Cour suprême du Canada
Downton c. Royal Trust Co. et al., [1973] R.C.S. 437
Date: 1972-12-22
Marion Downton (Demanderesse) Appelante;
et
The Royal Trust Company, Exécuteur testamentaire de feu Raymond A. Downton, et Lorraine Nada Downton (Défendeurs) Intimés.
1972: les 17 et 21 novembre; 1972: le 22 décembre.
Présents: Les Juges Ritchie, Hall, Spence, Pigeon et Laskin.
EN APPEL DE LA COUR SUPRÊME DE TERRE-NEUVE SIÉGEANT EN APPEL
APPEL d’un jugement de la Cour suprême de Terre-Neuve siégeant en appel, accueillant un appel d’un jugement du Juge Furlong. Appel accueilli.
W.G. Burke-Robertson, c.r., pour la demanderesse, appelante.
B.A. Crane, pour la défenderesse, intimée, L.N. Downton.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE LASKIN — La présente affaire est née d’une demande présentée par la veuve du de cujus, Raymond A. Downton, afin d’obtenir une ordonnance, en vertu du Family Relief Act, 1962 (Nfld.), n° 56, pour que lui soit assurée une somme suffisante, dans la succession, pour son entretien et sa subsistance et ceux de ses deux enfants. Les intimées à la requête étaient la compagnie exécutrice en vertu du testament du de cujus et une dame que j’appellerai, pour simplifier, la seconde épouse. C’est la désignation employée par le de cujus dans son testament daté du 10 septembre 1968, en vertu duquel il laissait à sa secondé épouse sa succession nette, à l’exception de deux legs, soit un
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legs de $6,000 à chacune des deux filles nées de son mariage avec son épouse légitime. La compagnie exécutrice est restée neutre dans ce litige et elle n’était pas représentée dans cette Cour.
La succession du de cujus s’élevait à environ $166,000 et comprenait des polices d’assurance d’environ $81,000 dont la seconde épouse était bénéficiaire, lesquelles polices étaient grevées de charges de l’ordre de $17,000. Il paraît que la seconde épouse avait le droit, à la mort du de cujus, de toucher un montant net de $64,000 en vertu de polices d’assurance-vie et environ $60,000 en vertu du testament. Le Juge en chef Furlong, qui a entendu la demande présentée en vertu du Family Relief Act, a ordonné le paiement de $20,000 à la requérante. Son ordonnance ne se rapportait qu’à la requérante et ne visait pas ses deux enfants. Je signale ici que la seconde épouse a eu un enfant du de cujus; cet enfant survit au de cujus mais n’était pas inclus dans le testament, sauf réalisation d’un événement (le décès de la mère dans les 30 jours suivant la mort du de cujus), qui ne s’est pas produit.
La Cour suprême de Terre-Neuve siégeant en appel a infirmé l’ordonnance du Juge en chef Furlong et rejeté la demande pour les motifs que j’énoncerai plus loin; elle a évidemment rejeté un appel incident par lequel la requérante cherchait à obtenir toute la succession du de cujus (à l’exception du produit des polices d’assurance). En appel devant cette Cour, la requérante appelante a de nouveau réclamé toute la succession. L’avocat de la seconde épouse intimée a prétendu que si l’appel était accueilli, il conviendrait de rétablir l’ordonnance du juge de première instance.
En l’espèce, le point déterminant n’est pas la qualité de la requérante en tant que veuve du de cujus, mais plutôt la question de savoir si, d’après l’exposé des faits qui suit, elle est empêchée de faire valoir cette qualité pour réclamer en vertu de la loi, par la modification du testament du de cujus, un montant d’argent pris dans la succession. Les dispositions pertinentes du Family Relief Act sont les suivantes:
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[TRADUCTION] 2. Dans la présente loi
(c) «personne à charge» signifie la veuve, le veuf ou l’enfant du de cujus.
3. (1) Lorsqu’une personne
(a) décède en laissant une succession testamentaire mais sans pourvoir adéquatement à l’entretien et à la subsistance des personnes à sa charge ou de l’une d’entre elles, ou
(b) décède ab intestat et la part, en vertu de la loi dite The Intestate Succession Act, des personnes à la charge du défunt ou de l’une d’entre elles dans la succession est insufisante pour assurer leur entretien et leur subsistance,
un juge, sur demande présentée par ces personnes à charge ou l’une d’entre elles ou en leur nom, peut, en vertu de son pouvoir d’appréciation et compte tenu de toutes les circonstances pertinentes de l’espèce, nonobstant les dispositions du testament ou du Intestate Succession Act, ordonner qu’il soit pourvu, au moyen de la succession du de cujus dans la mesure qu’il juge à propos, à l’entretien et à la subsistance des personnes à charge ou de l’une d’entre elles.
5. (1) À l’audition d’une demande présentée par une personne à charge ou en son nom en vertu du paragraphe (1) de l’article 3, le juge devra examiner et étudier toutes les questions dont il faut raisonnablement tenir compte dans le règlement de la demande, notamment, sans restreindre la généralité de ce qui précède,
(a) si le caractère ou la conduite de la personne à charge est de nature à priver celle-ci du droit de bénéficier d’une ordonnance rendue en vertu de la présente loi;
(b) si la personne à charge est susceptible de devenir en possession de tout autre montant pour son entretien ou sa subsistance ou apte à bénéficier d’un tel montant;
(c) les rapports entre la personne à charge et le de cujus;
(d) la position financière de la personne à charge;
(e) les droits de toute autre personne à charge à la succession;
(f) toute disposition prise par le de cujus de son vivant en vue de pourvoir aux besoins de la personne à charge ou de toute autre personne à charge;
(g) tout service rendu au de cujus par la personne à charge;
(h) toute somme d’argent ou tout bien fourni par la personne à charge en vue d’assurer un logement au de cujus ou de l’aider dans toute entreprise ou
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occupation ou de pourvoir aux frais d’entretien, de médecin ou d’hôpital.
L’appelante et le de cujus se sont épousés, en premières noces tous les deux, le 24 janvier 1948, à Saint-Jean (Terre-Neuve) où l’époux exerçait la profession de dentiste. Ils se sont séparés au début de 1960 et, le 28 mai 1960, ils ont signé un accord de séparation en vertu duquel ils ont convenu de vivre séparés l’un de l’autre et l’époux a convenu de verser à son épouse la somme mensuelle de $350 pour son entretien et celui de ses deux filles. L’accord n’était pas censé engager la succession du de cujus et il ne fixait aucun terme aux versements mensuels. A l’exception d’une réduction de $100 dans les versements mensuels des quatorze mois qui ont précédé son décès le 21 novembre 1969, le de cujus a respecté l’accord de séparation.
Au mois d’avril 1965, le de cujus s’est rendu au Nevada en vue d’obtenir un divorce d’avec son épouse et il y a résidé le temps requis par la loi de l’État. Son avocat du Nevada a informé l’épouse par lettre que son mari avait l’intention de demander le divorce pour le motif qu’ils étaient séparés depuis plus de trois ans et il lui a demandé de signer la procuration jointe à la lettre et autorisant une comparution en son nom dans l’action en divorce. La procuration stipulait que les dispositions de l’accord de séparation devaient faire partie du jugement de divorce, sous réserve de l’approbation de la Cour. Sur l’avis d’un avocat de Terre-Neuve, l’épouse a signé la procuration mais y a ajouté la condition que le jugement de divorce comprenne l’obligation pour l’époux de payer $2,800 à l’épouse (en plus des versements mensuels), somme qui lui était due en vertu d’un billet que le de cujus avait signé en sa faveur le jour de l’accord de séparation.
Le divorce, prononcé le 27 mai 1965, faisait état de la comparution de l’appelante par l’entremise d’un procureur désigné qui n’a déposé aucune preuve, et le jugement confirmait l’accord de séparation et ordonnait au de cujus de respecter les conditions du billet de $2,800, lequel devait de par ses termes être payé cinq
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ans après sa date, soit le lendemain du jugement. On n’a pas indiqué à cette Cour que l’obligation n’avait pas été remplie. Le jour même du divorce, le de cujus a épousé au Nevada sa seconde épouse, avec laquelle il est retourné à Terre-Neuve, où il a repris l’exercice de sa profession. La seconde épouse avait déjà été mariée, mais son premier mari avait obtenu le divorce d’une cour compétente environ un an et demi avant son mariage avec le de cujus.
Après avoir reçu de l’appelante une copie du jugement de divorce, l’avocat de celle-ci a demandé à l’avocat du de cujus au Nevada s’il était d’avis que le divorce serait reconnu à Terre-Neuve. Ce dernier a répondu qu’étant donné qu’il y avait eu comparution, le divorce serait reconnu dans les autres États des États-Unis et il a ajouté [TRADUCTION] «je crois qu’il le serait au Canada de même que dans les autres pays». Il n’est pas contesté qu’en droit, le jugement de divorce n’avait aucun effet à Terre-Neuve, où les conjoints étaient domiciliés lorsque ledit jugement a été demandé et prononcé, et où le de cujus a conservé son domicile jusqu’à sa mort.
Tout en étant d’accord avec l’avocat de la seconde épouse que la requérante appelante était liée, tout autant que l’était son mari à cette époque, par le jugement du Nevada, ayant comparu devant la cour et cherché à en obtenir des bénéfices, et que, par conséquent, elle ne pouvait décliner la compétence de la cour du Nevada pour prononcer le divorce, le juge de première instance était d’avis que, vu qu’il était saisi d’une demande fondée sur une loi et investi des pouvoirs étendus conférés par l’article 5 du Family Relief Act, il avait le droit de soulever et de décider lui-même la validité du divorce prononcé au Nevada et le droit consécutif de l’appelante de revendiquer la qualité de personne à charge en vertu de la loi. En fin de compte, il a conclu que l’effet du divorce prononcé au Nevada était nul et que, par conséquent, l’appelante était visée par la loi. La Cour suprême de Terre-Neuve siégeant en appel a rejeté ce point de vue et a elle-même adopté le point de vue qu’ayant accepté la compétence de la cour du
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Nevada et demandé que ses droits en vertu de l’accord de séparation et l’obligation en vertu du billet fassent partie du jugement, l’appelante ne pouvait nier l’effet du jugement. Ainsi, étant dans l’impossibilité d’affirmer qu’elle était la veuve du de cujus, elle ne pouvait pas être considérée comme une personne à charge en vertu de la loi. Je ne partage pas cette conclusion.
La Cour d’appel s’est fortement appuyée sur les motifs rendus par le Juge d’appel Schroeder au nom de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Re Capon[1]. Il s’agissait d’une affaire dans laquelle une femme, qui avait obtenu à l’étranger un jugement déclarant nul son mariage à un incapable et qui s’était mariée avec un autre homme, avait demandé une part de la succession de son premier mari comme ab intestat, alléguant que le testament fait avant le mariage avait été révoqué par le mariage. Bien que le savant juge ait conclu que le jugement étranger devait être reconnu en Ontario et que, par conséquent, la requérante ne pouvait être reconnue comme veuve, il a néanmoins examiné quelle serait sa position si le jugement étranger n’avait aucun effet dans la province. Le Juge Schroeder a passé en revue un grand nombre de précédents, étant donné que les décisions ne concordent pas toutes dans ce domaine du droit, et a poursuivi en concluant qu’une personne qui a invoqué la compétence d’un tribunal étranger pour faire changer son état civil ne saurait prétendre que son état est resté inchangé à cause de l’invalidité du jugement étranger, quand elle cherche à se fonder sur ce même jugement pour réclamer une part de la succession d’un conjoint décédé. Selon le Juge d’appel, si l’on permettait cela, ce serait [TRADUCTION] «une parodie de justice».
La situation étudiée dans l’affaire Re Capon est la plus évidente de celles où on a demandé aux cours de refuser de permettre qu’un divorce invalide ou un jugement en nullité soit contesté par la personne même qui l’a obtenu. D’autres affaires semblables sont In re Graham Estate[2],
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où l’épouse qui avait obtenu le jugement de divorce invalide s’était aussi remariée et où la Cour avait aussi rejeté la demande présentée par une seconde épouse en vue d’obtenir une part de la succession ab intestat du de cujus, non pas parce que le de cujus avait divorcé d’avec elle, mais à cause de l’invalidité du jugement de divorce obtenu par la première épouse; Re Plummer Estate[3], où il y a cependant eu une dissidence sur le simple motif qu’en obtenant un jugement de divorce invalide, une épouse ne perdait pas, sans plus, sa qualité d’épouse et son droit absolu de succéder à son mari décédé ab intestat; Re Jones[4], une affaire dans laquelle l’épouse avait obtenu un jugement de divorce invalide sur la demande de son mari qui avait comparu aux procédures, mais elle s’était remariée par la suite.
Dans toutes les affaires précédentes, la qualité d’époux ou d’épouse devait être établie pour faire valoir un droit absolu à la succession du conjoint; et la Cour suprême de Terre-Neuve siégeant en appel a statué que, relativement à ces demandes, il n’y a pas de différence entre un conjoint qui invoque la juridiction étrangère et celui qui s’y soumet. Je ne crois pas que la solution soit si facile en l’espèce.
Lorsqu’il faut établir l’état matrimonial, la forme des procédures et, en fait, les parties à l’action, sont des éléments importants en ce qui a trait à l’application de la doctrine de l’irrecevabilité (preclusion doctrine). Par exemple, dans une poursuite pour bigamie, la Cour doit s’arrêter à la qualité des conjoints aux termes de la loi applicable: voir Re Tucker[5]. Également, dans l’arrêt Burnfiel v. Burnfiel[6], la Cour d’appel de la Saskatchewan, bien que pour des raisons différentes, a refusé (infirmant la décision du juge de première instance) de révoquer les lettres d’administration de la succession d’un de cujus délivrées à l’épouse de celui-ci, qui avait obtenu un divorce étranger invalide. La révocation avait été demandée par une personne qui avait été adoptée par le de cujus en vertu d’une ordon-
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nance étrangère non reconnue et qui, par conséquent, n’avait aucun intérêt. On cite souvent l’arrêt Burnfiel v. Burnfiel pour signaler l’opinion du Juge d’appel Lamont qui a paru rejeter la doctrine de l’irrecevabilité en déclarant que le jugement de divorce étranger invalide ne mettait pas fin à l’état matrimonial des conjoints. Mais il est clair que seule était en cause la question de savoir si l’épouse avait le droit d’administrer la succession de son défunt mari après avoir obtenu le divorce étranger. En outre, personne d’autre ne paraissait être en droit de réclamer l’administration. La disposition finale de la succession n’a pas été déterminée au cours de ces procédures.
Cette Cour a traité la question en litige dans deux décisions. Dans Stevens v. Fisk[7], les parties au litige étaient des citoyens américains de naissance qui s’étaient mariés à New York où ils étaient alors domiciliés. Subséquemment, ils vinrent se fixer au Québec. L’épouse avait confié l’administration de ses biens considérables à son mari. Elle l’a quitté et est retournée à New York où elle a obtenu le divorce dans des procédures où son mari a comparu par procureur après signification de l’action à Montréal. Une action en reddition de compte lui ayant été intentée au Québec relativement aux biens de son épouse, le mari défendeur a prétendu que le divorce était invalide au Québec et que la demanderesse, qui y était son épouse légitime, ne pouvait le poursuivre sans autorisation judiciaire comme le prévoit la loi du Québec. Quoique la majorité de la Cour ait exprimé l’avis que le défendeur, après avoir reconnu la compétence de la Cour de New York, ne pouvait contester la validité du jugement, une majorité constituée différemment était d’avis que le divorce étranger était valide et que l’ancienne épouse avait au Québec la même capacité de feme sole qu’elle avait dans l’État de New York. En fait, le Juge Fournier était d’avis que, la question du divorce mise à part, la demanderesse, en tant que ressortissante étrangère, pouvait poursuivre au Québec sans autorisation lorsqu’elle avait cette capacité dans son propre pays. A mon avis, la considération primordiale
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dans cette affaire est le fait que la demanderesse demandait une reddition de compte à l’égard de ses propres biens et non un bénéfice ou un avantage basé sur la validité du jugement de divorce étranger.
Une question semblable a été soulevée dans l’arrêt Re Lesser and Lesser[8] infirmé, sur accord des parties[9]. Dans cette dernière affaire, un mari, qui avait obtenu un divorce étranger invalide et qui s’était remarié, cherchait à se prévaloir du Married Women’s Property Act de l’Ontario contre son épouse pour établir son droit de propriété sur certains biens. L’arrêt Re Capon, précité, lui a été opposé avec succès en première instance, mais, en appel, par accord des parties, on a ordonné un procès pour déterminer les droits respectifs des parties sur les biens personnels. Il me paraît évidemment juste que le mari ait le droit, malgré son recours à un tribunal étranger incompétent, de chercher à protéger un droit de propriété existant au moyen de la procédure sommaire prévue par la loi et de faire valoir son état légitime à cet égard.
Le second arrêt de cette Cour est Stephens c. Falchi[10], où le Juge en chef Duff, parlant au nom de la majorité de la Cour, a considéré que sur la question du divorce, l’arrêt Le Mesurier v. Le Mesurier[11], et les arrêts subséquents qui y sont fondés, l’emportaient sur l’arrêt Stevens v. Fisk, pour autant que ce dernier traite de la reconnaissance du divorce étranger, quant aux conjoints, en raison de la comparution de l’intimé à l’action étrangère intentée par l’appelante ou du prétendu consentement à l’exercice de la juridiction étrangère. Dans l’affaire Stephens c. Falchi même, la Cour a été saisie d’une demande présentée par un mari putatif en vue d’obtenir une part de la succession d’une femme avec laquelle il n’était pas légalement marié (en vertu de la loi applicable du Québec) parce que le premier mariage de celle-ci avait été dissous par un jugement de divorce étranger invalide, bien que son premier mari ait comparu aux procédures. L’exécuteur de la femme en question a contesté la demande, mais étant donné
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que le mariage avait été contracté de bonne foi par le requérant et qu’il produisait des effets civils sur les biens, comme mariage putatif (tant en vertu du droit québécois que du droit italien, auquel le de cujus et le requérant avaient convenu de soumettre leurs relations matrimoniales), on a statué que c’était en vain que l’exécuteur se fondait sur l’invalidité du jugement de divorce.
La présente affaire, contrairement à celle de Stephens c. Falchi, ne concerne pas la position de tiers auxquels l’invalidité du divorce étranger est opposée par le conjoint qui a obtenu ce divorce ou par la succession de ce conjoint. Par conséquent, je ne tire aucune conclusion générale de l’arrêt Stephens c. Falchi quant à l’application de la doctrine de l’irrecevabilité; il n’est pas nécessaire non plus de commenter ici l’effet de l’arrêt Stephens c. Falchi sur l’affaire In re Graham Estate, précitée, qui, sur l’un des points y décidés, savoir, qu’un jugement de divorce étranger invalide pouvait à bon droit être opposé par la succession de l’époux qui avait obtenu ce divorce à la seconde «épouse», qui cherchait à obtenir une part de sa succession, semble contredire l’arrêt Stephens c. Falchi. Je ferai seulement remarquer qu’il n’a pas été fait mention de loi de la Colombie-Britannique correspondant à la loi du Québec qui donne certains effets civils à un mariage invalide. L’arrêt Fife v. Fife[12] est semblable à l’arrêt In re Graham Estate quant au point susmentionné parce que, dans cette affaire-là aussi, une personne qui avait obtenu un divorce étranger invalide d’avec son épouse a eu le droit d’opposer cette invalidité à la femme qu’il a épousée le jour de son divorce et qui lui a par la suite intenté une action en vertu du Deserted Wives’ and Children’s Maintenance Act de la Saskatchewan. Le Juge en chef Bence de la Cour du banc de la Reine a considéré qu’il s’agissait d’une fin de non-recevoir et a conclu que la seconde «épouse» connaissait la véritable situation aussi bien que son mari.
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Dans l’arrêt Re Capon, précité, le Juge d’appel Schroeder a considéré l’arrêt Swaizie v. Swaizie[13] infirmant 31 O.R. 31, comme étant la décision déterminante sur la doctrine de l’irrecevabilité qu’il a appliquée dans cette affaire-là. L’affaire Swaizie v. Swaizie se rapportait à une action intentée par une épouse à l’égard d’un jugement étranger qui lui accordait une somme d’argent au lieu d’une pension alimentaire, jugement qu’elle a obtenu par une demande reconventionnelle aux procédures de divorce engagées avec succès à l’étranger par son mari. Bien que le juge de première instance ait rejeté l’action pour le motif que le tribunal étranger n’avait pas la compétence voulue pour adjuger cette somme d’argent, laquelle était basée sur les biens du mari en Ontario, la Divisional Court a accueilli la demande de l’épouse en se fondant sur deux motifs: premièrement, le mari était irrecevable à contester la compétence du tribunal étranger et, deuxièmement, on n’avait pas établi que le tribunal étranger n’était pas compétent. Puisque l’épouse avait aussi invoqué la juridiction étrangère, il est illogique de fonder son droit à l’obtention d’un paiement sur l’impossibilité pour le mari de contester la compétence de cette juridiction. Il serait plus logique de refuser aux deux parties en litige tout bénéfice provenant du jugement rendu dans leurs procédures contestées devant un tribunal étranger non compétent. Je distingue de cette affaire l’arrêt Burpee v. Burpee[14], dans lequel on a permis à une épouse qui ne s’était pas opposée à la requête en divorce de son mari, laquelle requête avait été accueillie par un tribunal étranger, d’intenter des poursuites à l’égard d’un montant d’argent que lui avait adjugé cette cour-là, accessoirement au jugement de divorce; on a statué que le mari était irrecevable à contester la décision du tribunal étranger. De toute manière, le deuxième motif de la Divisional Court fonde davantage le droit de l’épouse à l’obtention d’un paiement dans l’affaire Swaizie v. Swaizie.
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D’autre part, l’arrêt In Re Williams and Ancient Order of United Workmen[15] va de pair avec l’arrêt Re Capon en ce qu’on y a rejeté la demande présentée par une épouse en revendication du bénéfice d’une assurance-vie au décès de son mari, après avoir obtenu un divorce invalide devant un tribunal étranger. Le mari s’était remarié et avait nommé sa seconde épouse bénéficiaire, mais on n’a pas tenu compte de ce fait en rejetant la demande de l’épouse légitime.
D’après cette revue que je viens de faire des causes typiques dont ont été saisis les tribunaux canadiens, la seule uniformité à laquelle ces causes peuvent prétendre est l’application de la doctrine de l’irrecevabilité contre un conjoint qui, ayant obtenu un jugement de divorce ou de nullité d’un tribunal étranger qui n’était pas compétent à cet égard, cherche par la suite à alléguer cette incompétence dans le but d’obtenir un avantage pécuniaire de son conjoint ou de la succession de celui-ci. La doctrine a un fondement moral: le refus de permettre à une personne de faire valoir, à son avantage pécuniaire, une alliance qu’elle a elle-même précédemment cherché à rompre délibérément. Cependant, le principe moral disparaît lorsque les conjoints ont respectivement invoqué et accepté la juridiction étrangère; et pour modifier ou rejeter la doctrine de l’irrecevabilité à l’égard d’un des conjoints ou des deux, d’autres considérations doivent entrer en ligne de compte; par exemple, les circonstances atténuantes dans lesquelles les conjoints se sont soumis à la juridiction d’un tribunal étranger incompétent. Il en est de même quand des tiers sont impliqués dans une affaire où le conjoint qui a obtenu à l’étranger un divorce ou un jugement de nullité invalide cherche à s’appuyer sur l’invalidité de ce jugement.
Tout facteur d’ordre moral dans la doctrine de l’irrecevalibilité se trouve éclipsé par des con-
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sidérations plus importantes quand on fait valoir un jugement étranger invalide dans une cause strictement matrimoniale où l’on cherche à obtenir un divorce ou un jugement de nullité. L’état matrimonial per se ne peut être changé ou maintenu par l’application de la doctrine de l’irrecevabilité et c’est pourquoi, comme c’était le cas dans l’arrêt Schwebel v. Schwebel[16], on ne devrait pas refuser à un conjoint le droit de demander le divorce devant un tribunal compétent pour la simple raison que ce conjoint a antérieurement invoqué la juridiction d’un tribunal étranger incompétent.
Cette conclusion me paraît compatible avec l’intérêt public qui plus que jamais reconnaît que les parties dont le mariage est un échec devraient avoir le droit de le dissoudre. Je ne vois aucune incompatibilité entre cette position et l’application de la doctrine de l’irrecevabilité à un conjoint qui ne s’est pas conformé aux exigences juridictionnelles pour obtenir une dissolution valide et qui demande néanmoins, à son propre avantage pécuniaire, que la loi soit strictement appliquée en sa faveur, en dépit d’une tentative invalide de dissolution.
The American Law Institute, Restatement of the Law, Second, Conflict of Laws, 2e éd. (1971), a reconnu qu’il était difficile d’énoncer des règles précises en adoptant, dans ce domaine du droit, une approche large et flexible que j’approuve. L’article 74 se lit comme suit:
[TRADUCTION] On peut empêcher une personne d’attaquer la validité d’un jugement de divorce étranger si, dans les circonstances, il est injuste qu’elle agisse ainsi.
Dans le commentaire sur la portée de cette règle, on trouve les passages suivants:
[TRADUCTION] La règle ne se limite pas aux situations qu’on pourrait appeler «fins de non-recevoir réelles», dans lesquelles une partie incite une autre à croire, à son détriment, à certaines déclarations se rapportant aux faits de l’affaire. La règle peut s’appliquer chaque fois que, compte tenu de toutes les
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circonstances, il serait injuste de permettre à une personne en particulier de contester la validité d’un jugement de divorce. Pareille injustice peut exister lorsqu’une personne intente une action en se fondant sur le divorce ou espère en retirer quelque bénéfice ou lorsque la contestation du divorce est inconciliable avec le comportement antérieur de la partie qui conteste.
Le champ d’application de la règle varie d’un État à l’autre et, même à l’intérieur d’un même État, elle est souvent incertaine. En général, on peut dire qu’une personne qui obtient un divorce et qui se remarie n’aura pas le droit de contester la validité du divorce dans le but de se libérer de ses obligations envers son second conjoint ou dans le but de réclamer une part de la succession du premier conjoint. D’autre part, si les deux parties à un divorce en contestent la validité dans une action subséquente, aucune d’elles ne devrait être empêchée de faire cette contestation vu qu’aucun ne s’appuie sur la validité du divorce. Par exemple, lorsque, après que l’époux a obtenu un divorce ex parte, l’épouse lui intente une action en séparation et en paiement d’aliments, et que l’époux fait à son tour une demande reconventionnelle de divorce. C’est un droit qu’on ne devrait pas lui refuser. L’épouse conteste la validité du divorce dans son action en séparation et, dans les circonstances, il n’y a aucune raison pour laquelle le mari ne devrait pas avoir le droit de faire de même.
Un conjoint qui a accepté des bénéfices en vertu du divorce sera habituellement empêché de contester ce divorce. Ainsi, un divorce invalide obtenu ex parte par le mari ne pourra être contesté par l’épouse qui s’est remariée. Un tel divorce ne pourra habituellement pas non plus être contesté par l’épouse qui a bénéficié d’une pension alimentaire en vertu du jugement originaire ou qui a laissé passer un délai déraisonnable avant de contester le divorce, surtout si le mari s’est remarié dans l’intervalle.
Les précédents ne concordent pas tous sur la question de savoir si les tiers peuvent être empêchés de contester un jugement de divorce. Une telle fin de non-recevoir a quelquefois été imposée à une personne qui persuade une femme de demander le divorce afin qu’il puisse l’épouser, surtout s’il assume les frais du divorce et procure les services d’un avocat. De la même façon, une personne peut être empêchée de contester un divorce si sa demande concerne une personne qui aurait été empêchée elle-même de le faire.
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En l’espèce, je suis convaincu que l’épouse légitime s’est soumise à la juridiction du tribunal étranger pour protéger ses intérêts existants qui lui provenaient de sa séparation d’avec son mari à Terre-Neuve. Sa soumission était, par conséquent, spéciale et ne pouvait avoir aucun effet contre elle à Terre-Neuve dans l’exécution des dispositions de la séparation puisqu’elle n’y était pas obligée d’invoquer le jugement étranger pour cette exécution. Il ne s’agit pas d’une affaire dans laquelle la pension alimentaire de l’appelante dépendait uniquement du jugement de divorce étranger et dans laquelle l’appelante a joui de ces avantages jusqu’au décès du de cujus et a ensuite cherché à établir qu’elle était l’épouse légitime afin de toucher des avantages supplémentaires.
Il n’a pas été expressément déterminé que les dispositions de l’accord de séparation relatives à l’entretien subsistaient après le décès du mari. Le juge de première instance paraît avoir considéré que cette obligation prenait fin le jour du décès, bien qu’elle ait fait partie du jugement de divorce étranger qui, à son avis, ne pouvait changer l’état matrimonial de l’épouse. De toute manière, je considère que la somme de $20,000 adjugée à l’épouse dans la succession du de cujus est le seul bénéfice auquel elle a droit et, à cet égard, que cette adjudication remplace toute obligation en vertu de l’accord de séparation, à l’exception des arrérages jusqu’au jour du décès du mari.
En l’espèce, il s’agit donc d’un cas où la soumission expresse de l’épouse à la juridiction du tribunal étranger n’a été suivie d’aucun acte ou attitude résultant de cette soumission, ni d’aucune acceptation par elle des avantages qui en découlaient. En appel, la Cour a énoncé dans ses motifs que [TRADUCTION] «au cours des années subséquentes, s’appuyant sur ce jugement, elle s’était considérée, et on doit présumer qu’elle a souhaité être considérée comme étant divorcée d’avec le docteur Downton et comme n’étant donc plus son épouse». L’avocat de l’intimée n’a pu soutenir cette prétention devant cette Cour. On n’a certainement présenté aucune preuve affirmative l’appuyant, si ce
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n’est le fait d’une séparation antérieure et le fait que le docteur Downton est revenu avec sa seconde épouse après avoir obtenu le divorce étranger. Je ne puis donc être d’accord que l’appelante est empêchée de nier la validité du jugement de divorce étranger à Terre-Neuve et de faire valoir sa qualité de veuve du de cujus.
Je ne crois pas qu’il existe des considérations aussi fortes en ce qui a trait à la seconde épouse intimée. Son but principal est évidemment de maintenir les dispositions du testament du de cujus, mais pour nier la qualité de l’appelante en vertu du Family Relief Act, elle doit faire valoir la validité d’un divorce étranger qui est invalide en vertu de la loi de Terre-Neuve, à moins que l’appelante soit elle-même empêchée d’en faire valoir l’invalidité. Je n’examinerai pas l’à-propos de cette position si la seconde épouse réclamait contre la succession du de cujus. Elle réclame cependant par l’entremise du de cujus, en l’espèce, et sa position, en raison de la hâte avec laquelle le de cujus s’est remarié après le divorce étranger, n’est pas celle d’un tiers de bonne foi que le comportement de la présente requérante aurait induite par tromperie à contracter le second mariage. Sa position n’est pas meilleure que celle d’un mari putatif qui, de son vivant, s’est opposé à une action intentée par son épouse légitime en se fondant sur le motif que le jugement de divorce étranger était valide. Elle venait elle aussi de Terre-Neuve, où elle a contracté son premier mariage et, du dossier, on peut déduire qu’elle se trouvait à Terre-Neuve au moment où son premier mari a obtenu son divorce ou qu’elle est retournée dans cette province par la suite.
La Cour suprême de Terre-Neuve, siégeant en appel, a infirmé le jugement de première instance pour le motif subsidiaire que même en supposant que l’appelante pouvait faire valoir sa qualité de personne à charge en vertu du Family Relief Act, [TRADUCTION] «il (était) impossible de dire que son comportement n’était pas de nature à lui ôter tout droit à… une ordonnance». La loi indique clairement que, si la qualité de personne à charge est reconnue, le juge qui entend une demande faite en vertu de
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cette loi est tenu de faire certaines enquêtes dont le résultat peut être un refus d’adjudication ou une adjudication modique. La Cour suprême de Terre-Neuve, siégeant en appel, prétendait évidemment appliquer l’al. (a) du par. (1) de l’art. 5 de la loi en refusant tout jugement favorable à l’appelante. Il n’a toutefois été établi aucune mauvaise conduite de sa part, dans sa vie conjugale ou autrement; en fait, on s’est appuyé, pour lui refuser toute ordonnance en vertu de l’article 5 du Family Relief Act, précisément sur les motifs invoqués pour l’empêcher de nier la validité du divorce étranger. A mon avis, on ne peut se fonder sur ces motifs pour l’empêcher de recourir à cette loi et d’obtenir une ordonnance en vertu de cette loi.
En définitive, je suis d’avis d’accueillir l’appel et de rétablir l’ordonnance du Juge en chef Furlong. Les dépens de l’appelante en cette Cour et en Cour suprême de Terre-Neuve, siégeant en appel, seront payés par la succession.
Appel accueilli avec dépens.
Procureurs de la demanderesse, appelante: Stirling, Ryan, Goodridge, Caule, Gushue & Goodridge, St. John’s.
Procureurs de la défenderesse, intimée, The Royal Trust Company: Bartlett & Strong, St. John’s.
Procureurs de la défenderesse, intimée, Lorraine Nada Downton: Halley, Hickman, Hunt, Adams, Steele, Carter, O’Regan and Martin, St. John’s.
[1] [1965] 2 O.R. 83, 49 D.L.R. (2d) 675.
[2] [1937] 3 W.W.R. 413 (B.C.).
[3] [1941] 3 W.W.R. 788, [1942] 1 D.L.R. 34 (Div. d’appel de l’Alberta).
[4] (1960) 25 D.L.R. (2d) 595 (B.C.).
[5] (1953), 8 W.W.R. (N.S.) 184 (B.C. C.A.).
[6] [1926] 1 W.W.R. 657, [1926] 2 D.L.R. 129.
[7] (1885), Cameron Sup. Ct. Cas. 392.
[8] [1968] 1 O.R. 388, 66 D.L.R. (2d) 486.
[9] [1968] 1 O.R. 693n,67 D.L.R. (2d) 410n.
[10] [1938] R.C.S. 354, [1938] 3 D.L.R. 590.
[11] [1895] A.C. 517.
[12] (1964), 50 W.W.R. 591, 49 D.L.R. (2d) 648.
[13] (1899), 31 O.R. 324.
[14] [1929] 2 W.W.R. 128, [1929] 3 D.L.R. 18 (B.C.).
[15] (1907), 14 O.L.R. 482.
[16] [1970] 2 O.R. 354, 10 D.L.R. (3d) 742.