Cour suprême du Canada
Midwest Hotel Co. c. Ministre du Revenu National, [1974] R.C.S. 1119
Date: 1972-10-18
Midwest Hotel Company Limited Appelante;
et
Le Ministre du Revenu National Intimé.
1972: le 4 mai; 1972: le 18 octobre.
Présents: Les Juges Abbott, Judson, Ritchie, Spence et Pigeon.
EN APPEL DE LA COUR DE L’ÉCHIQUIER DU CANADA
APPEL d’un jugement de la Cour de l’Échiquier du Canada infirmant une décision de la Commission d’appel de l’impôt. Appel rejeté, le Juge Pigeon étant dissident.
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C.L. Dubin, c.r., pour l’appelante.
G.W. Ainslie, c.r., pour l’intimé.
Le jugement des Juges Abbott, Judson, Ritchie et Spence a été rendu par
LE JUGE JUDSON — La Commission d’appel de l’impôt a statué que l’art. 1101(1) des Règlements de l’impôt sur le revenu était ultra vires comme étant incompatible avec l’art. 20(2) de la Loi. Cette décision était conforme à ses propres précédents établis depuis 1962 à l’exception d’un seul. La Cour de l’Échiquier a infirmé la décision de la Commission. C’est la première fois que cette Cour est proprement saisie de cette question et je suis d’avis qu’il y a lieu de confirmer le jugement de la Cour de l’Échiquier. L’affaire a été plaidée dans toutes les cours sur la base d’un exposé de faits convenus qu’il y a lieu de résumer brièvement.
Au cours de l’année d’imposition 1963, Midwest a vendu une entreprise hôtelière, y compris le bâtiment et l’équipement. Les biens susceptibles de dépréciation compris dans la vente étaient visés par les catégories 3 et 8. Plus tard au cours de la même année d’imposition, elle a acquis d’autres biens décrits dans ces catégories. Le ministre a décidé que, conformément à l’art. 1101(1) des Règlements, l’entreprise vendue et l’entreprise achetée étaient deux entreprises différentes et il a récupéré l’allocation à l’égard du coût en capital au montant de $306,237 provenant de la vente de la première entreprise. La compagnie a prétendu que l’art. 1101(1) des Règlements était ultra vires et qu’il n’y avait pas lieu de récupérer l’allocation à l’égard du coût en capital pour 1963. Elle a plaidé que, puisque les biens de l’entreprise vendue et ceux de l’entreprise achetée tombaient dans les mêmes catégories (les catégories 3 et 8), le montant récupéré devait s’appliquer à la réduction du coût en capital non déprécié des nouveaux biens compris dans les mêmes catégories conformément à l’art. 20(2) de la Loi. C’est là la question en litige et le résultat dépend de la validité de l’art. 1101(1) des Règlements.
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La position du ministre est exposée dans la notification qu’il a fait tenir au contribuable en vertu de l’art. 58 de la Loi:
[TRADUCTION] L’honorable ministre du Revenu national, ayant examiné de nouveau la cotisation et étudié les faits et les motifs énoncés dans l’avis d’opposition, confirme par les présentes que ladite cotisation a été faite conformément aux dispositions de la Loi et, en particulier, qu’elle est fondée sur le motif que les biens du contribuable acquis en vue de gagner ou de produire le revenu de l’entreprise hôtelière, et les biens du contribuable acquis en vue de gagner ou de produire le revenu d’une entreprise de location de biens d’immobilisation, étaient compris dans des catégories distinctes au sens du paragraphe (1) de l’article 1101 des Règlements de l’impôt sur le revenu et, par conséquent, que le montant de $315,842.97 a été inclus à juste titre dans le calcul de l’impôt du contribuable pour l’année d’imposition 1963 conformément aux dispositions du paragraphe (1) de l’article 20 de la Loi.
L’article 20(1) prévoit que, lorsque, dans une année d’imposition, il a été disposé de biens susceptibles de dépréciation et que le produit de la disposition excède le coût en capital non déprécié des biens susceptibles de dépréciation, le montant de l’excédent doit être «récupéré» et doit être inclus dans le calcul du revenu pour l’année.
Le paragraphe (2) de l’art. 20 a pour but d’empêcher l’imposition immédiate lorsque des biens de la même catégorie ont été acquis au cours de la même année, en prévoyant que le montant autrement récupérable s’applique à la réduction du coût en capital non déprécié des nouveaux biens appartenant à la même catégorie de façon que la récupération n’ait pas lieu avant la disposition de tous les biens de cette catégorie.
L’argument du contribuable est faux en ce sens qu’en vertu de l’art, 11(1)a) de la Loi, le contribuable ne peut déduire dans le calcul de son revenu que cette partie de ce que coûtent les biens en capital «qui est allouée par règlement». Il s’agit là d’une exception à la règle générale que l’on trouve dans les art. 12(1)a) et 12(1)b) de la Loi et qui refuse le droit à l’allocation à l’égard du coût en capital. L’article
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1101(1) des Règlements sert autant à définir les catégories que l’art. 1100. Des biens qui seraient de la même catégorie si l’on ne tenait compte que de l’art. 1100, deviennent des biens d’une catégorie distincte si le cas relève de l’art. 1101(1). Cet article des Règlements est énoncé en termes clairs:
1101. (1) Lorsque l’Annexe B comporte la description de plus d’un des biens d’un contribuable, sous la même catégorie, et
a) qu’un des biens a été acquis aux fins de gagner ou de produire le revenu d’une entreprise, et
b) qu’un des biens a été acquis aux fins de gagner ou de produire le revenu d’une autre entreprise ou des biens,
une catégorie distincte est par les présentes prescrite pour les biens qui
(i) ont été acquis aux fins de gagner ou de produire le revenu de chaque entreprise, et
(ii) seraient par ailleurs compris dans la catégorie.
Le sens et l’effet de cet article des Règlements ne font aucun doute. Il fait partie intégrante de tout ce système de réglementation qui vise l’établissement de catégories de biens aux fins de l’allocation à l’égard du coût en capital qui peut être réclamée en vertu des dispositions de la Loi. L’article énonce en termes clairs et précis que «une catégorie distincte est par les présentes prescrite» à l’égard de biens servant à différentes entreprises ou acquis à des fins de revenu. Un tel classement par catégories doit s’appliquer à l’égard de toutes fins. Il ne s’agit pas d’un classement qui n’entre en jeu que lorsqu’il est possible d’éviter la récupération en vertu de l’art. 20 de la Loi.
L’article 1101(1) s’applique chaque fois qu’un contribuable exploite plus d’une entreprise ou, qu’en plus de biens d’entreprise, il possède des biens qui n’appartiennent pas à une entreprise et à l’égard desquels il a le droit de réclamer l’allocation relative au coût en capital. Il s’applique au calcul de l’allocation à l’égard du coût en capital, à la récupération du coût en capital et à la déduction des pertes finales. C’est pourquoi, à mon avis, nulle question d’incompatibilité
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entre la Loi et les Règlements et, par conséquent, d’invalidité ne se pose.
Je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens.
LE JUGE PIGEON (dissident) — L’alinéa a) du par. (1) de l’art. 11 de la Loi de l’impôt sur le revenu se lit comme suit:
11. (1) Par dérogation aux alinéas a), b) et h) du paragraphe (1) de l’article 12, les montants suivants peuvent être déduits dans le calcul du revenu d’un contribuable pour une année d’imposition:
a) la partie de ce que coûtent en capital les biens au contribuable, ou la somme à l’égard de ce que coûtent en capital les biens au contribuable, s’il en est, qui est allouée par règlement;
La partie XI des «Règlements de l’impôt sur le revenu» intitulée «Allocations à l’égard du coût en capital» débute par la disposition suivante:
1100. (1) En vertu de l’alinéa a) du premier paragraphe de l’article 11 de la Loi, il est par les présentes alloué au contribuable dans le calcul de son revenu d’une entreprise ou de biens, selon le cas, des déductions pour chaque année d’imposition égales
a) au montant qu’il peut réclamer à l’égard de biens de chacune des catégories suivantes, comprises dans l’Annexe B, sans dépasser…
Suit la règle 1101 par. (1):
1101. (1) Lorsque l’Annexe B comporte la description de plus d’un des biens d’un contribuable, sous la même catégorie, et
a) qu’un des biens a été acquis aux fins de gagner ou de produire le revenu d’une entreprise, et
b) qu’un des biens a été acquis aux fins de gagner ou de produire le revenu d’une autre entreprise ou des biens,
une catégorie distincte est par les présentes prescrite pour les biens qui
(i) ont été acquis aux fins de gagner ou de produire le revenu de chaque entreprise, et
(ii) seraient par ailleurs compris dans la catégorie.
En l’espèce, la question est de savoir si cette disposition des «Règlements» a été validement adoptée suivant la Loi ou s’il s’agit en fait d’une
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tentative non valide de modifier l’effet du par. (1) de l’art. 20 de la Loi qui se lit comme suit:
20. (1) Lorsque, dans une année d’imposition, il a été disposé de biens d’un contribuable, susceptibles de dépréciation et appartenant à une catégorie prescrite, et que le produit de la disposition excède le coût en capital non déprécié, pour lui, des biens susceptibles de dépréciation de cette catégorie, immédiatement avant leur aliénation, le moindre
a) du montant de l’excédent, ou
b) du montant de ce que serait l’excédent s’il avait été disposé des biens pour ce qu’ils ont coûté en capital au contribuable,
doit être inclus dans le calcul de son revenu pour l’année.
Au soutien de la validité du par. (1) de la règle 1101, on a dit qu’il fait partie de la définition des catégories de biens susceptibles de dépréciation. Je ne puis accepter cette prétention pour deux raisons.
En premier lieu, il faut considérer la signification du mot «catégorie» («class»). Dans le dictionnaire Oxford, on trouve la définition suivante:
[TRADUCTION] 6. gén. Plusieurs individus (personnes ou choses) présentant des caractères communs et groupés sous un nom général ou «de catégorie»: un genre, une sorte, une division. (Maintenant le sens courant.)
A mon avis, le concept de «catégorie» implique une multiplicité d’objets présentant des caractères communs et la définition d’une catégorie est une sélection de ces caractères. Je ne vois donc pas comment une ordonnance que, dans certaines circonstances, chaque objet particulier doit former «une catégorie distincte» pourrait à bon droit être considérée comme une définition d’une catégorie. La considération de chaque objet individuellement est l’antithèse de la définition d’une catégorie.
En fait, il me paraît qu’en prescrivant «une catégorie distincte» on ne fait vraiment rien d’autre que d’exclure les objets spécifiés dans la catégorie spécifiée. La règle contestée a essentiellement pour but de disposer que, en ce qui concerne l’impôt pour récupération (art. 20(1)), les biens acquis aux fins d’une entreprise doi-
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vent être considérés séparément des autres biens de la même catégorie qui n’ont pas été acquis aux fins de cette entreprise. Aucun autre effet n’a été établi. Sauf des circonstances très spéciales, cette règle n’a aucun effet sur le montant qui peut être réclamé à titre de déduction. Dans l’affaire Ministre du revenu national c. Wahn[1], la majorité a décidé que, règle générale, il faut tenir compte de toutes les pertes d’une entreprise dans le calcul de l’impôt pour une année donnée. Il en résulte évidemment que le contribuable a le droit de réclamer une allocation du coût en capital pour tout bien acquis aux fins d’une entreprise, même s’il ne retire aucun profit de cette entreprise, parce que la perte peut être déduite d’un autre revenu. Il ne me semble pas que les par. (1)(a) et (1)(b) de l’article 139 adoptés en 1960 modifient ce résultat. Ces dispositions s’appliquent lorsque le revenu provenant d’une source précise doit être déterminé ou traité séparément. La règle générale demeure que l’impôt est prélevé sur le revenu provenant de toutes sources après les déductions permises.
Il est clair en l’espèce, tout comme il l’était dans les affaires décidées par la Commission au cours des années précédentes, qu’il ne s’agit pas d’une question d’allocation pour coût en capital. La question est de savoir si une recette de capital qui n’est pas un revenu du contribuable doit être imposée à titre de revenu en vertu du par. (1) de l’art. 20. Plus précisément, la question est de savoir s’il faut ajouter la somme de $306,237.80 au revenu du contribuable à titre de «récupération du coût en capital lors de la disposition de l’Airport Hotel», ce qui augmente de $153,983.51 l’impôt sur le revenu payable pour l’année en question.
Je ne puis interpréter la mention «à une catégorie prescrite» dans l’art. 20(1), comme autorisant la règle contestée. En vertu du par. (1) af), de l’art. 139 «année prescrite» signifie «prescrite par règlement.» Cependant, la mention vise une catégorie, ce qui implique, comme on vient de le voir, une catégorie de chose décrite par certains caractères communs. Prescrire «une catégorie distincte» pour une chose particulière
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n’équivaut pas du tout à prescrire une catégorie, mais à ordonner que cette chose soit retirée de la catégorie et considérée à part.
Je dois donc conclure que le par. (1) de la règle 1101 n’est pas un règlement qui prescrit une catégorie au sens du par. (1) de l’art. 20, mais une modification de cet article voulant en substance que, dans le cas de biens acquis aux fins de gagner ou de produire un revenu d’une entreprise, la disposition relative à la récupération s’applique à l’excédent du produit de la disposition sur le coût en capital non déprécié de ce bien plutôt qu’à l’excédent sur le coût en capital non déprécié des biens susceptibles de dépréciation de cette catégorie.
Il est clair qu’un règlement est nul s’il est hors du champ d’application de la loi qui l’autorise: Booth c. le Roi[2], Bélanger c. le Roi[3], Re Gray[4]. Pour l’application de ce principe, il est nécessaire d’étudier la nature et l’effet véritables du règlement en question. Je ne vois aucune raison pour laquelle on ne devrait pas appliquer ici les règles qu’on applique pour déterminer la constitutionnalité des lois. Le problème est essentiellement le même, à savoir, l’étendue du pouvoir législatif attribué. Je dirais même que ces règles devraient s’appliquer d’une manière plus stricte dans le cas de cette délégation de pouvoir à l’exécutif vu que les lois fiscales doivent être interprétées strictement, tandis que les lois constitutionnelles doivent l’être d’une manière large. Parmi les nombreuses déclarations relatives à la règle de «l’essence et de la substance», je cite l’extrait suivant des motifs du Juge Rand dans Switzman c. Elbling[5]:
[TRADUCTION] Le principe établi qui exige la détermination du «caractère véritable», de «l’essence et la substance», de ce qui est censé avoir été adopté comme loi et la question de savoir si le texte est «spécieux» ou est destiné à atteindre son objet ostensible, signifie que la nature véritable de l’acte législatif, son objet fondamental, doit relever de l’article 92 ou de quelque autre attribuation de pouvoirs provinciaux.
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À mon avis, le par. (1) de la règle 1101 n’a pas pour objet, en substance, d’allouer des déductions dans le calcul du revenu en raison du coût en capital des biens acquis aux fins d’une entreprise.
J’accueillerais l’appel, j’infirmerais le jugement de la Cour de l’Échiquier et je rétablirais la décision de la Commission d’appel de l’impôt avec dépens dans les deux cours.
Appel rejeté avec dépens, le JUGE PIGEON étant dissident.
Procureurs de l’appelante: Harrison, Elwood, Gregory, Littlejohn & Fleming, London.
Procureur de l’intimé: D.S. Maxwell, Ottawa.
[1] [1969] R.C.S. 404.
[2] (1915), 51 R.C.S. 20.
[3] (1917), 54 R.C.S. 265.
[4] (1919), 57 R.C.S. 150.
[5] [1957] R.C.S. 285, p. 303.