Cour suprême du Canada
Calder et al. c. Attorney-General of British Columbia, [1973] R.C.S. 313
Date: 1973-01-31
Frank Calder et al., poursuivant en leur propre nom et au nom de Tous les autres Membres du Conseil de la Tribu des Nishgas, et James Gosnell et al., poursuivant en leur propre nom et au nom de Tous les autres Membres de la Bande Indienne Gitlakdamix, et Maurice Nyce et al., poursuivant en leur propre nom et au nom de Tous les autres Membres de la Bande Indienne de Canyon City, et W.D. McKay et al., poursuivant en leur propre nom et au nom de Tous les autres Membres de la Bande Indienne de Greenville, et Anthony Robinson et al., poursuivant en leur propre nom et au nom de Tous les autres Membres de la Bande Indienne Kincolith Appelants;
et
Le Procureur Général de la Colombie-Britannique Intimé.
1971: les 29 et 30 novembre, 1er, 2 et 3 décembre; 1973: le 31 janvier.
Présents: Les Juges Martland, Judson, Ritchie, Hall, Spence, Pigeon et Laskin.
EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE
APPEL d’un jugement de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique[1], rejetant un appel d’un jugement du Juge Gould. Appel rejeté, les Juges Hall, Spence et Laskin étant dissidents.
T.R. Berger, D.J. Rosenbloom et J.M. Baigent, pour les appelants.
D. McK. Brown, c.r., et A.W. Hobbs, c.r., pour l’intimé.
Le jugement des Juges Martland, Judson et Ritchie a été rendu par
LE JUGE JUDSON — Les appelants ont engagé des poursuites, en leur qualité de représentants de la tribu indienne des Nishgas, en vue d’obtenir une déclaration [TRADUCTION] «suivant laquelle le titre aborigène, autrement dit titre indien, qu’ils détiennent… n’a jamais été juridiquement éteint». L’action a été rejetée en première instance. La Cour d’appel a rejeté l’appel. Les appelants ont interjeté appel contre les deux décisions.
Les appelants sont membres de la nation nishga, composée de quatre bandes: Gitlakdami, Canyon City, Greenville et Kincolith. Ils représentent le conseil de la tribu des Nishgas et sont conseillers de chacune des quatre bandes indiennes. Ce sont les descendants des Indiens qui ont habité de temps immémorial le territoire en question, où ils ont chassé, péché et erré en nomades. Aux fins du présent litige, il a été convenu que ce territoire consistait en 1,000 milles carrés dans la vallée de la Nass, l’Observatory Inlet, le Portland Inlet, le canal Portland et leurs environs, au nord-ouest de la Colombie-Britannique. Aucune autre partie n’est intervenue dans le présent litige en vue de contester l’exactitude de cet exposé des faits reconnus.
La Couronne du chef de la province a fait certaines concessions sur ce territoire, dont certaines en pleine propriété; dans d’autres cas, elle a accordé des droits de préemption, des droits
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d’exploitation des minerais, des droits miniers, des permis d’exploitation du pétrole, des droits et titres forestiers, et des permis de ferme arboricole. Toutefois, la majeure partie de la région n’a pas encore été aliénée.
Aucun traité ou contrat n’a été conclu entre la Couronne ou la Compagnie de la Baie d’Hudson et quelque représentant de la nation nishga, en ce qui concerne la région. Dans les limites de la région, il y a un certain nombre de réserves mais elles ne comprennent qu’une petite partie de l’ensemble des terres. La nation nishga n’a pas consenti à la création de ces réserves, ou ne l’a jamais acceptée. Les Nishgas allèguent que leur titre découle de l’occupation aborigène; que la reconnaissance de pareil titre est une notion bien établie en droit anglais; que le titre ne dépend pas d’un traité, d’une ordonnance du pouvoir exécutif ou d’une disposition législative. Subsidiairement, ils disent que si une reconnaissance par le pouvoir exécutif ou le pouvoir législatif était nécessaire, elle se trouve dans la Proclamation royale de 1763, dans les lois impériales reconnaissant que ce qui est maintenant la Colombie-Britannique était un «territoire indien», et dans les instructions royales au gouverneur de la Colombie-Britannique. Finalement, ils disent que leur titre n’a jamais été éteint.
Toutes ces allégations ont été, à un stade ou à un autre, repoussées dans les jugements a quo.
Dans l’exposé des faits reconnus, le mode de vie des Indiens est décrit en termes plutôt forts. Cette question est approfondie dans les documents produits à l’audition. Mentionnons l’ouvrage The Indian History of British Columbia, ch. 8, de Wilson Duff, publié en 1964:
[TRADUCTION] Il n’est pas exact de dire que les Indiens n’étaient pas «propriétaires» des terres mais y erraient en nomades tout en les «utilisant». Les systèmes de propriété et d’utilisation qu’ils imposaient sur les terres et cours d’eau étaient différents de ceux qui sont reconnus par notre système de droit, mais ils étaient néanmoins clairement définis et mutuellement respectés. Même s’ils n’ont pas subdivisé les terres et ne les ont pas cultivées, ils reconnaissaient la propriété des parcelles utilisées comme emplacements de
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village, endroits de pêche, de cueillette de baies et de racines, et à d’autres fins semblables. Même s’ils n’ont pas abattu les arbres des forêts, ils ont établi la propriété des parcelles utilisées pour la chasse, la chasse au piège et la cueillette. Même s’ils n’ont creusé aucun puits de mine dans les montagnes, ils étaient propriétaires des pics et des vallées aux fins de la chasse aux chèvres de montagne et de l’obtention de matières premières. A l’exception des régions arides et inaccessibles non encore utilisées, chaque partie de la province se trouvait auparavant dans les limites du territoire appartenant à l’une ou l’autre des tribus indiennes et reconnu comme tel.
La réponse des Nishgas aux revendications gouvernementales de propriété absolue des terres dans les limites de leur territoire a été formulée dès 1888 devant la première commission royale qui a visité la vallée de la Nass. Leur représentant a dit ce qui suit:
[TRADUCTION] David MacKay — Voilà ce que nous n’aimons pas à propos du gouvernement, il dit: «Nous vous donnerons des terres de telle superficie». Comment peuvent-ils nous les donner puisqu’elles nous appartiennent? Nous ne pouvons pas le comprendre. Ils ne les ont jamais achetées de nous ou de nos ancêtres. Ils n’ont jamais combattu et conquis notre peuple et pris les terres de cette façon, et malgré tout, ils disent maintenant qu’ils nous donneront des terres de telle superficie, nos propres terres. Ces chefs ne parlent pas à l’aveuglette, ils savent que les terres leur appartiennent; nos ancêtres ont possédé les terres de toute cette région depuis des générations; les chefs avaient leurs propres terrains de chasse, leurs pêches de saumon, et leurs cueillettes de baies; il en a toujours été ainsi. Ce n’est pas uniquement au cours des quatre ou cinq dernières années que nous connaissons ces terres; nous les connaissons depuis toujours et elles nous ont toujours appartenu; ce n’est là rien de nouveau, eiles nous appartiennent depuis plusieurs générations. Si nous ne les connaissions que depuis vingt ans et que nous les réclamions, cela n’aurait aucun sens, mais elles nous appartiennent depuis des milliers d’années. Si quelque étranger venait ici et ne connaissait ces terres que depuis vingt ans et les réclamait, cela n’aurait aucun sens. Nous avons toujours vécu de ces terres; nous ne sommes pas comme les Blancs qui vivent dans les villes et ont leurs magasins et d’autres commerces, et vivent de cette façon; nous, nous avons toujours été à la merci des terres pour nous nourrir et nous habiller; ce sont ces terres qui nous fournissent les saumons, baies et fourrures nécessaires.
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Dans toute étude canadienne sur la nature du titre indien, il faut d’abord considérer l’arrêt St. Catharines Milling and Lumber Co. c. La Reine[2]. Les tribunaux ontariens, la Cour suprême du Canada et finalement le Conseil privé ont été saisis de cette affaire. La Couronne du chef de la province cherchait à empêcher une compagnie d’abattre des arbres sur certaines terres du district d’Algoma. La compagnie a fait valoir qu’elle détenait un permis du gouvernement fédéral autorisant l’abattage. En 1873, par un traité connu sous le nom de Northwestern Angle Treaty No 3, le Dominion avait éteint le titre indien.
En toutes les cours, on statua que l’extinction du titre indien profitait à la province et qu’il n’était pas possible pour le Dominion de conserver ce titre de façon à enlever le droit immobilier dévolu à la province comme partie du domaine public de l’Ontario. On décida que la Couronne avait eu en tout temps un droit actuel de propriété qui, après la Confédération, avait été transmis à la province par l’effet de l’art. 109 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. Le titre indien constituait une simple charge sur ce droit; après la cession des terres en vertu du traité, le titre indien avait été éteint.
Dans les motifs de jugement qu’elles ont rendus dans l’affaire St. Catharines, les cours canadiennes ont fortement été influencées par deux jugements antérieurs rendus par le Juge en chef Marshall en Cour suprême des États-Unis — les arrêts Johnson v. McIntosh[3], et Worcester v. State of Georgia[4]. Dans l’affaire Johnson v. McIntosh, il a de fait été décidé que le titre sur des biens-fonds en vertu de concessions à des particuliers faites par certaines tribus ou nations indiennes au nord-ouest de l’Ohio, en 1773 et 1775, ne pouvait pas être reconnu par les tribunaux américains. Dans l’affaire Worcester v. Georgia, le demandeur, un missionnaire, avait été accusé de résider parmi
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les Cherokees sans détenir un permis de l’État de Georgia. Comme moyen de défense, il a soutenu que sa résidence à cet endroit était en conformité des traités entre les États-Unis et la nation cherokee et que la loi en vertu de laquelle il avait été accusé allait à l’encontre de la constitution, des traités et des lois américaines. La Cour suprême fit une déclaration à cet effet. Dans les deux causes, il était question du titre immobilier aborigène. Les passages suivants de 8 Wheaton, pp. 587-8, constituent un résumé clair de l’avis du Juge en chef:
[TRADUCTION] Les États-Unis ont donc reconnu sans équivoque l’importante règle générale en vertu de laquelle les habitants civilisés détiennent maintenant ce pays. Ils détiennent et revendiquent le titre en vertu duquel il a été acquis. Ils soutiennent, comme tous les autres l’ont fait, que la découverte conférait un droit exclusif d’extinction du titre d’occupation indien, soit par achat soit par conquête, et conférait également le droit de souveraineté nécessaire, compte tenu des circonstances.
Le pouvoir qu’a maintenant le gouvernement américain de concéder des terres appartenait, au temps des colonies, à la Couronne ou à ses cessionnaires. La validité des titres conférés par les uns et les autres n’a jamais été contestée devant nos cours. Ce droit a été exercé uniformément sur le territoire possédé par les Indiens. L’existence de ce pouvoir doit anéantir tout droit pouvant le contredire, et le contrôler. Un titre immobilier absolu ne peut pas exister en même temps en faveur de différentes personnes ou de différents gouvernements. Un titre absolu doit être un titre exclusif, ou du moins un titre excluant tous les autres titres incompatibles. Toutes nos institutions reconnaissent le titre absolu de la Couronne, sous réserve uniquement du droit d’occupation indien; elles ont reconnu le droit absolu de la Couronne d’éteindre ce droit. Cela va à l’encontre d’un titre absolu et complet en faveur des Indiens.
La description de la nature du titre indien faite par les tribunaux canadiens dans l’affaire St. Catharines est reprise dans les motifs rendus par le Conseil privé. Je reproduis un passage du recueil 14 App. Cas. 54:
[TRADUCTION] Le territoire concerné a été occupé par les Indiens depuis le jour de la proclamation jusqu’en 1873. Au cours de cette période, les affaires indiennes ont été administrées successivement par la Couronne, par les gouvernements provinciaux, et (depuis
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l’adoption de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867) par le gouvernement fédéral. Ces autorités administratives ont toujours eu la même ligne de conduite à cet égard, savoir, que les Indiens ont été empêchés de conclure tout marché avec un sujet en vue de la vente du transfert de leur intérêt immobilier, et ont uniquement été autorisés à céder leurs droits à la Couronne par un contrat formel, dûment ratifié, lors d’une assemblée de leurs chefs ou dirigeants convoquée à cette fin. Les autorités administratives ont changé, mais il n’y a eu aucun changement depuis 1763 dans la nature de l’intérêt que les Indiens avaient sur les terres cédées par le traité. Leur possession peut uniquement découler des dispositions générales de la proclamation royale en faveur de toutes les tribus indiennes alors soumises à la suprématie et à la protection de la Couronne britannique. Dans les plaidoiries du gouvernement fédéral, il a été soutenu que dans la mesure où la proclamation édicté que les territoires ainsi réservés aux Indiens n’ont jamais été cédés à la Couronne ou achetés par la Couronne, les Indiens en sont demeurés les seuls propriétaires. Toutefois, cette déduction n’est pas conforme aux termes de l’instrument, qui montre que les Indiens avaient un droit personnel, de la nature d’un usufruit, dépendant du bon plaisir du Souverain. Les terres réservées sont expressément décrites comme étant les «parties de nos possessions et territoires»; il est déclaré que, selon le bon plaisir du Souverain, «pour le présent», elles sont réservées aux Indiens, pour qu’ils y chassent, sous la protection et la surveillance du Souverain. On a longuement et savamment parlé, au cours des plaidoiries, de la nature exacte du droit indien, mais Leurs Seigneuries estiment qu’il n’est pas nécessaire d’exprimer leur avis sur ce point. Il leur semble suffisant, aux fins de la présente cause, de dire que la Couronne a toujours eu un droit fondamental et suprême, sous-jacent au titre indien, et qui est devenu un plenum dominium dès que le titre indien a été cédé ou autrement éteint.
Il est certain que le Conseil privé a conclu que la Proclamation de 1763 était le fondement du titre indien: [TRADUCTION] «Leur possession peut uniquement découler de la Proclamation royale en faveur de toutes les tribus indiennes alors soumises à la suprématie et à la protection de la Couronne britannique.»
Je n’interprète pas ces motifs comme voulant dire que la Proclamation est l’unique fondement du titre indien. Le territoire en question dans
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l’affaire St. Catharines se trouvait clairement dans les limites géographiques définies dans la Proclamation. Les appelants soutiennent entre autres que la Proclamation s’applique au territoire nishga et qu’ils ont droit à la protection fournie par celle-ci. Ils disent également que si elle ne s’applique pas au territoire nishga, leur titre indien doit encore être reconnu par les tribunaux. Il s’agit là de deux questions distinctes.
Je dois dire que je souscris entièrement aux jugements des cours de la Colombie-Britannique en la présente espèce statuant que la Proclamation n’a rien à voir avec le problème du titre indien en Colombie-Britannique. Je fonde mon opinion sur les termes mêmes de la Proclamation et sur la définition qui y est donnée des limites géographiques ainsi que sur l’histoire de la découverte, de la colonisation et de l’établissement de ce qui est maintenant la Colombie-Britannique.
Après le traité de Paris, le général Murray a été nommé premier gouverneur du Québec. Dans la Proclamation royale du 7 octobre 1763, il est déclaré tout d’abord que la Couronne a constitué quatre gouvernements distincts, appelés respectivement Québec, Floride orientale, Floride occidentale et Grenade, dont les frontières sont spécifiquement délimitées. Le dernier attendu est le suivant:
[TRADUCTION] Attendu qu’il est juste, raisonnable et essentiel pour Notre intérêt et la sécurité de Nos colonies de prendre des mesures pour assurer aux nations ou tribus sauvages qui sont en relations avec Nous et qui vivent sous Notre protection, la possession entière et paisible des parties de Nos possessions et territoires qui ont été ni concédées ni achetées et ont été réservées pour ces tribus ou quelques-unes d’entre elles comme territoires de chasse.
Puis, la Proclamation mentionne l’interdiction d’accorder des permis d’arpentage ou des titres de propriété à l’égard des terres; la constitution de réserves à l’usage des Indiens; l’interdiction d’acheter, coloniser ou posséder des terres réservées sans obtenir d’abord une permission spéciale ou une licence à ce sujet; l’ordre donné à tous ceux qui en connaissance de cause ou par
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inadvertance se sont établis sur des terres réservées de quitter les lieux; et l’interdiction d’acheter privément des Indiens les terres qui leur sont réservées dans les limites des colonies où la colonisation est autorisée, tout achat effectué devant l’être par le gouverneur ou commandant en chef de la colonie où se trouvent les terres pour le compte de la Couronne et au cours d’une assemblée publique des Indiens. Plutôt que de tenter de paraphraser, je cite le texte exact des premiers alinéas de la Proclamation qui traitent de ces questions. La Proclamation intégrale et ses attendus se trouvent dans les appendices des Statuts revisés du Canada, 1970, aux pages 123 à 129.
Nous déclarons par conséquent de l’avis de Notre Conseil privé, que c’est Notre volonté et Notre plaisir et nous enjoignons à tout gouverneur et à tout commandant en chef de Nos colonies de Québec, de la Floride Orientale et de la Floride Occidentale, de n’accorder sous aucun prétexte des permis d’arpentage ni aucun titre de propriété sur les terres situées au-delà des limites de leur gouvernement respectif, conformément à la délimitation contenue dans leur commission. Nous enjoignons pour la même raison à tout gouverneur et à tout commandant en chef de toutes Nos autres colonies ou de Nos autres plantations en Amérique, de n’accorder présentement et jusqu’à ce que Nous ayons fait connaître Nos intentions futures, aucun permis d’arpentage ni aucun titre de propriété sur les terres situées au-delà de la tête ou source de toutes les rivières qui vont de l’ouest et du nord-ouest se jeter dans l’océan Atlantique ni sur celles qui ont été ni cédées ni achetées par Nous, tel que susmentionné, et ont été réservées pour les tribus sauvages susdites ou quelques-unes d’entre elles.
Nous déclarons de plus que c’est Notre plaisir royal ainsi que Notre volonté de réserver pour le présent, sous Notre souveraineté, Notre protection et Notre autorité, pour l’usage desdits sauvages, toutes les terres et tous les territoires non compris dans les limites de Nos trois gouvernements ni dans les limites du territoire concédé à la Compagnie de la baie d’Hudson, ainsi que toutes les terres et tous les territoires situés à l’ouest des sources des rivières qui de l’ouest et du nord-ouest vont se jeter dans la mer.
Nous défendons aussi strictement par la présente à tous Nos sujets, sous peine de s’attirer Notre déplaisir, d’acheter ou posséder aucune terre ci-dessus réservée, ou d’y former aucun établissement, sans
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avoir au préalable obtenu Notre permission spéciale et une licence à ce sujet.
Et Nous enjoignons et ordonnons strictement à tous ceux qui en connaissance de cause ou par inadvertance, se sont établis sur des terres situées dans les limites des contrées décrites ci-cessus ou sur toute autre terre qui n’ayant pas été cédée ou achetée par Nous se trouve également réservée pour lesdits sauvages, de quitter immédiatement leurs établissements.
Il est clair, comme l’ont décidé les cours de la Colombie-Britannique, dont j’adopte les motifs, que les bandes nishgas représentées par les appelants ne faisaient pas partie de l’une des diverses bandes ou tribus indiennes soumises à la protection britannique et n’étaient pas visées par la Proclamation.
Les cours de la Colombie-Britannique ont parlé de l’histoire de la découverte et de la colonisation de leur province. Cette histoire démontre que la vallée de la Naas et, de fait, l’ensemble de la province ne pouvaient absolument pas être visées par la Proclamation.
En ce qui concerne l’établissement de la souveraineté britannique en Colombie-Britannique, en 1818, par une convention commerciale entre Sa Majesté et les États-Unis d’Amérique, la Couronne britannique et les États-Unis ont déterminé que la frontière serait la ligne de faîte des Rocheuses, appelées dans la convention les «Stoney Mountains». La frontière était le 49e parallèle de latitude. La convention stipulait l’occupation conjointe des terres à l’ouest de cet endroit pour une période de dix ans. Cette convention a été prolongée indéfiniment par une seconde convention, datant de 1827.
La région en question dans la présente action n’a été soumise à la souveraineté britannique qu’au moment de la conclusion du traité de l’Orégon, en 1846. Ce traité prolongeait la frontière le long du 49e parallèle depuis le point terminal, déjà établi, jusqu’au chenal séparant le continent de l’île de Vancouver, puis, à travers les Gulf Islands, jusqu’au détroit de Juan de Fuca. Le traité de l’Orégon était de fait un traité de cession, les droits réclamés par les Améri-
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cains étant cédés à la Grande-Bretagne. On ne mentionnait les droits indiens dans aucune de ces conventions, non plus que dans le traité.
En ce qui concerne l’établissement de la frontière nord de ce qui est devenu la Colombie‑Britannique, les tribunaux d’instance inférieure se sont fondés sur le témoignage du docteur Wil-lard Ireland, archiviste de la province, qui avait publié un ouvrage sur l’établissement des frontières de la province. Il commence par l’ukase impérial du tsar, datant du 16 septembre 1821, et revendiquant des droits commerciaux exclusifs le long de la côte du Pacifique jusqu’au 51e parallèle, vers le sud. La Grande-Bretagne et les États-Unis se sont immédiatement opposés à cette prétention. Les États-Unis ont proposé un traité tripartite en vertu duquel aucune colonisation ne devrait être faite par la Russie au sud du 55e degré, par les États-Unis au nord du 51e degré ou par la Grande-Bretagne au nord du 55e degré ou au sud du 51e degré. Les États-Unis étaient disposés, si c’était nécessaire, à accepter le 49e parallèle comme limite nord de leurs colonies. Cette proposition a été repoussée par le gouvernement britannique, qui préférait négocier séparément avec la Russie et les États‑Unis. Les pourparlers avec la Russie ont abouti à la convention du 28 février 1825, qui établissait une ligne de démarcation.
Le docteur Ireland est d’avis que bien que l’interprétation exacte de ses termes soit devenue par la suite une question litigieuse, après que l’Amérique russe eut été achetée par les États‑Unis, cette convention, généralement parlant, établissait la frontière telle qu’elle existe actuellement entre le Canada et l’Alaska. En d’autres termes, elle déterminait la limite nord du territoire britannique sur la côte du Pacifique.
La colonie de l’île de Vancouver a été établie par la Couronne britannique en 1849. James Douglas a été nommé gouverneur en 1851. La colonie de la Colombie-Britannique, soit la partie continentale de ce qui est maintenant la province, a été établie par la Couronne britannique en 1858 et le même James Douglas a été le premier gouverneur de la colonie avec les pleins
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pouvoirs exécutifs. Douglas est demeuré gouverneur des deux colonies jusqu’en 1864. Le 17 novembre 1866, les deux colonies ont été réunies en une seule colonie, sous la Couronne britannique, sous le nom de Colombie-Britannique. Cette colonie est entrée dans la Confédération le 20 juillet 1871, et est devenue la province de la Colombie-Britannique et partie du Dominion du Canada.
Lorsque la colonie de la Colombie-Britannique a été établie en 1858, il est certain que le territoire nishga en faisait partie. La Couronne du chef de la colonie a été propriétaire jusqu’au 20 juillet 1871, jour de l’entrée de la colonie dans la Confédération, et la Couronne du chef de la province de la Colombie-Britannique est devenue alors propriétaire, sauf à l’égard des terres transférées au Dominion en vertu des conditions de l’Union.
Les conditions politiques et sociales de ces deux colonies sont décrites quelque peu en détail dans les motifs du Juge Tysoe[5]:
[TRADUCTION] Avant l’établissement des territoires de l’île de Vancouver et de la Colombie-Britannique continentale à titre de colonies britanniques, ceux-ci étaient gouvernés par la Compagnie de la Baie d’Hudson dont James Douglas a été le premier agent durant quelque temps. Il avait été chargé de voir à la colonisation régulière des terres et à la surveillance des Indiens, certaines tribus étant de nature agressive et guerrière. Douglas était responsable du respect de la loi et du maintien de Tordre. Cette tâche lui est demeurée après rétablissement des colonies jusqu’à ce que des conseils exécutifs soient nommés, ainsi qu’ils le furent en temps utile. Douglas éprouvait certaines difficultés avec les Indiens de l’île de Vancouver. En 1852, il n’y avait qu’environ mille colons blancs, compte tenu des enfants, et ils étaient entourés par une population indienne de près de trente mille personnes. Sur le continent, il y avait à peu près les mêmes problèmes mais ceux-ci étaient encore plus graves. Le territoire était beaucoup plus vaste et la découverte de l’or a aggravé la situation. L’île de Vancouver avait vu l’arrivée d’un afflux d’étrangers et c’est ce qui avait amené la création de la colonie de l’île de Vancouver. Sur le continent, la situation était encore pire à cet égard. L’or a d’abord été découvert
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sur le Fraser et a attiré un grand nombre d’Américains des terrains aurifères de la Californie. C’étaient des hommes qui «nourrissaient l’espoir de voir l’annexion aux États‑Unis» et ils ne respectaient pas les Indiens autant que les colonisateurs britanniques. Le premier nouveau-né blanc est né à Port Langley, sur le continent, le 1er novembre 1857. Le précieux métal a attiré les Kanakas d’Hawaï en 1858; on dit que cette année-là, dix mille hommes travaillaient dans les mines d’or de la colonie de la Colombie-Britannique. En 1859 et 1860, de petits groupes d’hommes venus par les terres de l’est du Canada se sont ajoutés à la population minière. Ce fut le commencement du flux lent mais continu d’immigrants venus de l’autre côté des Rocheuses. Voir Margaret Ormsby, «British Columbia», p. 145, et Cicely Lyons, «Salmon, our Heritage», pp. 80, 81, 82, 85. A la fin des années 50 et au début des années 60, des routes ont été construites jusqu’aux régions minières. Il y a eu de nombreux heurts avec les Indiens. A mesure que l’immigration s’accroissait, Douglas craignait de plus en plus que le danger de guerre avec les Indiens se propage dans l’intérieur depuis le territoire de Washington et que les droits impériaux de maintien de la paix et de l’ordre soient bafoués. La recherche de l’or s’est étendue de plus en plus loin vers le nord et vers l’est. Les colons blancs se dispersaient et certains d’entre eux empiétaient sur les terres des villages et les autres terres occupées par les Indiens. Le besoin de protéger les Indiens et de protéger les colons contre les Indiens s’est fait sentir d’une façon pressante. Pareille protection, ainsi qu’un système ordonné de colonisation, a pris une importance primordiale. Douglas s’est beaucoup penché sur ces problèmes en 1858 et dans les années qui ont suivi.
Je crois qu’il est clair qu’en Colombie-Britannique, le titre indien ne peut pas avoir pour origine la Proclamation de 1763, mais il reste que lorsque les colons sont arrivés, les Indiens étaient déjà là, ils étaient organisés en sociétés et occupaient les terres comme leurs ancêtres l’avaient fait depuis des siècles. C’est ce que signifie le titre indien et en l’appelant «droit personnel de la nature d’un usufruit», la solution du problème n’en devient pas plus facile. Ils affirment dans la présente action qu’ils avaient le droit de continuer à vivre sur leurs terres comme l’avaient fait leurs ancêtres et que ce droit n’a jamais été juridiquement éteint. Il ne peut faire de doute que ce droit était «dépendant du bon plaisir du Souverain».
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Les cours de la Colombie-Britannique ont été d’avis que ce droit, s’il a existé, avait été juridiquement éteint, qu’en présence de deux sociétés en concurrence relativement à des terres, les colons blancs demandant la colonisation ordonnée et les Indiens demandant qu’on leur laisse la paix, les autorités compétentes ont délibérément choisi de mettre à part des réserves pour les Indiens dans diverses parties du territoire et d’ouvrir le reste à la colonisation. Elles ont statué que c’est ce qui s’était fait lorsque la Colombie-Britannique est entrée dans la Confédération en 1871, et que les conditions de l’Union ont reconnu ce fait.
En ce qui concerne l’île de Vancouver, nous avons à notre disposition un certain nombre de missives entre le Colonial Office et le Gouverneur Douglas portant sur le problème indien auquel ce dernier avait à faire face. La première, en date du 31 juillet 1858, contient l’avertissement qu’une condition nécessaire de tout marché ou traité avec les aborigènes en vue de la cession des terres qu’ils possèdent sera que d’autres moyens d’existence devront leur être fournis. Elle se lit comme suit:
Le 31 juillet 1858
[TRADUCTION] Je dois vous recommander de considérer les moyens les meilleurs et les plus humanitaires de traiter avec les Indiens aborigènes. Notre pays serait fortement défavorable à l’adoption de quelque mesure arbitraire ou oppressive en ce qui les concerne. Vu l’éloignement, et compte tenu des moyens imparfaits à ma disposition pour être bien informé, j’hésite à donner maintenant quelque suggestion en vue d’empêcher les disputes entre les Indiens et les immigrants. Cette question est d’une nature tellement locale qu’elle doit être résolue grâce à vos connaissances et à votre expérience, et je vous en charge, étant entièrement convaincu que vous tiendrez pleinement compte des intérêts des aborigènes, comme le voudrait un esprit éclairé soucieux d’humanité. Je dois ajouter qu’une condition nécessaire, dans tout marché ou traité avec les aborigènes en vue de la cession des terres qu’ils possèdent, est que les moyens d’existence doivent leur être fournis de quelque façon, et surtout, que le gouvernement de Sa Majesté tient absolument à ce que vous envisagiez sans délai les meilleurs moyens à prendre en vue de diffuser les bienfaits de la religion chrétienne et de la civilisation parmi les aborigènes.
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Ces missives nous donnent de nombreux détails et renseignements des deux côtés. Elles exposent les difficultés et problèmes existants et proposent des solutions. Je reproduis un passage de la dernière missive du gouverneur, qui résume bien les efforts de celui-ci:
Victoria, le 25 mars 1861
[TRADUCTION] Monsieur le Duc — J’ai l’honneur de vous transmettre une pétition de l’assemblée législative de l’île de Vancouver, demandant l’aide du gouvernement de Sa Majesté en ce qui concerne l’extinction du titre indien sur les terres publiques de cette colonie et exposant, avec beaucoup de force et de véracité, les maux qui peuvent survenir si cette précaution très nécessaire n’est pas prise.
2. Étant donné que la population indienne de l’île de Vancouver a des idées particulières au sujet de la propriété immobilière et que les Indiens se reconnaissent mutuellement leurs droits de possession exclusive sur certains districts, ils considéreraient sans aucun doute l’occupation de pareilles parties de la colonie par les colons blancs, sans l’approbation complète des tribus propriétaires, comme un préjudice national; il en découlerait un sentiment d’irritation contre les colons et peut-être du mécontentement contre le gouvernement, la paix de ce pays pouvant être compromise.
3. Connaissant leurs sentiments à cet égard, j’ai eu l’habitude, jusqu’en 1859, d’acheter les droits aborigènes sur les terres, dans chaque cas, avant de coloniser un district; mais depuis ce temps, par suite de l’extinction de la charte de la Compagnie de la Baie d’Hudson, et du manque de fonds, je n’ai pas pu continuer à le faire. De fait, vous devez sûrement savoir que depuis lors j’ai éprouvé énormément de difficulté à obtenir suffisamment de fonds pour subvenir aux besoins indispensables du gouvernement.
Puis, il signale la nécessité d’autres achats, s’élevant à la somme de £3,000, et demande un prêt correspondant au gouvernement impérial. On lui a répondu qu’il s’agissait essentiellement d’un problème de nature locale et que les fonds devaient être réunis par la colonie. La réponse complète se lit comme suit:
Downing Street, le 19 octobre 1861
[TRADUCTION] Monsieur. — J’ai pris connaissance de votre missive n° 24, du 25 mars dernier, transmettant une adresse de l’assemblée législative de l’île de Vancouver demandant l’aide du gouvernement de Sa Majesté en ce qui concerne l’extinction du titre indien
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sur les terres publiques de la colonie, et exposant les maux qui peuvent survenir si cette précaution n’est pas prise.
Je suis tout à fait conscient qu’il est extrêmement important d’acheter sans délai le titre aborigène sur les terres de l’île de Vancouver; mais l’acquisition du titre est une question d’intérêt purement colonial, et la législature ne doit pas s’attendre à ce qu’il incombe au contribuable britannique d’engager des fonds ou le crédit de la Grande‑Bretagne à cette fin. Je recommanderais donc fortement à l’assemblée législative de vous permettre de vous procurer les fonds requis, mais si elle estime que ce n’est pas là une mesure appropriée, le gouvernement de Sa Majesté ne peut pas entreprendre de fournir l’argent nécessaire pour un objet qui, bien qu’essentiel en ce qui concerne l’intérêt des habitants de l’île de Vancouver, est en même temps d’une nature purement coloniale et d’une importance minime en ce qui concerne les frais qui en découleraient.
Les motifs de jugement traitent ensuite d’une série de proclamations de James Douglas en sa qualité de gouverneur de la colonie de la Colombie-Britannique. La première est datée du 2 décembre 1858; il est mentionné qu’il s’agit d’une proclamation qui a force de loi en vue de permettre au gouverneur de la Colombie-Britannique de vendre les terres de la Couronne dans les limites de ladite colonie. La proclamation autorisait le gouverneur à concéder toute terre appartenant à la Couronne dans la colonie.
La seconde proclamation est datée du 14 février 1859. Il y est déclaré que toutes les terres de la Colombie-Britannique ainsi que toutes les mines et tous les minerais s’y trouvant appartiennent à la Couronne en propriété absolue. La proclamation autorise la vente de ces terres, lorsque les levés seront terminés et que ces terres seront prêtes à être vendues, et prescrit qu’un avis de pareilles ventes, en bonne et due forme, doit être donné.
La troisième proclamation est datée du 4 janvier 1860. Elle autorise les sujets britanniques et les étrangers qui prêtent le serment d’allégeance à acquérir les terres de la Couronne inoccupées, non réservées et non arpentées, et prévoit la reconnaissance subséquente de leur droit, une fois l’arpentage terminé.
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La quatrième proclamation est datée du 20 janvier 1860. Elle autorise la vente de certaines terres par contrat entre particuliers et autorise le Commissaire aux biens-fonds ainsi que tous les magistrats et commissaires de l’or à effectuer ces ventes à certains prix.
La cinquième proclamation, datée du 19 janvier 1861, porte plus en détail sur les ventes de biens-fonds.
La sixième proclamation, datée du 19 janvier 1861, réduit le prix des biens-fonds.
La septième proclamation, datée du 28 mai 1861, porte sur les conditions de préemption et restreint ce droit à 160 acres par personne.
La huitième proclamation, datée du 27 août 1861, est une refonte des lois régissant la colonisation des terres de la Couronne non arpentées, situées en Colombie-Britannique.
La neuvième proclamation, datée du 27 mai 1863, porte sur l’établissement de districts miniers.
Puis, suivent quatre ordonnances adoptées par le Gouverneur avec le consentement du Conseil législatif de la Colombie-Britannique. La première est datée du 11 avril 1865. Elle reprend ce que la proclamation avait déjà dit, soit, que toutes les terres de la Colombie‑Britannique ainsi que toutes les mines et tous les minerais s’y trouvant, non autrement attribués selon le droit, appartiennent à la Couronne en propriété absolue. D’autres dispositions portent sur la vente publique des terres ainsi que sur le prix; à moins qu’un avis contraire ne soit expressément donné au moment de la vente, le transfert des biens-fonds comprend tous les arbres ainsi que toutes les mines et tous les minerais s’y trouvant (à l’exception des mines d’or et d’argent). L’ordonnance traite également des droits de préemption sur les terres de la Couronne inoccupées, non arpentées et non réservées [TRADUCTION] «qui ne constituent pas l’emplacement d’une ville existante ou projetée, d’un terrain aurifère, d’une réserve ou colonie indienne, sous réserve de certaines conditions.»
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L’ordonnance suivante, datée du 31 mars 1866, apporte des restrictions quant à ceux qui peuvent acquérir des terres par préemption en vertu de l’ordonnance du 11 avril 1865. Les sujets britanniques ou les étrangers qui prêtent le serment d’allégeance ont ce droit mais il ne s’étend pas, du moins sans l’autorisation particulière du gouverneur, aux compagnies ou [TRADUCTION] «aux aborigènes de cette colonie ou des territoires voisins.»
La troisième ordonnance est datée du 10 mars 1869. Elle porte sur le paiement du prix d’achat, relativement aux droits de préemption.
La dernière ordonnance est datée du 1er juin 1870, et modifie, tout en les refondant, les lois régissant les terres de la Couronne en Colombie-Britannique.
Les conséquences de ces proclamations et ordonnances ont été énoncées par le Juge Gould, en première instance, dans les termes suivants. J’accepte sa conclusion, comme l’a d’ailleurs fait la Cour d’appel:
[TRADUCTION] Les divers textes législatifs ci-dessus mentionnés sont reliés entre eux, et dans de nombreux cas, ils contiennent des renvois d’un texte à l’autre, particulièrement le n° XIII. Ils sont bien antérieurs au 19 novembre 1866, jour où il a été tenu pour certain que les terres délimitées se trouvaient dans les limites de la colonie de la Colombie-Britannique et étaient donc visées par la législation de la colonie en matière immobilière, le cas échéant. Les treize textes révèlent une unité d’intention, soit l’exercice du pouvoir législatif et de la souveraineté absolue sur toutes les terres de la Colombie-Britannique, souveraineté incompatible avec tout intérêt contradictoire, y compris «le titre aborigène, autrement dit titre indien», pour reprendre les termes de la déclaration. Les textes législatifs antérieurs au 19 novembre 1866 sont inclus, en vue de montrer le but de la législation connexe subséquente, qui visait indubitablement les terres délimitées.
La même opinion est exprimée dans une lettre datée du 29 janvier 1870 du gouverneur Musgrave au Colonial Office, qui avait reçu certains commentaires de la Aborigines Protection Society au sujet des conditions dans lesquelles vivaient les Indiens de l’île de Vancouver. Il fit préparer un memorandum par le commissaire
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aux biens-fonds et travaux, également arpenteur général, M. Trutch. Lorsque la colonie est entrée dans la Confédération le 20 juillet 1871, M. Trutch a été nommé lieutenant‑gouverneur. Il avait été le principal négociateur de la colonie, tant à Ottawa qu’à Londres, dans les pourparlers au sujet des conditions d’entrée de celle-ci dans la Confédération; il avait vécu dans la colonie depuis qu’elle avait été établie en 1858. Il dit, entre autres, ce qui suit:
[TRADUCTION] En fait, on a considéré que les Indiens étaient les pupilles particuliers de la Couronne; en exerçant sa tutelle, le gouvernement a toujours mis de côté, lorsque le demandait l’intérêt des Indiens, les parties des terres de la Couronne qui étaient jugées appropriées et amplement suffisantes aux besoins de chaque tribu; ces réserves indiennes sont détenues par le gouvernement, en fiducie, pour l’usage et le bénéfice exclusifs des Indiens qui y résident.
Mais le droit de propriété des Indiens sur les terres publiques, ou sur quelque partie d’icelles, n’a jamais été reconnu par le gouvernement; au contraire, il a expressément été nié. Aucune entente particulière n’a été conclue avec l’une quelconque des tribus du continent en vue de l’extinction des droits de possession revendiqués par les Indiens, mais on a jugé que leurs prétentions étaient pleinement satisfaites en laissant chaque tribu utiliser, selon les exigences de la colonisation du pays, des parcelles suffisantes aux fins de l’agriculture et de l’élevage.
Les termes de cette lettre nous rappellent les commentaires formulés dans l’arrêt United States v. Santa Fe Pacific R. Co.[6], au sujet de l’extinction du titre indien:
[TRADUCTION] Il n’est pas vrai non plus, comme le soutient l’intimée, que tout droit tribal sur quelque terre particulière doit être fondé sur un traité, sur une loi, ou sur quelque autre acte positif du gouvernement. Comme il a été déclaré dans l’arrêt Cramer, «le fait que pareil droit d’occupation n’est pas reconnu par quelque loi ou autre acte gouvernemental positif n’est pas concluant.» 261 U.S., p. 229.
L’extinction du titre indien fondé sur la possession aborigène, est, bien sûr, une autre question. Le pouvoir du Congrès à cet égard est suprême. Les formalités, méthode et époque de l’extinction soulèvent des questions politiques et non des questions dont les
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tribunaux peuvent être saisis. Buttz v. Northern Pacific Railroad. Comme Ta dit le Juge en chef Marshall dans l’arrêt Johnson v. M’Intosh, «le droit exclusif qu’ont les États-Unis d’éteindre» le titre indien n’a jamais été contesté. Que l’extinction se fasse par traité, par les armes, par achat, par l’exercice d’une souveraineté complète allant à l’encontre du droit d’occupation ou autrement, le caractère juste ou injuste de cette mesure ne peut pas être examiné par les tribunaux. Beecher v. Wetherby, 95 U.S. 517, 525.
Les motifs rendus par le Conseil privé dans l’arrêt in Re Southern Rhodesia[7], sont au même effet.
Les conditions de l’Union en vertu desquelles la Colombie-Britannique est entrée dans la confédération sont également très importantes à cet égard. Ces conditions ont été approuvées par le décret impérial du 16 mai 1871, qui, en vertu de l’art. 146 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, a le même effet qu’une loi impériale. L’article 13 se lit comme suit:
[TRADUCTION] 13. Le soin des Indiens, et la garde et l’administration des terres réservées pour leur usage et bénéfice, incomberont au Gouvernement Fédéral, et une ligne de conduite aussi libérale que celle suivie jusqu’ici par le gouvernement de la Colombie-Britannique sera continuée par le Gouvernement Fédéral après l’Union.
Pour mettre ce projet à exécution, des étendues de terres ayant la superficie de celles que le gouvernement de la Colombie-Britannique a, jusqu’à présent, affectées à cet objet, seront de temps à autre transférées par le Gouvernement Local au Gouvernement Fédéral au nom et pour le bénéfice des Indiens, sur demande du Gouvernement Fédéral; et dans le cas où il y aurait désaccord entre les deux gouvernements au sujet de la quantité des étendues de terre qui devront être ainsi concédées on devra en référer à la décision du Secrétaire d’État pour les Colonies.
En ce qui concerne les réserves, il est bon de mentionner ici, même si l’ordre chronologique n’est pas suivi, la commission McKenna-McBride, son rapport et les dispositions législatives fédérales qui ont suivi les recommandations de la commission.
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La commission a été établie en 1913 en vue de régler tout différend entre le Dominion et la Colombie-Britannique au sujet des terres et des affaires indiennes dans la province. Sept ans plus tard, les recommandations de cette commission ont été suivies par des dispositions législatives fédérales, 1920 (Can. 2e Sess.), c. 51. Cette loi porte l’intitulé suivant: «Loi statuant sur la solution des différends entre les gouvernements du Dominion du Canada et de la province de la Colombie-Britannique relativement aux terres et à certaines autres affaires des sauvages de ladite province.» Dans le préambule, il est question de l’établissement de la commission, de la présentation de son rapport et des recommandations faites au sujet des terres réservées ou devant l’être, pour le bénéfice des Indiens de la Colombie-Britannique, et en outre, du règlement de tout différend entre lesdits gouvernements relativement aux terres et affaires indiennes de la province.
L’article 2 de la loi se lit comme suit:
2. Dans la pleine mesure où il peut le juger nécessaire et opportun, le Gouverneur en conseil peut faire, exécuter et accomplir tout acte, contrat, ou toute chose indispensable à l’exécution dudit traité entre les gouvernements du Dominion du Canada et de la province de la Colombie-Britannique, selon son esprit véritable, et pour donner suite au rapport de ladite commission royale, en tout ou en partie, et pour la revision et la solution entière et finale de tous les différends entre lesdits gouvernements concernant les terres et les affaires des sauvages de la province.
Les recommandations de la Commission ont entraîné l’établissement de nouvelles réserves indiennes dans la région de la Nass ou la confirmation d’anciennes réserves dans cette région. Il en existe plus de trente. Frank Calder, l’un des appelants, dit que cela s’est fait malgré les objections des Indiens. Néanmoins, l’autorité fédérale a exercé son pouvoir en vertu de l’art. 91, par. (24), de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. Elle a accepté, pour le compte des Indiens, la politique consistant à établir ces réserves.
Au ministère des Affaires indiennes, il existe une agence de la Nass qui administre la région
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en question. Les réserves correspondent généralement aux lieux de pêche que les Indiens avaient traditionnellement utilisés. Le gouvernement de ce qui fut d’abord une colonie de la Couronne, et depuis 1871, le gouvernement de la Colombie-Britannique ont passé des actes d’aliénation dans la vallée de la Nass, et qui vont à l’encontre de l’existence d’un titre aborigène. Ces aliénations, précitées, étaient des ventes en propriété absolue, des baux d’exploitation du pétrole et du gaz naturel, des concessions de claims miniers et de permis de ferme arboricole.
De plus, l’établissement de la ceinture ferroviaire, en vertu des conditions de l’Union, est incompatible avec la reconnaissance d’un titre indien et la continuation de l’existence de celui-ci. L’article 11 se lit comme suit:
[TRADUCTION] 11. Le gouvernement de la Puissance s’engage à faire commencer simultanément, dans les deux années de la date de l’Union, la construction d’un chemin de fer du Pacifique aux Montagnes-Rocheuses, et du point qui pourra être choisi, à l’est des Montagnes-Rocheuses, jusqu’au Pacifique, pour relier la côte maritime de la Colombie-Britannique au réseau des chemins de fer canadiens, et de plus à faire achever ce chemin de fer dans les dix années de la date de l’Union.
Et le gouvernement de la Colombie-Britannique convient de transférer au Gouvernement fédéral, à la charge d’en disposer de telle manière que le Gouvernement fédéral le jugera à propos dans l’intérêt de la construction de ce chemin de fer, une étendue de terres publiques, sur tout le parcours de ce chemin de fer dans la Colombie‑Britannique, ne devant pas excéder, néanmoins, vingt (20) milles de chaque côté de cette ligne, semblable à celle qui pourra être affectée au même objet par le Gouvernement fédéral à même les terres publiques des territoires du Nord-Ouest et de la province du Manitoba; pourvu que la quantité de terre qui pourra être possédée en vertu d’un droit de préemption ou d’une concession de la Couronne, dans les limites de l’étendue de terre dans la Colombie-Britannique qui devra être ainsi cédée et transportée au Gouvernement fédéral, sera remplacée au bénéfice du Gouvernement fédéral à même les terres publiques avoisinantes; et pourvu aussi que jusqu’au commencement, sous deux ans de la date de l’Union, comme il est dit ci-haut, de la construction de ce chemin de fer, le gouvernement de la Colombie-
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Britannique ne vendra ni n’aliénera aucune nouvelle partie des terres publiques de la Colombie-Britannique d’aucune autre manière qu’en vertu du droit de préemption, en exigeant de celui qui exercera ce droit qu’il tienne feu et lieu sur la terre qu’il réclamera. En considération des terres ainsi cédées pour aider à la construction de ce chemin de fer, le Gouvernement fédéral convient de payer à la Colombie-Britannique, à dater de l’époque de l’Union, la somme de 100,000 piastres par année, en versements semestriels et d’avance.
Il n’y avait aucune réserve au sujet des droits indiens relativement à l’emprise de chemin de fer qui devait être cédée au gouvernement fédéral.
Il ressort de ce que j’ai déjà dit qu’avant 1871, il n’existait aucun traité entre les tribus indiennes et la colonie au sujet des terres continentales. D’après les pièces produites, il semble que sur l’île de Vancouver, il y a eu en tout quatorze achats de terres indiennes dans la région du fort Victoria. Ce sont là les achats dont il est question dans la correspondance entre James Douglas, et le Colonial Office. En 1899, le traité n° 8 a été négocié et certaines tribus du nord-est de la Colombie-Britannique ont été jointes, dans le traité, aux tribus Cree, Beaver, Chipewyan, et à celles de l’Alberta et des territoires du Nord-Ouest. La région visée par ce traité est vaste, tant dans les territoires du Nord-Ouest qu’au nord-est de la Colombie‑Britannique. Il est certain qu’en vertu de ce traité, les Indiens ont cédé leurs droits dans les deux régions.
Les appelants soutiennent que ce traité constituait une reconnaissance de leurs droits par le Dominion en 1899. La question de savoir si cela comportait une reconnaissance de droits semblables sur le reste de la Colombie-Britannique est une autre affaire. Les limites territoriales énoncées dans le traité et le fait que les Indiens du nord-est de la Colombie‑Britannique ont été joints à ceux qui habitaient les territoires du Nord-Ouest peuvent avoir une certaine importance. Mais la réponse de la province demeure la même: le titre original indien avait été éteint dans la colonie de la Colombie-Britannique
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avant la Confédération et il n’y avait aucun droit indien à transporter au Dominion à part les droits dont il est fait mention à l’article 13 des conditions de l’Union.
Aux États-Unis, une question à peu près semblable à celle dont nous sommes ici saisis a été traitée dans trois arrêts assez récents de la Cour suprême. Il s’agit des arrêts suivants: United States v. Alcea Band of Tillamooks et al.[8]; United States v. Alcea Band of Tillamooks et al.[9]; Tee-Hit-Ton Indians v. United States[10].
Dans ces affaires, les Indiens demandaient une indemnité par suite de la prise de leurs terres, situées en dehors de leurs réserves et non visées par quelque traité. Les faits de la première affaire Tillamooks sont les suivants: après avoir créé un gouvernement dans le territoire de l’Orégon par la loi de 1848, le Congrès, en 1850, a autorisé la négociation de traités avec les tribus indiennes de la région. Le représentant désigné par la loi a conclu un traité stipulant la cession des terres indiennes en contrepartie de certaines sommes d’argent, et la création d’une réserve dont la superficie pouvait, par les termes mêmes de l’acte, être diminuée par la suite. Ce traité ne devait entrer en vigueur qu’au moment de sa ratification. Il n’a été présenté au Sénat qu’en 1857, et n’a jamais été ratifié. Au cours des années qui ont suivi, la superficie de la réserve elle-même a été diminuée soit par ordonnance de l’exécutif soit par loi du Congrès, en vue de permettre la colonisation d’étendues plus vastes. Finalement, en 1894, le Congrès a approuvé la réserve existant alors, d’une superficie réduite; depuis lors, il n’avait pris aucune terre réservée sans indemnisation.
La tribu des Tillamooks intenta une action contre les États-Unis en vertu de la loi de 1935, qui rendait la Court of Claims compétente pour entendre et décider les causes portant sur tous droits juridiques et en «equity» découlant des titre, droits et prétentions originaux indiens,
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relativement à des biens-fonds décrits dans les traités non ratifiés. La majorité décida que dès lors que l’on faisait la preuve de leur titre original indien sur les terres désignées, et que l’on établissait que leur intérêt dans celles-ci avait été éteint sans leur consentement et sans indemnisation, les Tillamooks avaient le droit d’obtenir une indemnité sans établir que le titre original indien avait déjà été positivement reconnu par les États-Unis.
C’était la première fois que pareille réclamation était accueillie et que les États-Unis payaient. Il y avait déjà eu des causes dans lesquelles des terres réservées aux Indiens en conformité d’un traité avaient été prises par les États-Unis sans le consentement de ceux-là; soit les affaires Shoshone Tribe of Indians v. United States[11], et United States v. Klamath and Moadoc Tribes of Indians[12].
Dans l’affaire Shoshone, les Indiens, par un traité conclu en 1868, avaient obtenu qu’une réserve soit mise à part pour leur usage exclusif. Dix ans plus tard, le commissaire des affaires indiennes établissait une autre bande d’Indiens sur la réserve; dès lors, il considéra les deux tribus comme bénéficiaires à part égale de la réserve. Des lois subséquentes du Congrès adoptèrent la ligne de conduite établie par le commissaire. Les Shoshones protestèrent longtemps contre cet empiétement sur leurs droits, et finalement, en 1927, ils obtinrent du Congrès une loi attributive de juridiction les autorisant à réclamer une indemnité pour la prise d’une moitié indivise de leurs terres tribales.
Étant donné ce qui advint dans les affaires subséquentes Tillamooks et Tee-Hit-Ton, le fondement de l’indemnité est d’un grand intérêt. Les Shoshones ont reçu non seulement la valeur de leurs droits de propriété au moment de la prise des terres, mais également tout montant additionnel nécessaire à une juste indemnisation, [TRADUCTION] «le montant additionnel devant être déterminé soit par l’intérêt sur la
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valeur, soit par tout autre critère approprié compte tenu de l’ensemble des circonstances.»
Dans l’arrêt Klamath, un jugement semblable a été rendu par suite de la prise d’une partie d’une réserve.
L’arrêt Tillamooks est important en ce sens que la Cour a décidé que le principe consistant à indemniser lorsqu’il y avait prise de réserves indiennes, s’appliquait également aux réclamations découlant d’un titre original indien. L’alinéa suivant des motifs du Juge en chef Vinson semble reproduire le raisonnement de la majorité:
[TRADUCTION] Et les autres arrêts de cette Cour ne tiennent pas compte de cette dichotomie entre titre indien «reconnu» et titre indien «non reconnu» qu’invoque le requérant. Dans de nombreux arrêts, il est question du pouvoir suprême du Congrès d’éteindre le droit indien d’occupation par des méthodes dont le caractère juste ou injuste «ne peut pas être examiné par les tribunaux». United States v. Santa Fe Pacific R. Co., précité, p. 347. A défaut d’une loi permettant la tenue d’une enquête judiciaire, ces termes ne sauraient être contestés lorsque des Indiens réclament une indemnité à la suite de la prise de leurs terres; mais ici, dans la loi de 1935, le Congrès a autorisé les tribunaux à se prononcer sur les réclamations découlant d’un titre original indien. De plus, dans certains arrêts, il est question du pouvoir illimité du Congrès relativement aux terres indiennes détenues en vertu de ce que le requérant appelle un titre «reconnu»; or, il ne fait pas de doute que, dès lors que les États-Unis autorisent des poursuites, il est possible d’obtenir une indemnité par suite de la prise forcée, sans indemnisation, de terres sujettes à un titre «reconnu». Nous croyons que la même règle s’applique à la prise d’une terre grevée d’un titre original indien. «Que cette parcelle… ait à juste titre été appelée une réserve… ou un territoire indien non cédé,… importe peu… le droit d’occupation des Indiens a toujours été considéré comme sacré; comme une chose qui ne doit pas être prise sans le consentement des Indiens et sans donner la contrepartie qui est convenue.» Minnesota v. Hitchcock, 185 U.S. 373, 388-89(1902).
M. le Juge Black souscrivait à l’avis de la majorité quant à la décision à rendre mais il était d’avis que la loi de 1935, autorisant l’introduction d’une instance, créait également l’obli-
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gation, pour le gouvernement, d’indemniser les Tillamooks à l’égard de toutes les terres sur lesquelles leurs ancêtres avaient détenu un «titre original indien». Trois juges étaient dissidents. Ils auraient rejeté la réclamation pour les motifs énoncés dans l’alinéa suivant:
[TRADUCTION] Étant donné que nous sommes d’avis que la loi attributive de juridiction permet uniquement qu’un jugement soit rendu à l’égard de réclamations découlant du titre original indien, et que nous sommes de plus d’avis qu’il n’existait aucun droit juridique ou en «equity» découlant de la prise des terres sujettes à ce titre indien, nous infirmerions le jugement de la Court of Claims et ordonnerions le rejet de la demande des intimés. Cf. Shoshone Indians v. United States, 324 U.S. 335.
La première affaire Tillamooks ne peut pas être examinée sans l’autre, l’affaire United States v. Alcea Band of Tillamooks et al.[13], qui en fut la suite. Dans l’intervalle, la Court of Claims avait entendu les témoignages au sujet du montant de l’indemnité et accordé un montant équivalent à la valeur qu’avaient les terres en 1855, plus l’intérêt couru depuis lors. Lors de l’appel à la Cour suprême, le jugement relatif à l’intérêt fut infirmé à l’unanimité. Le motif à la base de cette décision était que la loi particulière de 1935 n’édictait pas expressément le paiement d’un intérêt, la seule exception à cette règle étant le cas où la prise autorise le réclamant à recevoir une juste indemnité en vertu du cinquième Amendement:
[TRADUCTION] Si nous examinons les avis antérieurs en l’espèce, nous constatons qu’aucun ne dit que l’indemnisation est fondée sur une expropriation visée par le cinquième Amendement. Et, étant donné que la loi applicable, 49 Stat. 801, (1935), ne renferme aucune disposition autorisant l’attribution d’un intérêt, pareille attribution doit être infirmée.
A mon sens, cela équivaut à une confirmation de l’avis exprimé par le Juge Black, précité, que la loi attributive de juridiction de 1935 créait l’obligation de payer. Dans la première affaire Tillamooks, la majorité avait clairement dit qu’il n’existait aucune différence entre une indemnité découlant de la prise de réserves (arrêts Shos-
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hone et Klamath) et celle découlant de réclamations en vertu d’un titre original indien, et que les deux réclamations étaient visées par le cinquième Amendement. Dans la seconde affaire Tillamooks, la cour n’a pas pris cette position et a décidé que la réclamation devait être décidée selon la loi 1935 et non pas selon le cinquième Amendement.
L’autre arrêt est celui rendu dans l’affaire Tee-Hit-Ton Indians v. United States[14]. Les États‑Unis avaient pris le bois de terres boisées de l’Alaska, lesquelles, d’après les Indiens, appartenaient à ceux-ci. Les Indiens ont demandé une indemnité. En l’espèce, l’indemnité réclamée ne découlait d’aucune obligation légale de payer. La requête était fondée sur le cinquième Amendement et sur le droit aborigène grevant les terres sur lesquelles se trouvaient les arbres. La poursuite pouvait être engagée en vertu d’une loi de 1946 autorisant les poursuites ayant trait aux réclamations indiennes nées après cette date. La Cour décida que dans l’arrêt Tillamooks, (329 U.S. 40) et (341 U.S. 48), l’indemnité était fondée sur une obligation statutaire d’acquitter le titre aborigène visé dans la loi attributive spéciale, en vue d’accorder la même protection aux Tillamooks qu’aux tribus voisines, et non pas sur une prise de terres pouvant faire l’objet d’une indemnisation en vertu du cinquième Amendement.
Encore une fois, j’estime qu’on se trouvait ainsi à adopter l’avis exprimé par le Juge Black dans l’arrêt Tillamooks, soit que le fondement de l’indemnité se trouvait dans une loi.
Le passage pertinent du cinquième Amendement édicte ce qui suit:
[TRADUCTION] et aucune propriété privée ne sera prise à des fins publiques sans une juste indemnisation.
Dans le second arrêt Tillamooks, la cour a donc conclu que le titre aborigène ne constituait pas une propriété privée pouvant faire l’objet d’une indemnisation en vertu de l’Amendement.
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Cette position est énoncée clairement dans l’arrêt Tee-Hit-Ton. Au sujet de la nature du titre aborigène indien, la cour exprime l’avis suivant, p. 279:
[TRADUCTION] Il ne s’agit pas d’un droit de propriété, mais en quelque sorte, d’un droit d’occupation que le Souverain accorde et qu’il protège contre l’empiétement par des tiers; mais le souverain peut éteindre ce droit d’occupation et peut vendre les terres sans encourir d’obligation juridiquement exécutoire d’indemniser les Indiens.
A mon avis, en la présente espèce, l’autorité souveraine a décidé d’exercer sur Ses terres en litige une suprématie complète contraire à tout droit d’occupation de la tribu nishga lorsque, par une loi, elle a ouvert ces terres à la colonisation à l’exception des réserves mises de côté aux fins de l’occupation indienne.
On n’a invoqué aucun arrêt postérieur à l’arrêt Tee-Hit-Ton en ce qui concerne le problème de l’indemnisation résultant de réclamations fondées sur un titre original indien. Par conséquent, la Cour suprême des États-Unis a en dernier lieu décidé qu’il n’existe aucun droit d’indemnisation par suite de pareilles réclamations à défaut d’une obligation statutaire de payer. Le Indian Claims Commission Act a de fait été adopté par le Congrès en 1946. Je note le dernier alinéa des motifs de jugement rendus dans l’affaire Tee-Hit-Ton. A mon avis, il s’applique également à l’appel dont nous sommes ici saisis:
[TRADUCTION] Étant donné l’histoire des relations indiennes en ce pays, la seule mesure à prendre, compte tenu de la croissance des États-Unis, serait que le Congrès fasse des contributions à l’égard des terres indiennes plutôt que de soumettre le gouvernement à l’obligation de payer la valeur au moment de la prise, avec intérêt jusqu’à la date du paiement. Notre conclusion ne se veut pas dure à l’égard des Indiens, mais elle laisse le Congrès, qui devrait avoir compétence en la matière, déterminer la ligne de conduite à établir en ce qui concerne les prestations d’extinction de l’occupation indienne sur les terres du gouvernement, et évite de faire de l’indemnisation fondée sur la valeur des terres un principe constitutionnel rigide.
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Pour les motifs ci-dessus énoncés, j’en suis venu à la conclusion que l’action ne peut être accueillie et que l’appel devrait être rejeté.
L’intimé a soulevé une autre question: la Cour ne serait pas compétente pour rendre l’ordonnance déclaratoire demandée parce qu’avant d’engager l’action, il fallait obtenir une autorisation en vertu du Crown Procedure Act, R.S.B.C., 1960, c. 89, et que celle-ci n’a pas été obtenue. Bien qu’il ne soit pas nécessaire, étant donné la conclusion à laquelle j’en suis venu, de statuer sur ce point, je souscris aux motifs exprimés par mon collègue le Juge Pigeon à cet égard.
Je suis d’avis de rejeter l’appel et de ne rendre aucune ordonnance relativement aux dépens.
Le jugement des Juges Hall, Spence et Laskin a été rendu par
LE JUGE HALL (dissident) — Le présent appel soulève des questions ayant une importance vitale pour les Indiens du nord de la Colombie-Britannique et, en particulier, pour ceux de la tribu des Nishgas. La tribu des Nishgas persiste depuis presque un siècle à faire valoir un droit dans certains biens-fonds, à la suite de l’occupation immémoriale de ceux-ci par leurs ancêtres. Les Nishgas n’ont jamais été conquis et n’ont conclu aucun traité ou acte de cession, contrairement à plusieurs autres tribus indiennes à travers le Canada et au sud de la Colombie-Britannique. Avant l’introduction de l’instance, la Couronne n’avait jamais concédé les biens-fonds qui sont en litige, à l’exception des quelques petites parcelles dont il sera plus loin question.
La réclamation formulée dans la déclaration se lit comme suit:
[TRADUCTION] PAR CONSÉQUENT, les demandeurs réclament une déclaration suivant laquelle le titre aborigène, autrement dit titre indien, qu’ils détiennent sur leur ancien territoire tribal ci-dessus décrit, n’a jamais été juridiquement éteint.
Bien qu’un avis lui ait été donné en vertu du Constitutional Questions Determination Act,
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R.S.B.C. 1960, c. 72, le procureur général du Canada a décidé de ne pas intervenir dans l’action (Pièce n° 3).
A l’audition devant cette Cour, les avocats ont affirmé et convenu que le Parlement n’avait pris aucune mesure en vue d’éteindre le titre indien après l’entrée de la Colombie-Britannique dans la Confédération. L’appel a été plaidé sur cette base et en se fondant sur la déclaration des avocats qu’aucune question constitutionnelle n’était en jeu.
L’examen des questions en litige comporte l’étude des nombreux documents historiques et textes législatifs versés au dossier, particulièrement les pièces 8 à 18 inclusivement et les pièces 25 et 35. La Cour peut prendre judiciairement connaissance des faits historiques, tant passés que contemporains: Monarch Steamship Co. Ltd. v. A/B Karlshamms Oljefabriker[15], p. 234; elle a le droit de se fonder sur ses propres connaissances historiques ainsi que sur les recherches qu’elle a faites à cet égard: Read v. Lincoln[16], Lord Halsbury, pp. 652-4.
Il faut aborder la question de l’appréciation et de l’interprétation des documents historiques et des textes législatifs versés au dossier en se fondant sur les recherches et connaissances actuelles sans tenir compte des anciens concepts formulés à une époque où la compréhension des coutumes et de la culture des aborigènes de notre pays était rudimentaire et incomplète et où l’on pensait qu’ils étaient sans cohésion, lois ou culture et constituaient de fait une espèce inférieure. Cette idée que l’on se faisait des premiers habitants de l’Amérique a amené le Juge en chef Marshall à dire, dans le jugement par ailleurs éclairé qu’il a rendu dans l’affaire Johnson v. McIntosh[17], jugement qui a fait autorité de façon éminente en matière de droits indiens: [TRADUCTION] «Mais les tribus indiennes habitant ce pays étaient composées de féroces sauvages dont l’occupation consistait à faire la guerre…» Nous savons maintenant
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que cette appréciation n’était pas fondée. Les Indiens ont de fait parfois participé à certaines guerres tribales, mais ce n’était pas là leur vocation et l’on peut dire que leur préoccupation guerrière était peu importante en comparaison des guerres religieuses et dynastiques qui ont ravagé l’Europe «civilisée» des 16e et 17e siècles. Les paroles du Juge Marshall étaient bien sûr fondées sur l’état des connaissances en 1823. Dans le jugement a quo, le Juge en chef Davey, ayant eu à sa disposition toute la recherche et tous les documents historiques depuis 1823 et malgré la preuve versée au dossier, qui, selon le Juge Gould, a été présentée [TRADUCTION] «avec une intégrité complète», a dit ce qui suit au sujet des Indiens de la Colombie-Britannique continentale:
[TRADUCTION]… Au moment de la colonisation, ils formaient sans aucun doute un peuple très primitif, connaissant peu les institutions d’une société civilisée, et aucune de nos notions de propriété privée.
En formulant ce commentaire en 1970, il appréciait la culture indienne de 1858 en se servant des normes que les Européens avaient appliquées aux Indiens de l’Amérique du Nord deux siècles ou plus auparavant.
La cause a été entendue en partie sur la base de certaines déclarations écrites, y compris les déclarations suivantes:
[TRADUCTION] 1. Le défendeur reconnaît que le demandeur Frank Calder est président du conseil de la tribu des Nishgas et que les demandeurs James Gosnell, Nelson Azak, William McKay, Anthony Robinson, Robert Stevens, Hubert Doolan et Henry McKay sont les représentants du conseil de la tribu des Nishgas.
6. Le défendeur reconnaît que les bandes mentionnées aux paragraphes 2, 3, 4 et 5 de la déclaration sont composées des descendants des Indiens qui ont habité de temps immémorial la région délimitée sur le plan ci-joint, signé par l’avocat des demandeurs et par celui du défendeur.
7. Le défendeur reconnaît que les ancêtres des personnes mentionnées aux paragraphes 2, 3, 4 et 5 de la déclaration produite au soutien de la présente action vivaient, de temps immémorial, des terres et cours d’eau indiqués sur le plan ci-joint.
Les paragraphes 6 et 7 constituent le fondement de la réclamation, basée sur la possession immé-
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moriale. Lors du procès, d’autres déclarations ont été faites:
[TRADUCTION] Me BERGER: Le défendeur a reconnu que les demandeurs sont les représentants du conseil de la tribu des Nishgas et sont membres des conseils de chacune des bandes. Le défendeur a également reconnu que ces bandes sont composées des descendants des Indiens qui ont habité, de temps immémorial, la région délimitée sur le plan ci-joint, dressé par le professeur Wilson Duff, de l’université de la Colombie-Britannique, et signé par l’avocat du demandeur et par celui du défendeur. Le défendeur reconnaît également que les ancêtres des membres de la bande vivant sur les bords de la Naas à l’heure actuelle, vivaient, de temps immémorial, des terres et cours d’eau indiqués sur le plan.
L’exposé des faits reconnus a été signé par mon collègue, Me Brown.
LA COUR: Ce sera la pièce 1.
Le plan mentionné par Me Berger a été versé au dossier comme pièce n° 2 et les biens-fonds qui sont en cause dans la présente action sont ceux qui sont délimités dans la pièce n° 2. Il s’agit du plan dont il est fait mention au paragraphe 6 de l’exposé, précité.
Il est maintenant internationalement reconnu que toute la région délimitée dans la pièce n° 2 fait partie du Canada, mais la souveraineté du Canada sur une partie de cette région (la majeure partie de l’île Pearce) n’a été confirmée qu’au moment où la frontière canado‑américaine a été fixée par la Alaskan Boundary Commission en 1903. Il faut tenir compte de ce fait historique en déterminant si, comme l’allègue l’intimé, le droit ou titre des Indiens, s’il en est, a été éteint entre 1858 et le moment où la Colombie-Britannique est entrée dans la Confédération en 1871.
La frontière séparant le territoire de l’Alaska de la province de la Colombie-Britannique n’était pas bien établie au moment de la Confédération. On trouve une confirmation de ce fait dans une pétition de l’assemblée législative de la Colombie-Britannique, datée du 12 mars 1872, laquelle se lit partiellement comme suit:
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[TRADUCTION]… étant donné que la frontière entre le territoire adjacent de l’Alaska et ladite province de la Colombie-Britannique n’a jamais été fixée d’une façon précise, et étant donné que la délimitation exacte de la frontière aidera considérablement à maintenir la paix, l’ordre et le bon gouvernement dans ladite province, de faire des démarches aux fins d’attirer l’attention du gouvernement du Dominion sur la nécessité de prendre des mesures le plus tôt possible en vue de fixer la frontière d’une façon précise.
On a ensuite tenté de faire le relevé de la frontière; puis, il y a eu de longs pourparlers entre les gouvernements américain et anglais, mais aucune mesure précise n’a été prise en vue de régler la question de la frontière jusqu’à ce qu’un traité ait été signé à Washington le 24 janvier 1903, en vertu duquel était créée la Alaska Boundary Commission responsable de la délimitation de la frontière.
L’appelant Calder a décrit la région comme suit:
[TRADUCTION] Q. Pouvez-vous dire à Sa Seigneurie si actuellement les Nishgas utilisent les terres et cours d’eau indiqués sur le plan, pièce 2?
R. Disons ceci en réponse à votre question, de temps immémorial, les Nishgas ont utilisé la Naas et tous ses affluents à l’intérieur des limites ainsi définies, les terres du Observatory Inlet, celles du canal Portland, et une partie du Portland Inlet. Nous chassons encore sur ces terres et nous péchons dans les cours d’eau, ruisseaux et rivières, comme dans le passé, nous campons dans ces régions et nous nous y rendons périodiquement, suivant la saison, en suivant les saisons de chasse et de pêche, nous entretenons encore ces lieux, et, à notre connaissance, ils ont toujours été là.
Nous parcourons encore ces territoires, nous y campons encore chaque fois que cela est requis selon notre mode de vie, et nous utilisons les terres comme dans le passé, nous enterrons nos morts dans le territoire délimité et nous y exerçons encore le privilège des hommes libres.
Q. Monsieur Calder, savez-vous si les tribus indiennes qui vivent dans la région adjacente au territoire délimité sur le plan, pièce 2, ont reconnu les droits du peuple Nishga dans les limites de ce territoire?
R. Oui, nous avons des relations très amicales avec les tribus voisines, au point que les Nishgas sont
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allés jusqu’à reconnaître des droits historiques dans les limites de la région, par exemple le fameux poisson-chandelle.
Q. Sur le plan se trouve une ligne encerclant une partie de la Naas —
R. Juste au-dessus de la baie Naas. C’est ceci que vous voulez dire?
Q. Non, je veux dire le cercle, la ligne pointillée qui encercle la Naas juste au-dessus de la baie Naas.
R. Oui.
LA COUR: C’est là où elle encercle la Naas?
LE TÉMOIN: Juste au-dessus de la baie Naas, au-dessus, de l’autre côté et au‑dessous. Au nord-est, je dirais, Votre Seigneurie.
Me BERGER:
Q. Ce cercle indique-t-il l’emplacement des pêches de Ooligchans?
R. Oui.
Q. Les droits des autres tribus, à part les Nishgas, sont-ils reconnus à cet endroit?
R. Les gens de Port Simpson, les tribus Tshimshian ont leurs propres emplacements où elles trouvent les Ooligchans dont elles ont besoin.
La région décrite par Calder englobe toutes les terres délimitées dans la pièce n° 2 sauf une petite parcelle concédée par le gouvernement de la Colombie-Britannique pour l’emplacement de la ville de Stewart de même que le permis de ferme aboricole n°1 et peut‑être quelques baux miniers et aliénations relatives à l’abattage des arbres, d’une durée indéfinie. Ces parcelles ne représentent qu’une fraction de la région indiquée dans la pièce n° 2. Les appelants ne font ici aucune réclamation à l’égard de ces parcelles mais il est bon de noter qu’aux paragraphes 19, 20 et 21 de la déclaration, ils allèguent ce qui suit:
[TRADUCTION] 19. Aucune partie dudit territoire n’a été cédée ou vendue à la Grande‑Bretagne ou au Royaume-Uni, et aucune partie dudit territoire n’a été cédée ou vendue à la colonie de la Colombie-Britannique.
20. Aucune partie dudit territoire n’a été cédée ou vendue à la Couronne du chef de la province de la Colombie-Britannique et aucune partie dudit territoire n’a été achetée de ladite tribu des Nishgas, des
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demandeurs ou de l’un d’eux par la Couronne ou par quelque autre personne représentant la Couronne, lors d’une séance ou d’une assemblée publique ou autrement, ou par quelque personne que ce soit.
21. Les demandeurs affirment que le Land Act et les autres lois de la Colombie‑Britannique ne s’appliquent pas aux biens-fonds comprenant le territoire tribal des Nishgas de façon à conférer quelque titre ou droit dans lesdits biens-fonds sans qu’ils soient grevés du titre aborigène de la tribu des Nishgas, et que si le Land Act et les autres lois de la province de la Colombie-Britannique visent à conférer quelque titre ou intérêt, sans que les biens-fonds soient grevés du titre aborigène de la nation nishga, dans l’un quelconque des biens-fonds comprenant le territoire tribal de la nation nishga, la province de la Colombie-Britannique n’était pas compétente pour adopter ces dispositions.
Le paragraphe 21 allègue que toute aliénation par la province de la Colombie-Britannique censée faite en vertu du Land Act ou d’autres lois de la province est ultra vires; de plus, aux paragraphes 1 et 2 de la réponse, les appelants prétendent que toutes les proclamations et dispositions législatives énoncées et mentionnées aux paragraphes 12 et 13 de la défense sont ultra vires, qu’elles aient été adoptées par la colonie de la Colombie-Britannique ou par la province de la Colombie-Britannique.
La nature du titre afférent aux droits que l’on fait valoir au nom des Nishgas a été exposée comme suit par Calder dans son contre-interrogatoire:
[TRADUCTION] De temps immémorial, les Nishgas de la Naas possédaient, occupaient et utilisaient la vallée de la Naas, le Observatory Inlet, et le Portland Inlet ainsi que le Canal Portland; dans les limites de ce territoire, les Nishgas chassaient dans les bois, pêchaient dans les cours d’eau, ruisseaux et rivières. Ils se déplaçaient, ils chassaient et dressaient leurs tentes dans les vallées, sur les grèves et sur les collines. Ils enterraient leurs morts dans le territoire qu’ils habitaient. Ils exerçaient tous les privilèges des hommes libres sur le territoire tribal. Les Nishgas n’ont jamais cédé ou éteint leur titre aborigène dans les limites de ce territoire.
Il s’agit en fait d’une citation tirée de la pièce n°7.
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Lorsqu’on lui a demandé qu’elle était la nature du droit que l’on faisait valoir et à l’égard duquel une déclaration était demandée, l’avocat des appelants l’a décrite comme étant [TRADUCTION] «un droit grevant le titre de la Couronne; un droit de la nature d’un usufruit; un droit tribal inaliénable, sauf à la Couronne, et pouvant s’éteindre uniquement par une disposition législative du Parlement du Canada.» Il n’est pas nécessaire de préciser la nature et l’étendue exactes du droit ou titre indien dans le présent litige. Il s’agit ici de déterminer si le droit ou titre que les Indiens ont en leur qualité d’occupants des biens-fonds depuis des temps immémoriaux a été éteint. Ils demandent une déclaration qu’il ne l’a pas été. La nature et la valeur précise de ce droit ou titre serait, bien sûr, une question essentielle dans tout litige pouvant survenir après l’extinction de ce droit ou titre à l’avenir, parce qu’en pareil cas, selon la common law, l’expropriation de droits privés par le gouvernement en vertu de la prérogative nécessite le paiement d’une indemnité: Newcastle Breweries Ltd. v. The King[18]. Seuls des termes exprès à cet effet dans une disposition législative autoriseraient une expropriation sans indemnisation. Cette règle a été appliquée au Canada dans l’arrêt Montreal v. Montreal Harbour Commission[19]. C’est un principe qui fait partie de la common law à un point tel qu’il existe même en temps de guerre, comme on l’a clairement décidé dans les arrêts Attorney General v. DeKeyser’s Royal Hotel[20], et Burmah Oil Co. v. Lord Advocate[21]. La demande ne vise pas un titre de propriété en soi, mais plutôt, son objet est analogue à un titre ou droit en «equity», (voir Cherokee Nation v. State of Georgia[22]) à un usufruit et à un droit d’occupation de biens-fonds et de jouissance de fruits de la terre, de la forêt et de rivières et cours d’eau ne niant absolument pas le titre suprême de la Couronne reconnu par le droit des gens. Les Nishgas ne contestent pas non plus le droit qu’a la Couronne fédérale d’éteindre ce titre. Ils allè-
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guent qu’ils possèdent un droit d’occupation contre tous, sauf la Couronne, et que la Couronne n’a pas encore légalement éteint ce droit. L’essence de l’action vise à faire reconnaître que les droits que les Nishgas possédaient en 1858 se sont perpétués jusqu’à l’heure actuelle. Par conséquent, le jugement déclaratoire demandé implique le maintien du statu quo, et cela veut dire que si le droit doit être éteint, il faut que cela se fasse au moyen d’une disposition législative précise, en conformité du droit.
Le droit de possession revendiqué ne peut pas se prescrire, à l’origine, parce qu’un droit prescriptible présuppose un droit antérieur de quelque autre personne ou autorité. Étant donné qu’il est reconnu que les Nishgas ont possédé les biens-fonds de temps immémorial, ce fait nie la possibilité que quelque personne ait déjà eu ou revendiqué une possession antérieure.
Les Nishgas ne revendiquent pas la possibilité de vendre ou d’aliéner leur droit de possession, sauf à la Couronne. Ils revendiquent le droit de conserver la possession des biens-fonds et de jouir des fruits de ceux-ci. Ils ne nient pas le droit de la Couronne de les en déposséder, mais ils disent que la Couronne ne l’a pas encore fait. Ils ne réclament aucune indemnité dans la présente action. Il s’agit ici d’une action intentée en vue d’obtenir une déclaration judiciaire, mais on ne demande pas en plus un redressement propre à donner suite à la déclaration, comme le prévoit la règle marginale 285 de la Colombie-Britannique, citée plus loin. Toutefois, il faut reconnaître que si les Nishgas réussissent à établir un droit de possession, la question de l’indemnisation resterait à déterminer si des procédures en vue de les déposséder étaient ultérieurement engagées. La Colombie-Britannique prétend, elle, qu’il n’y a jamais eu de droit ou de titre à éteindre, et subsidiairement, que si quelque droit ou titre semblable a déjà existé, il a été éteint au cours de la période qui s’est écoulée entre 1858 et 1871, année de la Confédération. L’intimé reconnaît que depuis la Confédération, rien n’a été fait en vue d’éteindre le droit ou titre.
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Les appelants contestent le pouvoir de la Colombie-Britannique d’accorder des concessions en dépit de leurs droits, mais, étant donné que les concessions accordées jusqu’à maintenant sur les terres Nishga sont d’importance relativement minime, les appelants ont décidé de n’en pas tenir compte tout en soutenant qu’elles sont ultra vires.
Contrairement à la méthode utilisée en d’autres contextes en vue de déterminer s’il existe un titre, il faut prouver l’existence du titre ou droit des Indiens en se fondant sur des faits. Dans l’arrêt Amodu Tijani v. Secretary, Southern Nigeria[23], Lord Haldane a dit, pp. 402 à 404:
[TRADUCTION] En premier lieu, Leurs Seigneuries veulent faire remarquer qu’en déterminant la nature du titre des indigènes sur des biens-fonds non seulement au Nigéria du sud, mais en d’autres parties de l’Empire britannique, il est essentiel de se montrer extrêmement prudent. On a tendance, parfois inconsciemment, à concevoir ce titre selon des termes ne s’appliquant bien qu’aux systèmes fondés sur le droit anglais. Mais il faut contrôler étroitement cette tendance. Règle générale, dans les divers systèmes de droit aborigène à travers l’Empire on ne retrouve pas la distinction complète qui existe entre la propriété et la possession et avec laquelle les avocats anglais sont familiers. Une forme très habituelle de titre chez les aborigènes est l’usufruit, simple restriction ou charge sur le titre radical ou final du Souverain, le cas échéant. Le titre du Souverain n’est alors qu’un pur intérêt juridique, auquel peuvent se joindre ou non des droits de propriété réels. Mais cet intérêt est restreint par le droit de l’usager bénéficiaire, lequel ne prend pas nécessairement une forme précise analogue à un droit de propriété ou peut, lorsqu’il prend pareille forme, découler de l’introduction de la jurisprudence anglaise par simple analogie. Leurs Seigneuries ont déjà énoncé ailleurs des principes de ce genre, relativement au titre que les Indiens ont sur les réserves canadiennes. (St. Catherine’s Milling and Lumber Company v. The Queen (1889), 14 App. Cas. 46.) Mais le titre des Indiens du Canada ne constitue aucunement le seul exemple de la nécessité de se débarrasser de la présomption que la propriété immobilière se subdivise naturellement en droits distincts, conçus comme créés en vertu de principes juridiques inhérents. Même lorsque le droit de propriété absolue
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est clairement reconnu comme étant de droit immobilier le plus complet en droit, il ne s’ensuit pas qu’en dehors de l’Angleterre, il puisse se fractionner. En cosse, le fait de détenir un bien en viager ne comporte aucun titre de franche propriété; selon le droit écossais, il s’agit simplement d’une charge sur un droit de pleine propriété ne pouvant pas se diviser. En Inde, un principe à peu près identique s’applique. Il n’existe aucune division du droit de propriété en droits incorporels de propriété successifs et distincts, conçus comme existant indépendamment de la possession. En Inde, comme au sud du Nigéria, il faut avoir à l’esprit un autre aspect de la nature fondamentale du titre immobilier. Le titre même peut ne pas appartenir au particulier, contrairement à ce qui est presque toujours le cas dans notre pays, d’une façon ou d’une autre, mais peut appartenir plutôt à une collectivité. Pareille collectivité peut détenir un titre possessionnel à la jouissance commune d’un usufruit, et par certaines de ses coutumes accorder en même temps à chacun de ses membres la jouissance du bien-fonds, et même le droit de transmettre cette jouissance par cession entre vifs ou succession. Pour voir jusqu’à quel point ce droit a évolué, il faut dans chaque cas étudier l’histoire de la collectivité en question, ainsi que ses usages. Les principes abstraits établis a priori sont peu utilisés et sont plus souvent qu’autrement trompeurs.
(J’ai mis des mots en italique.)
L’appelant Calder, membre de la législature de la Colombie-Britannique, a témoigné comme suit:
[TRADUCTION] Q. Êtes-vous sur la liste de bande?
R. Oui.
Q. Pouvez-vous dire à Sa Seigneurie où vous êtes né?
R. Je suis né à la baie Naas, près de l’embouchure de la Naas.
Q. Où avez-vous été élevé?
R. J’ai été élevé à la baie Naas, et surtout à Greenville.
Q. Vos parents étaient-ils membres de la bande des Indiens de Greenville?
R. Oui, ils le sont.
Q. Si l’on remonte à vos ascendants, pouvez-vous dire si vos ancêtres vivaient sur la Naas?
R. Oui, ils vivaient à cet endroit.
Q. Êtes-vous membre de la tribu des Nishgas?
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R. Oui, je le suis.
Q. De quels Indiens se compose la tribu des Nishgas?
R. Des Indiens nishga qui habitent les quatre anses de la Naas.
Q. Quels sont les noms des quatre?
R. Kincolith.
Q. Kincolith?
R. C’est exact, Greenville, Canyon City et Aiyansh.
Q. Pouvez-vous dire à Sa Seigneurie, monsieur, si tous les Indiens qui habitent les quatre agglomérations situées sur la Naas sont membres de la tribu des Nishgas?
R. Oui, ils le sont.
Q. Voulez-vous dire non seulement les adultes, de sexe masculin ou féminin, mais également les enfants?
R. Oui.
Q. Quelle langue les membres de la tribu des Nishgas parlent-ils?
R. Ils parlent le nishga, connu à l’heure actuelle, sous le nom de langue nishga.
Q. Cette langue s’apparente-t-elle à quelque autre langue de la côte nord du Pacifique?
R. Ce n’est pas tout à fait — les deux tribus voisines, nous nous comprenons plus ou moins, mais le nishga lui-même se parle sur la Naas, et aucune autre tribu voisine ne parle cette langue.
Q. Quels sont les noms des deux tribus voisines qui comprennent un peu votre langue?
R. Gitskan et Tsimshian.
Q. Considérez-vous que vous faites partie de la tribu des Nishgas?
R. Oui.
Q. Savez-vous si les Indiens qui sont membres des quatre bandes indiennes de la Naas considèrent qu’ils font partie de la tribu des Nishgas?
R. Oui, ils se considèrent tels.
Q. Indépendamment de leur langue, ont-ils autre chose en commun?
R. A part la langue, ils ont exactement le même mode de vie.
…
[Page 357]
Q. Et maintenant, monsieur Calder, je vais vous montrer la pièce 2, un plan que Me Brown et moi-même avons reconnu. Le territoire indiqué sur le plan constitue-t-il l’ancien territoire des Nishgas?
R. Oui.
Q. Les Nishgas ont-ils abandonné leur titre aborigène sur le bien-fonds indiqué dans la pièce 2?
R. Non.
LA COUR: N’est-ce pas là ce sur quoi je dois me prononcer?
Me BERGER: Je ne crois pas que —
Me BROWN: Mon collègue peut lui demander ce qu’il sait. Je crois que la remarque de Votre Seigneurie est juste.
LA COUR: Pourriez-vous répéter la question antérieure s.v.p.?
Me BERGER: L’ancien territoire des Nishgas.
LA COUR: On s’est opposé à la question suivante.
Me BROWN: Je ne m’y oppose pas, si mon collègue utilise cette question pour déterminer s’il y a eu des documents ou des traités en vertu desquels ils ont abandonné quelque droit. C’est là une question légitime, à mon sens; je retire mon objection dans cette mesure.
Me BERGER:
Q. Vous avez dit à la Cour que vous étiez né et aviez été élevé dans la vallée de la Naas et que vous êtes membre de la tribu des Nishgas. Êtes-vous de fait président du conseil tribal des Nishgas?
R. J’ai été élu président.
Q. Êtes-vous président du conseil tribal des Nishgas depuis 1955?
R. Oui, depuis sa formation. J’ai été élu annuellement président du conseil, oui.
Q. Connaissez-vous le territoire indiqué sur le plan, pièce 2?
R. Oui.
Q. Les Nishgas ont-ils déjà signé quelque document ou traité abandonnant leur titre aborigène sur le territoire indiqué sur le plan, pièce 2?
R. Les Nishgas n’ont signé aucun traité ni aucun document indiquant que leur titre est éteint.
Monsieur Gosnell, premier conseiller de la bande Gitlakdamix, a témoigné comme suit:
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[TRADUCTION] Q. Le peuple nishga a-t-il déjà signé quelque traité ou document abandonnant son titre indien sur les terres et cours d’eau compris dans la région délimitée sur le plan, pièce 2, que voici?
R. Non.
Me BROWN: Je crois que je peux épargner certaines démarches à mon collègue, je crois que le procureur général est disposé à dire, tout en niant qu’il existe un titre indien sur la région, que les habitants n’ont jamais abandonné ou prétendu abandonner ce droit.
Les témoins McKay, Nyce et Robinson ont confirmé les témoignages de Calder et de Gosnell.
Monsieur W.E. Ireland, archiviste de la province de la Colombie-Britannique, a produit certains documents personnels du Gouverneur Douglas ainsi que des missives entre le secrétaire d’État pour les Colonies et le Gouverneur Douglas, de même que de nombreux autres documents historiques, y compris la pétition adressée par les Nishgas au Conseil privé en 1913. On a versé au dossier des extraits de témoignages donnés lors des auditions de deux commissions royales, la première remontant à 1888 lorsque David Mackay, parlant au nom des Nishgas, a dit entre autres ce qui suit:
[TRADUCTION] David Mackay — voilà ce que nous n’aimons pas à propos du gouvernement, il dit: «Nous vous donnerons des terres de telle superficie». Comment peuvent-ils nous les donner puisqu’elles nous appartiennent? Nous ne pouvons pas le comprendre. Ils ne les ont jamais achetées de nous ou de nos ancêtres. Ils n’ont jamais combattu et conquis notre peuple et pris les terres de cette façon, et malgré tout, ils disent maintenant qu’ils nous donneront des terres de telle superficie, nos propres terres. Ces chefs ne parlent pas à l’aveuglette, ils savent que les terres leur appartiennent; nos ancêtres ont possédé les terres de toute cette région depuis des générations; les chefs avaient leurs propres terrains de chasse, leurs pêches de saumon, et leurs cueillettes de fruits; il en a toujours été ainsi. Ce n’est pas uniquement au cours des quatre ou cinq dernières années que nous connaissons ces terres; nous les connaissons depuis toujours et elles nous ont toujours appartenu; ce n’est là rien de nouveau, elles nous appartiennent depuis plusieurs générations. Si nous ne les connaissions que depuis vingt ans et que nous les réclamions, cela
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n’aurait aucun sens, mais elles nous appartiennent depuis des milliers d’années. Si quelque étranger venait ici et ne connaissait ces terres que depuis vingt ans et les réclamait, cela n’aurait aucun sens. Nous avons toujours vécu de ces terres; nous ne sommes pas comme les Blancs qui vivent dans les villes et ont leurs magasins et d’autres commerces, et vivent de cette façon; nous avons toujours été à la merci des terres pour nous nourrir et nous habiller; ce sont ces terres qui nous fournissent les saumons, fruits, et fourrures nécessaires.
A l’audition de la seconde Commission royale en 1915 (la Commission McKenna-McBride), Gideon Minesque, de la tribu des Nishgas, a dit ce qui suit:
[TRADUCTION] Nous n’avons aucun ressentiment, mais nous attendons uniquement que cette question soit réglée et cela, depuis les derniers cinq ans — nous avons vécu ici de temps immémorial — d’après les légendes, ces terres nous ont été transmises par nos ancêtres, et c’est ce qui nous blesse énormément, parce que les Blancs sont venus et nous ont enlevé ces terres. Je suis moi-même un vieil homme, et tout le temps que j’ai vécu, mon peuple m’a parlé de la crue des eaux, il ne m’a pas dit que je devais vivre ici, sur ces terres, quelque temps seulement. On nous a dit que certains Blancs, cela doit s’être passé à Ottawa; un Blanc a dit qu’ils doivent rêver lorsqu’ils disent que les terres sur lesquelles ils vivent leur appartiennent. Ce n’est pas un rêve — nous sommes certains que ces terres nous appartiennent. Jusqu’à maintenant, le gouvernement n’a conclu aucun traité, pas même avec nos grands-parents ou nos arrière-grands-parents.
Wilson Duff, professeur adjoint d’anthropologie de l’Université de la Colombie-Britannique, a témoigné longuement au sujet de la nature de la civilisation et de la culture nishgas. Le juge de première instance a dit ce qui suit au sujet de ce témoin et au sujet du docteur Ireland: [TRADUCTION] «Les docteurs Ireland et Duff sont des intellectuels reconnus, ils ont rédigé des écrits ayant trait à l’histoire indienne, et des dossiers». Quant à la question de la crédibilité, il a dit ce qui suit:
[TRADUCTION] Je conclus que tous les témoins ont respectivement déposé, relativement aux faits, opinions, et documents historiques ou autres, avec une intégrité complète. Par conséquent, aucune question ne se pose au sujet de la crédibilité des témoins en la
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présente espèce; une cour d’appel ayant à sa disposition les transcriptions et pièces ne serait comparativement pas dans une situation plus désavantageuse en ce qui concerne une appréciation de la preuve, même si elle n’a pas entendu personnellement les témoins.
Le docteur Duff est l’auteur du volume I de l’ouvrage intitulé Indian History of British Columbia, publié par le gouvernement de la Colombie-Britannique et versé comme pièce 25. Se fondant sur la pièce 25 et sur des citations connexes applicables aux Nishgas, le docteur Duff a témoigné comme suit:
[TRADUCTION] Q. Professeur, avez-vous de fait dressé, pour le bénéfice des avocats, le plan versé comme pièce 2 en la présente espèce?
R. Oui.
Q. Connaissez-vous l’histoire anthropologique des peuples indiens qui habitaient la région délimitée sur le plan et les régions voisines?
R. Oui.
Q. Qui a habité la région délimitée sur le plan de temps immémorial?
R. Les Nishgas.
Q. Pouvez-vous dire à la Cour quelle position ont pris les Indiens des régions adjacentes à celle qui est délimitée sur le plan, relativement à l’occupation de cette région par la tribu des Nishgas?
R. Toutes les tribus voisines savaient que les Nishgas formaient le groupe homogène d’Indiens occupant la région délimitée sur le plan. Ils les connaissaient collectivement sous le nom de Nishgas. Ils savaient qu’ils parlaient leur propre dialecte, qu’ils occupaient ce territoire et qu’ils en étaient propriétaires et ils respectaient les limites tribales du territoire.
Q. Par limites tribales, voulez-vous dire les limites indiquées sur le plan?
R. Oui.
…
Q. Pouvez-vous dire à la Cour si la tribu des Nishgas utilisait les terres et cours d’eau indiqués sur le plan, au-delà des limites de la réserve figurant sur ce plan dans le rapport McKenna-McBride?
R. Oui.
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Q. La situation des réserves sur le canal Portland, dans l’Observatory Inlet et sur la Naas a-t-elle une importance quelconque?
R. Oui, je crois pouvoir dire que souvent, ces petites réserves étaient situées, par exemple, sur le canal Portland, à l’embouchure de l’affluent, d’une vallée. La réserve est une petite partie de terrain à l’embouchure du cours d’eau qui, dans une certaine mesure, protège les droits de pêche indiens sur le cours d’eau.
Q. Avant l’établissement de ces réserves, comment les peuples indiens utilisaient-ils les régions voisines des embouchures des cours d’eau et rivières?
R. Règle générale, dans ce cas, le fait qu’ils étaient propriétaires de l’embouchure du cours d’eau et des villages saisonniers ou des habitations construites à cet endroit, voulait dire qu’ils avaient la propriété et l’usage de la vallée. On s’en servait comme endroit de pêche, c’était un endroit de pêche sur la rivière, mais de plus, les Indiens qui utilisaient cette région avaient le droit de remonter le cours d’eau pour cueillir des petits fruits sur les collines; pour chasser et piéger dans la vallée et jusque sur les pentes boisées, généralement pour la chasse aux chèvres de montagne. En d’autres termes, ils utilisaient d’une façon plus ou moins intense la vallée entière plutôt que remplacement situé à l’embouchure du cours d’eau.
Q. De sorte que dans chaque cas, en ce qui concerne les réserves indiennes situées à l’embouchure d’un cours d’eau, les Indiens auraient utilisé —
Me BROWN: Mon collègue aurait-il l’obligeance de ne pas poser autant de questions suggestives?
Me BERGER: D’accord. De toute façon, je ne poursuivrai pas sur cette veine.
Q. Dans votre ouvrage, versé comme pièce, vous dites, page 8:
[TRADUCTION] «A l’époque du contact, les Indiens de cette région faisaient partie des peuples les plus typiques du monde. Un bon tiers de la population aborigène du Canada vivait ici. Il y avait une concentration plus importante le long de la côte et des principales rivières de l’Ouest; dans ces régions, leurs cultures ont évolué à un degré supérieur, à plusieurs égards, à celui de toute autre partie du continent, au nord du Mexique. Ici également, on retrouvait la diversité linguistique la
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plus importante du pays, deux douzaines de langues étaient parlées, elles appartenaient à sept des onze familles de langues parlées au Canada. A certains égards, les tribus de la côte différaient de tous les autres Indiens américains. Il est vrai que leurs langues faisaient partie des familles de langues américaines; physiquement, il s’agissait d’Indiens américains, malgré certains traits précis de similitude avec les peuples de l’Asie du nord-est. Toutefois, leurs cultures avaient une teinte asiatique prononcée, preuve d’une relation fondamentale et d’un contact prolongé avec les peuples vivant le long des côtes du nord de l’océan Pacifique. Leurs cultures se distinguent surtout par une richesse et une originalité locale, produit d’un peuple vigoureux et inventif habitant un environnement riche.»
Cet alinéa s’appliquerait-il au peuple habitant la région délimitée sur le plan, pièce 2?
R. Oui.
Q. L’alinéa suivant se lit comme suit:
[TRADUCTION] «Il n’est pas exact de dire que les Indiens n’étaient pas propriétaires des terres mais y erraient en nomades tout en les utilisant. Les systèmes de propriété et d’utilisation qu’ils imposaient sur les terres et cours d’eau étaient différents de ceux qui sont connus par notre système de droit, mais ils étaient néanmoins clairement définis et mutuellement respectés. Même s’ils n’ont pas subdivisé les terres et ne les ont pas cultivées, ils reconnaissaient la propriété des parcelles utilisées comme emplacements de village, endroits de pêche, de cueillette de petits fruits et de racines, et à d’autres fins semblables. Même s’ils n’ont pas abattu les forêts, ils ont établi la propriété des parcelles utilisées pour la chasse, la chasse au piège et la cueillette. Même s’ils n’ont creusé aucun puits de mine dans les montagnes, ils étaient propriétaires des pics et vallées aux fins de la chasse aux chèvres de montagne et de l’obtention de matières premières. A l’exception de régions arides et inacessibles non encore utilisées, chaque partie de la province se trouvait auparavant dans les limites du territoire appartenant à l’une ou l’autre des tribus indiennes et reconnu comme tel.»
[Page 363]
Cet alinéa s’applique-t-il au peuple habitant la région délimitée sur le plan, pièce 2?
R. Oui.
Q. S’applique-t-il à la tribu des Nishgas?
R. Oui.
Q. Vous avez mentionné que l’alinéa que je viens de lire s’applique à la tribu des Nishgas. Pouvez-vous expliquer à Sa Seigneurie jusqu’à quel point les Nishgas ont utilisé les terres et cours d’eau de la région délimitée sur la pièce 2 et quelle était l’intensité de cette utilisation?
R. C’est là une explication passablement longue.
Q. Je crois que nous nous y soumettrons.
R. J’en ai dit déjà beaucoup à ce sujet. Toutefois, en général, les territoires étaient reconnus par les gens eux-mêmes et par d’autres tribus comme étant le territoire de la tribu des Nishgas. Certains de ces territoires étaient utilisés en commun à certaines fins, par exemple, l’obtention de bûches et de bois destinés à la construction d’habitations, de canots, de totems, et d’autres articles de culture indigène fabriqués avec du bois, comme les bols, les boîtes et les masques, et un grand nombre d’autres objets, ainsi que l’obtention de l’écorce, avec quoi l’on fabriquait des vêtements, des paillasses et des parures cérémoniales. Ces territoires étaient généralement utilisés en commun.
D’autres régions ne faisaient pas partie des territoires tribaux, elles étaient allouées à des groupes familiaux de la tribu, auxquels elles pouvaient appartenir, et elles étaient utilisées selon le cas plus ou moins intensément. Par exemple, les plages où se ramassaient les coquillages étaient intensément utilisées. Les cours d’eau à saumons étaient les plus utilisés, quelquefois à différentes époques de l’année, parce que différents genres de saumons peuvent s’y trouver à différentes époques de l’année.
Les régions inférieures de la vallée où l’on s’adonnait à la chasse et à la chasse au piège étaient intensément utilisées, non seulement pour se procurer des aliments et les cuirs, peaux, os et cornes utilisés dans la culture indienne, mais également pour se procurer divers genres de fourrures, provenant d’animaux gros ou petits, lesquelles étaient soit utilisées par les Indiens soit échangées par ceux-ci.
[Page 364]
Ces peuples étaient de grands commerçants et ils exploitaient leurs territoires dans une grande mesure en vue de se procurer du matériel destiné aux échanges avec d’autres Indiens, puis avec l’Homme blanc.
Quant aux collines surplombant les vallées, plusieurs d’entre elles étaient de bonnes régions de chasse à la chèvre de montagne. Cet animal était abondamment chassé. D’autres collines étaient propices à la prise au piège des marmottes, la marmotte étant également abondamment chassée, il y avait un grand nombre de ressources d’importance moindre, tels que certains genres de minéraux destinés à la fabrication d’outils ainsi que le lichen et certains genres de mousses servant à la teinture. La liste devient très longue.
Q. Continuez.
R. De plus, les cours d’eau étaient utilisés aux fins de la chasse aux animaux de mer ainsi que pour différents genres de pêche. Ils étaient utilisés également comme voies ou comme routes commerciales et pour la migration annuelle des villages d’hiver aux villages d’été, et comme source d’une grande variété de ressources aquatiques de moindre importance, tels différents genres de fruits de mers, les œufs de poissons, les œufs de harengs — la liste de pareilles ressources de moindre importance est longue.
Q. Jusqu’à quel point l’utilisation et l’exploitation des ressources des territoires des Nishgas s’est-elle propagée, géographiquement parlant? S’est-elle uniquement propagée sur une partie restreinte du territoire ou partout sur celui-ci?
R. Dans une certaine mesure, elle s’est propagée dans l’ensemble du territoire, compte non tenu des régions arides et inaccessibles, que personne n’utilisait ou ne réclamait. Mais il était reconnu que la propriété de l’ensemble d’un bassin de drainage délimité par les pics montagneux allait à l’un ou à l’autre groupe des Nishgas et ces limites, cette propriété étaient respectées par les autres.
Q. Pouvez-vous établir quelque comparaison entre la région représentée par les réserves indiennes sur le plan, troisième volume du rapport McKenna-McBride; pouvez‑vous établir quelque comparaison entre cette région représentée par ces réserves et la région englobant l’ensemble du territoire des Nishgas, utilisé et exploité par les Nishgas avant qu’ils soient renfermés dans des réserves?
[Page 365]
R. Je crois que la comparaison peut s’établir simplement ici, il s’agit de plusieurs terrains minuscules, alors que sur le plan, l’ensemble de la parcelle était utilisé à une fin ou à une autre, d’une façon plus ou moins intense.
Q. Lorsque vous parlez du p an, voulez-vous dire le plan versé comme pièce 2?
R. C’est exact, oui.
Au contre-interrogatoire, il a dit ce qui suit:
[TRADUCTION] — R. Puis-je vous parler de la nature des renseignements que j’ai obtenus et sur lesquels je me fonde, étant donné qu’à mon sens, c’est là une question importante?
LA COUR: Oui.
R. Très bien. Bien sûr, je connais la majeure partie des documents publiés portant sur les Indiens de cette région, certains d’entre eux seront produits. J’ai moi-même discuté de ces questions avec de nombreux Indiens, tant avec des Nishgas qu’avec leurs voisins, mais mes renseignements sont principalement fondés sur l’abondante et l’importante documentation anthropologique et historique non publiée, recueillie au musée national du Canada par l’anthropologiste Marius Barbeau, qui a travaillé dans cette région de 1914 jusqu’à la fin des années 40, et qui a poursuivi son œuvre jusqu’à très récemment. Il est mort l’an dernier. De plus, je me suis fondé sur un Tsimshian, qui pensait réellement être un chef Nishga, William Beynon, qui a vécu la majeure partie de sa vie à Port Simpson; il était interprète et assistant de Barbeau et d’autres anthropologistes et il a lui-même, jusqu’à sa mort en 1967, recueilli des centaines de pages de renseignements anthropologiques, de traditions familiales et de contes ayant trait aux Nishgas et au peuple des Gitksan. J’ai eu accès à cette importante masse de documents non publiés. J’ai passé un an au musée national, j’y ai travaillé il y a dix ans, et cela m’a permis d’obtenir les renseignements détaillés sur lesquels je peux me fonder pour faire ces déclarations. Malheureusement, je ne les ai pas encore couchés sous une forme susceptible d’être publiée et il s’agit d’un ensemble tellement vaste de documentation qu’elle ne me vient pas toute à l’esprit en ce moment.
Q. Oui. De toute façon, les membres de ces bandes habitaient de temps en temps des aggloméra-
[Page 366]
tions, et il semble que ces agglomérations se trouvaient dans les limites de certaines des réserves actuelles.
R. Oui, c’est exact.
...
Q. Je voulais vous demander quelle preuve documentaire ou autre justifie l’emploi du terme «propriété». Je présume que c’était là un concept étranger aux Indiens de la Naas?
R. Je suis un anthropologue, monsieur, et le genre de preuve à ma disposition est dans une large mesure d’origine non documentaire. Il s’agit de témoignages verbaux donnés par des gens qui n’ont produit aucun document; on la transforme sous forme de documents dans des rapports anthropologiques et historiques et dans les rapports de diverses commissions.
Q. Très bien. C’est là ce que je veux savoir.
R. Oui, d’accord.
Q. J’aimerais que vous nous disiez, de sorte que je puisse aller les consulter moi-même, sur quels documents vous appuyez votre déclaration, votre emploi du terme «propriété», compris comme «appartenant» selon le concept indien.
R. Sur des rapports anthropologiques, que Me Berger versera au dossier, si je comprends bien, l’un d’eux étant de Philip Drucker; il s’agit d’un ouvrage général sur les Indiens de la côte nord-ouest, ce terme s’y retrouve. Puis, il y a l’ouvrage de Viola Garfield traitant des Tsimshians en général, et dans ce sens cela comprend les Nishgas, utilisant un concept de propriété.
Q. Ainsi, est-ce que vous laissez entendre que c’est là toute autre chose qu’un concept tribal?
R. Il comprend le concept tribal, et plus encore, oui.
Q. Très bien, si mon savant confrère me donne l’ouvrage, peut-être pourrez-vous indiquer exactement ce que vous voulez dire. Quel ouvrage avez-vous mentionné, Drucker?
R. Drucker ou Docker.
Me BERGER: Oui, je l’ai Votre Seigneurie.
LA COUR: Il se trouve pris dans la masse de votre documentation, n’est-ce pas?
Me BERGER: C’est exact. Je crois qu’en voici deux.
Me BROWN:
Q. Pourriez-vous indiquer ce que vous aviez à l’esprit?
[Page 367]
R. Puis-je le lire? Voulez-vous que j’en lise une partie?
Q. Oui. Veuillez ne vous reporter qu’aux points précis.
R. Il s’agit de l’ouvrage de Viola Garfield, «The Tsimshian, Their Arts and Music». A la page 14 —
LA COUR: Parlez-moi tout d’abord de l’auteur.
R. Oui. Il s’agit d’une anthropologue qui a fait ses études à l’Université de Washington, à Seattle, et qui y est actuellement professeur d’anthropologie; le travail qu’elle a fait sur le terrain, et ses écrits, portent en majeure partie sur les Tsimshians. Il s’agit principalement des Tsimhians, au sens strict, soit le peuple qui habite Port Simpson, maintenant Metlakatla, mais les concepts s’appliquent également aux Nishgas.
A la page 14 elle écrit ce qui suit:
[TRADUCTION] «Un trait caractéristique des Tsimshians, ainsi que des autres tribus de la côte nord-ouest, c’est que les droits exclusifs d’exploitation des districts de ressources se revendiquaient par parenté. Certaines lignées des Tsimshians étaient propriétaires de droits de chasse, de pêche, de cueillette de fruits ou d’obtention de matières premières, dans un territoire géographiquement défini. Les propriétés des lignées étaient énumérées lors de la cérémonie potlatch, instituant un nouveau chef, elles étaient donc à son nom. Les chefs de lignées pouvaient désigner, et désignaient, certaines régions comme leur appartenant réellement, et pouvaient les transmettre à leurs ayants droit, à titre de propriété privée. C’est le concept de propriété qui — »
…
Q. Toute déclaration au sujet de la propriété serait fondée sur le fait que les Nishgas avaient la possession exclusive de la région, elle n’était pas controversée, n’est-ce pas?
R. Vous parlez de la région indiquée sur le plan?
Q. Oui.
R. Oui.
Q. Ainsi, il faut être prudent quant au mot à employer à cause des implications juridiques et parler de propriété simplement parce que quelqu’un a une possession incontestée, c’est confondre deux choses, ne croyez-vous pas?
[Page 368]
R. Ce que j’essayais de dire au second paragraphe, que Me Berger a lu, c’est que bien que leurs notions de propriété n’aient pas été les mêmes que notre notion juridique de propriété, elles existaient néanmoins et étaient reconnues; c’est ce que j’ai tenté de faire comprendre.
Q. De toute façon, il vous est impossible de trouver quelque preuve documentaire à l’appui si ce n’est les conclusions qui ont été tirées par les anthropologues?
R. Et aussi les déclarations mot pour mot faites par les Indiens devant les diverses Commissions; je crois que Me Berger en produira certaines.
Me BERGER: Elles ont été produites.
Me BROWN: Oui.
Q. En d’autres termes, lorsqu’ils ont témoigné devant une Commission, les Indiens ont affirmé être propriétaires des terres?
R. Oui.
Q. Ils employaient le terme «Nous» en parlant d’un groupe.
R. Oui.
Q. «Sommes propriétaires des terres».
R. Je crois qu’ils allaient plus loin et disaient: «Et le chef était propriétaire d’un certain territoire en amont de Portland Inlet; c’est là que nous nous procurions telle et telle chose,» et toutes les choses dont j’ai déjà fait mention.
Q. Une famille aurait-elle défendu son droit de cette façon contre d’autres familles?
R. Oui, elle aurait pu le faire.
Q. Existe-t-il quelque preuve à cet effet?
R. Il existe des récits à cet effet, oui.
Q. Dans la vallée des Nishgas, sur le territoire que vous avez indiqué, là?
R. Oui.
Q. Où? Pouvez-vous me le montrer?
R. Ils sont dans la documentation non publiée dont j’ai parlé.
En common law, la possession elle-même est une preuve de propriété: Cheshire, Modem Law of Real Property, 10e édition, 659, et Megarry and Wade, The Law of Real Property, 3e édition, page 999. Ici la possession incontestée est reconnue.
Le docteur Duff a également longuement parlé du système successoral des Nishgas, fondé sur la filiation utérine, et laissant voir que
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les Nishgas auraient une notion de propriété bien établie et élaborée. Au sujet de l’état général de développement et d’évolution de la culture nishga, mentionnant des passages de son ouvrage il a fait le témoignage suivant:
[TRADUCTION] Q. Pour le moment, je parlerai donc d’autre chose. A la page 17 de votre ouvrage, vous dites, au dernier paragraphe:
«Le groupement des tribus en cellules plus importantes a été entrepris ou tenté, dans une certaine mesure. Des groupes de tribus étroitement reliées portaient parfois des noms collectifs, par exemple, Cowichan.»
Vous en mentionnez d’autres:
«Dans d’autres cas, il était reconnu que pareil groupe comportait des liens de parenté étroits mais n’avait aucun nom commun; par exemple, les Haida de Cumshewa, Skedans et Tanoo. Un certain nombre de noms descriptifs de groupes régionaux apparaît si souvent dans les écrits que ces noms sont devenus sanctionnés par l’usage; par exemple, Upper Thompson, Lower Kootenay, Northern Kwakiutl, et Coast Tsimshian. Ce ne sont pas là des noms aborigènes, mais ils font partie de la liste. Ces groupements plus importants n’avaient aucune organisation interne, à deux exceptions près. Après l’établissement de Fort Rupert, les tribus Southern Kwakiutl se sont hiérarchisées d’une façon précise, de façon à pouvoir diriger leurs relations cérémoniales et l’organisation des potlachs; après l’établissement de Port Simpson, les neuf tribus Lower Skeena Tsimshian ont fait à peu près la même chose.»
Est-ce bien là ce dont il est présentement question, l’organisation de ces groupes aux fins des potlachs?
R. De quels groupes?
Q. Bien, ce dont vous parliez, l’organisation de groupes familiaux reliée fondamentalement aux potlachs.
R. Les potlachs constituaient le mécanisme par lequel les groupes familiaux conservaient leur hiérarchie respective, oui.
Q. Oui.
R. A l’intérieur des tribus.
Q. Si nous revenons à la page 16, vous dites:
[Page 370]
«Sur la côte nord, où les liens de parenté étaient définis d’une façon très rigide, les groupes à filiation utérine étaient les cellules fondamentales qui s’unissaient dans chaque agglomération en vue de former des groupes tribaux, qui, habituellement, se rassemblaient en un village conmun, durant une partie de l’année.»
Était-ce là une caractéristique des groupes nishgas, et dans l’affirmative, où se rassemblaient-ils en un village commun?
R. Il n’existait aucun village commun et unique où tous les groupes nishgas se rassemblaient en même temps.
Q. Non, c’est bien ce que j’ai compris en écoutant les conseillers. Vous ajoutez:
«Chez les Tsimshian, ces tribus se sont consolidées en cellules politiques compactes (ce n’était pas tout à fait le cas, chez les Gitksan, Niska — »
Là, ces deux peuples dont nous sommes en train de parler, ceux qui habitaient dans la région que vous avez délimitée, n’est-ce pas?
R. Les Gitksan habitent dans la région immédiatement voisine à celle-ci et les Nishgas habitent la région même.
Q. Oui. Ainsi, le terme Niska signifie Nishga, ici?
R. C’est exact, oui.
Q. Est-ce là une affirmation exacte, que ce n’était pas tout à fait le cas chez les Nishgas?
R. Oui, c’était exact.
revenant à la question de la propriété, il a dit ce qui suit, en citant à son appui Drucker, anthropologue américain bien connu:
[TRADUCTION] Q. Oui, je vous prie.
R. C’est le chapitre sur l’organisation sociale et politique des peuples de la côte du nord du Pacifique. Le paragraphe ici pertinent porte sur les groupes de parenté localisés. Les groupes de parenté localisés déterminaient quelles personnes devaient habiter ensemble, travailler ensemble et quelles personnes devaient se considérer conjointement propriétaires exclusifs des terrains où se procurer leur nourriture et les autres produits essentiels.
Q. Ils se considèrent conjointement propriétaires, est-ce bien le terme?
[Page 371]
R. Ils se considèrent conjointement propriétaires, oui.
L’ensemble du groupe était propriétaire non seulement des terres et de leurs ressources mais également de toute autre forme de richesse, biens tangibles et droits incorporels habituellement connus sous le nom de privilège, noms de personnes, habitations, canots, bateaux-maisons et même chiens et esclaves. Je mets l’accent sur les phrases sur lesquelles je voulais mettre l’accent.
Q. De sorte qu’encore une fois il y avait un certain aspect communautaire?
R. En ce sens-là.
Q. Oui.
R. Les biens appartenaient au groupe, oui.
Q. Merci.
R. A la page 49, aux huit dernières lignes ou à peu près, il est question de la richesse dans ces cultures, et je cite:
[TRADUCTION] «Un aspect distinctif de la culture de la côte du nord du Pacifique, c’est l’inclusion des ressources naturelles et des biens matériels; les produits alimentaires, le matériel destiné à l’habillement, au logement et au transport et les endroits où l’on se les procurait. Chaque groupe considérait que les régions utilisées lui appartenaient exclusivement. Les membres du groupe utilisaient le lieu des habitations, les emplacements de pêche, les plages à pétoncle, les terrains de chasse et les cimetières, là ou l’on procédait aux enterrements, les régions forestières où l’on se procurait le bois et l’écorce de plein droit. Les étrangers s’y trouvaient soit sur invitation, soit par suite d’un empiétement.
«Les limites étaient définies par des points de repère géographiques, avec une précision remarquable pour des gens n’ayant aucun matériel d’arpentage.»
LA COUR: Relisez la dernière phrase, je vous prie.
«Les limites étaient définies par des points de repère géographiques, avec une précision remarquable pour des gens n’ayant aucun matériel d’arpentage.»
Ce sont là les deux seuls exemples précis dans cet ouvrage.
Me BROWN:
[Page 372]
Q. Merci. De quoi est-il en train de parler? Parle-t-il d’un groupe particulier?
R. Il parle des groupes de la côte du nord-ouest en général, dont les Nishgas font partie.
Il importe de faire mention ici de la série de questions intéressantes et pertinentes posées par le Juge Gould; il tentait d’établir un rapport entre le témoignage du docteur Duff au sujet des notions nishgas de propriété immobilière et les éléments conventionnels de propriété en common law; ces questions montrent qu’en examinant la véritable question, le juge de première instance était influencé par les critères traditionnels de propriété. Ce faisant, il a omis de tenir compte des commentaires formulés par Lord Haldane dans l’arrêt Amodu Tijani (précité):
[TRADUCTION] En premier lieu, Leurs Seigneuries veulent faire remarquer qu’en déterminant la nature du titre des indigènes sur les biens-fonds, non seulement au Nigeria du sud, mais en d’autres parties de l’Empire britannique, il est essentiel de se montrer extrêmement prudent. On a tendance, parfois inconsciemment, à concevoir ce titre selon des termes ne s’appliquant bien qu’aux systèmes fondés sur le droit anglais. Mais il faut contrôler étroitement cette tendance.
Les questions du juge de première instance et les réponses du docteur Duff sont Ses suivantes:
[TRADUCTION] LA COUR:
Q. J’aimerais examiner avec vous la brève notion descriptive de la propriété moderne des biens-fonds en Colombie-Britannique; je vais vous proposer trois caractéristiques: (1) la délimitation exacte du bien-fonds, c’est-à-dire du lot.
R. Oui.
Q. Une délimitation sous forme de lot, la notion d’arpentage; (2) la possession exclusive vis-à-vis de tous y compris sa propre famille. Vous savez bien qu’en ce qui concerne sa propre famille, on veut l’éloigner ou la renvoyer et on peut le faire; (3) la conservation des fruits du bien-fonds, ou la transmission à ses héritiers, c’est-à-dire la notion de testament. Ces trois caractéristiques — me suivez-vous?
R. Oui.
Q. La délimitation précise, la possession exclusive, le droit d’alinéation, au cours de vos études anthropologiques, avez-vous recueilli quelque
[Page 373]
preuve de cette notion dans l’esprit des Nishgas; appliquaient-ils pareille notion?
R. Votre Seigneurie, il y a trois notions.
Q. Oui, ou une combinaison des trois.
R. Pourrions-nous ne parler que d’une notion à la fois?
Q. Oui, faites comme vous voulez. C’est vous qui en parlez.
R. La question de la délimitation précise, si je ne me trompe, a été traitée par le docteur —
Q. Il s’agissait de points de repère.
R. De points de repère physiques, de caractéristiques physiques. Le droit d’occupation exclusive n’était pas exercé au niveau de l’individu. Il l’était au niveau du groupe, qui était un sous-groupe de la tribu.
Q. La troisième notion est celle de l’aliénation.
R. En ce sens, les propriétaires avaient certains droits d’aliénation. Ils pouvaient céder la parcelle de terre, la perdre au cours d’une guerre, mais en pratique elle n’était jamais transmise à une personne qui n’était pas membre de la tribu, c’est-à-dire qu’une parcelle de terre nishga pouvait changer de mains mais seulement en faveur d’une famille nishga.
Q. Donc, est-ce que je comprends bien si je présume qu’il existe des ressemblances dans la civilisation nishga en ce qui concerne les deux premières caractéristiques, mais non pas en ce qui concerne la troisième? Tout ce que la notion d’aliénation comporte, bien sûr, c’est qu’une personne peut vendre son bien à n’importe qui?
R. Oui.
Q. Généralement parlant, c’est ce que ça comporte. En ce qui concerne deux des trois notions, la tribu Nishga — je ne veux pas mettre les mots dans votre bouche, je veux que vous me le disiez vous-même. Je ne veux rien vous dire.
R. La notion de délimitation existait mais on n’employait pas les méthodes modernes d’arpentage.
Q. Bien sûr, je comprends, oui.
R. La propriété exclusive non pas au niveau de l’individu.
Q. La possession ou l’occupation, pas la propriété?
R. Oh, je comprends. Le droit de possession ou d’occupation était celui d’un groupe précis plutôt que d’un particulier. Le droit d’aliénation, qui conservait en pratique les terres à l’intérieur même de la tribu. Il était restreint.
[Page 374]
Q. Le groupe qui avait le droit d’occupation exclusive pouvait-il choisir, à l’intérieur de la tribu, s’il le désirait, un autre groupe auquel il voulait soit, pour employer un terme contemporain, céder les terres, ou cela dépendait-il d’une coutume ou d’un usage général de la communauté ou même de la loi?
R. Le groupe pouvait faire ce que vous suggérez. Par exemple, dans certains cas, il se pouvait qu’un chef de groupe transmette un bien à son fils, mais ce n’était pas la façon normale de procéder; normalement, il l’aurait transmise à son neveu.
Q. Oui.
R. C’était là, rarement toutefois, un fait accepté.
Q. Toujours sous réserve de l’acceptation de qui, de la tribu?
R. De la tribu, oui.
…
INTERROGÉ DE NOUVEAU PAR Me BERGER:
Q. Sa Seigneurie vous a énoncé trois caractéristiques des notions modernes de propriété immobilière. Compte tenu du territoire nishga délimité sur le plan, pièce 2, pouvez-vous dire si cette région était délimitée d’une façon précise, selon le sens proposé par Sa Seigneurie?
R. Les limites de cette région?
Q. Oui.
R. Oui.
Q. Quels étaient les modes de délimitation?
R. Comme le docteur Drucker les a décrits ici, les points de repère.
Q. Par des points de repère. Voulez-vous dire les pics des montagnes?
R. Oui, des emplacements géographiques.
Q. Sa Seigneurie vous a expliqué la notion de possession exclusive. En ce qui concerne le territoire délimité sur le plan, pièce 2, le territoire nishga, quelle aurait été l’application de cette notion, le cas échéant, avant l’arrivée de l’Homme blanc.
R. Tous le reconnaissaient comme étant le territoire nishga. Ils en avaient la possession exclusive.
Me BERGER: Je n’ai plus de questions à poser.
LA COUR: Nous en poserons quelques-unes.
[Page 375]
Q. Je vous donnerai deux autres caractéristiques de la propriété, le droit de détruire son bien à son gré, si on le désire, et l’autre, la possession exclusive est d’une durée illimitée, c’est-à-dire qu’elle ne peut pas se terminer par la mort d’une personne, qu’elle peut être transmise aux héritiers. Il y a donc cinq caractéristiques. Vous avez parlé de trois de ces caractéristiques. Passons au droit de détruire à son gré, de mettre le feu à sa propre maison; en ce qui concerne ces questions dont vous avez traité, un groupe faisant partie des Nishgas aurait-il le droit, si les constructions à l’embouchure d’une rivière avaient été utilisées exclusivement par lui lepuis un certain temps, et s’ils s’étaient dit: «Mettons-y le feu,» la tribu l’aurait-elle interdit?
R. Je crois qu’ils en auraient eu le droit.
Q. Vous croyez qu’ils en auraient eu le droit?
R. Oui.
Q. En ce qui concerne la durée du droit, non pas celui de détruire, mais le droit de propriété exclusive, était-il transmis aux héritiers?
R. Oui.
Q. Ou revenait-il à la tribu, en vue d’une distribution?
R. En théorie, il appartient à ce groupe familial, avec le temps, sans durée déterminée en théorie. Il appartient toujours à ce même groupe familial.
Q. C’est-à-dire en ligne maternelle?
R. Oui.
LA COUR: Merci.
En énumérant les critères de propriété, le juge de première instance n’a pas tenu compte du fait que la possession même est une preuve de propriété. Par conséquent, prima facie, les Nishgas sont propriétaires des terres qu’ils ont possédées de temps immémorial et, par conséquent, il incombe carrément à l’intimé d’établir que leur droit a été éteint.
Des témoignages ci-dessus rapportés, il ressort que de fait, les Nishgas forment et ont formé, de temps immémorial, une entité culturelle distincte possédant des notions aborigènes de propriété, propres à leur culture, et pouvant être énoncées en termes de common law, étant donné que, pour reprendre les paroles du docteur Duff: «leurs cultures ont évolué à un degré supérieur à plusieurs égards, à celui de toute
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autre partie du continent au nord du Mexique». On trouve une confirmation remarquable de cette affirmation grâce au capitaine Cook qui, en 1778, à Cape Newenham, a revendiqué les terres au nom de la Grande-Bretagne. Il raconte qu’il a mis pied à terre et est entré dans l’une des habitations aborigènes qui, apparemment, mesurait 150 pieds de longueur, 24 à 30 pieds de largeur et 7 à 8 pieds de hauteur et que: [TRADUCTION] «il n’existait pas de constructions aborigènes comparables à celles-ci au nord du Mexique». Cook ajoute que ses officiers étaient éblouis par l’habileté et la patience requises dans la construction de ces édifices, qui demandaient des connaissances approfondies de génie.
La revendication nishga n’a jamais fait l’objet d’un litige, mais il existe une abondante jurisprudence confirmant que la common law reconnaît les droits aborigènes, à la possession et à la jouissance des terres des aborigènes dans des cas précisément analogues à la situation qui se présente ici en ce qui concerne les Nishgas.
Dans l’arrêt St. Catharine’s Milling and Lumber Company c. The Queen[24], le Juge Strong (devenu par la suite Juge en chef de cette Cour) a dit ce qui suit, page 608:
[TRADUCTION] Dans les Commentaires du chancelier Kent et dans certaines décisions de la Cour suprême des États-Unis, nous retrouvons des comptes rendus très détaillés et précis relativement à la ligne de conduite en question. En bref, il s’agit de la reconnaissance par la Couronne d’un titre de la nature d’un usufruit, que les Indiens ont sur toutes les terres qui n’ont pas été cédées. Ce titre, même s’il n’est peut-être pas possible d’en donner une définition juridique exacte, suffisait néanmoins à protéger les Indiens en ce qui concerne l’utilisation et la jouissance absolue de leurs terres, même si, en même temps, ceux-ci ne pouvaient pas les aliéner validement autrement qu’en faveur de la Couronne elle-même, qui détenait le titre suprême, en conformité du droit anglais en matière de propriété immobilière. Comparativement aux précédents que je mentionnerai un peu plus loin, je crois que cette brève affirmation doit être considérée comme une description exacte des principes sur lesquels la Couronne s’est invariablement fondée en ce qui concerne les terres indiennes, du moins depuis
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1756, année de la nomination de Sir William Johnston par le gouvernement impérial au poste de surintendant des affaires indiennes en Amérique du Nord; en cette qualité, il devait directement répondre à la Couronne, par l’intermédiaire d’un des secrétaires d’État, ou des Lords of Trade and Plantation, et a donc remplacé les gouvernements provinciaux, jusqu’en 1867, année de l’adoption de la loi sur la confédération, constituant le Dominion du Canada. Ce système a été appliqué si fidèlement, que je m’aventurerai à dire qu’il n’existe aucune partie colonisée du territoire de la province de l’Ontario, sauf peut-être quelques endroits isolés où le gouvernement français avait, avant la conquête, érigé des forts, comme le fort Frontenac et le fort Toronto, qui ne soit pas cédée dans quelque traité indien que l’on pourrait encore retrouver dans les archives du Dominion. Étant donné qu’il a été démontré que ces principes directeurs étaient bien établis et appliqués, et que le titre des Indiens sur leurs terres non cédées a été reconnu par la Couronne dans la mesure ci-dessus mentionnée, il peut sembler inutile de rechercher les motifs sur lesquels il était fondé.
(Les italiques ont été ajoutés.)
A la page 610:
Les précédents et textes de doctrine américains, dont nous avons déjà fait mention, consistent, entres autres, en certains passages des commentaires du chancelier Kent (Kent’s Commentaries, 12e éd., par Holmes, vol. 3, pp. 379 et suivantes; et aussi les notes de l’éditeur) dans lesquels toute la doctrine des titres indiens est étudiée d’une façon détaillée et élaborée, et en plusieurs décisions de la Cour suprême des États‑Unis, dont trois, Johnston v. McIntosh, 8 Wheaton 543, Worcester v. State of Georgia, 6 Peters 515, et Mitchell v. United States, 9 Peters 711, peuvent être choisies à titre d’arrêts faisant autorité. La valeur et l’importance de ces précédents et textes n’est pas simplement qu’ils démontrent que la même doctrine que celle qui a déjà été énoncée relativement au titre que les Indiens ont sur les terres non cédées, s’applique aux États-Unis, mais, fait encore beaucoup plus important, que tous, sans exception, indiquent qu’elle remonte à une époque antérieure à la révolution et reconnaissent qu’elle est la continuation des principes juridiques ou directeurs en matière de titres indiens qu’avait alors établis le gouvernement britannique, et qui sont par conséquent identiques à ceux qui ont également continué à être
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reconnus et appliqués en Amérique du Nord britannique. Le chancelier Kent, se reportant à la décision de la Cour suprême des États-Unis dans l’affaire Cherokee Nation v. State of Georgia, 5 Peters l, dit ce qui suit:
[TRADUCTION] «Dans cette cause-là, le tribunal a décidé que les Indiens formaient des nations indigènes, dépendantes; quant à nous, leurs relations ressemblaient à celles d’un pupille envers son tuteur; ils avaient un droit indiscutable sur les terres qu’ils occupaient jusqu’à ce qu’ils éteignent ce droit en cédant de plein gré les terres à notre gouvernement, 3 Kent Comms. 383.»
(Les italiques ont été ajoutés.)
…
Il ressort donc qu’aux États-Unis, la ligne de conduite traditionnelle, datant de l’époque coloniale, relativement aux Indiens et à leurs terres, a produit des règles juridiques bien établies, et a eu pour résultat que les terres possédées par les Indiens sont, jusqu’au moment de leur cession, considérées comme leur propriété de plein droit, en ce qui concerne la possession et la jouissance, même si ceux-ci ne peuvent pas les aliéner; en d’autres termes le dominium utile est reconnu comme appartenant aux Indiens et étant réservé à ceux-ci, bien qu’il soit considéré que le dominium directum relève de l’État américain. S’il en est ainsi en ce qui concerne les terres indiennes américaines, conservées aux Indiens par l’observation constante d’une ligne de conduite particulière reconnue par les tribunaux américains comme ayant initialement été appliquée par la Couronne de la Grande-Bretagne, comment est-il possible de présumer que le droit puisse, ou plutôt ait pu, au moment de la confédération, être moins favorable aux Indiens dont les terres étaient situées dans les limites du dominion de la Couronne britannique, fondatrice de cette doctrine avantageuse suivie de si près aux États-Unis depuis l’époque des gouvernements coloniaux? Par conséquent, lorsque nous considérons la chose eu égard au Canada, la pratique constante a été de reconnaître le titre indien comme pouvant être éteint uniquement par suite d’une cession à la Couronne. Je soutiens que s’il n’y avait eu aucun texte législatif énonçant expressément cette règle à titre de règle de droit positif, nous devrions, comme les tribunaux américains l’on fait, décider que cette règle était néanmoins une règle non écrite de la common law, que les cours étaient tenues d’appliquer comme telle, et par conséquent, que le 24e paragraphe de l’article 91, ainsi que l’article 109 et le 5e paragraphe de l’article 92 de l’acte de l’Amérique du Nord britannique, doivent tous être interprétés
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comme si ces droits territoriaux des Indiens étaient strictement des droits juridiques dont il fallait tenir compte et qu’il fallait considérer lorsque la propriété et les droits de propriété ont été partagés entre les gouvernements fédéral et provinciaux au moment de la confédération.
(Les italiques ont été ajoutés.)
…
Résumons ces arguments, qui me paraissent des plus convaincants, en disant qu’au moment de la confédération, les Indiens, par suite d’une coutume et d’un usage constants reconnus par la Couronne, étaient considérés comme détenant un certain droit de propriété sur les terres non cédées qu’ils occupaient aux fins de la chasse; que cet usage a évolué en une règle de common law applicable aux colonies américaines ou que pareille règle venait du droit des gens et avait de cette façon été appliquée en droit colonial aux nations indiennes; que le droit des Indiens était uniquement de la nature d’un usufruit et ne pouvait pas être aliéné, sauf par cession à la Couronne, propriétaire suprême des terres;….
Dans cette cause-là, le Juge Strong, à l’avis duquel souscrivait le Juge Gwynne, était dissident, mais uniquement sur la question de savoir si c’est le gouvernement fédéral ou le gouvernement provincial qui acquiert les terres lorsque le titre indien est éteint comme il l’avait été dans ce cas-là par traité. La majorité a décidé que la Couronne du chef de la province était devenue propriétaire, alors que les Juges Strong et Gwynne ont décidé que c’était le gouvernement fédéral qui était devenu propriétaire. Toutefois, en ce qui concerne le titre indien, les Juges se sont entendus à l’unanimité. Le Juge en chef Ritchie, qui parlait au nom de la majorité, a souscrit en gros à l’avis du Juge Strong à cet égard, disant aux pages 559 et 560:
[TRADUCTION] Je suis d’avis que toutes les terres non octroyées de la province d’Ontario appartiennent à la Couronne, comme faisant partie du domaine public, sous réserve du droit d’occupation indien, lorsque ce droit n’a pas été légalement éteint; lorsque pareil droit d’occupation a été légalement éteint, les terres appartiennent d’une façon absolue à la Couronne, et par conséquent à la province d’Ontario. Je crois que la Couronne est propriétaire de toutes les terres non octroyées, les Indiens ayant uniquement un droit d’occupation, et la Couronne détenant le titre juridi-
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que sous réserve de ce droit, avec le droit absolu exclusif d’éteindre le titre indien soit par conquête soit par achat…
(Les italiques ont été ajoutés.)
L’arrêt St. Catharine’s Milling a été confirmé au Conseil privé[25]. Le jugement a été rendu par Lord Watson qui, en parlant des droits aborigènes indiens, a dit ce qui suit, p. 54:
[TRADUCTION] Dans les plaidoiries du gouvernement fédéral, il a été soutenu que dans la mesure où la proclamation édicte que les territoires ainsi réservés aux Indiens n’ont jamais «été cédés» à la Couronne «ou été achetés par» la Couronne, les Indiens en sont demeurés les seuls propriétaires. Toutefois, cette déduction n’est pas conforme aux termes de l’instrument, qui montre que les Indiens avaient un droit personnel, de la nature d’un usufruit, dépendant du bon plaisir du Souverain. Les terres réservées sont expressément décrites comme étant «les parties de nos possessions et territoires»; il est déclaré, que, selon le bon plaisir du Souverain, «pour le présent» elles sont réservées aux Indiens, pour qu’ils y chassent, sous la protection et la surveillance du Souverain. On a longuement et savamment parlé, au cours des plaidoiries, de la nature exacte du droit indien, mais Leurs Seigneuries estiment qu’il n‘est pas nécessaire d’exprimer leur avis sur ce point. Il leur semble suffisant, aux fins de la présente cause, de dire que la Couronne a toujours eu un droit fondamental et suprême sous-jacent au titre indien, et qui est devenu un plenum dominium dès que le titre indien a été cédé ou autrement éteint.
(Les italiques ont été ajoutés.)
L’arrêt Johnson v. McIntosh[26], est celui qui est le plus souvent mentionné avec approbation, lorsqu’il est question de la nature des droits aborigènes. C’est l’exposé classique des principes régissant le titre aborigène. Dans ses motifs, le Juge Gould a parlé de cette cause‑là comme suit, p. 514:
[TRADUCTION] L’argument le plus connu est celui qui est fondé sur le jugement classique et définitif qui a été rendu par le Juge en chef Marshall des États-Unis, en 1823, dans l’affaire Johnson v. McIntosh, (1823) 8 Wheaton, p. 541 et dans lequel ce juriste renommé a donné un aperçu historique de l’attitude de la Couronne britannique envers les droits des
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aborigènes sur les biens-fonds initialement occupés par ceux-ci et a exposé le droit applicable aux États-Unis à cet égard.
et à la page 518 il a dit ce qui suit:
[TRADUCTION] Durant plus de 150 ans, ce jugement convaincant a plusieurs fois été mentionné avec approbation par des instances aussi célèbres que la Chambre des Lords (Tamaki v. Baker (1801) A.C. 561, p. 580); la Cour suprême du Canada (St. Catherine’s Milling v. The Queen (1886) 13 R.C.S. 577, M. le Juge Strong, p. 610); la Cour d’appel de l’Ontario, (dans la même affaire, (1886) — 13 O.A.R. 148, M. le Juge d’appel Burton, aux pp. 159 et 160); la Haute Cour de l’Ontario, Chancery Division (dans la même affaire, 10 O.R. 196, M. le Juge Boyd, p. 209); la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (White and Bob, précité, p. 230); la Cour suprême du Nouveau‑Brunswick (Warman v. Francis (1958) — 20 D.L.R. (2e) 627, M. le Juge Anglin, p. 630).
Dans l’arrêt Johnson v. McIntosh, le Juge en chef Marshall a dit ce qui suit:
[TRADUCTION] Lorsqu’elles ont découvert cet immense continent, les grandes nations européennes étaient pressées de s’approprier autant de territoires qu’il leur était possible. Sa vaste étendue offrait tout ce que pouvait désirer l’ambition et l’esprit d’entreprise de chacun; le caractère et la religion de ses habitants fournissaient une justification permettant de les considérer comme un peuple que le génie supérieur européen pouvait regarder de haut. Les potentats du vieux monde n’ont éprouvé aucune difficulté pour se convaincre qu’ils compensaient amplement les habitants du nouveau continent en leur offrant la civilisation et le Christianisme en échange de leur indépendance absolue. Mais, comme ils étaient tous à la recherche du même objectif ou à peu près, il a été nécessaire, en vue d’éviter des décisions contradictoires et des guerres, d’établir un principe que tous reconnaîtraient comme constituant le droit en vertu duquel le droit d’acquisition, qu’ils revendiquaient tous, devrait être régi entre eux. Ce principe était que par la découverte, le titre était dévolu au gouvernement dont les sujets avaient fait la découverte ou sous l’autorité duquel la découverte était faite, et ce, vis-à-vis de tous les autres gouvernements européens, ce titre pouvant être rendu parfait par la possession.
L’exclusion de tous les autres pays européens conférait nécessairement à la nation qui faisait la découverte le droit exclusif d’acquérir les terres des aborigènes et d’établir des colonies. Il s’agissait là d’un
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droit qu’aucun Européen ne pouvait entraver. C’était un droit que chacun faisait valoir pour lui-même, tout en reconnaissant ce droit aux autres.
Les relations qui devaient exister entre découvreur et aborigènes devaient se régler entre eux. Les droits ainsi acquis étant exclusifs, aucun autre pouvoir ne pouvait s’interposer.
Dans l’établissement de ces relations, on n’a, en aucun cas, entièrement omis de tenir compte des droits des aborigènes; mais ces droits se sont trouvés nécessairement restreints dans une large mesure. On reconnaissait que les aborigènes étaient les occupants de plein droit des terres, et pouvaient juridiquement et légitimement demeurer en possession de celles-ci, et les utiliser à leur gré; mais leurs droits à la souveraineté complète, en leur qualité de nations indépendantes, ont été nécessairement diminués, et leur pouvoir de disposer des terres en faveur de n’importe qui a été nié en vertu du principe initial de base selon lequel la découverte conférait à ceux qui l’avait faite un titre exclusif.
Les différentes nations européennes respectaient le droit d’occupation des aborigènes, qu’ils pouvaient exercer à leur gré, mais elles revendiquaient la propriété suprême; elles revendiquaient et exerçaient, par suite de ce droit suprême, un pouvoir d’octroyer les terres, alors que celles-ci étaient encore en possession des aborigènes. Ces octrois ont été interprétés par tous comme accordant au cessionnaire un titre, sous réserve uniquement du droit d’occupation indien.
(Les italiques ont été ajoutés.)
Il est bon de mentionner ici les commentaires que le Juge d’appel Norris a faits à propos de l’arrêt Johnson v. McIntosh dans l’arrêt R. v. White and Bob[27], pp. 212 à 213:
[TRADUCTION]… Dans l’affaire Johnson v. McIntosh (précitée) le jugement a été rendu à une époque où l’exploration de ce continent et la controverse au sujet de ces droits ont commencé à prendre de l’importance. De plus, en examinant la question dans le présent appel, il faut se rappeler que ce jugement a été rendu cinq ans seulement après la convention de 1818 conclue entre la Grande-Bretagne et les États-Unis (appelée à tort par l’avocat le traité Jay), qui prévoyait que la côte nord-ouest de l’Amérique devrait être une zone libre et ouverte, durant 10 ans, en faveur des navires, citoyens, et sujets des deux
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puissances, en vue d’éviter toute dispute entre celles-ci. Les droits des Indiens formaient naturellement une question connexe en ce qui concerne l’application d’un principe directeur commun s’appliquant nécessairement à ce qui est maintenant l’île de Vancouver et les États de Washington et d’Oregon; tous ces territoires étaient alors la propriété de la Compagnie de la baie d’Hudson. Pour ces motifs, et étant donné que le jugement dans l’affaire Johnson v. McIntosh (précitée) a été rendu à une époque où les Américains exploraient et exploitaient activement l’Ouest, cet arrêt est particulièrement important.
La proposition principale, celle qui revient toujours et qui a été énoncée par le Juge en chef Marshall dans l’arrêt Johnson v. McIntosh, est qu’au moment de la découverte ou de la conquête, les aborigènes des nouvelles terres étaient reconnus comme les occupants de plein droit des terres et pouvaient juridiquement et légitimement demeurer en possession de celles-ci et les utiliser à leur gré, mais leurs droits à la souveraineté complète en qualité de nations indépendantes se sont trouvés nécessairement diminués et leur pouvoir de disposer de ces terres à leur gré en faveur de n’importe qui a été nié en vertu du principe initial de base selon lequel la découverte ou la conquête conféraient un titre exclusif.
Dans l’affaire Worcester v. State of Georgia[28], le Juge en chef Marshall a eu l’occasion en 1832 de se prononcer de nouveau sur la question des droits aborigènes. Il a dit ce qui suit pp. 542-4:
[TRADUCTION] L’Amérique, séparée de l’Europe par un vaste océan, était habitée par un peuple différent, divisé en nations distinctes, indépendantes l’une de l’autre et vis‑à‑vis du reste du monde; elles avaient leurs propres institutions et se gouvernaient elles-mêmes en vertu de leurs propres lois. Il est difficile de comprendre que les habitants d’une partie du globe pouvaient avoir des revendications originales légitimes de suprématie sur les habitants de l’autre ou sur les terres qu’ils occupaient; ou que celui qui découvrait des terres acquérait des droits sur le pays découvert, droits qui annulaient les droits préexistants de ceux qui en avaient antérieurement eu la possession.
Après être demeurée chez elle durant des siècles, l’Europe, guidée par la science nautique, a mené,
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grâce à son esprit d’entreprise, certains de ses fils aventuriers au nouveau monde. Ils ont trouvé celui-ci en la possession d’un peuple qui avait fait peu de progrès dans le domaine agricole ou industriel et qui vivait surtout de la guerre, de la chasse et de la pêche.
En naviguant le long de la côte et en mettant à l’occasion pied à terre, ces aventuriers ont-ils acquis, pour le compte des divers gouvernements auxquels ils appartenaient ou qui leur avaient donné une commission, la propriété légitime des terres situées entre l’Atlantique et le Pacifique; ou ont-ils légitimement soumis les nombreux peuples qui occupaient celles-ci à leur autorité? Ou encore, la nature ou le grand créateur de toutes choses ont-ils conféré aux agriculteurs et industriels ces droits sur des chasseurs ou pêcheurs?
Mais la puissance, la guerre, la conquête, confèrent des droits qui, après la possession, sont reconnus par tous et qui ne peuvent jamais être contestés par ceux sur lesquels ils s’exercent. Nous passons à l’état actuel des choses après avoir jeté un coup d’œil sur leurs origines, le rappel de ces origines pouvant éclairer les prétentions actuelles.
Les grandes puissances maritimes de l’Europe ont découvert et visité différentes parties de ce continent presque à la même époque. Il s’agissait d’un objet trop immense pour que l’une d’entre elles puisse le saisir dans son ensemble et les intéressés étaient trop puissants pour se soumettre aux prétentions exclusives ou déraisonnables d’un seul potentat. En vue d’éviter de sanglants conflits, qui auraient pu avoir des conséquences désastreuses pour chacun, les nations européennes ont dû établir quelque principe que tous reconnaîtraient et qui déciderait des droits respectifs de chacun. Ce principe, comme le suggère l’état actuel des choses, est le suivant: «que par la découverte, le titre était dévolu au gouvernement dont les sujets avaient fait la découverte ou sous l’autorité duquel la découverte s’était faite, et ce, vis-à-vis de tous les autres gouvernements européens, ce titre pouvant être rendu parfait par la possession».
Ce principe, reconnu par tous les Européens, parce qu’il était dans l’intérêt de tous de le reconnaître, conférait donc inévitablement à la nation qui faisait la découverte le droit exclusif d’acquérir les terres et de les coloniser. C’était un principe exclusif qui interdisait toute concurrence entre ceux qui en avaient convenu; ce n’était pas un principe qui pouvait annuler les droits antérieurs de ceux qui ne l’avait pas reconnu. Ce principe réglementait chez les Européens le droit conféré par la découverte, mais il ne pouvait avoir aucune influence sur les droits de ceux qui
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possédaient déjà les terres, soit en leur qualité d’occupants aborigènes, soit en leur qualité d’occupants par suite d’une découverte préhistorique. Ce principe conférait un droit exclusif d’achat mais ne fondait pas ce droit sur le refus de reconnaître le droit de vente du possesseur.
(Les italiques ont été ajoutés.)
Voir également le chancelier Kent dans ses Commentaries on American Law, (1889), vol. 3, p. 411.
L’opinion que les Indiens pouvaient juridiquement et légitimement faire valoir leurs droits sur le territoire qu’ils occupaient a été confirmée récemment, en 1946, par la Cour suprême des États-Unis dans l’arrêt United States v. Alcea Band of Tillamooks[29]. Dans cette cause-là, il a été décidé que la loi sur les droits indiens de 1935 ne conférait aucun droit fondamental aux Indiens, c.-à-d. qu’elle ne transformait pas un droit moral, découlant de la prise de leurs terres sans leur consentement et sans indemnisation, en un droit juridique, parce qu’ils avaient déjà un droit valide et juridique, et qu’il n’était pas nécessaire de créer pareil droit en leur faveur. La loi libérait simplement les Indiens de l’obligation d’obtenir le consentement du gouvernement américain s’ils voulaient engager des poursuites à la suite d’une dépossession illicite. Le jugement est carrément fondé sur la reconnaissance par la Cour du «titre indien original» découlant d’une possession antérieure des terres. Il décide que [TRADUCTION] «les Indiens ont, en ce qui concerne l’indemnisation, une cause d’action découlant de la dépossession forcée des terres qu’ils détiennent en vertu d’un titre indien original». Le Juge en chef Vinson a dit p. 45:
[TRADUCTION] La loi de 1935 est rédigée en termes clairs, et les conséquences de celle-ci sont claires. Par cette loi, le Congrès n’a ni reconnu ni nié une obligation. La loi annule les obstacles découlant de l’immunité souveraine et de la prescription et édicte que les tribunaux statueront sur les revendications désignées. On ne crée pas quelque nouveau droit ou cause d’action. On ne transforme pas une revendication simplement morale en une revendication juridique.
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Il a été décidé depuis longtemps que par suite de la découverte, le titre sur les terres occupées par les tribus indiennes était dévolu au souverain. Ce titre était réputé être assujetti à un droit d’occupation en faveur des tribus indiennes, découlant de leur possession initiale antérieure. C’est de l’étendue de ce droit d’occupation, de ce titre indien original, qu’il est question ici.
Vis-à-vis de tous sauf le souverain, le titre indien original était protégé comme un droit complet de propriété mais il était sujet aux actes du souverain, qui avait le pouvoir exclusif d’éteindre le droit d’occupation à son gré. L’extinction de ce droit par un acte souverain était complète et laissait les terres libres des droits indiens. Les parties ne pouvaient pas contester la justice ou la légitimité des méthodes employées en vue d’éteindre le droit d’occupation. Les Indiens eux-mêmes ne pouvaient pas empêcher la prise de leurs terres tribales ou l’extinction de leur titre. Toutefois, on se demande ici pour la première fois si les Indiens ont une cause d’action, en ce qui concerne l’obtention d’une indemnité, par suite de la dépossession forcée des terres qu’ils détiennent en vertu de leur titre indien original.
…
En décidant le contraire, on méconnaîtrait la valeur évidente des méthodes traditionnelles d’extinction du titre indien original. Dans l’ensemble, au début, l’acquisition des terres indiennes s’est faite au moyen de pourparlers et de traités; les premiers traités révèlent l’importance frappante qui a été accordée aux droits indiens, comme l’analyse de l’arrêt Worcester v. Georgia, précité, lé montre clairement. La ligne de conduite établie consistait à ne pas obtenir une cession forcée des terres, sans le consentement des Indiens et sans indemnisation. Toutefois, le grand effort qui a été fourni au 19e siècle en vue de coloniser l’Ouest, et qui a été à l’origine de marchés conclus sans scrupule, n‘a pas entièrement remplacé la pratique établie qui consistait à éteindre le titre indien original par suite de pourparlers. En 1896, cette Cour a fait remarquer que: [TRADUCTION] «presque toutes les tribus et bandes indiennes dans les limites territoriales des États-Unis ont conclu quelque traité avec le gouvernement.» Marks v. United States 161, U.S. 297, 302 (1896). Ce n’est pas uniquement par une bienveillance souveraine que l’on a de toute évidence tenu compte du titre indien original.
(Les italiques ont été ajoutés.)
Les mêmes considérations s’appliquent au Canada. Des traités visant d’énormes parcelles
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de terrains ont été conclus avec les Indiens de l’Ouest canadien. Voir le Historical Atlas of Canada (1961), p. 57 (carte n° 81) de Kerr. Ces traités constituaient une reconnaissance du titre indien.
Dans l’arrêt Re Southern Rhodesia[30], Lord Summer a dit ce qui suit, p. 233:
[TRADUCTION] De toute façon, il fallait démontrer que les droits, quels qu’ils aient été, faisaient partie de la catégorie des droits de propriété privée, de sorte qu’il faille présumer qu’au moment de la conquête, à défaut d’une confiscation expresse ou d’une loi d’expropriation subséquente, le conquérant les a respectés et a renoncé à les restreindre ou modifier.
Il est toujours difficile d’apprécier quels étaient les droits des tribus aborigènes. Certaines tribus sont tellement au bas de l’échelle, en ce qui concerne leur organisation sociale, qu’il est impossible de concilier leurs usages et notions de droits et d’obligations avec les institutions ou les notions juridiques d’une société civilisée. On ne peut établir aucun pont. Il serait vain d’attribuer à pareils peuples quelque apparence de droits connus dans notre système juridique et de les transposer dans nos notions de droits aliénables de propriété. En l’espèce, en vertu d’une succession créée par fiction, chaque individu deviendrait un propriétaire foncier «plus riche que l’ensemble de la tribu». D’autre part, il existe des peuples aborigènes dont les notions juridiques, bien qu’elles aient évolué différemment, sont à peine moins précises que les nôtres. Lorsqu’elles ont été étudiées et comprises, elles ne sont pas moins exécutoires que des droits découlant du système anglais.
(Les italiques ont été ajoutés.)
Dans le jugement qu’il a rendu dans l’affaire Johnson v. McIntosh, le Juge en chef Marshall s’est reporté à l’arrêt anglais Campbell v. Hall[31]. Cette dernière cause était importante et décisive; elle a été considérée comme faisant autorité dans le Commonwealth et aux États‑Unis. Il y était question des droits et du statut des résidents de l’île de Grenade, dont les Britanniques s’étaient récemment emparée à la suite d’une guerre ouverte avec la France. Le juge-
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ment a été rendu par le Juge en chef Mansfield Dans ses motifs, il dit, p. 1047:
[TRADUCTION] Il a été question en détail de propositions, et de nombreux précédents ont été mentionnés à ce sujet, les deux parties semblant être entièrement d’accord; ces propositions sont de fait trop claires pour être contestées. En énonçant certaines de ces propositions, que nous estimons passablement claires, nous serons amenés à constater plus nettement quelle est la première question et de quoi il en ressort. J’énoncerai les propositions d’une façon générale; la première est la suivante:
Tout pays conquis par les forces britanniques devient un dominion du Roi, du chef de la Couronne; par conséquent, il est nécessairement assujetti à l’assemblée législative, au Parlement de la Grande-Bretagne.
Deuxièmement, les habitants conquis, lorsqu’ils ont reçu la protection du Roi, deviennent ses sujets et doivent être universellement considérés comme tels, et non pas comme des ennemis ou des étrangers.
Troisièmement, les actes de capitulation en vertu desquels le pays est abandonné, et les traités de paix en vertu desquels il est cédé, sont sacrés et inviolables, selon l’intention réelle qui y est manifestée.
Quatrièmement, le droit et le gouvernement législatif de chaque dominion régissent toutes les personnes et tous les biens qui s’y trouvent; c’est d’eux que dépend toute question qui s’y pose. Ceux qui achètent, vivent ou engagent des poursuites dans ce dominion se soumettent au droit de l’endroit. L’Anglais qui se trouve en Irlande, à Minorque, à l’Isle de Man ou sur des plantations n’a aucun privilège distinct de celui des autochtones.
Cinquièmement, les lois du pays conquis demeurent en vigueur tant qu’elles ne sont pas modifiées par le conquérant: l’exception absurde faite en ce qui concerne les païens, dont il est fait mention dans l’affaire Calvin, montre l’universalité et l’ancienneté de la maxime. Cette distinction ne pouvait pas exister avant l’ère chrétienne; c’est très probablement là une des conséquences de l’enthousiasme délirant qui existait à l’époque des croisades. En la présente espèce, l’acte de capitulation stipule et convient expressément qu’ils continueront à être régis par leurs propres lois, jusqu’à ce que Sa Majesté fasse connaître son bon plaisir.
Sixièmement, la dernière proposition est la suivante: si le Roi (et lorsque je parle du Roi, je veux toujours dire le Roi seul, sans le Parlement) a le pouvoir de modifier les anciennes lois et d’introduire
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de nouvelles lois dans un pays conquis, cette législation étant subordonnée, c.-à-d. qu’elle dépend de son propre pouvoir au Parlement, il ne peut apporter aucun changement en contravention des principes fondamentaux: il ne peut pas exempter un habitant du Dominion en question; par exemple, des lois commerciales ou de l’autorité du Parlement, ou lui accorder des privilèges exclusifs; on peut donner bien d’autres exemples.
A fortiori, les mêmes principes, particulièrement les cinquième et sixième principes, doivent s’appliquer aux terres assujetties à la souveraineté britannique par découverte ou par déclaration.
Il importe de noter que dans toutes les régions où des terres indiennes ont été prises par la Couronne, des traités ont été négociés et conclus par la Couronne et les tribus indiennes occupant ces terres. L’effet de ces traités a été examiné par le Juge d’appel Davey (alors juge puîné), au nom de la majorité, dans l’arrêt White and Bob, p. 197:
[TRADUCTION] Le gouvernement impérial et la Compagnie de la Baie d’Hudson ont eu depuis longtemps comme ligne de conduite d’acheter les terres indiennes en vue de la colonisation par les Blancs. En conformité de cette ligne de conduite, de nombreuses ententes, dont certaines comportaient beaucoup de formalités et d’autres pas, ont été conclues avec diverses bandes et tribus d’Indiens en vue de l’achat de leurs terres. Ces ententes conféraient fréquemment aux cédants des droits de chasse sur les terres inoccupées ainsi vendues. Compte tenu des relations entre la Couronne et la compagnie de la Baie d’Hudson en ce qui concerne la colonisation de ce pays, et des principes directeurs du gouvernement impérial et de la Compagnie manifestés dans ces ententes, je ne puis considérer que la pièce 8 est une simple entente en vue de la vente de terres, conclue entre un vendeur particulier et un acheteur particulier. Étant donné la notoriété de ces faits, je ne doute aucunement que le Parlement entendait, en employant le terme «traité» à l’article 87, viser toute pareille entente et excepter les dispositions de celle-ci de l’application de la partie opérante de l’article.
(Les italiques ont été ajoutés.)
La Couronne a interjeté appel de l’arrêt White and Bob à cette Cour. Le Juge Cartwright (alors
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juge puîné) a rendu le jugement oral de la Cour qui rejetait l’appel comme suit[32]:
[TRADUCTION] Mes Berger, Sanders et Christie. Nous ne jugeons pas nécessaire de vous entendre. Nous sommes tous d’avis que la majorité de la Cour d’appel a eu raison de conclure que le document, pièce 8, était un «traité» au sens où ce terme est employé à l’art. 87 de la Loi sur les Indiens, S.R.C. 1952, c. 149. Nous croyons par conséquent que dans les circonstances de l’espèce, l’application de l’art. 25 du Game Act [R.S.B.C. 1960, c. 160] était exclue par suite de l’existence de ce traité.
Dans l’arrêt Attorney General for Quebec v. Attorney General for Canada[33], le Juge Duff (alors juge puîné), parlant au nom du Conseil privé, a dit, page 408, que le droit indien est un [TRADUCTION] «droit de la nature d’un usufruit seulement et un droit personnel en ce sens que, par sa nature, il est inaliénable, sauf par cession à la Couronne.»
Le titre aborigène indien ne dépend d’aucun traité, ni d’aucune ordonnance du pouvoir exécutif ou disposition législative. Le Juge Sutherland, rendant jugement au nom de la Cour suprême des États-Unis dans l’affaire Cramer v. United States[34], a dit à ce sujet ce qui suit:
[TRADUCTION] Le fait que pareil droit d’occupation n’est pas reconnu par quelque acte étatique ou autre acte gouvernemental positif n’est pas concluant. Dans les circonstances ici présentes, le droit découle d’une ligne de conduite gouvernementale établie. L’arrêt Broder v. Natoma Water & Min. Co. 101 US 274, 276, 25 L. ed. 790, 791, nous fournit un exemple analogue. Dans cette cause-là, cette Cour, en décidant que la loi du 26 juillet 1866, 14 Stat, at L. 251, chap. 262 #9, Comp. Stat. #4647, 9 Fed. Stat. Anno. 2e éd. p. 1349, reconnaissant et confirmant certains droits de passage en vue de la construction de fossés et de canaux, était déclaratoire d’un droit préexistant, a dit ce qui suit: «Il a été établi par cette Cour que les droits des… personnes qui avaient construit des fossés et des canaux… sont des droits que le gouvernement avait, par son comportement, reconnus et encouragés et qu’il était tenu de protéger, avant l’adoption de la loi de 1866. Nous sommes d’avis que l’article de la loi que nous avons cité constitue une
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reconnaissance de plein gré D’UN DROIT DE POSSESSION PRÉEXISTANT, autorisant toute revendication valable en vue de la continuation de l’exercice de ce droit, plutôt que l’établissement d’un nouveau droit.»
Dans son jugement, la Cour d’appel s’est reportée à l’arrêt United States v. Santa Fe Pacific Ry. Co.[35], et a voulu se fonder sur cet arrêt. Il faut considérer que cette cause est celle qui fait actuellement autorité en matière des droits aborigènes. A mon avis, la Cour d’appel a mal appliqué la décision rendue dans l’affaire Santa Fe. C’est ce qui ressort clairement du jugement que le Juge Douglas a rendu dans l’affaire Santa Fe. Il a dit ce qui suit:
[TRADUCTION] L’occupation requise en vue d’établir la possession aborigène constitue une question de fait à décider comme toute autre question de fait. S’il était établi que les terres en question faisaient partie de la patrie ancestrale des Walapais ou étaient comprises dans celle-ci, en ce sens qu’elles constituaient un territoire définissable occupé exclusivement par les Walapais (par opposition aux terres sur lesquelles erraient de nombreuses tribus), les Walapais avaient un «titre indien» qui, s’il n’a pas été éteint, a continué d’exister malgré la concession ferroviaire de 1866. Arrêt Buttz v. Northern Pacific Railroad, [119 U.S. 55].
…
Quels qu’aient pu être les droits des Walapais en vertu de droit espagnol, dans l’arrêt Cramer il est présumé que les terres dans les limites de la cession mexicaine n’étaient pas exceptées de la ligne de conduite qui voulait que le droit d’occupation indien soit respecté. Dans l’arrêt Cramer, il était question du problème du droit d’occupation d’un particulier d’origine indienne, mais cette Cour a déclaré que pareille occupation ne devait pas être traitée différemment de «l’occupation originale par les tribus nomades» [261 U.S. p. 227]. La présomption que le droit de possession aborigène serait respecté dans les limites de la cession mexicaine n’était peut-être pas requise aux fins d’une décision stricte de l’affaire, tout comme les généralités énoncées dans l’arrêt Johnson v. McIntosh, 8 Wheat. 543. Mais pareilles généralités ont été si souvent et si longuement réitérées, en ce qui concerne les terres qui avaient anciennement été sous la souveraineté de diverses nations européennes, dont l’Espagne, que, comme les autres règles régissant les titres de biens-fonds (United States v. Title Ins. & T. Co. 265 U.S. 472, 486-487), elles ne devraient plus être considérées comme contestables.
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…
Il n’est pas vrai non plus, comme le soutient l’intimée, que tout droit tribal sur quelque terre particulière doit être fondé sur un traité, sur une loi, ou sur quelque autre acte positif du gouvernement. Comme il a été déclaré dans l’arrêt Cramer, «le fait que pareil droit d’occupation n’est pas reconnu par quelque acte étatique ou autre acte gouvernemental positif n’est pas concluant». 261 U.S. p. 229.
Il est également évident que la Cour d’appel a mal compris les questions qui étaient en jeu dans l’affaire United States v. Alcea Band of Tillamooks[36]. C’est ce qui ressort clairement du jugement que le Juge Davis a rendu dans l’affaire Lipan Apache Tribe v. United States[37]. Dans cette cause-là, il a été soutenu sans succès que la reconnaissance positive par le Texas, avant de devenir membre de l’Union, du titre indien, était essentielle en ce qui concernait toute revendication juridique de celui-ci. La Cour a dit ce qui suit:
[TRADUCTION] Eu égard à cette requête en vue d’obtenir le rejet, nous devons accepter l’allégation de fait que les tribus réclamantes avaient utilisé et occupé durant de nombreuses années les terres désignées au Texas et ce, à l’exclusion de tout autre peuple. Pareille utilisation continue et exclusive est suffisante, à moins que le droit n’ait été dûment éteint, en vue d’établir le titre indien ou aborigène. Voir, par exemple, Sac and Fox Tribe v. United States. 179 Ct. Cl. 8, 21-22 (1967) et les arrêts qui y sont mentionnés. Nous savons qu’avant la création de la République du Texas en 1836, les souverains précédents, l’Espagne et le Mexique (et dans une certaine mesure, la France) n’ont pas éteint les droits aborigènes des Indiens dans les limites des territoires qu’ils possédaient en Amérique du Nord. La Cour suprême a clairement indiqué que les terres qui étaient auparavant sous la souveraineté de l’Espagne, du Mexique ou de la France ne doivent pas être traitées différemment, en ce qui concerne la question du titre indien, des autres terres de la nation. United States v. Santa Fe Pac. R.R., 314 U.S. 339, 345-46 (1941). Dans chaque cas, la possession indienne, lorsqu’elle est
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établie, doit être dûment respectée. Johnson v. McIntosh, 21 U.S. (8 Wheat.) 543, 571, 574, 592 (1823); Mohave Tribe v. United States, 7 Ind. CI. Comm. 219, 260-61, (1959), Washoe Tribe v. United States, 7 Ind. Cl. Comm. 266, 288 (1959).
La Claims Commission a conclu, toutefois, que même si les réclamants avaient déjà possédé un titre aborigène sur les terres, ce droit d’occupation a été éteint en 1836, lorsque le Texas a acquis son indépendance. La Commission semblait croire que le maintien du titre aborigène dépend d’une reconnaissance expresse du souverain et que la République «n’avait pas accordé aux Indiens un droit d’occupation…»; à défaut de pareil droit sur les terres du Texas, au moment de l’annexion, les tribus avaient omis de prouver un élément nécessaire à l’égard de leur droit d’action et n’étaient pas recevables à obtenir un recouvrement.
Pour autant que la Commission et l’intimé croient que la reconnaissance ou l’approbation expresse du gouvernement est une condition nécessaire à l’existence du titre original, nous estimons qu’ils se trompent. Le maintien du titre indien fondé sur la possession aborigène ne dépend pas d’une reconnaissance souveraine ou d’une acceptation expresse. Une fois qu’il est de fait établi, il demeure tant qu’il n’est pas éteint ou abandonné. Arrêt United States v. Santa Fe pac. R.R., précité, 314 U.S., 345, 347. Il a «droit au respect de toutes les cours tant qu’il n’est pas légitimement éteint…». Arrêt Johnson v. McIntosh, précité, 2.1 U.S. (8 Wheat.) p. 592. Voir Clark v. Smith, 38 U.S. (13 Pet.) 195, 201 (1839): Worcester v. State of Georgia, 31 U.S. (6 Pet.) 405, 420, 439 (1832); Mohave Tribe v. United States, précité, 7 Ind. Cl. Comm. p. 262.
Nous devons en fait nous demander non pas si la République du Texas a accordé ou octroyé aux Indiens certains droits, mais si elle a éteint leurs droits d’occupation préexistants. L’extinction peut se faire sous diverses formes; elle peut se faire «par traité, par les armes, par achat, par l’exercice d’une suprématie complète niant le droit d’occupation ou autrement…». Arrêt United States v. Santa Fe Pac. R.R., précité, 314 U.S. p. 347. Le choix du mode d’extinction est une prérogative gouvernementale, mais l’acte (ou les actes) réel(s) d’extinction doit être clair et sans ambiguïté. A défaut d’une «indication claire et expresse» dans les dossiers publics que le souverain «voulait éteindre tous les droits des réclamants» sur leurs biens, le titre indien demeure. Id., p. 353.
(Les italiques ont été ajoutés.)
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A coup sûr, les traités canadiens, conclus si solennellement par la Couronne, étaient destinés à éteindre le titre indien. Quel autre objectif pouvaient-ils avoir? S’ils n’étaient pas destinés à éteindre le titre indien, il s’agissait d’une farce monumentale, ce qu’il ne faut pas présumer. Le traité n° 8 de 1899 a été conclu par la reine Victoria et les représentants des Indiens d’une partie de la Colombie-Britannique et des territoires du Nord-Ouest. Le traité a été ratifié par le Conseil privé de la Reine au Canada. Certaines déclarations figurant dans le traité sont entièrement incompatibles avec quelque argument ou présomption que les droits que les Indiens ont pu avoir ont été éteints avant l’entrée de la Colombie-Britannique dans la Confédération en 1871. Le traité se lit partiellement comme suit:
[TRADUCTION] Et considérant que lesdits Commissaires ont négocié un traité avec les Cree, les Beaver, les Chipewyan et d’autres Indiens habitant le district ci-après défini et décrit, et que celui-ci a été accepté et conclu par les bandes respectives aux dates mentionnées ci-dessous, lesdits Indiens CÈDENT, REMETTENT ET ABANDONNENT PAR LES PRÉSENTES au Gouvernement du Dominion du Canada, pour le bénéfice de Sa Majesté la Reine et de ses ayants droit à perpétuité, tous leurs droits, titres et privilèges, quels qu’ils soient, sur les terres comprises dans les limites suivantes, soit…
…
Ainsi que lesdits droits, titres et privilèges indiens, quels qu’ils soient, sur tous les autres biens-fonds situés dans les territoires du Nord-Ouest, en Colombie-Britannique ou dans quelque autre partie du Dominion du Canada.
Pour appartenir à Sa Majesté la Reine et à ses ayants droit à perpétuité.
(Les italiques ont été ajoutés.)
S’il n’existait aucun titre indien en Colombie-Britannique en 1899, pourquoi le traité a-t-il été négocié et ratifié?
De plus, à l’appui de la revendication des Nishgas qu’ils ont un certain droit ou titre sur les biens-fonds en question se trouve la garantie énoncée dans la Proclamation de 1763 au sujet des droits indiens. Cette Proclamation était une ordonnance du pouvoir exécutif ayant l’effet
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d’une loi du Parlement et elle a été décrite par le Juge Gwynne dans l’arrêt St. Catharines Milling, p. 652, comme étant la «Déclaration des droits indiens»: voir également Campbell v. Hall. Sa force de loi est analogue au statut de la Magna Carta, qui a toujours été considérée comme étant la loi à travers l’Empire. Elle était une loi qui s’appliquait chaque fois que l’Angleterre prenait en main la souveraineté sur les terres ou territoires nouvellement découverts ou acquis. Par conséquent, il s’ensuit que le Colonial Laws Validity Act s’est appliqué de façon à donner effet à la Proclamation en Colombie-Britannique. Il est clair qu’elle était considérée comme faisant partie du droit anglais, étant donné que lorsqu’il a été jugé recommandable de la modifier, cela s’est fait par une loi du Parlement, soit, l’Acte de Québec de 1774.
En ce qui concerne cette Proclamation, on peut dire qu’alors que les autres nations exploratrices ont montré une indifférence impitoyable à l’égard des droits aborigènes, l’Angleterre a adopté une attitude remarquablement éclairée envers les Indiens de l’Amérique du Nord. La Proclamation doit être considérée comme un document fondamental sur lequel il faut se fonder en statuant sur les droits originaux. Son effet a été étudié par le Juge Idington, en cette Cour, dans l’arrêt Province of Ontario c. Dominion of Canada[38], pp. 103-104:
[TRADUCTION] Une ligne de conduite pleine de prudence, d’humanité et de justice adoptée par la Couronne britannique pour qu’elle soit observée dans tout marché éventuel conclu avec les Indiens à l’égard des droits qu’ils pourraient penser avoir a été énoncée dans la Proclamation royale de 1763, qui créait, à la suite du traité de Paris conclu la même année, entre autres, un gouvernement distinct pour le Québec, cédé par ce traité à la Couronne britannique.
Cette ligne de conduite, suivie par la suite par les représentants de la Couronne, a entraîné la conclusion de nombreux traités en vertu desquels les Indiens acceptaient de céder les droits qu’ils étaient censés avoir sur la région désignée dans pareils traités.
Dans ces traités de cession, on stipulait généralement la création de réserves pour les Indiens qui
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effectuaient pareilles cessions, réserves auxquelles ils avaient accès ou auxquelles ils étaient confinés, à des fins résidentielles.
L’historique de cette façon de procéder est exposé en détail dans le jugement que le savant chancelier Boyd a rendu dans l’affaire The Queen v. St. Catharines Milling Co. 10 O.R. 196, confirmé 13 O.A.R. 148.
(Les italiques ont été ajoutés.)
La question de la possibilité d’appliquer la Proclamation aux Nishgas est par conséquent pertinente dans le présent appel. Certaines cours provinciales canadiennes ont été saisies de cette question à diverses reprises; mais elle n’a jamais été spécifiquement traitée par cette Cour.
Il est donc nécessaire de répondre à cette question pour la première fois et de la décider en tenant dûment compte des dossiers historiques et des principes de la common law.
Les juges de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique n’étaient pas d’accord sur cette question importante. Dans l’arrêt White and Bob, le Juge d’appel Norris a examiné cette question d’une façon exhaustive, aux pp. 218 à 232 de ses motifs; il a dit en partie ce qui suit, p. 218:
[TRADUCTION] La proclamation royale de 1763 reconnaissait et confirmait les droits aborigènes et s’appliquait à l’île de Vancouver.
En ce qui concerne les Britanniques, la proclamation de 1763 traitait d’une nouvelle situation découlant de la guerre qu’ils avaient faite aux Français en Amérique du Nord et à laquelle les Indiens avaient plus ou moins activement participé, d’un côté ou de l’autre, et, incidemment, du traité de Paris de 1763, qui mettait fin à la guerre. Les Britanniques ont alors eu à faire face à l’administration d’un continent par une puissance dont les intérêts étaient jusqu’à alors limités à la région côtière. Au fur et à mesure des explorations, les aborigènes de l’intérieur et de l’Ouest ont dû être pacifiés, le commerce a dû être encouragé, la souveraineté a dû être exercée et la justice administrée, ne serait-ce que d’une façon générale, jusqu’à ce que les Britanniques puissent coloniser des régions. C’est une situation à laquelle la puissance impériale a dû plus ou moins faire face en diverses parties du continent jusque vers la fin du 19e
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siècle. Dans ces conditions, il était crucial que les droits aborigènes soient reconnus et que la ligne de conduite y afférente soit définie. C’était là le but et le fondement de la proclamation royale de 1763. Les principes qui y ont été énoncés ont continué par la suite à être la charte des droits indiens, jusqu’à l’époque actuelle — ils ont été reconnus dans divers traités avec les États-Unis visant les droits indiens et dans les traités subséquents visant certaines terres et conclus entre la Couronne ou la Compagnie de la Baie d’Hudson et les Indiens.
le juge a conclu avec raison que la Proclamation reconnaissait les droits aborigènes et s’appliquait à l’île de Vancouver. Par conséquent, si elle s’appliquait à l’île de Vancouver, elle s’applique également aux Indiens du continent. Le Juge d’appel Sheppard, à l’avis duquel le Juge d’appel Lord a souscrit, a décidé que la Proclamation ne s’appliquait pas à l’île de Vancouver. Cette Cour a confirmé le jugement majoritaire mais ne s’est pas prononcée sur la question de savoir si la Proclamation allait jusqu’à comprendre les terres situées en Colombie-Britannique.
Dans le jugement a quo, le Juge Gould a adopté les vues des Juges d’appel Sheppard et Lord plutôt que celles du Juge d’appel Norris. A mon sens, l’avis que le Juge d’appel Sheppard a exprimé dans l’affaire White and Bob était fondé sur une documentation incomplète quant à la connaissance que l’on avait de l’existence des terres situées entre les Rocheuses et le Pacifique en 1763.
Dans l’arrêt R. v. Sikyea[39], p. 66, le Juge d’appel Johnson a dit ce qui suit:
[TRADUCTION] Le droit qu’ont les Indiens de chasser et de pêcher en vue de se procurer leur nourriture sur les terres inoccupées de la Couronne a toujours été reconnu au Canada — au début, à titre de droit connexe à leur droit de «propriété» sur les terres, puis, par les traités en vertu desquels les Indiens ont cédé leur droit de propriété sur ces terres. Dans l’arrêt Rex v. Wesley [1932] 2 WWR 337, 26 Alta LR 433, 58 CCC 269, le Juge d’appel McGillivray a examiné passablement en détail l’origine, l’historique et la nature du droit que les Indiens ont sur les terres et en vertu des traités dans lesquels ils ont cédé celles-ci; il est inutile de reprendre ce qu’il a dit. Il suffit de dire
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que ces droits ont pour origine la proclamation royale qui a suivi le traité de Paris en 1763. Par cette proclamation, il était déclaré que les Indiens devaient être assurés de
«…la possession entière et paisible des parties de nos possessions et territoires qui ont été ni concédées ni achetées par Nous, et ont été réservées pour ces tribus ou quelques-unes d’entre elles comme territoires de chasse.»
Les Indiens habitant les terres de la Compagnie de la Baie d’Hudson n’étaient pas visés par la proclamation; il est pour le moins douteux que les Indiens de la partie ouest des territoires du Nord-ouest au moins, puissent revendiquer quelque droit en vertu de la proclamation, étant donné que ces terres, à cette époque, étaient terra incognita et étaient situées au nord et non pas «à l’ouest de la source des fleuves qui se jettent dans la mer à partir de. l’ouest ou du nord-ouest,» (citation de la proclamation de 1763 décrivant la région à laquelle s’appliquait celle-ci). Ce fait importe peu parce que le gouvernement canadien à considéré que tous les Indiens du Canada y compris ceux qui habitaient sur des terres réclamées par la Compagnie de la Baie d’Hudson, avaient un intérêt sur les terres et que la cession de cet intérêt devait se faire par traité.
Cette Cour a souscrit à l’avis du Juge d’appel Johnson, dans l’arrêt Sikyea v. La Reine[40], p. 646, dans lequel, parlant au nom de la Cour, j’ai dit ce qui suit:
[TRADUCTION] Eu égard à la question fondamentale ici en jeu, je souscris aux motifs et aux conclusions du Juge d’appel Johnson en Cour d’appel, (1964) 2 C.C.C. 325, 43 C.R. 83, 46 W.W.R. 65. Il a parlé en détail et avec exactitude des questions importantes, compte tenu de leur contexte historique et juridique; je n’ai rien d’utile à ajouter à ce qu’il a déjà écrit.
Le libellé de la Proclamation elle-même montre d’une façon passablement claire qu’elle devait inclure les terres à l’ouest des Rocheuses. L’alinéa pertinent se lit comme suit:
[TRADUCTION] Nous déclarons de plus que c’est Notre plaisir royal ainsi que Notre volonté, de réserver pour le présent, sous Notre souveraineté, Notre protection et Notre autorité, pour l’usage desdits Indiens, toutes les terres et tous les territoires non compris dans les limites de Nos trois gouvernements ni dans les limites du territoire concédé à la Compa-
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gnie de la Baie d’Hudson, ainsi que toutes les terres et tous les territoires situés à l’ouest des sources des rivières qui de l’ouest et du nord-ouest, vont se jeter dans la mer;
Les seuls territoires non compris étaient les suivants: (1) ceux qui se trouvaient dans les limites des trois nouveaux gouvernements; et (2) ceux qui se trouvaient dans les limites du territoire concédé à la Compagnie de la Baie d’Hudson. La dernière phrase de l’alinéa précité, «ainsi que toutes les terres et tous les territoires situés à l’ouest des sources des rivières qui de l’ouest et du nord-ouest vont se jeter dans la mer;» montre clairement que ceux qui ont rédigé l’alinéa étaient bien au courant qu’il y avait des terres à l’ouest de la source des fleuves qui coulent depuis l’ouest et le nord-ouest.
Dans l’arrêt White and Bob, le Juge d’appel Sheppard a fondé son avis que la Proclamation ne visait pas les terres à l’ouest des Rocheuses en partie sur la déclaration qu’en 1763 les régions de la Colombie-Britannique situés à l’ouest des Rocheuses étaient «terra incognita». Pareil avis n’est du tout flatteur pour les explorateurs et les dirigeants de l’Angleterre en 1763. Les gens bien informés en Angleterre n’ignoraient pas que dès 1742 les Russes exploitaient un commerce de fourrures avec les aborigènes de la région qui constitue l’enclave de l’Alaska. En 1721, un Danois, le capitaine Béring, sous les ordres de l’Empereur de Russie, avait navigué depuis le Kamtchatka, en vue de voir si l’Asie et l’Amérique étaient reliées ou séparées. Il a constaté que les deux continents étaient séparés et, ce faisant, il a donné son nom au détroit de Béring. Les explorateurs de l’Arctique venus d’Europe et d’Angleterre essayaient de trouver le fameux passage du Nord-Ouest depuis longtemps, avant 1763; entre autres, Frobisher, de 1576 à 1578, et Hudson avant sa disparition en 1610. La Compagnie de la Baie d’Hudson exploitait dans la région s’étendant entre l’ouest de la baie d’Hudson et les Rocheuses depuis presque un siècle, avant 1763, et bien qu’il ait fallu 30 ans avant qu’Alexander Mackenzie traverse les Rocheuses jusqu’au Pacifique, les explorateurs y pensaient déjà depuis de nombreuses années. Anthony Hendry, pour le
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compte de la Compagnie de la Baie d’Hudson, a voyagé jusqu’aux Rocheuses passant par la Red Deer en 1754 et est allé jusque dans les montagnes en 1759. La côte ouest du continent n’était pas inconnue, non plus que le fait qu’elle s’étendait très loin vers le nord. En 1579, Drake, en tentant de trouver un passage de l’ouest à l’est, avait navigué vers le nord jusqu’à ce que le froid mordant le fasse revenir vers le sud. Selon l’ouvrage Haklutys’ Voyages, Drake a navigué [TRADUCTION] «dans une zone climatique où le gréement gelait, où les arbres de la côte étaient morts et où les aborigènes habitaient des maisons couvertes de terre. Derrière la côte, il y avait des chaînes de montagnes aux pics couverts de neige.» Il semblerait qu’il a atteint à peu près la même latitude que Cook deux siècles plus tard. Dès 1550, le lieutenant de Coronado avait atteint la bordure est du Grand Canyon, mais il lui avait été impossible de traverser celui-ci. Les fils de La Vérendrye ont aperçu les Rocheuses près de Lethbridge en 1743. Après le décès de La Vérendrye en 1749, ses fils ont demandé l’autorisation de continuer les explorations de leur père dans les montagnes et au-delà de celles-ci mais on a refusé. Toutefois, un certain Legardeur de Saint-Pierre a entrepris d’atteindre et de traverser les montagnes. En 1750, il a envoyé un associé, un certain de Niverville, qui, en suivant la South Saskatchewan et la Bow, s’est rendu jusqu’à un endroit situé près de l’emplacement actuel de Calgary, où il a construit un abri fortifié en 1751 dans les limites du territoire de la nation Pied-Noir. De Niverville a appris de ses hôtes indiens que d’autres Indiens, à l’ouest, commerçaient avec les Blancs, de l’autre côté des montagnes. Ces Blancs étaient probablement des Espagnols; en effet, on sait que les Espagnols exploraient la côte ouest de l’Amérique au nord de la Californie. Le nom de plusieurs agglomérations de la Colombie-Britannique confirme ce fait. De plus, un autre indice du commerce espagnol sur la côte ouest a été trouvé par Cook lorsqu’il s’est arrêté à Nootka Sound en 1778. Il raconte avoir rencontré un aborigène qui était venu à cet endroit avec un groupe d’Indiens venus d’une région éloignée. Cet aborigène portait autour de
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son cou, en guise d’ornement, deux cuillers à table en argent, venant probablement des Espagnols. Ces cuillers ont été prises par Cook et après son décès, elles ont été présentées à un artiste, Sir Joseph Banks, qui avait peint un portrait de Cook en 1776. Par conséquent, on ne saurait contester que bien que les terres de la côte ouest eussent été en général inexplorées en 1763, elles étaient certainement connues et ce fait est confirmé par le libellé de l’alinéa de la Proclamation ci-dessus reproduit.
L’importante question suivante se pose encore: les droits ont-ils été éteints, soit en vertu de la common law, soit en vertu de la Proclamation? Le Juge d’appel Tysoe a dit ce qui suit à ce sujet, à la p. 582 de ses motifs:
[TRADUCTION] Comme l’ont affirmé les appelants, il est vrai que nous ne pouvons trouver nulle part des termes exprès éteignant le titre indien….
(J’ai mis des mots en italique.)
Les parties en cause conviennent que s’il y a eu extinction, cela doit s’être fait entre 1858 et l’année au cours de laquelle la Colombie-Britannique est entrée dans la Confédération, en 1871. L’intimé se fonde sur les actes du gouverneur Douglas et de son successeur, Frederick Seymour, devenu gouverneur en 1864.
Une fois que le titre aborigène est établi, on présume qu’il demeure, jusqu’à preuve du contraire. Tel était le droit, selon le vicomte Haldane, affaire Amodu Tijani, pp. 409 et 410:
[TRADUCTION] Leurs Seigneuries croient que le savant Juge en chef, dans le jugement ainsi résumé, qui nie de fait l’existence juridique de l’usufruit de la collectivité, a omis de reconnaître le véritable caractère du titre d’une collectivité aborigène sur les biens-fonds qu’elle occupe. Ce titre, comme elles l’ont signalé, est prima facie fondé non pas sur quelque propriété particulière au sens du droit anglais, mais sur un droit commun d’occupation communautaire de la nature d’un usufruit, qui peut être si absolu qu’il réduit tout droit radical du Souverain en un droit comparativement restreint d’intervention à des fins administratives. Il n’est pas établi que ce genre de titre de la nature d’un usufruit, détenu par la collectivité, a été modifié en droit, soit lorsque les rois Benin ont conquis le Lagos soit au moment de la cession à
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la Couronne britannique en 1861. Les termes généraux utilisés dans le traité de cession ne doivent pas être interprétés comme éteignant les droits en question. Le titré original aborigène était un droit communautaire, et il faut présumer qu’il a continué à exister, jusqu’à ce que le contraire soit établi par le contexte ou les circonstances. Leurs Seigneuries croient qu’il n’existe aucune preuve qui indique que ce droit a été à un moment donné modifié ou même contesté d’une façon importante. Dans ces conditions, elles ne peuvent pas souscrire à l’avis exprimé par le Juge en chef et la Cour en séance plénière.
(J’ai mis des mots en italique.)
Les appelants se fondent sur la présomption que la Couronne britannique a voulu respecter les droits aborigènes; par conséquent, lorsque le peuple nishga a été soumis à la souveraineté britannique (sous réserve de ce que j’ai dit au sujet de la souveraineté sur la partie des terres qui n’a été délimitée qu’en 1903), il avait le droit de faire valoir son titre indien, comme droit juridique. Cela étant, ce droit ne pouvait pas être éteint par la suite sauf par cession à la Couronne ou par le pouvoir législatif compétent, et alors uniquement au moyen d’une loi précise. Les Nishgas n’ont pas cédé leurs terres et ni la colonie de la Colombie-Britannique ni la province, après la confédération, n’ont adopté une loi visant expressément à éteindre le titre indien; il en a été de même pour le Parlement, à Ottawa. L’extrait suivant du jugement rendu par Lord Denning dans l’affaire Oyekan v. Adele[41], p. 788, constitue un exposé clair de la situation. Lord Denning a dit ce qui suit:
[TRADUCTION] Pour déterminer quels droits sont transmis à la Couronne et quels droits sont conservés par les habitants, les tribunaux judiciaires tiennent compte non pas du traité mais du comportement de la Couronne Britannique. Le Comité a établi que
«Tout habitant du territoire peut faire valoir, devant les tribunaux locaux établis par le nouveau souverain, uniquement les droits que ce souverain a reconnus par l’intermidiaire de ses représentants. Les droits qu’il avait sous le règne de ses prédécesseurs ne lui sont d’aucun secours».
Voir Vajesingji Joravarsingji vs. Secretary of State for India (1924) LR 51 Ind. App. pp. 357 à 360, Lord
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Dunedin), Hoani Te Heuheu Tikino v. Aotea District Maori Land Board ([1941] 2 All ER 93, p. 98). Toutefois, en se demandant quels droits sont reconnus, il existe un principe directeur. Ce principe est le suivant: Les tribunaux présumeront que la Couronne Britannique veut que l’on respecte intégralement les droits de propriété des habitants. Par conséquent, bien qu’en sa qualité de souverain, elle puisse adopter des lois lui permettant d’acquérir de force des terres à des fins publiques, la Couronne britannique verra à ce qu’une juste indemnité soit accordée à chacun des habitants qui possède un intérêt en vertu du droit autochtone; et les tribunaux déclareront que chaque habitant a droit à une indemnité selon son intérêt, même si pareil intérêt est d’un genre inconnu en droit anglais: voir Amodu Tijani v. Southern Nigeria (Secretary) ([1921] 2 A.C. 399); Sakariyawo Oshodi v. Moriamo Dakolo ([1930] A.C. 667).
(J’ai mis des mots en italique.)
Il importe de mentionner également l’arrêt The Queen v. Symonds[42], approuvé dans l’arrêt Tamaki v. Baker[43], p. 579. Dans l’arrêt Symonds, le Juge Chapman a dit ce qui suit, p. 390:
[TRADUCTION] La pratique qui consiste à éteindre les titres aborigènes par de justes achats a certainement plus de 200 ans. Le gouvernement l’a longtemps adoptée dans nos colonies américaines, comme l’a fait le gouvernement des États-Unis. Cette pratique fait maintenant partie du droit du pays, et bien que les cours des États-Unis, dans les poursuites entre sujets américains, ne permettent pas qu’une concession soit annulée sous prétexte que le titre aborigène n’a pas été éteint, elles n’hésiteront sûrement pas à le faire dans une poursuite engagée par un Indien aborigène. Dans l’arrêt Cherokee Nation v. State of Georgia, (1831) 5 Peters 1, la Cour suprême a rendu une décision protégeant la nation demanderesse contre une tentative flagrante en vue de la déposséder; tout le long de son jugement, elle s’est fondée sur les principes de la common law appliqués et adoptés depuis le début en droit colonial: Kent’s Comm., vol. ii, leçon 51. Quel que puisse être l’avis des juristes au sujet de la validité du titre aborigène, quelles qu’aient pu avoir été les vagues notions passées des aborigènes de ce pays, quelle que puisse être leur conception actuelle, plus claire et en évolution constante, au sujet de leur droit de propriété sur les terres, on ne
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saurait trop affirmer que ces droits doivent être respectés, qu’ils ne peuvent pas être éteints (du moins en temps de paix) autrement que par suite du consentement de plein gré des occupants aborigènes. Mais, pour leur protection, et par esprit d’humanité, le gouvernement est tenu de maintenir, et les cours de confirmer, le droit exclusif de la Reine de l’éteindre. Il découle de ce que j’ai dit qu’en garantissant solennellement le titre aborigène, et en confirmant ce qui est appelé le droit de préemption de la Reine, le traité de Waitangi, confirmé par la charte de la Colonie, n’apporte en théorie ou en pratique rien de nouveau qui n’ait pas déjà été réglé.
Dans l’affaire Lipan Apache, précitée, le Juge Davis a fait la déclaration suivante qu’il importe aussi de signaler:
[TRADUCTION]… A défaut d’une «indication claire et expresse», dans les dossiers publics, que le souverain «voulait éteindre tous les droits (des réclamants)» sur leurs biens, le titre indien demeure….
Par conséquent, il semble incontestable qu’il incombe à l’intimé d’établir que le Souverain voulait éteindre le titre indien, et que cette intention doit être «claire et expresse». En la présente espèce, il n’existe aucune preuve semblable ni aucune loi à cet effet.
La Cour d’appel a également commis une erreur en décidant qu’il [TRADUCTION] «n’existe aucun titre indien pouvant être interprété par les tribunaux, à moins qu’il n’ait auparavant été reconnu soit par la législature soit par le pouvoir exécutif.» Se fondant sur l’arrêt Cook v. Sprigg[44], et sur d’autres arrêts, la Cour d’appel a mal appliqué ce qui est connu sous le nom de doctrine de l’acte de gouvernement. Cette doctrine nie tout recours aux citoyens d’un territoire acquis pour tout empiétement sur leurs droits pouvant survenir au cours du changement de souveraineté. Les tribunaux anglais ont décidé qu’une cour locale n’est pas compétente pour réviser la façon dont le Souverain acquiert un nouveau territoire. L’acte de gouvernement est l’acte par lequel le Souverain acquiert la propriété. Dans son ouvrage intitulé International Law, 2e éd., 1970, p. 378, le professeur D.K. O’Connell dit ce qui suit:
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[TRADUCTION] Cette doctrine, qui a été confirmée dans plusieurs affaires découlant de l’acquisition de territoires en Afrique et en Inde, a été interprétée à tort comme voulant dire que les droits fondamentaux eux-mêmes n’existaient plus après le changement. En fait, les cours anglaises ont tout fait pour répudier cette interprétation, et il est clair que la doctrine de l’acte de gouvernement ne constitue qu’un empêchement de procédure à l’encontre de l’action fondée sur le droit interne, et qu’à ce titre, elle n’est pas pertinente en ce qui concerne la question de savoir si en droit international le changement de souveraineté porte atteinte aux droits acquis.
La doctrine de l’acte de gouvernement ne s’applique pas dans le présent appel pour les motifs suivants: (a) cette doctrine n’a jamais été invoquée dans les réclamations fondées sur le titre aborigène. Un examen de son fondement montre qu’il serait plutôt difficile pour les tribunaux d’étendre la doctrine à pareilles causes; (b) elle est fondée sur le principe que l’acte de gouvernement est l’exercice du pouvoir souverain, qu’une cour locale n’a pas le pouvoir de réviser: voir Salaman v. Secretary of State in Council of India[45], pp. 639-640; Cook v. Sprigg, précité, p. 578.
Lorsque le Souverain, au cours de marchés avec d’autres Souverains (par traité de cession ou par conquête) acquiert des terres, les tribunaux locaux ne sont pas compétents, dans la mesure où un réclamant fait valoir un droit de propriété incompatible avec l’acquisition des terres par le Souverain, c’est-à-dire l’acquisition par acte de gouvernement. Le fondement des arrêts sur lesquels s’est fondée la Cour d’appel est qu’une cour locale ne peut pas réviser l’acte de gouvernement si, ce faisant, la Cour se trouverait à appliquer un traité entre deux états souverains: voir les arrêts Cook v. Sprigg, précité, p. 578, Vayjestingji Joravaisingji v. Secretary of State for India, précité, p. 360, et Salaman, précité, p. 639. Dans tous les arrêts mentionnés par la Cour d’appel, le droit revendiqué avait pour origine une concession au réclamant par le Souverain antérieur. Dans chaque cas, les réclamants demandaient aux tribunaux
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de reconnaître judiciairement ce droit. En la présente espèce, les appelants n’affirment pas que leur titre a pour origine une concession par quelque Souverain antérieur, et ils ne demandent pas à cette Cour d’appliquer un traité de cession entre quelque Souverain antérieur et la Couronne britannique. Les appelants ne contestent pas l’acte de gouvernement — ils demandent à cette Cour de reconnaître que la colonisation de la côte nord du Pacifique n’a pas éteint le titre aborigène des Nishgas, titre qui a une origine très ancienne et ne découle pas d’une concession par un Souverain antérieur. En appliquant la doctrine de l’acte de gouvernement, la Cour d’appel a complètement omis de tenir compte du fondement de la doctrine, simple reconnaissance de la prérogative du Souverain d’acquérir des territoires d’une façon qui ne peut pas être contestée par la suite devant un tribunal local.
Une fois qu’il devient évident que la doctrine de l’acte de gouvernement ne s’applique pas, l’ensemble de la prétention de l’intimé qu’il doit y avoir quelque forme de «reconnaissance» des droits aborigènes n’est plus valable.
Quant à la question de l’extinction, l’intimé se fonde sur les actes des gouverneurs Douglas et Seymour et du Conseil de Sa Colombie-Britannique. Comme je l’ai déjà mentionné, les appelants disent que si Douglas ou Seymour, ou encore, le Conseil de la Colonie de la Colombie-Britannique, ont voulu éteindre le titre nishga, ils n’étaient pas compétents à cet égard et leurs tentatives, s’il en fut, étaient ultra vires.
Les pouvoirs de Douglas étaient clairement énoncés dans sa commission. Les gouverneurs n’avaient pas le pouvoir de légiférer, sauf ceux qui leur étaient conférés dans leur commission: 5 Halsbury, 3e éd., p. 558, par. 1209: Commercial Cable v. Newfoundland[46], p. 616: Musgrave v. Pulido[47]. Dans son ouvrage intitulé Responsible Government in the Dominions, Sir Arthur Berridale a dit ce qui suit, p. 83:
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[TRADUCTION] Habituellement, le Gouverneur d’une colonie ne peut pas être considéré comme un vice-roi, et l’on ne peut pas présumer qu’il possède un pouvoir souverain général. Ses attributions sont définies par sa commission et se limitent aux pouvoirs qui lui sont ainsi expressément ou implicitement conférés.
Plus loin, à la page 83, il dit ceci:
[TRADUCTION] La doctrine du Conseil privé est bien établie; les Gouverneurs n’ont pas de privilèges spéciaux comme ceux de la Couronne; ils doivent établir devant les tribunaux que la loi les autorise à agir, et ce qui est encore plus important en ce qui nous concerne, ils doivent établir non pas simplement que la Couronne pourrait agir de la sorte, mais qu’ils avaient personnellement reçu une autorisation à cet égard….
Il nous est donc uniquement possible de décider que, mis à part les pouvoirs légaux, le Gouverneur, par délégation, détient un pouvoir exécutif suffisamment étendu pour lui permettre de diriger efficacement le gouvernement territorial.
Les lettres patentes en vertu desquelles Douglas agissait lui conféraient en partie les pouvoirs suivants:
[TRADUCTION]… et considérant que Nous avons, en vertu de ladite loi, par le Décret adopté par Nous en Notre Conseil privé, portant la date du 2 courant, ordonné, permis, commandé et conféré le pouvoir à Notre Gouverneur de Notre dite Colonie de prendre les mesures nécessaires aux fins de l’administration de la justice dans Notre dite Colonie, et, d’une façon générale, d’adopter et d’établir toutes les lois, institutions et ordonnances pouvant être nécessaires pour le maintien de la paix, de l’ordre et du bon gouvernement de Nos sujets et des autres résidents, ledit Gouverneur devant se conformer aux directives, pouvoirs et autorisations à lui donnés ou conférés par Notre commission et devant y donner suite, sous réserve de toutes les règles et de tous les règlements qui seront prescrits dans et par Nos instructions sous Notre Sceau et Seing jointes à Notre commission, ou par des instructions ultérieures, tel que susdit;…
(J’ai mis des mots en italique.)
Puis:
IV. Et, par les présentes, James Douglas, Nous vous donnons et conférons pleinement le pouvoir et l’autorisation, par la Proclamation ou les Proclamations que vous ferez de temps en temps à cette fin
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sous le Sceau public de ladite Colonie, d’adopter et d’établir toutes les lois, institutions et ordonnances pouvant être nécessaires pour le maintien de la paix, de l’ordre et du bon gouvernement de nos sujets et des autres résidents de ladite Colonie et de ses dépendances: sous la réserve que pareilles lois, institutions et ordonnances ne doivent pas être incompatibles avec les lois et textes législatifs du Royaume-Uni de la Grande‑Bretagne et de l’Irlande mais dans la mesure du possible, être conformes à ceux-ci: sous réserve également que toutes ces lois, institutions et ordonnances de quelque nature ou durée qu’elles soient, doivent être transmises sous le Sceau public de ladite Colonie en vue de Notre approbation ou désaveu, tel qu’édicté dans Notre dit Décret: Et par les présentes, Nous vous enjoignons et ordonnons, dans l’adoption de toutes ces lois, institutions et ordonnances, de vous conformer et d’obéir aux règles, règlements et restrictions qui sont ou seront à cet égard prescrits par les Instructions sous Notre Sceau et Seing Royal jointes à Notre présente commission, ou par des Instructions ultérieures, tel que susdit.
(J’ai mis des mots en italique.)
Des «Instructions» en vertu desquelles Douglas devait gouverner la colonne étaient jointes à sa commission et en faisaient intégralement partie. A ce propos, les lettres patentes se lisaient comme suit:
[TRADUCTION] VII. Dans la mesure du possible, vous devez voir, en adoptant toute loi, à ce que chaque question différente fasse l’objet d’une loi distincte, sans mêler dans la même loi des sujets qui n’ont aucun rapport entre eux; et vous devez plus particulièrement veiller à ce qu’aucune clause ne soit incluse dans quelque loi, ou y soit annexée, si cette clause est étrangère à ce qu’évoque l’intitulé de la loi, à ce qu’aucune clause permanente ne fasse partie de quelque loi temporaire, et à ce qu’aucune loi, quelle qu’elle soit, ne soit suspendue, modifiée, maintenue, remise en vigueur ou abrogée par des termes généraux, mais que l’intitulé et la date de pareille loi ainsi suspendue, modifiée, maintenue, remise en vigueur ou abrogée soient expressément mentionnés et énoncés dans le décret.
(J’ai mis des mots en italique.)
D’autres Instructions ont de temps en temps été envoyées par fie Secrétaire aux Colonies de Londres, dont une directive datée du 31 juillet 1858, qui se lit comme suit:
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[TRADUCTION] 3. Je dois vous recommander de considérer les moyens les meilleurs et les plus humanitaires de traiter avec les Indiens aborigènes. Notre pays serait fortement défavorable à l’adoption de toute mesure arbitraire ou oppressive en ce qui les concerne. Vu l’éloignement, et compte tenu des moyens imparfaits à ma disposition pour être bien informé, j’hésite à donner maintenant quelque suggestion en vue d’empêcher les disputes entre les Indiens et les immigrants. Cette question est d’une nature tellement locale qu’elle doit être résolue grâce à vos connaissances et à votre expérience, et je vous en charge, étant entièrement convaincu que vous tiendrez pleinement compte des intérêts des aborigènes, comme le voudrait un esprit éclairé soucieux d’humanité. Je dois ajouter qu’une condition nécessaire, dans tout marché ou traité avec les aborigènes en vue de la cession des terres qu’ils possèdent, est que les moyens d’existence doivent leur être fournis de quelque autre façon, et surtout, que le gouvernement de Sa Majesté tient absolument à ce que vous envisagiez sans délai les meilleurs moyens à prendre en vue de diffuser les bienfaits de la religion chrétienne et de la civilisation parmi les aborigènes.
(J’ai mis des mots en italique.)
La réponse de Douglas a été la suivante:
[TRADUCTION] 16. Je verrai à donner plein effet à votre préoccupation humanitaire au sujet de l’amélio-ration des tribus indiennes, et à ce que tous leurs droits civils et agraires soient protégés. J’ai de fait déjà pris certaines mesures, dans la mesure du possible, en vue d’empêcher des heurts entre ces tribus et les Blancs, et j’ai bien fait comprendre aux mineurs que la loi protégera l’Indien autant que le Blanc, et le considérera à tous les égards comme un sujet comme un autre. Une fois reconnu, ce principe contribuera grandement au bien-être des tribus indiennes et à la paix du pays.
(J’ai mis des mots en italique.)
Une autre missive du Secrétaire aux Colonies, Sir E.B. Lytton, se lit comme suit:
[TRADUCTION] 2. Rendre les terres graduellement accessibles à la colonisation; vendre uniquement dans les limites des terres déjà arpentées ou prêtes à l’être immédiatement, et empêcher dans la mesure du possible tout établissement illégitime sur des terres non vendues. Les terrains miniers demanderont une attention et une prévoyance particulières et j’attends votre avis à ce sujet.
(J’ai mis des mots en italique.)
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Rien au dossier ne montre que les terres nishgas ont déjà été arpentées ou qu’elles sont prêtes à l’être immédiatement, sauf, peut-être, les terres concédées en vue de l’emplacement de la ville de Stewart. La frontière de l’Alaska n’a été arpentée qu’après le règlement de frontière. Par conséquent, je ne puis voir comment il est possible de dire que des levés effectués sur l’île de Vancouver et dans la région continentale inférieure nous permettent de conclure que les droits des Nishgas sur la région nord-ouest de la Colonie ont été implicitement éteints.
Les déclarations expresses faites par Douglas ou par le Conseil de la Colonie de la Colombie-Britannique et invoquées par l’intimé sont, entre autres, les suivantes:
(a) La proclamation du 14 février 1859, qui renferme le paragraphe suivant:
[TRADUCTION] 1. Toutes les terres de la Colombie-Britannique, ainsi que toutes les mines et tous les minerais s’y trouvant, appartiennent à la Couronne.
(b) L’ordonnance du 11 avril 1865 qui édicte entre autres ce qui suit:
[TRADUCTION] 3. Toutes les terres de la Colombie-Britannique, ainsi que toutes les mines et tous les minerais s’y trouvant, qui n’ont pas été autrement juridiquement attribuées appartiennent à la Couronne.
(c) L’ordonnance du 31 mars 1866 qui prévoyait que:
[TRADUCTION] «Les aborigènes de cette colonie ou des territoires voisins» ne pouvaient pas acquérir par préemption ou détenir une terre en propriété inconditionnelle sans obtenir l’autorisation spéciale écrite du Gouverneur.
Les appelants ne contestent pas l’allégation de la province qu’elle détient le titre de propriété à l’égard des terres. Ils reconnaissent que la Couronne est propriétaire. Les dispositions précitées ne font qu’énoncer ce qu’était véritablement la situation en vertu de la common law; ils n’ajoutent rien au titre suprême de la Couronne
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et, à cet égard, ils n’aident pas l’intimé. En se fondant dans une si large mesure sur ces dispositions, l’intimé plaide sur une question qui ne se pose pas en l’espèce et répond à une prétention qui n’a jamais été soulevée dans la demande. En ce qui concerne l’ordonnance du 31 mars 1866, la restriction imposée au droit d’un aborigène de détenir une terre en propriété inconditionnelle n’a absolument aucun rapport avec le droit de l’aborigène de demeurer en possession des terres que son peuple possède de temps immémorial. Le Gouverneur Douglas savait qu’il n’avait pas le droit de prendre les terres indiennes sans accorder une indemnité quelconque. Il comprenait ses Instructions à cet égard. C’est ce qui ressort clairement de certains alinéas de la lettre qu’il a envoyée le 25 mars 1861 au Secrétaire aux Colonies. Il y déclare en partie ce qui suit:
[TRADUCTION] 2. Étant donné que la population indienne de l’île de Vancouver a des idées particulières au sujet de la propriété immobilière, et que les Indiens se reconnaissent mutuellement leurs divers droits de possession exclusive sur certains districts, ils considéreraient sans aucun doute l’occupation de pareilles parties de la colonie par les colons blancs, sans l’approbation complète des tribus propriétaires, comme un préjudice national; il en découlerait un sentiment d’irritation contre les colons et peut-être du mécontentement contre le gouvernement, la paix de ce pays pouvant être compromise.
3. Connaissant leurs sentiments à cet égard, j’ai eu l’habitude, jusqu’en 1859, d’acheter les droits aborigènes sur les terres, dans chaque cas, avant de coloniser un district; mais depuis ce temps, par suite de l’extinction de la charte de la Compagnie de la Baie d’Hudson, et du manque de fonds, je n’ai pas pu continuer à le faire. De fait, vous devez sûrement savoir que depuis lors j’ai éprouvé énormément de difficulté à obtenir suffisamment de fonds pour subvenir aux besoins indispensables du gouvernement.
4. Tous les districts de la Colonie, à l’exception des districts de Cowichan, Chemainus, et Barclay Sound, ont déjà été achetés des Indiens à un prix qui n’a jamais dépassé 2 livres 10s. sterling par famille. Étant donné que depuis lors, les terres ont pris de la valeur, il en coûterait un peu plus cher maintenant, mais je crois que leurs droits pourraient être éteints en payant 3 livres par famille, de sorte que si l’on considère que ces districts ont une population abori-
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gène de 1,000 familles, la somme de 3,000 livres serait suffisante pour défrayer le tout.
Le Secrétaire aux Colonies a répondu comme suit le 19 octobre 1861:
[TRADUCTION] MONSIEUR, — J’ai pris connaissance de votre missive numéro 24, du 25 mars dernier, transmettant une adresse de l’assemblée législative de l’île de Vancouver demandant l’aide du gouvernement de Sa Majesté en ce qui concerne l’extinction du titre indien sur les terres publiques de la colonie, et exposant les maux qui peuvent survenir si cette précaution n’est pas prise.
Je suis tout à fait conscient qu’il est extrêmement important d’acheter sans délai le titre aborigène sur les terres de l’île de Vancouver; mais l’acquisition du titre est une question d’intérêt purement colonial, et la législature ne doit pas s’attendre à ce qu’il incombe au contribuable britannique d’engager des fonds ou le crédit de la Grande‑Bretagne à cette fin. Je recommanderais donc fortement à l’assemblée législative de vous permettre de vous procurer les fonds requis, mais si elle estime que ce n’est pas là une mesure appropriée, le gouvernement de Sa Majesté ne peut pas entreprendre de fournir l’argent nécessaire pour un objet qui, bien qu’essentiel en ce qui concerne l’intérêt des habitants de l’île de Vancouver, est en même d’une nature purement coloniale et d’une importance minime en ce qui concerne les frais qui en découleraient.
Cette réponse, même si elle manifestait le refus de fournir les fonds nécessaires en vue d’acquérir les droits immobiliers aborigènes, n’autorisait pas Douglas à annuler ou à éteindre ces droits sans indemnisation. Si les terres devaient être prises, elles devaient être payées par la Colonie et non par le contribuable britannique. Si la colonie avait voulu éteindre le titre indien sur les terres publiques, comme il en est fait mention dans la lettre précitée, elle aurait facilement pû dire: «Le titre indien sur les terres publiques de la colonie est par les présentes éteint». Aucune disposition législative semblable ou disposition au même effet n’a été adoptée.
Un certain nombre d’autres lois, ordonnances et proclamations ont été adoptées ou émises entre le 14 février 1859 et le 1er juin Î870. Toutes ces dispositions ont été abrogées et refondues dans l’ordonnance du 1er juillet 1870. Cette refonte renfermait entre autres le passage suivant:
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PRÉEMPTION
[TRADUCTION] 3. A compter du jour de la proclamation, dans cette colonie, de la sanction de Sa Majesté à la présente ordonnance, toute personne de sexe masculin qui est un sujet britannique âgé de 18 ans ou plus peut acquérir le droit de préemption grevant toute parcelle de terres de la Couronne non occupées, non arpentées et non réservées (à l’exception des réserves indiennes) d’une superficie d’au plus trois cent vingt acres, dans la partie de la colonie située au nord et à l’est de la chaîne des Cascades ou chaîne côtière, et de cent soixante acres dans le reste de la colonie. Mais pareil droit de préemption ne doit pas être détenu par quelque aborigène de ce continent, à l’exception de ceux qui auront obtenu l’autorisation spéciale du gouverneur, par écrit, à cet effet.
C’est la disposition sur laquelle se sont principalement fondés le Juge Gould et la Cour d’appel pour conclure que le titre indien a été éteint en Colombie-Britannique. Il est évident que cette disposition législative ne s’appliquait pas aux terres nishgas de la Nass. La frontière nord de la colonie dans cette région était encore en litige. De toute façon, cette disposition en est une d’autorisation, dans la mesure ou elle permet aux aborigènes de devenir propriétaires absolus avec la permission par écrit du gouverneur.
Si dans une quelconque des proclamations ou l’un quelconque des actes de Douglas, de Seymour ou du Conseil de la colonie de la Colombie-Britannique, il y a des éléments qui, d’après l’intimé, éteignent implicitement le titre indien, de toute évidence, il ressort de la commission du gouverneur et des instructions que le gouverneur était tenu d’observer, et ni la commission ni les directives ne renferment quelque pouvoir ou autorisation permettant d’éteindre le titre indien, qu’en toute logique, si le gouverneur ou le Conseil ont de quelque façon tenté d’éteindre le titre indien, ils n’étaient pas compétents à le faire; par conséquent il s’agissait d’une disposition ultra vires.
Il importe de faire un autre commentaire au sujet de la lettre d’instructions du 31 juillet
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1858, en ce qui concerne la phrase: [TRADUCTION] «Je dois ajouter qu’une condition nécessaire, dans tout marché ou traité avec les aborigènes en vue de la cession des terres qu’ils possèdent…». Compte tenu de l’emploi de l’expression «cession» dans ce contexte, comment est-il logiquement possible de dire que le gouvernement impérial ne reconnaissait pas alors que les aborigènes avaient quelque chose à céder? Ce qu’ils avaient à céder, c’était leur droit et titre aborigène de possession des terres, sous réserve du titre suprême de la Couronne.
Ayant examiné fort en détail la preuve et les arrêts et ayant décidé que si les Nishgas ont déjà eu quelque droit ou titre, celui-ci a été éteint, le Juge d’appel Tysoe a inévitablement été amené à la conclusion qu’il a formulée comme suit:
[TRADUCTION] Par suite de ces textes législatifs, les Indiens de la colonie de la Colombie-Britannique sont devenus, en droit, des «trespassers» et donc sujets à des actions en expulsion à l’égard des terres de la colonie autres que celles qui avaient été mises de côté à titre de réserves pour l’usage des Indiens.
(J’ai mis des mots en italique.)
Tout raisonnement entraînant pareille conclusion doit nécessairement être fallacieux. Il se contredit en soi. S’ils sont des «trespassers», les Indiens sont sujets à des poursuites à ce titre, c’est là une proposition que la raison elle-même répudie.
Après l’audition, on a attiré l’attention de la Cour sur une récente affaire australienne dans laquelle le jugement, rendu le 27 avril 1971, n’a été publié qu’après l’audition de l’appel. C’est l’arrêt Milirrpum et al. v. Nabalco Ply. Ltd.[48] Il s’agit d’un jugement de première instance rendu par le Juge Blackburn; la question des droits des aborigènes et celle de savoir si la common law reconnaît une doctrine de «titre aborigène communautaire» y sont examinées. La question directement en litige était celle de l’interprétation à donner à l’expression «intérêt dans des biens-fonds» du par. (1) de l’art. 5 du Lands
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Acquisition Act, 1955-1966, ayant trait à l’acquisition de terres selon des conditions justes. Dans cette mesure, la question était différente de celle qui est ici en cause. Il était question de la validité d’une concession faite en vertu du Lands Acquisition Act.
Après avoir longuement passé en revue les faits et pièces historiques, de quelque 50 pages, le Juge Blackburn a rendu la décision suivante:
[TRADUCTION] Quant à moi, cette question de fait est de beaucoup la plus difficile de toutes les questions de fait de l’espèce. En dernier ressort, je peux uniquement dire jusqu’à quel point peut me convaincre toute la preuve: par là j’entends que je ne suis pas convaincu que la prétention des demandeurs est probablement plus exacte qu’inexacte. En d’autres termes, je ne suis pas convaincu, compte tenu de la balance des probabilités, que les prédécesseurs des demandeurs avaient en 1788 les mêmes attaches sur ces régions que celles que les demandeurs prétendent maintenant avoir.
Cette conclusion tranchait nécessairement le débat. Toutefois, le savant juge a passé en revue, d’une manière très exhaustive, une grande partie de la jurisprudence relative aux droits des aborigènes et aux questions de la reconnaissance et de l’extinction du titre aborigène. Il est évident que tous les commentaires formulés dans son jugement après la conclusion de fait précitée constituaient des obiter dicta. Au cours de son examen, il a parlé des jugements rendus en première instance et en appel dans la présente cause et a dit ce qui suit:
[TRADUCTION] Respectueusement, je considère que l’arrêt [???], même s’il ne lie pas cette Cour, fait autorité en ce qui concerne les propositions suivantes:
1. Dans une colonie établie, il n’existe aucun principe à l’appui d’un titre aborigène communautaire, sauf s’il ressort d’un acte de prérogative ou d’une disposition législative, ou d’une façon habituelle de traiter.
2. Dans une colonie établie, lorsque le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif ont pour ligne de conduite de traiter les terres de la colonie comme pouvant être concédées par la Couronne, et que des réserves aborigènes sont constituées, cela a pour effet d’éteindre le titre aborigène, si celui-ci a jamais existé.
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Nous verrons qu’il a commis Ses mêmes erreurs que le Juge Gould et la Cour d’appel. Il a essentiellement souscrit à l’avis de la Cour d’appel, en acceptant la proposition qu’après la conquête ou la découverte, les peuples aborigènes n’ont aucun droit à l’exception de ceux qui leur sont par la suite accordés ou reconnus par le conquérant ou le découvreur. Cette proposition est entièrement erronée, comme l’établit la masse des précédents précités, y compris les arrêts Johnson v. McIntosh et Campbell v. Hall.
Il reste une dernière question à déterminer. Par des objections préliminaires, l’intimé a soutenu que la Cour n’était pas compétente pour accorder la déclaration demandée parce que cette déclaration vise à contester le titre immobilier de la Couronne au moyen d’une disposition qui est de nature à y porter éventuellement atteinte, soit la déclaration qu’il existe un titre aborigène ou indien, puis, que la Cour n’est pas compétente pour faire la déclaration, étant donné que celle-ci porterait atteinte aux droits de personnes qui n’ont pas eu l’occasion d’être entendues, et troisièmement que la Cour n’est pas compétente pour accorder une déclaration si cette dernière ne peut avoir aucune conséquence pratique. Ni le Juge Gould ni la Cour d’appel n’ont estimé nécessaire de se prononcer sur ces objections parce qu’ils rejetaient l’action pour d’autres motifs. Étant donné que je suis d’avis d’accueillir l’action, je me prononcerai maintenant sur ces objections.
J’en parlerai dans l’ordre inverse; il me semble évident que si la déclaration peut être faite, elle aura une conséquence pratique, soit, le droit des Nishgas à l’indemnisation lorsqu’on tentera d’éteindre leurs droits ou lorsque l’extinction se fera. En ce qui concerne la seconde objection, les appelants affirment que les Nishgas ne demandent pas une modification des droits de personnes ou compagnies à qui l’on a accordé des concessions ou des droits, même si pareilles concessions sont ultra vires. Ils sont disposés à accepter l’état actuel des choses.
Il ne reste plus que la première objection; à mon avis, il y à deux réponses valables. Il est établi que contrairement à presque toutes les
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autres provinces, la Colombie-Britannique n’a jamais adopté un Crown Proceedings Act, soit une loi conférant au citoyen le droit d’intenter une action et d’obtenir une décision quant à ses droits vis-à-vis de la Couronne. En Colombie-Britannique, les actions contre la Couronne sont régies par le Crown Procedure Act et cette loi crée la procédure historique de la pétition de droit. Par conséquent, l’intimé soutient que les actions contre la Couronne doivent être intentées avec le consentement de celle-ci, établi par une autorisation de poursuivre, en ce qui concerne la pétition de droit, mais les appelants ont d’autre part soutenu qu’un bref (writ) demandant uniquement un redressement déclaratoire n’est pas visé par les dispositions du Crown Procedure Act.
Historiquement, il y avait deux principales voies de recours contre la Couronne. Il y avait la pétition de droit, dont l’origine a été décrite avec exactitude par Holdsworth [History of English Law, 3e éd., vol. 9, p. 8]:
[TRADUCTION]… au cours du règne d’Henri III, il était reconnu que le roi ne pouvait pas être poursuivi devant ses tribunaux judiciaires centraux parce que, comme tout autre lord, il ne pouvait pas être poursuivi devant ses propres tribunaux. Mais il était reconnu que le roi, étant source de justice et d’équité, ne pouvait pas refuser de redresser des torts lorsque ses sujets lui demandaient de le faire. Les procédures qui devaient être suivies en pareil cas, ont été, comme de nombreuses autres règles du droit anglais, établies en gros au cours du règne d’Édouard I. Il devint de règle établie que le sujet, même s’il ne pouvait pas poursuivre le roi, pouvait présenter sa pétition de droit, laquelle, si le roi accédait à la demande, permettait aux tribunaux d’accorder un redressement.
Cette situation a plus ou moins prévalu jusqu’à l’adoption du Crown Proceedings Act anglais en 1947. Par la suite, les sujets pouvaient invoquer la compétence des tribunaux de plein droit en vue d’obtenir une décision sur leur situation vis-à-vis du gouvernement.
Toutefois, il importe de noter une exception cruciale à ce qui précède. La procédure de la pétition de droit était la règle constante devant les tribunaux de common law, mais non pas ailleurs, par exemple, devant la Cour de l’Échiquier.
[Page 418]
Comme complément de la procédure de la pétition de droit, il y avait le pouvoir de la Cour de l’Échiquier, et c’était là un avantage inestimable, d’accorder un redressement en «equity» contre la Couronne par la Bill procedure. Cette procédure n’était pas sujette aux obstacles des «brefs» (writs), qui constituaient la forme de procédure suivie devant les cours de common law.
La compétence qu’avait la Cour de l’Échiquier d’accorder un redressement en «equity» contre la Couronne a été affirmée dans l’arrêt Pawlett v. Attorney General, en 1668, Holdsworth énonce comme suit les faits saillants de l’affaire [p. 30]:
[TRADUCTION]… c’est dans l’arrêt Pawlett v. The Attorney General, rendu en 1688, que l’on a pour la première fois, clairement reconnu que le sujet avait droit à un redressement [en «equity»] contre la Couronne. Dans cette cause-là le demandeur avait hypothéqué une propriété en faveur d’un créancier hypothécaire. Le droit de propriété juridique avait été transmis à l’héritier de ce dernier qui avait été accusé de trahison. Le roi avait donc confisqué la propriété; le demandeur a poursuivi le procureur général par voie de bill, devant la Cour de l’Échiquier, en vue de racheter son bien. On a prétendu qu’il ne pouvait pas procéder de cette façon, mais qu’il devait présenter au roi une pétition visant à obtenir l’autorisation, accordée à titre gracieux, [pétition de droit] de racheter son bien. Mais la Cour a décidé que la demande du demandeur devait être accueillie.
Dans l’affaire Pawlett, le titre en «equity» était dévolu au demandeur, le titre juridique à la Couronne. Néanmoins, ces faits n’ont pas empêché la Cour de l’Échiquier, composée du baron en chef Haie et du baron Atkyns, d’accorder un redressement sans qu’il y ait eu pétition de droit et autorisation de poursuivre. Holdsworth ajoute ce qui suit [p. 31]:
[TRADUCTION]… la règle qu’un redressement en «equity» pouvait être accordé sans pétition de droit, par suite de l’introduction d’un bill contre le procureur général, a été énoncée de façon parfaitement générale en 1835.
[Page 419]
En ce qui concerne ce dernier énoncé, on invoque l’arrêt Deare v. Attorney General[49], à titre de précédent:
[TRADUCTION] Par conséquent, il est maintenant établi en droit que tout tribunal ayant une compétence en «equity» peut accorder un redressement de cette façon.
Il existe d’autres motifs que ceux d’ordre simplement historique de présumer que la procédure de la pétition de droit ne devrait pas s’appliquer et ne s’applique pas aux procédures en vue d’obtenir un redressement déclaratoire ou d’«equity». En premier lieu, la procédure de la pétition de droit est conçue comme une revendication de droits de propriété établis à une époque de statut et de féodalité. Une déclaration constitue un redressement beaucoup plus général et lorsqu’on l’analyse, elle énonce simplement le droit, sans entraîner une décision, un changement ou une modification à l’égard de droits de propriété. De plus, compte tenu de l’évolution historique, il faut hésiter à appliquer une règle de common law en vue d’empêcher l’application d’une compétence en «equity» qui a existé parallèlement durant de nombreux siècles. Dans l’affaire Miller c. Le Roi[50], p. 176, le Juge Kellock a dit ce qui suit:
[TRADUCTION] En ce qui concerne la prétention que les tribunaux ordinaires n’étaient pas compétents, relativement aux réclamations contre la Couronne, lorsqu’il n’y avait aucun recours par voie de pétition de droit, Leurs Seigneuries ont dit ce qui suit dans l’arrêt Esquintait and Nanaimo Rly. v. Wilson, [1920] A.C. 358, p. 365:
[TRADUCTION] «Mais il existe de nombreux cas dans lesquels la pétition de droit ne s’applique pas et dans lesquels la Couronne a été amenée devant la Court of Chancery et le procureur général, à titre de représentant des intérêts de la Couronne, appelé en défense, dans une action dans laquelle les intérêts de la Couronne étaient en jeu…»
A la page 367, Leurs Seigneuries ont fait mention de ce qui a été dit par Lord Lyndhurst dans l’arrêt Deare v. Attorney-General, (1835) 1 Y. & C. 197, 208, soit:
[Page 420]
«Je comprends que la Couronne comparaît toujours par l’intermédiaire du procureur général devant un tribunal judiciaire, et particulièrement devant une Court of Equity, lorsque l’intérêt de la Couronne est en jeu. Par conséquent, on a pris l’habitude d’introduire un bill contre le procureur général, ou de l’appeler à titre de partie dans un bill, lorsque l’intérêt de la Couronne est en jeu.»
De plus, il est impossible de dire que lorsque la jurisprudence ayant trait à la pétition de droit a été formulée, elle devait s’appliquer aux recours déclaratoires. Le redressement déclaratoire, lorsqu’il n’y avait pas de recours résultant concomitant, n’est apparu qu’au 19e siècle. L’application de l’ancienne règle de common law constituerait donc une ligne de conduite judiciaire délibérée en vue d’empêcher les recours du sujet contre la Couronne, ligne de conduite d’une validité douteuse de nos jours. Il est beaucoup trop tard pour que les tribunaux entravent les citoyens qui demandent un redressement au moyen de procédures judiciaires.
Il faut examiner un autre aspect de l’analyse historique. Une action en vue d’obtenir un jugement déclaratoire pourra être intentée à défaut d’une cause d’action au sens traditionnel: Guaranty Trust Co. of New York v. Hannay & Co.[51], pp. 557-562. La règle dont il était question dans l’arrêt Hannay est identique, à une petite exception près, à l’ordonnance 25 de la Colombie-Britannique, règle 5, règle marginale 285, qui se lit comme suit:
[TRADUCTION] On ne peut soulever d’objection à l’encontre d’une action ou de procédures pour le motif qu’un simple jugement déclaratoire ou qu’une simple ordonnance déclaratoire est demandée, et la Cour peut faire des déclarations obligatoires de droit, qu’un redressement résultant soit demandé ou non ou puisse l’être ou non.
Dans la règle anglaise, le terme “procédure” est employé alors que dans la règle de la Colombie-Britannique, on parle de “procédures”.
Au sujet de la règle à l’étude, le Juge Pickford a dit, dans l’arrêt Hannay, p. 562:
[TRADUCTION] L’autre prétention est que, même si aucune cause d’action n’est nécessaire, la déclaration
[Page 421]
peut uniquement être faite à la demande de la personne revendiquant le droit et entendant le revendiquer le cas échéant. Je ne puis trouver aucune restriction semblable dans les termes de la règle, et je ne puis voir pourquoi il faudrait en imposer une s’il est établi qu’une déclaration peut être faite lorsqu’un redressement résultant ne peut être accordé. Aucune restriction semblable, pour autant que je sache, n’a été suggérée dans la procédure analogue de déclaration de droits découlant de documents, prévue par l’ordonnance LIV.A. Mais j’estime que ce point a été réglé dans les arrêts Dyson v. Attorney-General, [1912] 1 Ch. 158, et Burghes v. Attorney-General, [1912] 1 Ch. 173. Dans ces affaires, les demandeurs ne revendiquaient pas l’exercice de quelque droit; ils demandaient une déclaration énonçant qu’un document susceptible d’être utilisé en vue de faire une demande était invalide, et ils ont obtenu cette déclaration.
Je crois donc que la règle a pour effet de conférer un pouvoir général de faire une déclaration, qu’il y ait une cause d’action ou non, et ce, à la demande de toute partie intéressée à l’objet de la déclaration.
…
Ex hypothesi, cette catégorie de causes ne serait pas visée par la procédure de la pétition de droit qui est établie pour des droits traditionnels et anciens et des “causes d’action”. En d’autres termes, une procédure en vue d’obtenir un redressement déclarâtoire n’est pas le genre d’“action” visé par la règle prescrivant une pétition de droit, lorsque l’on cherche à faire valoir un recours déclaratoire contre la Couronne.
Il existe une autre réponse, que je crois complète, à la première objection préliminaire. Dans la présente action, les appelants affirment que certaines lois, ordonnances et proclamations des gouverneurs Douglas et Seymour et du Conseil de la colonie de la Colombie-Britannique étaient ultra vires. Cette question a été énoncée clairement dans la déclaration et dans la réponse. Cette Cour a décidé, dans l’arrêt British Columbia Power Corporation, Limited c. British Columbia Electric Co. Ltd.[52], que le défaut d’obtenir une autorisation en vertu du Crown Procedure Act de la Colombie-Britannique n’était pas un vice fatal au droit d’intenter une action. Le Juge en chef Kerwin a dit ce qui suit:
[Page 422]
[TRADUCTION] Dans un système fédéral, lorsque le pouvoir législatif est partagé, comme le sont également les prérogatives de la Couronne, entre le Dominion et les provinces, j’estime que la Couronne, du chef du Canada ou du chef d’une province, ne peut pas revendiquer une immunité particulière fondée sur un intérêt dans une certaine propriété, lorsque l’intérêt même qu’elle détient dépend complètement et uniquement de la validité d’une loi qu’elle a elle-même adoptée, s’il existe un doute raisonnable au sujet de la question de savoir si pareille loi est constitutionnelle. En l’autorisant à invoquer cette immunité, on se trouverait à lui permettre, par la revendication de droits en vertu d’une loi inconstitutionnelle, d’obtenir les mêmes résultats que si cette loi était valide.
La validité des actes des gouverneurs Douglas et Seymour et du Conseil de Sa colonie de la Colombie-Britannique est une question vitale sur laquelle il faut statuer dans le présent appel et la province ne peut pas être autorisée à empêcher les Nishgas de demander aux tribunaux de se prononcer sur cette question.
Par conséquent, je suis d’avis d’accueillir l’appel avec dépens eh toutes les cours et de déclarer que le droit des appelants à la possession des terres délimitées dans la pièce 2, sous réserve des exceptions dont il est ci-dessus fait mention, et leur droit de jouir des fruits du sol des forêts et des rivières et cours d’eau, dans les limites desdites terres, n’ont pas été éteints par Sa province de Colombie-Britannique ou par son prédécesseur, la colonie de la Colombie-Britannique, ou par les gouverneurs de cette colonie.
LE JUGE PIGEON — Il s’agit d’un pourvoi porté à la suite d’une autorisation spéciale de cette Cour contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique confirmant le jugement de M. le Juge Gould, de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, qui a rejeté Faction intentée devant cette dernière Cour en vue d’obtenir [TRADUCTION] «une déclaration suivant laquelle le titre aborigène, autrement dit titre indien, que les demandeurs détiennent sur leur ancien territoire tribal ci-dessus décrit, n’a jamais été juridiquement éteint».
[Page 423]
Dans ses motifs de jugement, après avoir passé les faits en revue et s’être reporté à l’arrêt St. Catherine’s, M. le Juge Gould a dit ce qui suit:
[TRADUCTION] En la présente espèce, la souveraineté sur les terres délimitées découle de l’exploration de terres inconnues (voir arrêt Johnson v. McIntosh, précité); il n’y a jamais eu de reconnaissance d’aucun droit aborigène et les marchés ayant spécifiquement trait au territoire vont tellement à l’encontre d’aucun droit indien qu’ils constituent eux-mêmes une dénégation de tout titre indien ou aborigène. Étant donné que la Couronne avait un droit absolu d’extinction, si tant est que quelque chose restait à éteindre, la dénégation équivaut à la même chose, sans qu’il soit reconnu qu’un titre indien ou aborigène ait déjà existé. Rien ne fait supposer que quelque ancien droit, ayant pu exister avant 1871 et ayant pu être éteint, a été ranimé par l’entrée de la Colombie-Britannique dans la Confédération et son assujettissement à l’«acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867».
Il est utile de parler ici de la troisième objection préliminaire du défendeur, déjà mentionnée, selon laquelle il faut obtenir une autorisation avant qu’une décision puisse être rendue. Étant donné les opinions déjà exprimées, il n’est pas nécessaire que je me prononce sur cette question qui fut plaidée d’une façon fort intéressante par les avocats des deux parties. Les tribunaux n’ont pas l’habitude de se prononcer sur le fond, puis de statuer sur les objections préliminaires, mais je crois que la Cour aurait agi au détriment du respect porté à nos tribunaux à titre d’institution si elle avait dit aux présents demandeurs que leur réclamation formulée en termes clairs ne pouvait entraîner aucune décision parce qu’elle n’avait pas été faite dans les formes.
En Cour d’appel, la conclusion sur le fond, défavorable aux demandeurs, a été confirmée sans qu’il soit fait mention des objections préliminaires, sauf par M. le Juge d’appel Maclean, qui, à la fin de ses motifs, a dit ce qui suit:
[TRADUCTION] Étant donné la décision à laquelle j’en suis venu, j’estime qu’il est inutile de me prononcer sur ces trois importantes objections préliminaires soulevées par l’intimé:
1. La Cour n’est pas compétente pour faire la déclaration demandée parce que cette déclaration vise à contester le titre de la Couronne au
[Page 424]
moyen d’une disposition, soit la déclaration qu’il existe un titre indien, qui est de nature à y porter éventuellement atteinte.
2. La Cour n’est pas compétente pour faire la déclaration parce que celle-ci porterait atteinte aux droits de tiers qui n’ont pas eu l’occasion d’être entendus. Audi alteram partem.
3. La Cour ne devrait pas faire une déclaration si celle-ci ne peut avoir aucune conséquence pratique.
Si l’objection qu’il faut obtenir une autorisation avant qu’une décision puisse être rendue signifiait simplement que les procédures n’ont pas été engagées dans les formes, à coup sûr, elle ne devrait absolument pas être considérée, particulièrement en cette Cour et à ce stade de la procédure. Toutefois, d’importants précédents m’obligent à décider que l’obtention d’une autorisation, le cas échéant, est une condition de la compétence. De plus, la décision du pouvoir exécutif de ne pas accorder une autorisation de poursuivre n’est pas sujette à appel: Lovibond v. Governor General of Canada[53].
Dans l’affaire Attorney-General for Ontario v. McLean Gold Mines[54], dans laquelle une action avait été intentée contre le procureur général, le ministre des mines et les propriétaires enregistrés de certains claims miniers suivant une nouvelle concession faite après la confiscation de concessions antérieures, on demandait entre autres une déclaration que les demandeurs étaient les véritables propriétaires des claims. La Cour d’appel, infirmant le jugement du juge de première instance, a accordé une déclaration selon laquelle les procédures en vue de faire prononcer la confiscation des claims étaient nulles et de nul effet. Ce jugement a été infirmé par le Conseil privé pour l’unique motif que la déclaration avait été faite en violation de la prérogative qu’a la Couronne [TRADUCTION] «de refuser d’être amenée devant les tribunaux en vue de la remise en possession de biens, sauf par une pétition pour l’audition et la décision de laquelle elle a accordé son autorisation». M. le Juge en chef Anglin, qui a rendu jugement au Conseil privé, a dit ce qui suit:
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[TRADUCTION] De toute évidence, pour que l’action des demandeurs soit accueillie, il faut qu’ils obtiennent la déclaration et l’ordonnance particulières exposées en dernier lieu. Si le jugement avait simplement annulé les concessions de la Couronne à Fuller et les transferts de celui-ci à la compagnie défenderesse et avait radié l’enregistrement de ces divers actes, le titre sur les claims miniers serait demeuré à la Couronne. De fait, il est essentiel pour que les demandeurs soient en mesure de demander un redressement contre la compagnie défenderesse, qu’ils rétablissent leurs droits sur les biens-fonds en annulant la confiscation de ces droits sous le régime des dispositions du Mining Tax Act. Tant que ce n’est pas fait, les demandeurs ne peuvent pas être considérés comme ayant quelque droit leur permettant de contester le titre de la compagnie défenderesse.
Toutefois, il est possible d’interpréter la réclamation des demandeurs comme ayant essentiellement et réellement pour but d’annuler le titre acquis par la Couronne et dévolu à celle-ci par suite de la confiscation contestée. La véritable question en litige a trait au titre de la Couronne……
Les demandeurs réclament la remise en possession de biens «qui ont été concédés ou aliénés par Sa Majesté ou par ses représentants»; ils disent que Sa Majesté ne pouvait pas efficacement concéder ou aliéner ces biens parce qu’elle n’y avait aucun titre, étant donné l’invalidité des procédures de confiscation dont dépendait celui-ci.
Cette cause est très différente de celle dont ce Comité a été saisi dans l’affaire Esquimalt and Nanaimo Ry. Co. v. Wilson, ([1920] A.C. 358, 363), invoquée par les intimés. Dans cette cause-là, comme l’a signalé Lord Buckmaster, “le titre de la Couronne sur les biens-fonds (n’était pas) controversé.”….
…En la présente espèce, pour être remis en possession des biens-fonds qu’ils réclament, les demandeurs doivent d’abord faire annuler les procédures de confiscation, qui, si elles sont valides, ont éteint leur droit de propriété et investi la Couronne du titre afférent à ces biens-fonds.
Cet aspect du présent litige nous permet de le distinguer de l’affaire Dyson v. Attorney‑General ([1911] 1 K.B. 410, 414, 421, 422), et de deux autres arrêts rendus par les tribunaux ontariens et invoqués par les intimés: Farah v. Glen Lake Mining Co. (17 Ont. L.R. 1) et Zock v. Clayton (28 Ont. L.R. 447).
Au sujet de la prétention que la déclaration demandée pourrait être considérée comme constituant l’exercice d’une compétence en «equity»,
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je dois dire que je ne puis voir comment il pourrait en être ainsi et comment cela pourrait être concilié avec la décision précitée. Par la demande, on remet essentiellement en question le titre de la Couronne sur les terres concernées, on conteste sa revendication d’un droit absolu de propriété en se fondant sur un titre rival qui, dit-on, grève la propriété.
Il a été signalé que dans leur déclaration, les demandeurs allèguent que certaines dispositions législatives de la Colombie-Britannique, datant d’avant la Confédération et adoptées sous la forme de proclamations et de lois, sont ultra vires; et il a été fait mention de certains précédents dans lesquels il a été décidé que les cours sont compétentes, même sans autorisation sur pétition de droit, pour rendre des jugements déclarâtoires de la nullité de textes législatifs. La réponse à cette prétention c’est que les demandeurs ne réclament aucune déclaration semblable. Même en acceptant que la Cour a cette compétence, cela ne lui donne pas le pouvoir d’émettre une déclaration d’un autre genre. De plus, étant donné l’art. 129 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, je me demande réellement si la question de la constitutionnalité de dispositions législatives datant d’avant la Confédération et touchant aux Indiens ou aux terres indiennes peut être décidée dans des procédures engagées contre le procureur général de la province.
Au sujet de la décision que cette Cour a rendue dans l’affaire B.C. Power Corporation Ltd. c. British Columbia Electric Co. Ltd.[55], je signale que la ratio decidendi était la suivante, savoir que le partage des pouvoirs en vertu de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique servait de fondement à l’allégation que les dispositions législatives contestées étaient inconstitutionnelles. En la présente espèce, aucune question semblable ne se pose. Aucune disposition législative datant d’après la Confédération n’est en question.
Pour tous ces motifs, je dois accueillir l’objection préliminaire selon laquelle la déclaration
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demandée étant la revendication d’un titre contre la Couronne du chef de la province de la Colombie-Britannique, la Cour n’est pas compétente pour faire cette déclaration à défaut d’une autorisation du lieutenant-gouverneur de cette province. Je suis parfaitement conscient des difficultés que peut causer le fait de décider que l’accès aux tribunaux pour faire statuer sur la réclamation des demandeurs se trouve fermé en raison de l’immunité du Souverain contre les poursuites intentées sans autorisation. Toutefois, je dois signaler qu’aux États‑Unis, il a été décidé que les réclamations portant sur la prise de terres situées en dehors des réserves et non visées par quelque traité ne pouvaient être entendues que si des dispositions législatives avaient enlevé l’obstacle créé par la doctrine de l’immunité. Au Canada, l’immunité contre les poursuites a été enlevée par la loi, au niveau fédéral et dans la plupart des provinces. Mais, ce n’est pas le cas en Colombie-Britannique.
Par conséquent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi sans adjuger de dépens.
Appel rejeté; LES JUGES HALL, SPENCE et LASKIN étant dissidents.
Procureur des appelants: Thomas R. Berger, Vancouver.
Procureurs de l’intimé: Russell & DuMoulin, Vancouver.
[1] (1970), 74 W.W.R. 481, 13 D.L.R. (3d) 64.
[2] (1885), 10 O.R. 196, confirmé (1886), 13 O.A.R. 148, confirmé (1887), 13 R.C.S. 577, confirmé (1888), 14 App. Cas. 46.
[3] (1823), 8 Wheaton 543, 21 U.S. 240.
[4] (1832), 6 Peters 515, 31 U.S. 530.
[5] 13 D.L.R. (3d) pp. 80-1.
[6] (1941), 314 U.S. 339 à la p. 347.
[7] [1919] A.C. 211.
[8] (1946), 329 U.S. 40.
[9] (1951), 341 U.S. 48.
[10] (1955), 348 U.S. 272.
[11] (1937), 299 U.S. 476.
[12] (1938), 304 U.S. 119.
[13] (1951), 341 U.S. 48.
[14] (1955), 348 U.S. 272.
[15] [1949] A.C. 196.
[16] [1892] A.C. 644.
[17] (1823), 8 Wheaton 543, 21 U.S. 240.
[18] [1920] 1 K.B. 854.
[19] [1926] A.C. 299.
[20] [1920] A.C. 508.
[21] [1965] A.C. 75.
[22] (1831), 5 Peters 1, 30 U.S. 1.
[23] [1921] 2 A.C. 399.
[24] (1886), 13 R.C.S. 577.
[25] (1888), 14 App. Cas. 46.
[26] (1823), 8 Wheaton 543, 21 U.S. 240.
[27] (1965), 52 W.W.R. 193.
[28] (1832), 6 Peters 515, 31 U.S. 530, 8 L. ed. 483.
[29] (1946), 329 U.S. 40.
[30] [1919] A.C. 211.
[31] (1774), 1 Cowp. 204, 98 E.R. 1045.
[32] 52 D.L.R. (2d) 481.
[33] [1921] 1 A.C. 401.
[34] (1923), 261 U.S. 219.
[35] (1941), 314 U.S. 339.
[36] (1946), 329 U.S. 40.
[37] (1967), 180 Ct. Cl. 487.
[38] (1909), 42 R.C.S. 1.
[39] (1964), 46 W.W.R. 65.
[40] [1964] R.C.S. 642.
[41] [1957] 2 All E.R. 785.
[42] (1847), N.Z.P.C.C. 387.
[43] [1901] A.C. 561.
[44] [1899] A.C. 572.
[45] [1906] 1 K.B. 613.
[46] [1916] 2 A.C. 610.
[47] (1879), 5 App. Cas. 102.
[48] (1971), 17 F.L.R. 141.
[49] (1835), 1 Y. & C. Ex. 197 à la p. 208.
[50] [1950] R.C.S. 168.
[51] [1915] 2 K.B. 536.
[52] [1962] R.C.S. 642.
[53] [1930] A.C. 717.
[54] [1927] A.C. 185.
[55] [1962] R.C.S. 642.