Cour suprême du Canada
Rushton c. Industrial Development Bank, [1973] R.C.S. 552
Date: 1973-01-31
Norma Isobel Rushton (Défenderesse) Appelante;
et
Banque d’Expansion Industrielle (Défenderesse) Intimée;
et
Mabel Esson (Demanderesse) et Gordon James Wallace, The Royal Bank of Canada et The Toronto-Dominion Bank (Défendeurs).
1972: le 10 novembre; 1973: le 31 janvier.
Présents: Les Juges Judson, Hall, Spence, Pigeon et Laskin.
EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.
Hypothèques — Seconde hypothèque consentie par deux co-débiteurs hypothécaires sur la propriété distincte de chacun — Deuxième créancier hypothécaire devenant détentrice de la première hypothèque et procédant à la forclusion à l’égard des intérêts subséquents — Partie de cette propriété vendue plus tard — Action de forclusion engagée contre l’autre propriété — Vente demandée par le créancier postérieur — Le deuxième créancier hypothécaire peut-il prouver sa créance dans les procédures de forclusion et de vente.
PR et NR sont des conjoints qui étaient les propriétaires respectifs de deux parcelles de terrain. Une hypothèque consentie en 1962 par PR et NR à la Banque d’expansion industrielle était une deuxième hypothèque sur les propriétés respectives du mari et de l’épouse. En 1964, le premier créancier hypothécaire de la propriété du mari a engagé des procédures de forclusion. La banque, en sa qualité de créancière prioritaire, a effectué le rachat et, en 1966, a obtenu une ordonnance finale de forclusion de tous les intérêts subséquents. En 1969, la banque a vendu une partie de la propriété du mari comprise dans l’hypothèque.
En 1968, le premier créancier hypothécaire de la propriété de l’épouse a engagé des procédures de forclusion contre la propriété de l’épouse. Un créancier hypothécaire subséquent a demandé la vente, en conformité des dispositions et de la pratique à cet égard, et une ordonnance de vente au lieu d’une ordonnance de forclusion a été rendue. La banque a cherché alors à justifier d’une créance devant le Master dans ces procédures.
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Sur l’appel porté contre le rapport du Master, le juge de première instance a décidé que la banque, en agissant comme elle l’a fait à l’égard des biens-fonds du mari, avait perdu son droit de créance et ne pouvait donc prouver aucune créance dans les procédures de forclusion et de vente à l’égard des biens-fonds de l’épouse. Ce jugement a été infirmé par la Cour d’appel. L’épouse a appelé à cette Cour.
Arrêt: L’appel doit être accueilli, les Juges Judson et Pigeon étant dissidents.
Les Juges Hall, Spence et Laskin: Dans les procédures de forclusion engagées à l’égard des biens-fonds du mari, la banque aurait dû demander la vente plutôt que d’exercer son droit de rachat et de demander ensuite une ordonnance finale de forclusion, mesure qui a été suivie par la vente d’une partie de la propriété qu’elle avait prise comme sienne. Une vente judiciaire découlant d’une forclusion aurait entraîné une reddition de compte quant à son produit et aurait permis à la banque de poursuivre les co-débiteurs pour tout solde.
En agissant comme elle l’a fait à l’égard de la propriété du mari, puis en cherchant à présenter une preuve de créance hypothécaire dans les procédures de forclusion à l’égard de la propriété de l’épouse, la banque était illogique. Elle a choisi de renoncer à la dette en se mettant dans l’impossibilité de remettre toute la garantie fournie à cet égard.
Les Juges Judson et Pigeon, dissidents: En vendant une partie de la propriété hypothéquée du mari après l’ordonnance finale de forclusion, la banque ne peut être considérée comme ayant décidé d’accepter le montant qu’elle a réalisé en règlement de sa créance garantie par sa deuxième hypothèque. La banque n’a engagé aucune procédure en vertu de son hypothèque. Elle a été obligée de prendre une hypothèque antérieure à sa charge pour protéger sa deuxième hypothèque. Aucun précédent n’autorise l’application du principe énoncé dans Gordon Grant & Co. v. F.L. Boos, [1926] A.C. 781, à cette situation et, en fait, certains précédents s’y opposent très fortement. La banque pouvait faire la preuve de sa créance garantie par la propriété de l’épouse, en tenant compte de ce qu’elle a reçu.
Arrêt non suivi: John Abell Engine & Machine Works Co. v. Porter (1909), 12 W.L.R. 470. Arrêts mentionnés: Davidson v. Sharpe (1920), 60 R.C.S. 72; Hall v. Heward (1886), 32 Ch. D. 430; Gee v. Liddell, [1913] 2 Ch. 62; Re Burrell (1869), L.R. 7 Eq. 399; Gordon Grant & Co. v. Boos (précité);
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Beatty v. Bailey (1912), 26 O.L.R. 145; Geidlinger v. Kierans et al. [1967] 1 O.R. 217; Isman v. Sinnott (1920), 61 R.C.S. 1.
APPEL d’un jugement de la Cour d’appel de l’Ontario[1], infirmant un jugement du Juge Pennell. Appel accueilli, les Juges Judson et Pigeon étant dissidents.
F.H. Wood, pour l’appelante.
W.D. Chambers et P.J. Evraire, pour l’intimée.
Le jugement des Juges Judson et Pigeon a été rendu par
LE JUGE JUDSON (dissident) — L’hypothèque consentie en 1962 par Paul Rushton et Norma Rushton à la Banque d’expansion industrielle était une deuxième hypothèque sur les propriétés respectives du mari et de l’épouse. En 1964, le premier créancier hypothécaire de la propriété du mari a délivré un bref de forclusion et la banque a dû payer l’hypothèque pour protéger sa garantie. La banque est devenue détentrice de cette première hypothèque et, conformément aux règles de pratique, elle a procédé à la forclusion à l’égard de tous les intérêts subséquents. L’ordonnance finale de forclusion se lit comme suit:
[TRADUCTION] que les défendeurs, Paul Rushton et Norma Rushton, Gordon James Wallace, la Banque Toronto-Dominion et l’Ontario Workmen’s Compensation Board se trouvent absolument dépourvus et forclos de tout droit, titre et droit de rachat quant aux immeubles hypothéqués dans le bref d’assignation en l’instance.
En 1969, la banque a vendu une partie de la propriété du mari comprise dans l’hypothèque.
En 1968, le premier créancier hypothécaire de la propriété de l’épouse a engagé des procédures de forclusion contre la propriété de l’épouse. Un créancier postérieur a exercé, comme il était autorisé à le faire, son droit d’exiger une vente. La banque cherche maintenant à justifier d’une créance devant le Master dans ces procédures.
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Dans l’appel interjeté contre la décision du Master, je Juge Pennell a statué que cette preuve devrait être interdite à la banque parce qu’elle a vendu une partie de la propriété du mari après l’ordonnance finale de forclusion, et qu’elle avait ainsi perdu son droit de rétrocéder la propriété du mari sur paiement entier de la dette. La Cour d’appel a infirmé cette ordonnance et a statué que, compte tenu des faits de l’espèce, le principe énoncé dans l’arrêt Gordon Grant & Co. v. F.L. Boos[2], ne s’appliquait pas. A mon avis, cette conclusion est juste.
En l’espèce, en vendant une partie de la propriété hypothéquée du mari après l’ordonnance finale de forclusion, la banque ne peut être considérée comme ayant décidé d’accepter le montant qu’elle a réalisé en règlement de sa créance garantie par sa deuxième hypothèque. La banque n’a engagé aucune procédure en vertu de son hypothèque. Elle a été obligée de prendre une hypothèque antérieure à sa charge pour protéger sa deuxième hypothèque. Aucun précédent n’autorise l’application du principe énoncé dans Grant v. Boos à cette situation et, en fait, certains précédents s’y opposent très fortement.
Dans l’arrêt Beatty v. Bailey[3], Beatty détenait une deuxième hypothèque sur la propriété de Bailey. La première hypothèque était en souffrance et la valeur de la propriété hypothéquée était inférieure au montant de la dette garantie par la première hypothèque. Le premier créancier hypothécaire avait la faculté de faire prononcer la forclusion. Afin de faciliter la vente et d’éviter des dépenses, Beatty a abandonné son droit. On a statué qu’il avait le droit de fonder une poursuite sur l’engagement relatif à sa deuxième hypothèque. Le Chancelier Boyd a motivé l’arrêt dans les termes suivants:
[TRADUCTION] Le deuxième créancier privilégié n’a abondonné son droit sur le bien‑fonds que pour faciliter au premier créancier hypothécaire la forclusion ou la vente de la propriété — car il semblait alors que la valeur du bien-fonds n’était pas suffisante pour
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acquitter même la première hypothèque. Si le premier créancier hypothécaire avait fait prononcer la forclusion à l’égard du bien-fonds, ce changement de propriété n’entraverait pas le droit du deuxième créancier (à qui on ne peut rien reprocher) de fonder une poursuite sur l’engagement. Nul doute que la règle veut que le créancier qui fonde une poursuite sur un engagement relatif à l’hypothèque soit ordinairement en mesure de rétrocéder le bien-fonds sur paiement de la dette. Mais cette règle ne s’applique pas nécessairement au cas d’un deuxième créancier dont les droits sur le bien-fonds ont été éteints par le fait du premier créancier. La règle de droit qui est résumée dans Coote prévoit que l’incapacité du créancier de rétrocéder n’empêchera pas de fonder le droit d’action sur l’engagement si pareille incapacité résulte de quelque défaillance du débiteur: 7e éd., vol. 2, p. 982. Dans la présente affaire, l’obligation du débiteur était de payer la première hypothèque et aussi d’empêcher l’exercice du droit de vente par lequel le droit de rachat a été éteint. Je crois que les principes auxquels on a donné suite dans l’arrêt In re Burrell, Burrell v. Smith L.R. 7 Eq., 399, 466 s’appliquent à la présente affaire et ont pour effet d’invalider le jugement prononcé par le savant juge de la Cour de comté.
Le jugement du Juge Middleton est bref et précis. Il se lit comme suit:
[TRADUCTION] Je suis entièrement d’accord avec le Lord Chancelier et je désire seulement ajouter quelques mots par respect pour le savant Juge dont nous infirmons la décision.
Le droit du débiteur, lorsqu’il est l’objet d’une poursuite sur un engagement, de demander une rétrocession de la propriété hypothéquée, sujet commenté dans l’arrêt Kinnaird v. Trollope (1888), 39 Ch. D. 636 et dans les arrêts qui y sont cités et le droit en equity d’empêcher une telle action lorsque le créancier s’est mis dans l’impossibilité de céder, ne peuvent, me semble-t-il, être invoqués lorsque l’incapacité de rétrocéder résulte de la défaillance du débiteur lui-même. Dans la présente affaire, le non-paiement de la première hypothèque a eu pour effet de donner au créancier un droit de propriété absolu et a rendu le droit du demandeur, en sa qualité de deuxième créancier, susceptible de faire l’objet d’une forclusion en equity.
Je ne crois pas qu’en laissant le premier créancier exercer immédiatement son droit de vendre les bien-fonds le demandeur ait renoncé à l’engagement. II a tout au plus renoncé à exiger que le premier créancier prenne des procédures légales régulières qui n’avanta-
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geraient personne; de plus, dans cette renonciation, il a expressément réservé ses droits contre le débiteur.
Il est clair, en ce qui me concerne du moins, que la perte de la propriété a résulté, non pas de l’action du demandeur, mais des droits conférés au premier créancier par sa garantie et de la défaillance du défendeur lui-même. Cette conclusion est conforme au principe énoncé dans In re Burrell, Burrell v. Smith, L.R. 7 Eq., 399.
Une application récente du principe énoncé dans Beatty v. Bailey se trouve dans l’arrêt Geidlinger et al. v. Kierans et al.[4]
A mon avis, ce dernier jugement s’applique de façon directe en l’espèce. La banque s’est trouvée engagée dans une action en forclusion intentée par le premier créancier. Elle avait le choix d’abandonner sa garantie ou de payer pour obtenir la cession de la première hypothèque. La banque a dû perdre la propriété en raison des droits prioritaires du premier créancier et de la défaillance du défendeur lui-même, Paul Rushton. Dans les circonstances, comment peut-on dire que la banque a décidé de prendre la propriété en acquittement de la dette relative à sa deuxième hypothèque quand elle a dû débourser une somme supplémentaire de $3,951.96 et se faire céder la première hypothèque pour empêcher sa propre forclusion.
S’il s’agit de savoir si la banque, après la forclusion, a pris la propriété du mari en acquittement de la dette, la dette acquittée est de $3,951.96, soit la valeur de la première hypothèque. Ses droits en vertu de la deuxième hypothèque n’ont pas été touchés par les procédures de forclusion. Je fonde cette dernière opinion sur l’arrêt Isman c. Sinnott[5], qui a confirmé, avec une modification, le jugement de la Cour d’appel de la Saskatchewan[6]. Dans cette dernière affaire, le créancier détenait une première et une troisième hypothèque sur la même propriété. En l’espèce, la banque s’est trouvée dans la même position quand elle a (obligatoirement)
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pris la première hypothèque pour protéger sa deuxième hypothèque. Dans l’affaire Isman, la deuxième hypothèque ne change rien à la question; le créancier a engagé des procédures de forclusion relativement à la première hypothèque, obtenu une ordonnance finale de forclusion et subséquemment vendu la propriété. Le débiteur a ensuite demandé un jugement déclarant que les deux hypothèques avaient été acquittées par la vente après forclusion et qu’il avait le droit de reprendre certaines garanties supplémentaires détenues par le créancier. La Cour d’appel de la Saskatchewan a rejeté cette demande à l’unanimité. Elle s’est fondée sur les décisions rendues dans Re Burrell[7]; John Abell Engine & Machine Works v. Porter[8], et Beatty v. Bailey (précitée). Je cite les motifs du Juge en chef Haultain:
[TRADUCTION] Pour appliquer les termes du chancelier Boyd, dans l’arrêt Beatty v. Bailey, précité, à la présente affaire, l’incapacité du défendeur, en sa qualité de troisième créancier, de rétrocéder, ne l’empêche pas d’intenter des poursuites fondées sur l’engagement si cette incapacité résulte d’une défaillance du, débiteur Yandt. Yandt devait payer la première hypothèque pour empêcher la forclusion. Le droit du défendeur comme premier créancier était tout à fait indépendant de son droit comme troisième créancier et l’emportait sur ce droit: et le résultat de l’exercice de ce droit de la défaillance de Yandt, ne doit pas servir à Yandt de moyen de défense dans une action fondée sur une dette entièrement distincte. Pour ces motifs, la troisième hypothèque ne peut être considérée comme ayant été payée et le demandeur n’a donc pas le droit de faire radier l’hypothèque de Kamsack.
Cette Cour a tiré les mêmes conclusions dans son jugement. La Cour d’appel avait rejeté l’action. Cette Cour a déclaré que, sur paiement de la somme due en vertu de la troisième hypothèque, la garantie supplémentaire serait libérée. Elle a statué que la première hypothèque avait été acquittée en entier par la vente faite après la forclusion, mais que l’incapacité du créancier de rétrocéder ne l’empêchait pas de recouvrer sa créance en vertu de la troisième hypothèque.
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J’aborde maintenant la position de la banque quant à la deuxième hypothèque sur la propriété de l’épouse. Cette propriété est maintenant l’objet d’une forclusion et d’une demande de vente judiciaire. A ce stade-ci des procédures, la banque cherche seulement à prouver sa réclamation contre Norma Rushton. En l’espèce, la banque détient des hypothèques distinctes sur les deux propriétés. Le fait qu’elles soient comprises dans un seul et même acte importe peu. Chaque propriété est grevée de la dette de $40,000, plus l’intérêt. Tous les engagements sont solidaires, y compris celui de payer. Il n’y a aucune répartition entre les deux propriétés quant au montant des charges qui grèvent chaque propriété.
La banque n’a pas engagé de procédures contre le mari ni contre l’épouse en vertu de la deuxième hypothèque. La dette hypothécaire n’a pas encore été acquittée. Elle cherche à faire la preuve de sa créance garantie par la propriété de l’épouse. A mon avis, elle peut le faire, en tenant compte de ce qu’elle a reçu. La Cour d’appel a renvoyé l’affaire au Master en termes très larges, avec la directive de prendre en considération le fait que la banque devrait être tenue de rendre compte du produit de toute réalisation de la propriété du mari et qu’elle n’était pas empêchée d’exécuter pareille réalisation. Je souscris à cet avis.
Je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens.
Le jugement des Juges Hall, Spence et Laskin a été rendu par
LE JUGE LASKIN: — Paul Rushton et Norma Rushton sont des conjoints qui ont obtenu, en juin 1962, un prêt de $40,000 de la Banque d’expansion industrielle; à titre de garantie, ils ont grevé leurs terrains respectifs d’une même hypothèque en faveur de la banque (ci-après appelée BEI). Le mari possédait 18 lots grevés d’une première hypothèque en faveur de Lymbird Lumber Co. Ltd. et l’épouse possédait une parcelle grevée d’une première hypothèque en faveur de Mabel Esson. L’hypothèque qu’ils ont consentie à la BEI sur leurs droits en «equity» les rendait solidairement responsables de la
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dette unique, à la garantie de laquelle leurs propriétés respectives ont été affectées, sans répartition, mais sous réserve du droit de la BEI de dégrever à sa discrétion toute partie ou toutes parties des propriétés. Toutefois, les débiteurs hypothécaires n’avaient pas le droit d’exiger la répartition de la dette ou le dégrèvement de quelque partie que ce soit des propriétés sur paiement d’une partie de la dette.
Il y a eu défaillance à l’égard de la première hypothèque de la Lymbird Lumber Co. Ltd., qui s’élevait à la somme de $2,825. Des procédures de forclusion ont été engagées en 1964 et un jugement contre Paul Rushton et son épouse, qui était intervenue pour empêcher le douaire, a été rendu. Il ressort des procédures subséquentes que Paul Rushton avait produit un avis d’intention d’exercer son droit de rachat et que, en plus de la deuxième hypothèque de la BEI, les biens-fonds étaient grevés de deux hypothèques postérieures. L’épouse n’a pas comparu dans l’action et n’a produit aucun avis d’intention d’exercer son droit de rachat. Toutefois, la BEI, en sa qualité de créancière prioritaire, a effectué le rachat et a de plus obtenu une ordonnance finale de forclusion en 1966, les créanciers subséquents et Paul Rushton n’ayant pas exercé leur droit de rachat. En 1969, la BEI a vendu 11 des 18 lots au prix net d’environ $20,000 (selon la déclaration faite sous serment par l’avocat de la BEI), conservant la propriété de 7 lots.
Avant ces ventes, il y a eu défaillance dans le paiement de l’hypothèque de Esson sur la propriété de Norma Rushton; des procédures de forclusion ont été engagées contre celle-ci et un jugement a été rendu en août 1968, sous réserve de son droit de rachat. Des procédures ultérieures, il est ressorti que la propriété était grevée de deux hypothèques postérieures à la deuxième hypothèque de la BEI et d’une créance résultant d’un jugement. L’un des créanciers hypothécaires subséquents a demandé la vente, en conformité des dispositions et de la pratique à cet égard, et une ordonnance de vente au lieu d’une ordonnance de forclusion a été rendue. Le 1er octobre 1968, la BEI a produit une preuve de créance au montant de $67,641.13, mais dans
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des déclarations subséquentes, faites sous serment et datées du 20 octobre 1969 et du 29 octobre 1969, qui ont été produites dans le renvoi concernant l’hypothèque, la réclamation a été réduite d’abord à $55,655.48, puis à $53,161.97. Lorsque ces déclarations ont été produites, les 11 lots dont il est ci-dessus fait mention avaient déjà été vendus.
Le Juge Pennell, qui a entendu l’appel porté contre le rapport du Local Master était d’avis que cette réduction représentait un crédit pour le produit de la vente des 11 lots. Toutefois, le rapport du Local Master fixait au montant total de $69,721.11 la réclamation de la BEI, sans l’obliger à porter le produit net de la vente des 11 lots ou la valeur des lots restants au crédit du compte du débiteur; il y était également déclaré que la réalisation de la propriété de Paul Rushton après la forclusion ne signifiait pas que la BEI acceptait les biens-fonds et le produit de la vente à titre de paiement intégral de la dette contractée par les époux. Cette dernière déclaration est la question en jeu dans l’appel en cette Cour.
Le Juge Pennell n’a pas partagé l’avis du Local Master et a décidé que la BEI, en agissant comme elle l’a fait à l’égard des biens-fonds du mari, avait perdu son droit de créance et ne pouvait donc prouver aucune créance dans les procédures de forclusion et de vente quant à l’hypothèque de Esson. La Cour d’appel de l’Ontario a infirmé ce jugement, décidant que la BEI n’était pas empêchée de réaliser sa garantie, surtout lorsqu’elle n’avait pas tenté de faire exécuter l’engagement de payer dans l’hypothèque Rushton; elle a ordonné que l’affaire soit de nouveau renvoyée au Local Master pour qu’il calcule le produit de la réalisation de toute partie de la garantie en vertu de l’hypothèque. Ni les motifs ni l’ordonnance formelle de la Cour d’appel ne traitent des 7 lots que la BEI possédait encore à cette époque-là.
L’avocat de la BEI a soutenu que la seule question, dans le présent appel, est celle de savoir si la BEI a une créance. Toutefois, c’est là une position trop simplifiée que ni le Juge
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Pennell ni la Cour d’appel n’ont acceptée telle quelle. Selon moi, il s’agit de savoir si la BEI a le droit de considérer comme constituant deux hypothèques, uniquement en ce qui concerne la forclusion, sans vente, ce qu’elle a accepté sous la forme d’une hypothèque composite, celle-ci ne prévoyant aucune division de la dette ou des propriétés respectives fournies en garantie. En d’autres termes, il s’agit de savoir si en essayant de prouver sa créance dans les procédures de forclusion engagées par Esson, la BEI se trouvait à poursuivre sur l’engagement de payer dans l’hypothèque Rushton ou à demander un jugement ordonnant le paiement du solde de la dette garantie par cette hypothèque, ou s’il s’agissait d’une action admissible en paiement de dette fondée sur une partie de la garantie.
J’examinerai la question selon des principes bien connus du droit hypothécaire applicables en Ontario, en vertu desquels on a toujours tenu soigneusement compte des droits du débiteur hypothécaire. Lorsqu’un créancier hypothécaire procède à une forclusion à l’égard d’un bien‑fonds hypothéqué, en prend les titres, puis vend le bien-fonds comme lui appartenant, il ne peut pas réclamer le solde dû sur l’hypothèque à moins qu’il lui soit possible de remettre le bien-fonds: voir Davidson c. Sharpe[9], à la p. 82. La situation serait différente si le créancier hypothécaire avait exercé son pouvoir de vendre en vertu de son hypothèque ou s’il avait demandé une vente judiciaire dans les procédures de forclusion, s’obligeant ainsi à une reddition de compte. Toutefois, lorsqu’il s’en tient à la forclusion, une poursuite subséquente sur l’engagement de payer la dette hypothécaire remet en cause la forclusion et autorise le débiteur hypothécaire à exiger la disponibilité de la propriété saisie, comme condition de son obligation. S’il ne peut pas remettre la propriété, le créancier hypothécaire n’a pas le droit de transformer l’action en une procédure en reddition de compte de façon à poursuivre pour paiement de la dette alors qu’il ne peut pas remettre le bien-fonds hypothéqué.
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Le principe est le même lorsque deux parcelles de terrain appartenant au débiteur hypothécaire sont affectées à la garantie d’une même dette et que le créancier ne procède à la forclusion qu’à l’égard d’une parcelle seulement. Étant donné que, sauf contrat à cet effet (et en l’espèce il n’existe aucun contrat semblable), le créancier hypothécaire peut refuser de dégrever une partie de la garantie à moins que l’ensemble de la garantie ne soit rachetée, le débiteur hypothécaire, corrélativement, a le droit d’exiger la disponibilité de toute sa garantie si on le poursuit pour le montant de la dette hypothécaire: voir Hall v. Heward[10]. Ainsi, le créancier hypothécaire peut vouloir la forclusion pour la seconde parcelle après l’avoir obtenue pour la première, mais il doit être en mesure de remettre la première parcelle aussi bien que la seconde en procédant à la seconde forclusion.
Il ne me vient à l’esprit aucun autre principe qui s’appliquerait du seul fait qu’il existe deux co‑débiteurs hypothécaires, chacun propriétaire de propriétés distinctes, toutes deux grevées de la même hypothèque. Lorsqu’il s’agit du rachat, le propriétaire d’une partie du droit en «equity» a le droit et (sauf contrat à cet égard) peut être obligé de racheter le tout, la question des droits entre les co-propriétaires devant être réglée entre eux. Il me semble que la même situation existe lorsqu’un co-débiteur hypothécaire en vertu d’une seule et même hypothèque garantissant une dette indivise cherche à racheter sa propre propriété, hypothéquée en même temps que la propriété de l’autre co-débiteur; il a le droit ou peut être obligé de racheter le tout s’il veut en racheter une partie. Le fait que ce droit de rachat est considéré dans des procédures de forclusion ne devrait rien changer à l’obligation du créancier hypothécaire de mettre toute la garantie à la disposition du débiteur hypothécaire qui veut exercer son droit de rachat.
Le problème dans la présente espèce a été considéré sommairement par le Juge Warrington dans l’affaire Gee v. Liddell[11], p. 72:
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[TRADUCTION] Deux personnes hypothèquent dans un même acte leurs propriétés respectives pour garantir une avance faite à l’une d’elles; l’acte confère à chacune d’elles un pouvoir de rachat et il ressort de l’acte même qu’en ce qui concerne ces deux personnes, la propriété de celle à qui l’argent a été prêté doit être la première à être assujettie à l’obligation. La personne qui conjointement a hypothéqué sa propre propriété n’a-t-elle pas, en vertu de cet acte même un intérêt dans la propriété de la personne à qui l’argent a été avancé? A mon avis, elle en a un, et je crois que la nature de cet intérêt est une charge à titre de garantie sur la propriété du débiteur principal lui permettant d’exercer contre cette propriété le droit qu’elle a, vis-à-vis du débiteur principal, d’exiger qu’on recoure tout d’abord à la propriété de ce dernier pour le paiement de la dette. Si tel n’était pas le cas, le résultat serait étonnant. Le premier créancier hypothécaire intente une action contre son propre débiteur hypothécaire et contre le second créancier hypothécaire, dont l’hypothèque comprend ce que je peux décrire, quoique peut-être d’une façon inexacte, comme étant une garantie collatérale fournie par une personne à qui l’argent de la seconde hypothèque n’a pas été prêté. Il se peut que le second créancier hypothécaire se contente d’invoquer la garantie collatérale et ne tienne pas à racheter la première hypothèque; il serait bien étonnant qu’à défaut de celui-ci d’intervenir le propriétaire de la garantie collatérale perde le droit d’indemnisation qu’il a contre la propriété de la personne à qui l’argent, en vertu de la seconde hypothèque, a été avancé. A mon avis, par conséquent, il faut en principe reconnaître au co-débiteur un intérêt dans la propriété de son co-débiteur qui, en vertu de l’acte hypothécaire, doit être considéré, de même que sa propriété, comme étant assujetti en premier lieu à l’obligation. Toutefois, il existe à cet égard un précédent qui me semble parfaitement clair. Il s’agit d’une décision [Stokes v. Clendon] rendue par le maître des rôles en 1970; elle est publiée comme suit dans une note à 3 Swanston, p. 150: [TRADUCTION] «Il s’agissait d’un débiteur hypothécaire principal et d’un autre débiteur hypothécaire qui avait fourni sa propriété à titre de garantie collatérale. Son Honneur a décidé que la procédure de forclusion engagée uniquement contre le débiteur principal ne pouvait pas être accueillie sans que l’autre débiteur soit mis en cause parce que ce dernier jouit d’un droit de rachat et a le droit d’être présent à la reddition de compte pour empêcher que l’obligation retombe finalement sur sa propre propriété, ou du moins qu’elle grève sa propriété d’un montant plus important que celui que la première propriété peut
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rapporter: les procédures sont suspendues pour défaut de partie.» Pour autant que je puisse voir, cette décision a été considérée dans tous les ouvrages comme faisant autorité quant à la pratique du tribunal. La seule prétention à son encontre est qu’il y a des dicta — il me semble n’y avoir aucune décision absolue — montrant qu’un simple garant par engagement qui n’a rien payé n’est pas obligatoirement partie à une procédure de forclusion. J’accepte cette proposition, mais à mon avis, il existe une distinction importante entre un simple garant par engagement et une personne qui s’est engagée à titre de co-débiteur hypothécaire. A mon avis, celui qui s’engage à titre de co-débiteur hypothécaire dans un acte comme celui-ci, a, depuis le moment de la signature de l’acte, un intérêt dans la propriété du débiteur hypothécaire principal.
En ce qui concerne le principe fondamental, le commentaire suivant, tiré de l’ouvrage Law of Mortgage de Fisher and Lightwood, 8e éd. (1969), p. 333, nous aide un peu:
[TRADUCTION] Si deux propriétés sont hypothéquées et si le débiteur hypothèque par la suite le droit de rachat de l’une d’elles en faveur d’un second créancier hypothécaire et vend le droit de rachat de l’autre parcelle à une troisième personne, le créancier initial, en procédant à la forclusion, doit mettre en cause tant le second créancier que l’acheteur, car il ne peut obtenir la forclusion à l’égard d’une seule des propriétés, chacune garantissant également la dette. Le créancier doit aussi, lorsque le droit de rachat a été vendu en lots, poursuivre tous les acheteurs. La règle est la même lorsque le créancier détient des garanties sur des propriétés distinctes,…
Si la situation est telle qu’elle est décrite par le Juge Warrington dans l’arrêt Gee v. Liddell, dans le cas d’une propriété hypothéquée à titre de garantie collatérale d’une hypothèque principale sur une autre propriété, a fortiori, il en est ainsi dans le cas d’un débiteur hypothécaire proprement dit dont la propriété et celle d’un co-débiteur sont grevées d’une seule et même hypothèque en garantie d’une dette que tous deux ont contractée. Ce débiteur hypothécaire a droit au bénéfice de toute la garantie s’il est appelé à payer la dette, de façon à pouvoir régler ses comptes avec son co-débiteur. Ainsi, un créancier qui obtient la forclusion pour une
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partie de la propriété détenue à titre de garantie ne peut chercher à se faire payer au moyen de l’autre partie, à moins d’être en mesure de fournir toute la propriété grevée au débiteur auquel il demande paiement.
On a reconnu le droit du créancier de poursuivre en vertu de l’engagement malgré une forclusion antérieure, lorsqu’il lui est impossible de remettre la garantie sans qu’il y ait faute de sa part, par exemple, lorsqu’il s’agit d’un bail arrivé à terme ou lorsque le propriétaire d’un fonds a repris possession en bonne et due forme: voir Re Burrell[12]. L’incapacité de remettre la garantie résultant du fait du créancier, comme c’est le cas ici, est une autre question.
Finalement, il y a la question de savoir si est différente la situation du créancier hypothécaire qui n’a lui-même engagé aucune procédure de forclusion tant à l’égard de la propriété du mari qu’à l’égard de celle de l’épouse, mais qui est intervenu dans les procédures de forclusion en sa qualité de créancier subséquent ayant dans chaque action une réclamation contre un co-débiteur différent. L’obligation solidaire des époux à l’égard de la dette hypothécaire n’a pas influé sur l’unité de l’hypothèque destinée à garantir une seule dette. Dans les procédures de forclusion engagées par Lymbird Lumber Co., la BEI aurait dû demander la vente plutôt que d’exercer son droit de rachat et de demander ensuite une ordonnance finale de forclusion, mesure qui a été suivie par la vente d’une partie de la propriété qu’elle avait prise comme sienne. Une vente judiciaire découlant d’une forclusion aurait entraîné une reddition de compte quant à son produit et aurait permis à la BEI de poursuivre les co-débiteurs pour tout solde.
En agissant comme elle l’a fait à l’égard de la propriété du mari, puis en cherchant à présenter une preuve de créance hypothécaire dans les procédures de forclusion engagées par Esson, la BEI était illogique. Elle a choisi de renoncer à la dette en se mettant dans l’impossibilité de remettre toute la garantie fournie à cet égard.
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Le jugement rendu par le Juge Mathers de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba dans l’affaire John Abbell Engine & Machine Works Co. v. Porter[13] semble s’opposer à la conclusion à laquelle j’en arriverais. Il s’agissait d’un exposé de cause qui, en ce qui nous concerne ici, montrait qu’un débiteur hypothécaire avait grevé deux parcelles distinctes en faveur du demandeur, l’une de ces parcelles ayant déjà été hypothéquée en faveur d’un tiers. Ce tiers a engagé des procédures de forclusion dans lesquelles le demandeur a comparu et dans lesquelles il a lui-même obtenu une ordonnance finale de forclusion après avoir payé le premier créancier. Il a ensuite vendu le bien-fonds visé par la forclusion, et a par la suite demandé que la seconde parcelle soit vendue en vertu de sa garantie pour acquitter la dette. Le Juge Mathers a décidé que le recours du demandeur contre cette parcelle subsistait même si l’autre parcelle avait été vendue après forclusion. Je ne suivrais pas cette décision parce qu’à mon avis, elle n’est pas conforme à mon interprétation du principe fondamental applicable en la matière.
Je suis d’avis d’accueillir l’appel, avec dépens en cette Cour et en Cour d’appel, et de rétablir le jugement du Juge Pennell.
Appel accueilli avec dépens, les JUGES JUDSON et PIGEON étant dissidents.
Procureurs de l’appelante: Mendelson, Beatty & Wood, Toronto.
Procureurs de l’intimée: Harris, Houser, Brown & McCallum, Toronto.
[1] [1971] 2 O.R. 413, 18 D.L.R. (3d) 129 (sub. nom. Esson v. Rushton et al).
[2].[1926] A.C. 781.
[3] (1912), 26 O.L.R. 145, 3 D.L.R. 831.
[4] [1967] 1 O.R. 217, 60 D.L.R. (2d) 32.
[5] (1920), 61 R.C.S. 1.
[6] [1919] 3 W.W.R. 719, 49 D.L.R. 238.
[7] (1869) L.R. 7 Eq. 399.
[8] (1909), 12 W.L.R. 470.
[9] (1920), 60 R.C.S. 72.
[10] (1886), 32 Ch. D. 430.
[11] [1913] 2 Ch. 62.
[12] (1869), L.R. 7 Eq. 399.
[13] (1909), 12 W.L.R. 470.