Cour suprême du Canada
Kreick c. Wansbrough, [1973] R.C.S. 588
Date: 1973-02-28
Ted Kreick (Demandeur) Appelant;
et
John Leonard Wansbrough (Défendeur) Intimé.
1973: le 29 janvier; 1973: le 28 février.
Présents: Les Juges Martland, Judson, Ritchie, Spence et Laskin.
EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE LA SASKATCHEWAN
APPEL d’un jugement de la Cour d’appel de la Saskatchewan[1], rejetant un appel d’un jugement du Juge Disbery. Appel accueilli.
E.C. Leslie, c.r., et H.T. Hepting, pour le demandeur, appelant.
C.F. Tallis, c.r., pour le défendeur, intimé.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE LASKIN — Dans le présent appel, la question principale à déterminer est celle de savoir si l’accord conclu le 10 septembre 1965 par l’intimé Wansbrough en tant que vendeur et par l’appelant Kreick en tant qu’acheteur prend effet, en vertu de ses dispositions, comme contrat de vente de terrains assorti d’une faculté de racheter, ou si, comme convention de garantie, tel qu’il a été présenté, il faut nécessairement le considérer comme un acte d’hypothèque dont la conséquence est que le défaut du vendeur d’exercer la faculté de racheter avant sa date d’expiration ne l’empêche pas de faire valoir un droit de rachat. Les Cours de la Saskatchewan, le Juge Disbery au procès et le Juge d’appel Woods au nom de la Cour d’appel, ont retenu le point de vue du défendeur intimé qui prétend que l’opération doit être considérée comme une hypothèque.
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Je n’accepte pas cette qualification. Le témoignage que le juge de première instance a jugé digne de foi tend à confirmer plutôt qu’à nier le caractère entier de l’accord écrit du 10 septembre 1965. En mettant les choses au mieux, ce témoignage ne parvient pas à fournir la preuve que Wansbrough doit apporter pour établir en droit qu’un acte de vente assorti d’une faculté de racheter et rédigé par un avocat ne doit être considéré que comme une hypothèque.
Les parties entretenaient et apparemment entretiennent toujours des rapports amicaux. Elles étaient toutes deux propriétaires de vastes terrains agricoles situés dans des districts voisins. En septembre 1964, Kreick a commencé à consentir des prêts à Wansbrough qui avait besoin d’argent comptant pour protéger un placement spéculatif. En date du 10 septembre 1965, le montant des prêts, avec l’intérêt accumulé, s’élevait à près de $90,000. Les deux premiers prêts de $8,000 et de $5,000 respectivement étaient sans garantie et le 22 juin 1965, un autre prêt de $19,362.95 a été consenti, dont la plus grande part a servi à acheter une parcelle de terrain. Le 16 juillet 1965, les parties ont signé un accord rédigé par un avocat agissant au nom des deux parties et selon lequel Wansbrough vendait la parcelle de terrain à Kreick pour la somme de $33,000 et se réservait le droit de racheter l’immeuble pour cette somme avec un intérêt de 6 pour cent avant le 31 décembre 1965. Le titre a été délivré au nom de Kreick le 19 juillet 1966, sous réserve d’une opposition datée du 16 juillet 1965 que l’avocat avait fait enregistrer pour protéger le droit de Wansbrough. C’est aussi le 16 juillet 1965 que Kreick a consenti un autre prêt de $4,000 à l’intimé. Le 16 août 1965, un autre contrat de vente assorti d’un droit de rachat à être exercé le 31 mars 1966 ou avant cette date et rédigé par l’avocat des parties, stipulait la vente à l’appelant d’autres terrains appartenant à l’intimé pour la somme de $50,000 avec un intérêt de 6 pour cent. Le 17 août 1965, Kreick a émis un chèque de $47,000 au crédit de Wansbrough et le 2 septembre 1965, il a remis à l’avocat une somme de $4,000 pour le compte de l’intimé.
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Le 10 septembre 1965, les parties se sont réunies au bureau de leur avocat pour examiner l’état de leurs comptes. D’après les calculs du juge de première instance, qui ne sont pas contestés, au 10 septembre 1965, Wansbrough devait à Kreick la somme de $88,639.70, intérêts compris. Lors de cette réunion, Kreick a donné à l’avocat les directives écrites suivantes:
[TRADUCTION] Portez la somme de 104,000 au crédit de Ted Kreick. Cette somme comprend les taxes pour 10 trimestres et les intérêts payés jusqu’au 1er avril.
Si le terrain est récupéré à cette date, c’est la somme totale que Len me doit.
S’il n’y a pas récupération, je lui dois $56,000 au 31 janvier 1967. Cette somme sera payable en entier le 31 janvier 1967.
Je dois payer le lot 29 N.-O. si Len l’achète.
Le prix sera le prix demandé par le gouvernement.
Si le terrain est récupéré avant le 1er avril, Len aura droit à une réduction de 6% par année sur le montant susmentionné.
La stipulation concernant l’habitation dans l’accord présentement en vigueur demeurera inchangée; le terrain en question est Sec 31-¾ sur 30 ½ sur 35.
L’accord signé le 10 septembre 1965 remplaçait les accords antérieurs et prévoyait la vente de terrains déterminés, y compris la parcelle qui était déjà enregistrée au nom de Kreick, pour la somme de $160,000 de laquelle Wansbrough a reconnu avoir reçu $104,000. Cette somme représentait les avances faites à cette date, d’autres avances faites à cette date pour payer les taxes et une somme de $10,000 que Kreick devait payer à un certain Hillis à qui Wansbrough l’avait empruntée, plus l’intérêt calculé à partir du 1er avril 1966. En fait, la somme indiquée de $104,000 a été fixée pour des «raisons de commodité»; elle dépassait d’environ $1,500 la dette constituée de prêts et d’intérêts accumulés jusqu’au 10 septembre 1965. Kreick a convenu de payer le solde de $56,000 sur le prix d’achat total le 31 janvier 1967 ou avant cette date. Comme il avait été convenu précédemment, l’accord donnait à l’intimé la faculté de racheter ses terrains le 1er avril 1966 ou avant
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cette date pour la somme de $104,000. La clause finale de l’accord stipulait que si les terrains n’étaient pas rachetés, le vendeur aurait le droit d’occuper la maison où il habitait aussi longtemps qu’il le désirait sans loyer ni frais.
La preuve démontre, entre autres choses, que Kreick voulait comme garantie des emprunts le titre des terrains de l’intimé et que Wansbrough a convenu de transférer ses terrains à Kreick pour fins de garantie. L’opération qu’ils ont conclue par l’entremise de leur avocat commun réalisait cette fin par la disposition qui prévoyait une vente des terrains pour une somme excédant la créance à recouvrer avec la faculté de racheter pour le montant de la créance, l’acheteur Kreick s’engageant à payer le solde du prix de vente dans les dix mois suivant la date d’expiration de la faculté de racheter. Bref, la vente devait se réaliser par le paiement du solde d’un prix de vente convenu si le droit de rachat n’était pas exercé, et dans ce cas, le vendeur Wansbrough pouvait demeurer dans sa maison, sise sur une partie des terrains en question, et l’occuper sans payer de loyer, aussi longtemps qu’il le désirait.
Les parties savaient la portée de l’opération qu’ils signaient et il n’a pas été suggéré que Kreick a abusé de Wansbrough, soit par le prix fixé à l’époque pour les terrains qui devaient être transférés, soit par toute autre disposition de l’accord et de la faculté de rachat. Dans ces conditions, sur quoi peut-on se fonder pour transformer l’opération en un acte de garantie seulement, en en excluant l’élément dominant, la vente?
Wansbrough a fait valoir cette position dans sa défense et il a présenté une demande reconventionnelle lors d’une action en exécution directe de l’accord que Kreick a intentée quand Wansbrough n’a pas exercé le droit de rachat le 1er avril 1966 ou avant cette date. En fait, une offre de paiement a été faite au nom de Wansbrough le 29 mars 1966, mais elle était inférieure à la somme requise et elle a donc été rejetée. L’offre émanait de deux autres personnes qui désiraient se substituer à Kreick comme créanciers. Bien que Wansbrough ait signé l’avis d’ex-
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ercice du droit de rachat, il a immédiatement informé Kreick de l’offre possible et il l’a prié de la rejeter parce qu’il préférait avoir Kreick comme créancier. Le 30 mars 1966, Wansbrough a remis à Kreick une note signée de sa main qui se lisait comme suit:
[TRADUCTION]
Le 30 mars 1966
Objet: Le présent accord entre le vendeur et l’acheteur.
J’ai l’intention de ne pas faire d’autres démarches en vue de recouvrer les titres visés par la condition avant le 12 avril. Je me refère au présent accord qui expire le 1er avril.
J.L. Wansbrough.
Aucune autre offre n’a été faite par Wansbrough.
Le juge de première instance était d’avis que l’accord du 10 septembre 1965 constituait une convention de garantie, que depuis le début, les parties étaient liées par des rapports de créancier à débiteur et que, en ce qui a trait à la preuve, l’opération devrait être considérée comme un acte d’hypothèque et non comme ce qu’elle paraissait être à sa lecture. A ce sujet, il a statué, et la Cour d’appel a souscrit à son avis, que Wansbrough avait un droit de rachat en equity dont les dispositions relatives à la faculté de racheter ne pouvaient empêcher l’exercice. La question de l’empêchement ou de l’obstacle à l’exercice du droit de rachat ne se pose pas à moins que l’opération soit d’abord qualifiée d’hypothèque, et la faculté de racheter, que le juge de première instance a semblé considérer comme le prétendu empêchement ou obstacle, ne peut être en l’espèce ce sur quoi on se fonde pour considérer l’opération comme une hypothèque seulement. L’obligation de l’acheteur de payer un solde déterminé du prix de vente après la date d’expiration de l’exercice du droit du vendeur et la disposition permettant au vendeur d’occuper sa maison d’une façon continue sans payer de loyer, reflètent le caractère premier de l’opération telle que consignée par écrit; et ces dispositions sont en outre compatibles avec les directives écrites que l’acheteur a données à l’avocat au moment de la rédaction du document et avec l’accord du vendeur, comme
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celui-ci l’a indiqué dans sa note du 30 mars 1966. Il convient d’ajouter qu’il n’a pas été démontré ni même allégué que le prix fixé pour l’acquisition des terrains était insuffisant au moment où l’accord a été signé le 10 septembre 1965.
Il y aurait lieu de s’arrêter à d’autres considérations si, en l’espèce, la preuve se rapportait à un transfert inconditionnel ou à un contrat de vente assorti d’une faculté de racheter pour le montant de la dette du vendeur, sans plus. La présente affaire est mieux fondée du point de vue des faits que l’affaire Herron c. Mayland[2], dans laquelle cette Cour a statué qu’un accord assorti d’une faculté de racheter (qui a en fait été exercée dans les délais prescrits) doit subsister en conformité avec ses dispositions et ne peut être interprété comme un contrat d’hypothèque.
L’affaire Wilson c. Ward[3], ressemble à la présente affaire en ce qu’elle comporte une convention en vue d’une vente assortie d’une faculté de racheter, en vertu de laquelle le créancier-acheteur désigné devait verser au débiteur-vendeur une somme d’argent considérable (supérieure au prêt convenu) pour le terrain du débiteur si la faculté de racheter n’était pas exercée tel que stipulé. Cette Cour a conclu que l’opération constituait une hypothèque et non une convention en vue d’une vente assortie d’une faculté de racheter, comme l’indiquaient certaines de ses dispositions. Les motifs de cette conclusion sont assez clairs. D’après l’acte lui-même, le prétendu vendeur désirait obtenir un prêt de $1,800 sur la garantie de son terrain, et le prétendu acheteur était disposé à consentir le prêt aux conditions suivantes: la vente du terrain au prix de $24,320 payable (moins le montant du prêt) par versements annuels de $5,000, sous réserve d’une faculté de racheter pour la somme de $1,840 à être exercée dans un délai de 90 jours. La contemporanéité du prêt et de l’octroi de la garantie et le fait que la convention en vue de la vente était une condition du
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prêt qui constituait l’objet premier de l’opération suffisaient, lorsqu’ils étaient étayés par la preuve verbale recevable, à démontrer que les parties avaient en vue un contrat de garantie. En fait, le prétendu acheteur savait que c’était là ce qu’avait convenu le prétendu vendeur et l’acte a reçu cette forme particulière pour satisfaire le banquier du prétendu acheteur. La différence entre l’affaire Wilson c. Ward et la présente affaire est une différence de nature et non simplement de degré.
Par conséquent, je suis d’avis d’accueillir l’appel, d’infirmer les jugements des cours d’instance inférieure et d’ordonner que l’accord du 10 septembre 1965 prenne effet suivant ses dispositions, et que l’appelant ait le droit d’obtenir une ordonnance d’exécution directe. Il devait avoir droit à ses dépens dans toutes les cours. Vu la conclusion à laquelle je suis arrivé, il n’est pas nécessaire de traiter de la loi dite Land Contracts (Actions) Act, R.S.S. 1965, c. 104. Pour le même motif, il n’est pas nécessaire non plus que je me prononce sur une requête présentée à l’audition par l’avocat de l’appelant en vue de faire ajouter certaines oppositions au dossier.
Appel accueilli avec dépens.
Procureurs du demandeur, appelant: MacPherson, Leslie & Tyerman, Regina.
Procureurs du défendeur, intimé: Goldenberg, Taylor, Tallis & Goldenberg, Regina.
[1] [1972] 2 W.W.R. 404.
[2] [1928] R.C.S. 225.
[3] [1930] R.C.S. 212.