Cour suprême du Canada
Cunningham Drug Stores Ltd. c. Labour Relations Board and Attorney General for British Columbia et al., [1973] R.C.S. 256
Date: 1972-11-22
Cunningham Drug Stores Ltd. Appelante;
et
Labour Relations Board et Attorney General for the Province of British Columbia Intimés,
et
The Retail Clerks Union Local 1518 Intimé.
1972: les 12 et 13 octobre; 1972: le 22 novembre.
Présents: Le Juge en Chef Fauteux et les Juges Abbott, Martland, Judson, Ritchie, Hall, Spence, Pigeon et Laskin.
EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE
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APPEL d’un jugement de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique[1], infirmant un jugement du Juge Dohm. Appel rejeté, le Juge Spence étant dissident.
J.L. Farris, c.r., et I.G. Nathanson, pour l’appelante.
J.N. Laxton, pour l’intimé, The Retail Clerks Union Local 1518.
G.S. Cumming, c.r., pour les intimés, La Commission des Relations de Travail et le Procureur Général de la Colombie-Britannique.
Le jugement du Juge en Chef Fauteux et des Juges Abbott, Martland, Judson, Ritchie, Hall, Pigeon et Laskin a été rendu par
LE JUGE MARTLAND — Le présent appel est à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, qui, par suite d’une décision majoritaire, a accueilli l’appel des présents intimés contre un jugement annulant la décision de la Commission des relations de travail, intimée, (ci-après appelée «la Commission») d’accréditer le Retail Clerks Union Local 1518, intimé, (ci-après appelé «le syndicat») comme agent négociateur d’une unité d’employés de l’appelante.
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Les faits qui ont donné lieu aux présentes procédures ne sont pas en litige. Au début de 1971, le syndicat a présenté cinq demandes d’accréditation à titre d’agent négociateur des employés de l’appelante, sauf les pharmaciens, qui travaillaient dans cinq de ses 74 pharmacies en Colombie-Britannique, deux de celles-ci étant situées à Chilliwack et les autres à Langley, Mission et Powell River. La Commission a signifié des avis de ces demandes à l’appelante qui était tenue d’afficher un avis, durant cinq jours ouvrables consécutifs, dans chacun de ses établissements, à un endroit où il était susceptible d’être vu par les employés concernés. Dans chaque cas, il s’agissait d’un avis de la demande d’accréditation du syndicat à l’égard d’une unité comprenant les employés de la pharmacie en question, sauf les pharmaciens, et signalant que toute déclaration écrite concernant la demande, reçue dans les dix jours suivant la date de l’avis, serait acceptée par la Commission.
Chaque avis donné à l’appelante mentionnait de même que toute déclaration écrite concernant la demande, reçue dans les dix jours suivant la date de l’avis, serait acceptée par la Commission.
Quatre des avis de la Commission à l’appelante étaient datés du 1er février 1971. Le cinquième, ayant trait à la pharmacie de Powell River, était daté du 16 février 1971.
L’avocat de la Commission nous a informés qu’aucun des employés de l’appelante visés par les demandes n’a fait parvenir de déclaration à la Commission. Les procureurs de l’appelante ont écrit à la Commission le 19 février; ils s’opposaient aux demandes pour le motif que les unités visées n’étaient pas habiles à négocier collectivement. Ils rappelaient que l’appelante exploitait 74 pharmacies de détail en Colombie-Britannique, huit en Alberta et une au Yukon. Ils soutenaient qu’un magasin de détail particulier ne constituait pas une unité habile à négocier collectivement et qu’une unité comprenant tous les employés de toutes les pharmacies de l’appelante serait plus appropriée. La Commission a envoyé une copie de cette lettre au syndicat, dont les procureurs ont répondu à la déclaration de l’appelante dans une lettre adressée à la Commission en date du 15 mars.
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Le 17 mars, la Commission a écrit aux procureurs de l’appelante pour les informer qu’elle jugeait souhaitable d’ajourner l’examen des cinq demandes d’accréditation et qu’elle serait disposée à accréditer le syndicat comme le représentant des employés de l’appelante groupés en une unité comprenant les cinq pharmacies. La lettre mentionnait que les déclarations écrites reçues avant le 24 mars seraient acceptées. Le délai a été prolongé, à la demande de l’appelante, jusqu’au 31 mars.
Le syndicat a informé la Commission, dans une lettre datée du 19 mars, qu’il ne s’opposait pas à cette proposition.
Le 30 mars, les procureurs de l’appelante ont répondu comme suit à la lettre de la Commission:
[TRADUCTION] Nous prétendons que la Commission n’est pas compétente pour accréditer le syndicat comme représentant des employés formant pareille unité.
L’accréditation a été accordée le 6 avril 1971 à l’égard de l’unité comprenant les cinq pharmacies.
Dans un avis de requête daté du 16 avril 1971, adressé à la Commission, au procureur général de la Colombie-Britannique et au syndicat, les procureurs de l’appelante ont donné avis d’une requête en vue d’obtenir un certiorari pour faire annuler la décision de la Commission et l’accréditation du syndicat, pour le motif que:
[TRADUCTION] 1. La Commission des relations de travail a agi sans avoir la compétence voulue en cherchant à délivrer le certificat de négociation susmentionné sans qu’une demande en vertu du Labour Relations Act 1960, R.S.B.C. chapitre 205, ait été présentée à cet effet.
2. Subsidiairement, si une demande en vue d’obtenir le certificat de négociation susmentionné a été présentée, la Commission des relations de travail a donc agi sans avoir la compétence voulue et en contravention des principes établis de la justice naturelle et par conséquent abusé de ses pouvoirs et outrepassé sa compétence, en cherchant à délivrer le certificat de négociation susmentionné sans donner au présent poursuivant un avis juste et raisonnable de ladite demande et, en tout état de cause, sans donner au présent poursuivant avis de ladite demande de la façon prescrite par les règlements du Labour Relations Act, comme l’exige le Labour Relations Act, 1960 R.S.B.C. chapitre 205.
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Cette requête a été accueillie. La Cour a accepté la première prétention et a décidé que la Commission avait outrepassé sa compétence, étant donné qu’elle n’avait pas été saisie d’une demande visant l’unité accréditée.
En appel, la Cour d’appel a infirmé ce jugement par une majorité de deux contre un.
Parlant de la première question soulevée par l’appelante, le Juge en chef Davey, qui a rendu les motifs au nom de la majorité, a dit ce qui suit:
[TRADUCTION] Les passages pertinents du Labour Relations Act, R.S.B.C. 1960, chap. 205, ayant trait aux demandes d’accréditation, se lisent comme suit:
«10. (1) Un syndicat qui allègue avoir comme membres en règle la majorité des employés d’une unité habile à négocier collectivement peut, sous réserve des règlements, demander à la Commission d’être accrédité à l’égard de l’unité dans chacun des cas suivants:
«12. (1) Lorsqu’un syndicat demande son accréditation à l’égard d’une unité, la Commission doit déterminer si l’unité est habile à négocier collectivement; avant d’accorder l’accréditation, la Commission peut inclure d’autres employés dans l’unité ou exclure des employés de cette unité.»
«62. (8) La Commission décide de la procédure qu’elle suivra, mais elle doit dans tous les cas donner l’occasion à toutes les parties intéressées de présenter des preuves et de formuler des observations.»
«65. (1) Si une question se pose en vertu de la présente Loi quant à savoir si
…
(i) un groupe d’employés constitue une unité habile à négocier collectivement;
…
la Commission tranche la question et sa décision est finale et péremptoire.»
«70. Aucune procédure faite en vertu de la présente Loi ne doit être réputée invalide en raison de quelque vice de forme ou de quelque irrégularité de procédure.»
Je considère qu’il est clair qu’en vertu de l’article 12(1), la Commission peut augmenter ou réduire le nombre des membres de l’unité à l’égard de laquelle l’accréditation est demandée, du moins dans la mesure où elle ne modifie pas le caractère essentiel de l’unité désignée dans la demande du syndicat.
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En vertu des cinq demandes distinctes, la Commission a acquis fragmentairement la compétence de statuer sur les éléments de l’unité à l’égard de laquelle l’accréditation a finalement été accordée. Elle pouvait donc ajouter ou retrancher des personnes relativement à chacun des éléments. Les divers éléments de l’unité globale relevant ainsi de sa compétence, la Commission, qui détermine sa propre procédure, avait, à mon avis, le droit de réunir les cinq demandes distinctes en une demande d’accréditation visant une unité qui comprenait les diverses unités concernées, au lieu de rejeter les cinq demandes et d’obliger le syndicat à présenter une nouvelle demande d’accréditation à l’égard de l’unité globale.
Dans le passage suivant de ses motifs, le juge se prononce sur la seconde question:
[TRADUCTION] L’intimée appuie le jugement pour un autre motif, qui a été invoqué mais qui n’a fait l’objet d’aucune décision devant la cour de première instance, soit, que la Commission ne lui a pas donné l’occasion de présenter des preuves et de formuler ses observations, comme l’exige l’article 62(8). Cette prétention est fondée sur le fait que la Commission a envoyé au syndicat une copie de la déclaration de l’intimée, datée du 19 février 1971 et ayant trait à la composition appropriée de l’unité de négociation, et que ladite Commission a reçu des avocats du syndicat une réponse détaillée, datée du 15 mars 1971, qu’elle n’a toutefois pas fait connaître à l’intimée. De plus, la Commission n’a pas informé l’intimée que dans une lettre datée du 19 mars 1971, le syndicat avait dit qu’il ne s’opposait pas à la proposition, formulée par la Commission le 17 mars 1971, d’une unité plus importante.
L’intimée prétend qu’elle ne connaissait pas l’existence de ces deux lettres et n’a pas eu l’occasion d’y répondre.
Or, il peut être répondu de façon décisive à cette prétention. La proposition de la Commission que l’unité de négociation comprenne les employés des cinq pharmacies découle de toute évidence de l’opposition de l’intimée aux unités proposées dans les demandes et des réponses du syndicat à cet égard. La Commission avait invité les intéressés à formuler des observations relativement à cette proposition. L’intimée avait là l’occasion de traiter du fond de la proposition de la Commission. Ce qui s’était produit auparavant se retrouvait cristallisé dans la proposition de la Commission, laquelle appelait maintenant une réponse, mais l’intimée a choisi de limiter sa réponse au défaut de compétence. Je ne
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puis voir que le simple consentement du syndicat à l’égard de cette proposition ait introduit quelque nouvel élément permettant à l’intimée d’y répondre. A mon avis, le jugement a quo ne peut pas être fondé sur ce motif.
Je souscris à ces motifs en ce qui concerne les deux questions.
Devant cette Cour, l’avocat de l’appelante a pour la première fois soulevé une autre question. Il a soutenu que la Commission avait violé l’art. 62(8) de la Loi, précité, en omettant de donner aux employés de l’appelante, visés par l’accréditation du syndicat, et qui étaient des parties intéressées, l’occasion de présenter des preuves et de formuler des observations au sujet de l’unité de négociation approuvée par la Commission. Notons qu’aucun des employés n’a été mis en cause comme partie dans les présentes procédures.
L’article 10(1) de la Loi édicte qu’un syndicat alléguant avoir comme membres en règle la majorité des employés d’une unité habile à négocier collectivement peut, sous réserve des règlements, demander son accréditation à l’égard de l’unité lorsqu’aucune convention collective n’est en vigueur et qu’aucun syndicat n’a été accrédité pour représenter l’unité. Les règlements prescrivent la forme de la demande, qui doit comprendre une description de l’unité proposée, le nombre des employés compris dans l’unité et le nombre de ces employés qui sont membres en règle du syndicat requérant.
Les règlements obligent le greffier de la Commission à obtenir des renseignements auprès de l’employeur des employés compris dans l’unité, auprès du syndicat qui demande l’accréditation, et auprès de toute autre personne que peut désigner la Commission dans un cas particulier.
Les règlements prévoient également que la Commission peut obliger l’employeur à afficher, pendant cinq jours ouvrables consécutifs, dans son établissement, à un endroit ou à des endroits où elle est susceptible d’être vue, la formule d’avis que l’appelante était tenue d’afficher en l’espèce.
L’article 12(1) laisse à la Commission le soin de déterminer si l’unité est habile à négocier collectivement et l’autorise à ajouter des employés ou à en exclure. Le paragraphe (2) oblige la Commission à faire ou à faire faire l’examen de
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registres et toute autre enquête qu’elle juge nécessaire pour se prononcer au fond sur la demande d’accréditation. En vertu du par. (4), si la Commission est convaincue que la majorité des employés compris dans l’unité étaient, à la date de la demande, des membres en règle du syndicat, elle est tenue d’accréditer le syndicat à titre d’agent négociateur des employés compris dans cette unité.
En résumé, si un syndicat compte comme membres en règle la majorité des employés compris dans l’unité à l’égard de laquelle il cherche à être accrédité à titre d’agent négociateur et que la Commission estime appropriée, il peut demander son accréditation.
En l’espèce, le syndicat ne s’opposait pas à l’unité tenue pour appropriée par la Commission. Il doit avoir eu comme membres en règle la majorité des employés compris dans cette unité pour obtenir l’accréditation. La Commission avait exigé que soit donné aux employés visés avis que le syndicat avait demandé à être accrédité comme leur agent négociateur. Aucun employé ne s’est opposé. Il faut croire que les employés ont consenti à ce que le syndicat les représente à titre d’agent négociateur d’une unité comprenant tous les employés sauf les pharmaciens.
Dans ces conditions, on ne saurait soutenir que parce que les employés n’ont pas été en outre avisés de la fusion proposée des cinq unités initialement proposées en une seule unité, la Commission a omis de donner à toutes les parties intéressées l’occasion de se faire entendre. De plus, lorsque le syndicat a consenti à la fusion proposée des imités, nous savons qu’il parlait au nom de la majorité des employés visés; rien au dossier ne montre qu’il ne parlait pas au nom de tous ces employés.
La question que soulève maintenant l’appelante pose un autre problème: son droit de chercher à faire infirmer la décision de la Commission parce que, allègue-t-elle, les droits d’autres parties n’ont pas été respectés. Dans l’affaire La Commission des Relations de Travail du Québec c. Cimon Limitée[2], l’employeur, une compagnie, avait
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cherché à faire révoquer par la Commission des relations de travail du Québec son ordonnance qu’un vote soit tenu sur la requête en accréditation d’un syndicat, pour le motif qu’un avis de la requête en accréditation n’avait pas été donné à un autre syndicat dont la requête antérieure en accréditation avait été rejetée à la suite d’un vote. La compagnie a soutenu que le syndicat défait était aux droits des anciens syndicats qui avaient été accrédités et dont l’accréditation n’avait pas été révoquée, et qu’il avait donc le droit de recevoir pareil avis.
La Commission a décidé que la compagnie plaidait illégalement pour autrui en soulevant une contestation sur laquelle elle n’avait pas intérêt juridique. Cette Cour a confirmé cette décision et décidé que la compagnie n’avait pas le droit d’exciper du droit d’autrui devant la Commission.
Je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens.
LE JUGE SPENCE (dissident) — J’ai eu l’occasion de lire les motifs de mon collègue le Juge Martland et j’ai le regret de ne pouvoir souscrire à son avis. D’autre part, je souscris complètement aux motifs dissidents, en Cour d’appel de la Colombie-Britannique, de M. le Juge Bruce Robertson et j’accueillerais l’appel avec dépens.
Appel rejeté avec dépens, LE JUGE SPENCE étant dissident.
Procureurs de l’appelante: Farris, Farris, Vaughan, Wills & Murphy, Vancouver.
Procureurs des intimés, la Commission des Relations de Travail et le procureur général de la Colombie-Britannique: Fulton, Cumming & Co., Vancouver.
Procureurs de l’intimé, The Retail Clerks Union Local 1518: Shulman, Tupper & Co., Vancouver.
[1] [1971] 5 W.W.R. 251, 21 D.L.R. (3d) 735.
[2] [1971] R.C.S. 981.