonds d’une institution de charité constituée en corporation et créée dans le but de secourir les pauvres, de la Société canadienne de la Croix-Rouge, de l’Association ambulancière Saint-Jean, ou de toute institution semblable constituée en corporation et conduite selon des principes philanthropiques et non en vue d’un bénéfice ou d’un gain, qui est entretenue, du moins en partie, par des fonds publics, mais seulement lorsque le bien-fonds est la propriété de l’institution et qu’il est occupé pour les fins de l’institution.
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Le principe fondamental de l’évaluation en Ontario est celui qui est énoncé au début de l’article:
[TRADUCTION] Tous les biens immeubles en Ontario sont assujettis à l’évaluation et à l’imposition, sous réserve des exemptions suivantes quant à l’imposition:
(J’ai mis les mots en italique) et, par conséquent, il faut déterminer si les termes de l’alinéa 12 visent l’appelante. Il est, bien entendu, clairement établi que même si les termes de la loi doivent nettement imposer la taxe afin d’y assujettir la personne visée, celle-ci doit, à son tour, établir clairement que son cas s’insère dans l’exemption si elle veut s’en prévaloir.
Le jugement, en première instance, du Juge Weaver de la Cour de comté et celui de la Cour d’appel ont porté sur la question de savoir si la règle ejusdem generis doit s’appliquer à l’interprétation dudit alinéa 12. Craies on Statute Law, 7e éd., à la p. 181, énonce la règle générale dans les termes suivants:
[TRADUCTION] La règle ejusdem generis est une règle qu’il faut appliquer avec prudence et ne pas pousser trop loin,…
Pour invoquer l’application de la règle ejusdem generis, il faut être en présence d’un genre distinct ou d’une catégorie distincte. Les mots précis doivent s’appliquer non pas à divers objets d’un caractère bien différent mais à quelque chose qui peut s’appeler une classe ou sorte d’objets. En l’absence de cet élément, la règle ne peut pas s’appliquer, mais la mention d’une seule espèce ne constitue pas un genre.
Dans ledit alinéa 12, les «mots précis» sont:
[TRADUCTION] (i) les biens-fonds d’une institution de charité constituée en corporation et créée dans le but de secourir les pauvres;
(ii) La Société canadienne de la Croix-Rouge; et
(iii) L’Association ambulancière Saint-Jean
Bien respectueusement, je suis d’accord avec M. le Juge d’appel Jessup lorsque, se référant à ces trois différents objets, il dit:
[TRADUCTION] A mon avis, les exemptions spécifiées dans l’art. 4(12) ne comprennent pas un genre unique qui doive donner aux termes généraux du
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paragraphe leur signification. Elles indiquent plutôt trois classes ou sortes distinctes d’institutions. S’il était nécessaire de décrire le genre commun aux diverses exemptions spécifiées au par. 12, on en arriverait à une classe si générale, par exemple, les actes de bienfaisance envers l’humanité, que les exemptions spécifiées deviendraient redondantes.
On peut constater bien peu de ressemblance entre la Société canadienne de la Croix-Rouge et l’Association ambulancière Saint-Jean sauf, comme le souligne M. le Juge d’appel Jessup, leurs actes de bienfaisance envers l’humanité. Je suis donc d’avis qu’il faut arriver à l’interprétation des mots «ou de toute institution semblable constituée en corporation et conduite selon des principes philanthropiques et non en vue d’un bénéfice ou d’un gain» sans le secours de la règle ejusdem generis. A mon avis, «semblable» est le mot important.
Il n’y a pas de doute que l’intimée était une institution constituée en corporation et conduite selon des principes philanthropiques, et en vertu des dispositions de sa charte elle ne pouvait fonctionner dans un but de bénéfice ou de gain. En outre, je suis d’avis qu’elle était entretenue, du moins en partie, par des fonds publics. Pour arriver à cette conclusion, j’interprète «fonds publics» dans le sens de fonds provenant d’une source gouvernementale. Je fais mienne l’interprétation de M. le Juge d’appel Schroeder (alors juge de la Cour suprême de l’Ontario) dans Les Sœurs de la Visitation d’Ottawa v. Ottawa[2], aux pp. 71 et 72, lorsqu’il dit:
[TRADUCTION] Sur ce dernier point, l’avocat des demanderesses soutient qu’il faut donner à l’expression «fonds publics» un sens très large qui englobe tous les fonds versés aux demanderesses par le public à titre de dons libres. Je ne puis admettre qu’il faut donner à ces mots une interprétation si étendue. Ils ont dans les lois d’intérêt public de cette province une signification bien admise et il faut les restreindre à des fonds provenant du trésor du gouvernement fédéral ou du gouvernement provincial, ou d’une administration municipale.
L’intimée est entretenue en partie par des fonds publics de deux façons: premièrement, le ministère provincial approprié lui a accordé une subvention jusqu’à concurrence de $155,000 pour la
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construction de l’édifice; et, deuxièmement, au nom des résidents qui ne peuvent verser même le modique taux mensuel fixé par l’intimée, soit $175 par mois pour une chambre à un lit et $165 par personne pour une chambre à deux lits, le ministère du Bien-être social de la province comble la différence que lesdits occupants ne peuvent payer. En 1968, ce versement s’élevait à $3,869.21 pour la période allant jusqu’au mois de novembre de cette année-là . Il faut se rendre compte que la subvention à la construction a pour résultat de diminuer très sensiblement les frais de fonctionnement de l’institution. S’il avait fallu emprunter cette somme de $155,000, ces frais auraient été augmentés par l’intérêt sur l’emprunt et par la constitution d’un fonds d’amortissement pour le remboursement de l’emprunt. Sans la subvention en question, il aurait été absolument impossible d’accueillir des occupants à des taux aussi modiques que les taux précités.
Enfin, l’immeuble est la propriété de l’institution, qui l’occupe à ses fins et le consacre uniquement à ses fins. Il ne reste donc à déterminer que la question de savoir si l’institution est «semblable» à une institution de charité constituée en corporation et créée dans le but de secourir les pauvres.
Je suis d’avis qu’en fait c’est une institution qui fonctionne, peu importe qu’elle ait été constituée en corporation ou non, dans le but de secourir les pauvres. Je me réfère à l’usage indépendamment de la constitution en corporation uniquement parce que la charte énumère les objets de l’institution comme suit:
[TRADUCTION] a) Fournir un foyer destiné au soin et à la sécurité des personnes âgées membres de la collectivité de Stouffville-Markham et du district environnant et des églises qui en assurent l’entretien;
b) Remplir la mission de l’Église;
c) Créer des occasions de rendre service; et
d) Devenir un symbole de la foi et de la pratique de l’Église.
En fait, seul le premier de ces buts a été réalisé.
J’adopte le critère du mot «pauvre» énoncé dans le jugement du Juge Romer dans Re Clarke[3],
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aux pp. 411 et 412, où il cite en l’approuvant le jugement du Juge Channell dans Attorney‑General c. Wilkinson[4]:
[TRADUCTION] «Cela semble aboutir à la conclusion que l’expression personne pauvre dans une fiducie constituée à l’intention de personnes pauvres ne signifie pas la plus pauvre, le miséreux; le mot pauvre est plus ou moins relatif.»…
«Je ne connais aucune norme de pauvreté, et je ne saurais non plus poser de règle; je n’ai comme guide que ceci: ces dames vont à l’institution pour l’unique raison qu’elles sont pauvres et que l’institution est absolument charitable.»
M. Nighswander, à la question: [TRADUCTION] «Pourrais-je être admis si j’étais — ?» a répondu: [TRADUCTION] «Si vous avez besoin du genre de soins que nous fournissons, oui, Monsieur.»
Un taux de $175 par mois produit $2,100 par année et je suis d’avis que cette Cour peut considérer judiciairement qu’un revenu annuel de $2,100 est bien au-dessous du seuil de la pauvreté, selon les normes modernes de bien-être en vigueur au Canada. Même si aucun critère n’est appliqué pour vérifier les ressources de la personne qui demande l’hébergement, je suis d’accord avec M. le Juge Jessup lorsqu’il dit:
[TRADUCTION] Il est clair que son but, en fournissant semblables nécessités tout juste au prix coûtant, est de secourir ceux qui, même s’ils ne sont pas pauvres, sont dans une situation fort analogue. Je ne crois pas qu’il y ait atteinte à un tel but évident et directeur du fait qu’il est possible, bien qu’improbable, que certaines gens riches puissent profiter des générosités de l’intimée.
Donc, je suis d’avis que cette institution, parce qu’elle fonctionne pour secourir les pauvres, est semblable à une institution constituée en corporation dans le but de secourir les pauvres.
Pour ces motifs, je suis d’avis que l’intimée est visée par l’exemption prévue à l’alinéa 12 de l’art. 4 et que le pourvoi doit être rejeté avec dépens.
LE JUGE LASKIN (dissident) — En convenant avec mon collègue le Juge Judson qu’il n’y a pas lieu de faire droit à l’exemption demandée par l’intimée, je me suis fondé simplement sur le motif
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qu’il n’existe aucune preuve que l’institution «est entretenue, du moins en partie, par des fonds publics». L’emploi du temps présent dans le libellé de l’al. 12 de l’art. 4 de The Assessment Act, R.S.O. 1960, c. 23 (maintenant l’al. 12 de l’art. 3 des R.S.O. 1970, c. 32) indique l’exigence, sinon d’une aide financière qui se poursuit, du moins d’une telle aide pendant l’année ou les années à l’égard de laquelle ou desquelles l’exemption est réclamée.
C’est l’institution qui doit recevoir cette aide et non ceux pour qui le trésor public comble le déficit des paiements que l’institution exige d’eux, bien que ces suppléments soient envoyés directement à l’institution pour leur compte. Je ne puis considérer la subvention gouvernementale, versée en 1965 pour aider au financement de la construction de l’édifice mis en service par l’intimée comme foyer pour personnes âgées, comme répondant à l’exigence d’entretien par des fonds publics en ce qui a trait à l’évaluation établie en 1967 pour imposition en 1968. L’étalement de la subvention de 1965 qui entraînerait une diminution des frais de fonctionnement des années subséquentes due à l’évitement de l’intérêt et de l’amortissement des capitaux qu’il aurait autrement fallu emprunter, ne cadre pas avec la prescription d’entretien actuel par des fonds publics.
J’accueillerais l’appel comme le propose mon collègue le Juge Judson.
Appel rejeté avec dépens, les JUGES JUDSON et LASKIN étant dissidents.
Procureurs de l’appelante: Feigman & Chernos, Toronto.
Procureurs de l’intimée, The Mennonite Home Association of York County: Mills & Mills, Toronto.
Procureur de l’intimée, The Corporation of the Village of Stouffville: J.D. Lucas, Toronto.
[1] [1970] 2 O.R. 753, 12 D.L.R. (3d) 97.
[2] [1952] O.R. 61, [1952] 2 D.L.R. 343.
[3] [1923] 2 Ch. 407.
[4] (1839), 1 Beav. 370, 48 E.R. 983.