Cour suprême du Canada
Seaspan International Ltd. c. Le ‘Kostis Prois’, [1974] R.C.S. 920
Date: 1973-02-28
Seaspan International Ltd. et Seaboard Lumber Sales Co. Ltd. (Demanderesses) Appelantes;
et
Le Navire «Kostis Prois» et Aegean Cia, Naviera S.A. (Défendeurs) Intimés.
1972: les 4 et 5 décembre; 1973: le 28 février.
Présents: Les Juges Martland, Judson, Ritchie, Hall et Laskin.
EN APPEL DE LA COUR DE L’ÉCHIQUIER DU CANADA
APPEL d’un jugement de la Cour de l’Échiquier du Canada rejetant une demande en dommages-intérêts. Appel rejeté avec dépens, les Juges Hall et Laskin étant dissidents.
W. O’M. Forbes, pour les demanderesses, appelantes.
D.H. Wood, pour les défendeurs, intimés.
Le jugement des Juges Martland, Judson et Ritchie a été rendu par
LE JUGE RITCHIE — Il s’agit d’un appel d’un jugement du Juge d’appel Sheppard, siégeant à titre de juge de district de la Cour de l’Échiquier du Canada dans le district d’amirauté de Colombie-Britannique, qui a rejeté la réclamation des
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appelantes pour les dommages qu’elles auraient subis lorsqu’un chaland, appartenant à Seaspan International Ltd. (ci-après appelée «Seaspan») et portant une charge de bois, propriété, à ce moment-là, de Seaboard Lumber Sales Co. Ltd. (ci-après appelée «Seaboard Lumber»), s’est détaché du côté bâbord du navire intimé auquel il avait été amarré vers 10 heures du soir le dimanche 23 novembre 1969, puis, après avoir dérivé avec la marée montante, a frappé le pont appelé Second Narrows Bridge dans le port de Vancouver, tôt le matin du 25 novembre, ce qui a eu pour résultat d’endommager le chaland et de projeter une partie de la cargaison de bois par-dessus bord.
Les circonstances qui ont donné lieu à l’action sont les suivantes: l’appelante Seabord Lumber avait acheté une certaine quantité de bois d’une compagnie avec qui elle était liée, soit Wellwood of Canada Limited (ci-après appelée «Wellwood»), laquelle avait loué un chaland, le VT 9, et un remorqueur, de Vancouver Tugboat Company Limited (devenue Seaspan International Ltd.) aux fins de transporter le bois à la tête de ligne B. Lynn Terminals Limited à Vancouver Nord, où le «Kostis Prois» (ci-après appelé «le navire») était amarré. Le bois devait être livré dans le chaland à Seaspan Lumber «franco le long du navire» et il n’y a pas de doute que la propriété de la cargaison est passée à cette compagnie au moment de la livraison du chaland selon les modalités ci-dessus mentionnées. Arrivé à la tête de ligne, le capitaine Lee, un employé de Seaspan qui avait la charge du remorqueur, a surveillé l’amarrage que le juge de première instance a décrit comme suit:
[TRADUCTION] Les personnes de faction sur le «KOSTIS PROIS» étaient l’officier, M. Georgios Paraskevakis, et un guetteur (un matelot breveté). Le guetteur a présenté au capitaine Lee, du remorqueur La Bette, un câble léger qu’on refusa: en fin de compte, le «KOSTIS PROIS» a fourni, pour l’amarrage du VT 9 et de la cargaison, un câble en manille d’un pouce de diamètre qui a été attaché à l’arrière du chaland et un câble en manille d’environ un pouce de diamètre que l’on a attaché à l’avant du chaland.
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Le capitaine du remorqueur a dit dans son témoignage qu’il avait amené le chaland bord à bord à 9h30 et était resté sur les lieux pendant une demi-heure pour surveiller l’amarrage; il a dit ensuite ceci:
[TRADUCTION] Q. Je présume qu’à cette heure du soir, il faisait noir dans le port de Vancouver?
R. Je le crois, puisque nous étions au mois de novembre.
Q. Oui.
R. Et il était 9h30 du soir.
Q. Lorsque vous êtes parti, étiez-vous ou non satisfait de la façon dont le chaland semblait avoir été amarré bord à bord?
R. Non, il était bien amarré, très bien amarré.
Q. Pouviez-vous voir comment les câbles avaient été attachés à l’extrémité du navire?
R. Non. Je n’avais d’autre moyen de le savoir que de regarder si les bras du matelot allaient dans la bonne direction pendant qu’il tournait les câbles.
Le navire, qui était immatriculé en Grèce et qui appartenait à une compagnie panaméenne, était à toutes les époques pertinentes affrété à temps à Seaboard Shipping Company Limited (ci-après appelée «Seaboard Shipping») en vertu d’un contrat qui prévoyait que cette dernière assumait l’obligation de charger le navire.
Seaspan, conformément aux instructions reçues de Wellwood et à la connaissance de Seaboard Lumber, a laissé le chaland chargé de bois amarré le long du navire intimé toute la nuit du 23 et toute la journée du lendemain et bien qu’aucune partie de la cargaison n’ait été déchargée le lundi, il ne semble pas que des représentants de Seaspan ou de l’affréteur, responsable du chargement à bord du navire, aient pris des dispositions pour en vérifier l’état. Les câbles au moyen desquels le chaland était amarré au navire, dont un avait une résistance à l’épreuve de 4.9 tonnes, paraissent avoir tenu bon durant cette période même si le flux de la marée montante était de 4.8 nœuds le matin du 24; cependant, entre 5h45 et 6h30 du soir ce jour-là, un navire japonais a laissé son poste d’amarrage avoisinant et, en manœuvrant pour se diriger vers la mer, a passé tout près du
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navire intimé et soulevé une houle qui a provoqué la rupture de l’amarre de poste reliant le navire au quai et cassé, semble-t-il, les trois câbles attachés au chaland. A ce moment, la marée était descendante et le chaland s’est trouvé à donner sur deux chalands amarrés deux pieds en avant de lui, contre lesquels il est resté jusqu’au moment où, au petit jour, la marée montante a entraîné le VT 9 en direction du pont Second Narrows Bridge.
L’action des appelantes était au départ fondée sur l’allégation que pendant que le VT9 et sa cargaison étaient amarrés le long du navire, ils se trouvaient sous le soin, la garde et le contrôle des intimés, et que le dommage, résultant du fait que le chaland s’était détaché et avait été emporté à la dérive par la marée et avait finalement heurté le pont, avait été causé
[TRADUCTION] … par la négligence des défendeurs (intimés) et de leurs préposés et mandataires, et par la violation de l’obligation que ceux-ci avaient à titre de dépositaires (bailees) du chaland et de sa cargaison, ainsi que de l’obligation qui leur incombait comme transporteurs par eau de ladite cargaison.
La position des diverses parties en ce qui concerne le chaland et la cargaison était que Seaspan était obligée par contrat de transporter le bois de Wellwood franco le long du navire, où la propriété est passée à Seaboard Lumber, mais Seaboard Lumber n’était liée par contrat qu’avec l’affréteur Seaboard Shipping, compagnie avec laquelle elle était liée. Cette situation est exposée dans les termes suivants par le directeur d’assurances de Seaboard Lumber, représentant désigné aux fins de l’interrogatoire préalable:
[TRADUCTION] Q. Très bien. Maintenant, après avoir, en théorie, pris livraison de ce bois le long du «KOSTIS PROIS», quelle est la position de Seaboard Lumber en ce qui concerne le chargement du bois à bord de ce navire?
R. Nous ne faisons pas ça nous-mêmes, nous nous en remettons, pour le charger à bord du navire de haute mer, à une compagnie associée, Seaboard Shipping Company.
Q. Est-ce que cette entente est sans formalités, je veux dire, vous vous bornez à leur dire que vous avez telle ou telle quantité de bois à expé-
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dier à tel ou tel endroit et vous leur laissez le soin de décider des modalités?
R. Nous leur donnons une date d’expédition.
Q. Oui.
R. Et nous nous en remettons à eux.
Q. Cela peut se faire un certain temps avant l’arrivée d’un navire, il se peut que vous ne sachiez pas avec quel navire vous aurez affaire?
R. C’est toujours ainsi.
Q. Par conséquent, vous avez du bois le long du «KOSTIS PROIS» et en ce qui vous concerne, c’est Seaboard Shipping Co. Ltd. qui va voir à l’arrimage, est-ce exact?
R. Oui.
La responsabilité du chaland demeurait bien entendu, à la charge de son propriétaire (Seaspan), dont l’agent avait approuvé la façon dont le chaland avait été amarré au navire.
Par conséquent, à mon avis, aucun contrat exprès ni implicite ne liait l’une ou l’autre des appelantes et le navire ou ses propriétaires relativement au chaland ou à sa cargaison de bois; mais l’avocat des appelantes a néanmoins énergiquement prétendu devant cette Cour qu’une fois le chaland chargé amarré le long du navire, les intimés en sont devenus responsables à titre de dépositaires moyennant rémunération, étant donné que le navire devait transporter le bois à sa destination ultime à la demande de l’affréteur à temps et que le fait de laisser la cargaison franco «le long du navire» a déclenché une suite d’événements en raison desquels les propriétaires du navire devaient être rénumérés selon les conditions de la charte-partie. On a prétendu à cet égard qu’en autorisant l’amarrage du chaland et de la cargaison au navire, les intimés agissaient à titre de «transporteurs par eau de la cargaison» et s’acquittaient partiellement d’une obligation qu’ils avaient contractée moyennant rémunération.
Le rapport de dépositaire à déposant (bailor) existe chaque fois qu’une personne accepte livraison et prend temporairement possession des marchandises d’un autre, étant entendu qu’il doit les retourner au propriétaire ou à son représentant désigné. Dans un cas semblable, le degré de soin exigé du dépositaire qui est en posses-
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sion varie selon les circonstances dans lesquelles les marchandises lui furent remises. Les diverses sortes de dépôt (bailment) ont été exposées en 1703 dans l’affaire Coggs v. Bernard[1], et même si des distinctions ont été ajoutées au cours des ans au raisonnement suivi dans cette affaire-là, les principes de base demeurent inchangés.
On dit parfois que le dépôt comporte l’existence d’un contrat exprès ou implicite, et la prétention des appelantes que les circonstances en cause révèlent la présence d’un contrat de dépôt est fondée sur la présupposition qu’une obligation de soin a été assumée par les intimés moyennant contre partie valable dans le cadre du contrat de transport. Comme je l’ai indiqué, non seulement aucune contrepartie n’a été donnée par l’une ou l’autre des appelantes aux intimés, mais aucun lien contractuel ne les unissait et je suis donc d’avis que doit échouer la prétention des appelantes selon laquelle les intimés se trouvaient dans la situation de dépositaires moyennant rémunération et devaient par conséquent établir que le chaland et la cargaison avaient été endommagés sans négligence de leur part.
Les appelantes, toutefois, allèguent subsidiairement comme moyen distinct que le fait de placer le chaland le long du navire intimé a constitué un dépôt gratuit en vertu duquel les intimés devaient apporter le même soin à la garde des marchandises que celui qu’apporterait ordinairement un homme raisonnable à la garde de ses propres biens. En ce qui concerne cette allégation, il suffit de dire, me paraît-il, que semblable obligation de soin ne peut naître à moins que l’on puisse démontrer que les intimés ont accepté livraison du chaland et de la cargaison et en ont pris possession; même s’il y a quelque indication qu’un guetteur à bord du «Kostis Prois» a «accepté livraison» du représentant de Seaspan qui avait la responsabilité du remorqueur et du chaland, il est clair que la responsabilité du chargement à bord incombait à l’affréteur (Seabord Shipping) et que la possession de la cargaison ne pouvait être transmise au
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«Kostis Prois» qu’à sa livraison à bord. A l’instar du savant juge de première instance, j’adopte les termes utilisés par Lord Esher dans l’arrêt Harris v. Best, Ryley and Company[2], comme s’appliquant au rôle de l’affréteur en la présente espèce (Seaboard Shipping) et je conviens qu’aucune obligation n’incombait au «Kostis Prois» ou à son propriétaire relativement au soin et à la garde de la cargaison de bois tant que cette cargaison était à bord du chaland. Il me paraît clair également que les intimés n’ont en aucun temps accepté livraison ni d’aucune façon acquis la possession du chaland VT 9 et je suis donc convaincu qu’il n’y a eu dépôt ni de la cargaison ni du chaland.
Comme moyen supplémentaire, les appelantes ont prétendu qu’il y avait eu sous-dépôt (sub‑bailment) de la cargaison, fait au nom de Seaboard Lumber, de Seaboard Shipping aux appelantes, et à cet égard on s’est fondé sur l’arrêt Gilchrist Watt & Sanderson Property Limited v. York Products Pty. Limited[3]. Dans cette affaire-là, les propriétaires du navire avaient transporté dans leur navire deux caisses d’horloges appartenant aux demandeurs, de Hambourg à Sydney, où la défenderesse faisait affaires comme stevedore et agent maritime et, à ce titre, avait déchargé les horloges à un quai dont elle avait la direction. Une caisse manquait lorsque les demandeurs sont venus prendre livraison et les demandeurs ont intenté une action alléguant que les marchandises avaient été livrées à la défenderesse pour être tenues sous bonne garde et surveillance et que la défenderesse était responsable en tant que dépositaire bien qu’il n’y ait eu aucun contrat ni acte de reconnaissance fait par les parties. La ratio decidendi de l’arrêt me paraît bien résumée dans l’avant-dernier alinéa de l’avis donné par Lord Pearson au nom du Conseil privé:
[TRADUCTION] Tant pour des raisons de principe qu’en vertu de précédents anciens et récents, il est clair que même s’il n’y a eu ni contrat ni acte de reconnaissance fait par les demandeurs et la défenderesse, cette dernière, en prenant volontairement possession des marchandises des demandeurs, a assumé
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dans les circonstances l’obligation d’en prendre dûment soin et est responsable envers les demandeurs de son manquement à cet égard (ainsi que l’a conclu le juge de première instance). L’obligation est, de toute façon, la même que celle d’un dépositaire (bailee), que l’on puisse ou non la décrire de façon strictement exacte comme étant l’obligation d’un dépositaire. Dans un cas comme celui-ci, l’obligation est créée par la livraison et la prise de possession en vertu d’un sous-dépôt (sub-bailment). Dans les cours anglaises, le mot «bailment» a acquis une acception assez large pour inclure ce cas.
On constatera que l’obligation que mentionne Lord Pearson a été créée «par la livraison et la prise de possession en vertu d’un sous-dépôt.», et comme ces éléments essentiels sont absents dans la présente cause, on ne peut dire qu’une obligation semblable a été créée.
A mon avis, le rapport entre les intimés et les appelantes découlant de l’autorisation que les intimés ont donnée d’amarrer le chaland et sa cargaison le long du navire, est celui qui existe entre un licensor et un licensee, et à cet égard, la situation des intimés est analogue à celle d’un propriétaire de bien-fonds qui permet à un tiers de garer sa voiture sur sa propriété sans que le propriétaire n’assume de responsabilité. Comme l’a dit Sir Wilfrid Greene dans l’affaire Ashby v. Tolhurst[4], p. 249:
[TRADUCTION] …. ce rapport ne comporte en soi aucune obligation du licensor envers le licensee en ce qui concerne la chose qui est laissée là, aucune obligation d’affecter quelqu’un à sa garde,…
Voir aussi l’arrêt Morris v. C.W. Martin & Sons Ltd.[5], de Lord Denning, à la p. 725.
De toute manière, comme il n’y a pas eu de dépôt, le fardeau d’établir que la perte a été causée par la négligence des intimés, ou que cette négligence y a contribué, incombait aux appelantes et, à mon avis, il n’y avait pas de preuve de négligence. Je ne puis accepter la prétention que le chaland avait été amarré au navire de façon négligente par un employé des intimés, ou que les câbles n’étaient pas assez résistants pour subir une tension normale; les câbles, de même que leur fixation, ont été
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approuvés par l’agent de Seaspan et le chaland s’est dégagé parce que ces câbles se sont rompus sous l’effet de la pression de la houle inaccoutumée causée par le départ du navire japonais. La négligence alléguée que l’avocat des appelantes a prétendu attribuer aux intimés tiendrait à ce que le guetteur de nuit a omis de constater la rupture des câbles et, comme je l’ai indiqué, cela n’a pas constitué, à mon avis, de la négligence en l’espèce. D’autres considérations auraient pu s’appliquer s’il y avait eu des preuves d’une négligence active, imputable aux intimés, qui aurait causé la perte ou y aurait contribué, mais, pour les motifs que j’ai indiqués, les intimés n’avaient aucune obligation de faire vérifier les câbles, et comme l’omission de ce faire n’a été qu’un facteur purement passif, les appelantes ne peuvent avoir gain de cause.
Pour tous ces motifs, je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens.
Le jugement des Juges Hall et Laskin a été rendu par
LE JUGE LASKIN (dissident) — J’ai eu l’avantage de lire les motifs de mon collègue le Juge Ritchie et parce qu’il a clairement exposé la plupart des faits pertinents, mes propres motifs seront plus courts. Quelques autres faits seront exposés ci-après. Je pense comme le Juge Ritchie qu’il n’y a eu dépôt en la possession du navire Kostis Prois ni de la cargaison de bois ni du chaland qui la transportait et qui avait été amené le long du navire par un remorqueur appartenant, tout comme le chaland, à Seaspan.
Il ne fait pas de doute d’après la preuve que le navire, sous charte-partie à une compagnie associée avec Seaboard, était prévenu qu’il prendrait une cargaison à son bord, mais il est également clair que la cargaison en cause, la cargaison de bois, devait être chargée à bord du navire par l’affréteur après que celui qui l’avait vendue à Seabord l’aurait amenée le long du navire. Puisqu’il faisait noir à ce moment-là, et que les débardeurs qui devaient transborder le bois du chaland au navire n’étaient pas disponibles, le capitaine du remorqueur a vu à l’amarrage au
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navire du chaland chargé de bois. Il y avait un officier à bord du navire et un matelot qui était de faction a présenté les câbles avec lesquels on devait amarrer le chaland bord à bord, soit un câble de manille d’un pouce de diamètre et un câble métallique d’environ un demi-pouce de diamètre, qui furent attachés à l’arrière, ainsi qu’un câble de manille d’un pouce de diamètre qui fut attaché à l’avant. Le capitaine du remorqueur a estimé que le chaland était bien fixé par ces câbles même s’il ne pouvait voir comment on les attachait à l’extrémité du navire.
A mon avis, le navire fournissait là un poste d’amarrage temporaire pour le chaland, ce qui, même s’il n’en est pas résulté un dépôt, le plaçait dans l’obligation d’exercer un soin et une surveillance raisonnables pour faire en sorte que le chaland reste attaché. Il ne s’agit pas d’un cas où un navire, obligé de charger une cargaison ou s’étant engagé à le faire, fait attendre le chaland porteur avant de prendre la cargaison et le retient amarré à lui dans l’intervalle. Il n’y a pas eu de livraison au navire, mais seulement le long du navire, et tous les intéressés le reconnaissaient. Cette entente, qui n’équivaut pas à un dépôt, n’en plaçait pas moins le navire dans l’obligation de prendre soin du chaland et de sa cargaison jusqu’à ce qu’ils soient pris en charge par l’affréteur ou ses agents pour transborder la cargaison du chaland au navire. La preuve démontre, en plus, que le navire a assumé cette obligation à l’égard de chalands amarrés contre son bord.
L’obligation a commencé, mais ne s’est pas terminée, avec l’amarrage du chaland au navire, ainsi que paraît l’avoir conclu le juge de première instance. Il appartenait à la personne de faction sur le navire de surveiller les câbles, et d’après la preuve, le chaland est demeuré attaché de 10 heures du soir le 23 novembre 1969, moment où les câbles ont été attachés, jusqu’à 6h30 du soir le 24 novembre 1969, heure où ils se sont rompus sous l’effet de la houle soulevée par un autre navire qui laissait un poste d’amarrage avoisinant. La houle a également rompu deux des trois torons de l’amarre de poste qui retenait le Kostis Prois au quai. Deux autres
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chalands étaient attachés au Kostis Prois à ce moment et ils semblent, à cause de la marée descendante, avoir retenu le chaland qui s’est dégagé tôt le lendemain matin à la marée montante. Il a dérivé en direction d’un pont et heurté une pile, ce qui l’a endommagé et a fait basculer une partie de la cargaison de bois par-dessus bord. Le remorqueur d’une autre compagnie a trouvé le chaland endommagé et à la dérive vers 5 heures du matin environ, le 25 novembre 1969.
Le second du Kostis Prois a témoigné qu’il a vu le chaland encore attaché et en place vers 6 heures du soir le 24 novembre 1969, avant de terminer son service. Le changement de marée est survenu à 12h25 du matin le 25 novembre 1969, et le chaland, n’étant plus attaché, a dû commencer à dériver comme la marée montait. La marée haute était à 4h05 du matin. Le matelot qui était de faction durant le quart de nuit, c’est-à-dire de 6 heures du soir à 6 heures du matin, et qui devait, entre autres choses, faire de fréquentes rondes sur le navire, (à tous les dix ou vingt minutes selon le témoignage du capitaine), et garder aussi un œil sur les chalands amarrés le long du navire, n’a pas vu le chaland se dégager; toutefois, vers 5h30 du matin, il a remarqué que le chaland n’était plus là Il semble qu’il ait donné un coup de sifflet pour attirer l’attention d’un remorqueur qui passait, mais sans succès; et il n’a rien fait d’autre.
Je suis d’avis que le navire est responsable de la négligence du guetteur qui n’a pas vu que le chaland était détaché depuis environ 6h30 du soir le 24 novembre 1969, à plus forte raison quand on considère que l’amarre de poste fixée au quai s’était partiellement rompue à cause de la houle soulevée par le navire avoisinant. Même si l’on peut difficilement affirmer que la collision avec la pile aurait pu être évitée si l’on établit que le manquement à l’obligation s’est produit au moment où le guetteur a vu le chaland à la dérive et actionné le sifflet du navire, l’obligation de surveillance continue qu’il avait et le fait que près de quatre heures se sont écoulées entre l’heure où la marée a changé et l’heure où elle a atteint son niveau maximum me
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convainquent que le guetteur a manqué à son obligation en ne découvrant pas beaucoup plus tôt que le chaland s’était détaché. Le dommage qui a été causé aurait probablement été évité si le guetteur avait exercé la surveillance qui s’imposait.
En conséquence, j’accueillerais l’appel avec dépens, j’infirmerais le jugement du Juge Sheppard et j’ordonnerais que les appelantes obtiennent jugement pour le montant de leurs dommages, avec dépens.
Appel rejeté avec dépens, les JUGES HALL et LASKIN étant dissidents.
Procureurs des demanderesses, appelantes: Owen, Bird & McDonald, Vancouver.
Procureurs des défendeurs, intimés: Macrae, Montgomery, Hill & Cunningham, Vancouver.
[1] 2 Ld. Raym. 909.
[2] (1892), 68 L.T. 76.
[3] [1970] 3 All. E.R. 825.
[4] [1937] 2 K.B. 242.
[5] [1966] 1 Q.B. 716.