Cour suprême du Canada
Donolo Inc. c. Grover et al., [1974] R.C.S. 42
Date: 1973-04-02
Louis Donolo Inc. (Demanderesse) Appelante;
et
Hyman Grover et al. (Défendeurs) Intimés.
1973: le 12 février; 1973: le 2 avril.
Présents: Le Juge en Chef Fauteux et les Juges Abbott, Judson, Pigeon et Laskin.
EN APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE, PROVINCE DE QUÉBEC
APPEL d’un jugement de la Cour du banc de la reine, province de Québec, confirmant un jugement de la Cour supérieure. Appel rejeté.
G.L. Echenberg, pour la demanderesse, appelante.
J.J. Robinson, pour les défendeurs, intimés.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE PIGEON — Ce pourvoi est à l’encontre d’un arrêt unanime de la Cour d’appel du Québec qui a confirmé le jugement rendu en
[Page 44]
première instance par M. le Juge Yves Leduc de la Cour supérieure. Ce jugement a accueilli la demande principale pour $11,000, la demande reconventionnelle et la demande reconventionnelle incidente pour $14,381.20 et prononcé la compensation. Ce dont l’appelante se plaint c’est qu’on lui a refusé sur la demande principale une somme de $6,049.96 réclamée pour intérêts et l’a condamnée sur la reconvention à payer des dommages pour vices de construction.
Le 20 octobre 1959, l’intimé Grover a donné à l’appelante un contrat à forfait pour la construction de CHEQUERS PLACE, un bel immeuble de rapport à douze étages, rue Sherbrooke, à Westmount. Le bâtiment était livrable le 28 février 1961. Bien qu’il ne fût pas alors parachevé, l’appelante qui voulait s’affranchir le plus tôt possible des frais courants, demanda au propriétaire de les assumer et de considérer l’immeuble disponible pour location dès le 6 février. Le propriétaire accepta cette proposition à compter du 1er mars, l’entrepreneur fixant au 15 mars la date de parachèvement. Des difficultés survinrent et il s’écoula plus d’un an avant que l’architecte ne délivre le certificat pour le paiement final du solde du prix. Ce certificat porte la date du 23 mai 1962 et il fut donné à la suite d’une longue discussion entre le propriétaire et les représentants de l’entrepreneur en présence de l’architecte. Comme on n’était pas parvenu à s’entendre complètement, l’architecte adressa au propriétaire la lettre suivante:
[TRADUCTION] Suite à la réunion tenue mardi le 22 mai, nous vous remettons par les présentes un certificat complet et final au montant de $36,000.00.
Veuillez toutefois prendre note que du montant certifié, vous devez retenir une somme de $11,000.00 pour couvrir certains défauts non encore réglés et certains détails qui font encore l’objet de discussions. Dès que les détails signalés au cours de la réunion susmentionnée auront été résolus à la satisfaction de toutes les parties, vous pourrez alors verser les derniers $11,000.00 ou ce qui en restera dû.
L’action principale intentée le 25 octobre 1963 réclame, en outre de la somme de $11,000 ci‑dessus mentionnée, un montant de $6,049.96
[Page 45]
pour des intérêts que l’on dit être dus parce que les paiements partiels prévus par le contrat n’auraient pas été faits en temps. A l’encontre de cette action, il y eut un plaidoyer niant l’exigibilité des intérêts et réclamant pour la mauvaise exécution des travaux, des dommages au montant de $63,000. Ces mêmes dommages furent aussi réclamés par une demande reconventionnelle qui fut suivie, le 30 novembre 1964, d’une demande reconventionnelle incidente réclamant une somme de $13,375 pour dommages découlant de l’installation défectueuse de plus de deux cents panneaux de verre («spandrels») sur les murs extérieurs. Deux de ces panneaux s’étaient détachés de la façade au début de l’été 1964.
Comme on l’a vu, le premier juge a accueilli la demande principale, sauf pour les intérêts. Il a également accueilli les deux demandes reconventionnelles: la première pour la somme de $14,073, soit $800 pour défauts de construction permettant l’infiltration d’eau dans le sous-sol et $13,273 pour les travaux nécessaires pour empêcher la formation de givre à l’intérieur des fenêtres; la seconde pour $308.20, soit le coût du remplacement des deux panneaux détachés de la façade en 1964 et non pas de tous les panneaux, l’entrepreneur ayant remplacé à ses frais les trois panneaux qui s’étaient détachés en 1961.
Au sujet des intérêts, on trouve quant aux paiements partiels à faire au cours de l’exécution des travaux la disposition suivante à l’art. III du contrat:
[TRADUCTION] Le propriétaire est tenu:
…
b) de verser des acomptes… suivant le certificat de l’architecte, comme suit: —
le dixième jour de chaque mois ou avant, quatre-vingt-cinq pour cent (85%) de la valeur, proportionnellement au montant du contrat, de la main-d’œuvre et des matériaux incorporés dans l’ouvrage ou livrés sur place jusqu’au premier jour de ce mois, tel qu’estimé par l’entrepreneur et approuvé par l’architecte, moins le total des paiements précédents;
[Page 46]
Ensuite dans les conditions générales du contrat on trouve aux articles 25 et 26 les dispositions suivantes:
[TRADUCTION] Article 25. Demandes de paiements. — L’entrepreneur doit présenter à l’architecte une demande relative à chaque paiement et, si on l’exige, des reçus ou d’autres pièces justificatives attestant ses paiements pour la main-d’œuvre et les matériaux, y compris ceux qui sont sur place mais qui ne sont pas encore incorporés dans l’ouvrage, et les paiements faits aux sous-entrepreneurs et pour toute obligation de laquelle il est responsable et qui pourrait être imputable au propriétaire si elle n’était pas acquittée.
Si les paiements sont faits selon une évaluation du travail accompli, les demandes doivent être présentées au moins cinq jours avant l’échéance de chaque paiement….
Article 26. Certificats et paiements. — Si l’entrepreneur a fait une demande comme il est prévu ci-dessus, l’architecte doit, au plus tard le jour où chaque paiement est dû, délivrer à l’entrepreneur un certificat conformément à l’art. III de la convention, mais pareil certificat peut prévoir des retenues suffisantes pour protéger le propriétaire contre tous les privilèges et peut être différé si l’architecte a été avisé que des paiements dus aux sous-entrepreneurs n’ont pas été faits.
Les parties ont versé au dossier un document dans lequel elles conviennent de ce qui suit:
[TRADUCTION] a) Si l’intérêt court à partir du dixième jour de chaque mois, indépendamment de la date du certificat de l’architecte, dans pareil cas, le défendeur doit vraiment au demandeur le montant réclamé, soit $6,049.69; ou
b) Si l’intérêt court à partir du dixième jour après la date de la demande de paiement faite par l’entrepreneur, indépendamment du certificat de l’architecte, en pareil cas, le défendeur doit vraiment au demandeur la somme réclamée, soit $6,049.69, mais
c) Si, au contraire, l’intérêt ne commence à courir que le dixième jour du mois suivant la date du certificat de l’architecte, en pareil cas, le défendeur ne doit aucun intérêt au demandeur et la réclamation du demandeur en vue d’obtenir l’intérêt au montant de $6,049.69 doit être rejetée.
Le premier juge a statué que le propriétaire n’étant obligé de payer que sur le certificat de l’architecte, l’intérêt ne courait pas avant la date
[Page 47]
de ce certificat. La Cour d’appel a été du même avis et je ne vois pas comment l’on pourrait décider autrement. En l’absence d’une stipulation au contraire, la règle qu’il faut appliquer c’est celle de l’art. 1077 C.C. qui se lit comme suit:
Art. 1077. Dans les obligations pour le paiement d’une somme d’argent, les dommages‑intérêts résultant du retard ne consistent que dans l’intérêt au taux légalement convenu entre les parties, ou en l’absence de telle convention, au taux fixé par la loi.
Ces dommages-intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de prouver aucune perte. Ils ne sont dus que du jour de la mise en demeure, excepté dans les cas où la loi les fait courir plus tôt, à raison de la nature même de l’obligation.
Le présent article n’affecte point les règles spéciales applicables aux lettres de change et aux cautionnements.
A l’art. 1069, on lit:
Art. 1069. Dans tout contrat d’une nature commerciale, où un terme est fixé pour l’accomplir, le débiteur est en demeure par le seul laps de temps.
Même si l’on applique cette disposition, le propriétaire ne devient certainement pas en demeure de payer avant que le certificat d’architecte ait été délivré puisque, suivant le contrat, il n’a pas d’obligation de payer sans ce certificat. L’article III est en lui-même parfaitement clair à ce sujet. Il m’est tout à fait impossible de trouver dans les clauses générales quoi que ce soit qui puisse permettre de conclure que le propriétaire est obligé de payer avant la délivrance du certificat de l’architecte. Par ailleurs, il n’y a rien qui stipule que les intérêts commenceront à courir avant la délivrance du certificat. C’est donc à bon droit que la Cour d’appel a confirmé la décision du premier juge sur ce point. Vu cette conclusion, il n’est pas nécessaire de rechercher si le pourvoi a été valablement formé sans autorisation spéciale à l’encontre du jugement sur la demande principale où le montant en litige est inférieur à $10,000. Il est vrai que le tribunal a adjugé en même temps sur la reconvention, mais il n’est pas clair que ce n’était pas un litige distinct suivant le Code de procédure alors en vigueur.
[Page 48]
Pour ce qui est maintenant du coût des travaux à faire pour empêcher le givre sur les fenêtres en hiver, la preuve a démontré qu’il en résultait des ennuis sérieux pour les occupants de ces appartements de luxe. L’architecte Freedlander a témoigné qu’en 1961, 1962 et 1963 au moins, il a examiné la situation à ce point de vue et recherché différents moyens d’y remédier. Il a fait des essais, il a fait venir des ingénieurs comme consultants. Ceux-ci ont recommandé d’améliorer la circulation de l’air entre la vitre intérieure et la vitre extérieure des fenêtres sur laquelle le givre se formait.
Le propriétaire s’est finalement adressé à un spécialiste, un nommé Beer. Celui-ci a tout d’abord essayé de placer dans certaines fenêtres le dispositif recommandé pour améliorer la circulation de l’air. Cela n’a donné aucun résultat. Il a alors, en 1964, dans un appartement inoccupé, enlevé les radiateurs placés sous les fenêtres, défait la paroi derrière et examiné l’isolant installé sur le mur extérieur. Il a ainsi découvert que cet isolant n’était pas fixé convenablement et qu’il y avait du jeu alentour. Il a donc cimenté cet isolant et réparé la paroi derrière les radiateurs qu’il a finalement réinstallés. Ce travail fait, il a constaté en surveillant attentivement pendant trente jours, qu’il ne se formait plus de givre sur aucune des six fenêtres de cet appartement-là tandis qu’il y en avait ailleurs. La preuve faite au procès a révélé que l’amélioration s’était maintenue l’hiver suivant alors que l’appartement était occupé normalement tandis que les fenêtres continuaient à givrer ailleurs. Le premier juge a trouvé cette démonstration concluante et à juste titre. Il a accordé de ce chef non seulement le coût de la réparation dans l’appartement où l’essai avait été effectué, mais aussi le coût estimé du travail à faire dans une soixantaine d’autres appartements où l’on avait à souffrir du givre en hiver et où il semblait logique de présumer qu’il était dû à la même cause.
A l’encontre de cette décision, l’avocat de l’appelante a soutenu tout d’abord qu’il n’y avait pas lieu en l’instance d’accorder une indemnité aux intimés pour ces travaux qui n’étaient vrai-
[Page 49]
ment pas indispensables puisque, lorsque la cause a été instruite, ils n’avaient pas encore jugé à propos de les faire exécuter. Dans Donolo c. St. Michel Realties, cette Cour n’a pas hésité, le 13 juin dernier, à rejeter le pourvoi formé contre l’arrêt de la Cour d’appel[1] accordant une somme considérable pour le coût de la réparation d’une construction défectueuse, bien que la majeure partie des travaux à faire n’eût pas encore été effectuée.
Dans la présente cause, on a principalement soutenu qu’il ne s’agit pas d’une perte partielle de l’ouvrage au sens de l’art. 1686 C.C., mais uniquement de malfaçons pour lesquelles le propriétaire serait sans recours parce que ces défauts seraient couverts par la réception de l’ouvrage. De part et d’autre, on a fait une revue élaborée de la jurisprudence sur cette question. L’avocat des intimés soutient que la prépondérance de la jurisprudence est à l’encontre de l’opinion de la majorité dans Lapointe c. Perkins[2], arrêt qui est, pour ainsi dire, le fondement principal de la thèse de l’appelante. Il y aurait sans doute beaucoup à dire sur cette question-là mais, en l’instance, il me paraît que ce n’est pas d’après une théorie générale qu’il faut statuer mais, à l’instar du premier juge, par application des dispositions spéciales du contrat intervenu entre les parties. En particulier, il faut se reporter à l’article suivant des clauses générales:
[TRADUCTION] Article 16. Réparations après le paiement final. — Ni le certificat final ni le paiement s’y rapportant, ni aucune disposition du contrat ne libérera l’entrepreneur de la responsabilité pour matériaux défectueux ou malfaçons qui se manifestent pendant l’année qui suit l’achèvement en substance de l’ouvrage et il devra remédier à tous les défauts qui y sont attribuables et payer tous les dommages causés à un autre ouvrage qui en résultent et qui se manifestent dans l’année. Le propriétaire devra promptement donner avis de tout défaut observé. Les différends qui pourront découler du présent article seront décidés comme il est prévu aux articles 10 et 42. Nonobstant les dispositions du présent article, si quelque loi en vigueur dans la province où le travail est exécuté ou quelque article du Code civil du Québec, dans le cas d’un travail exécuté dans la
[Page 50]
province de Québec, prescrit une responsabilité plus étendue relativement aux matériaux défectueux et aux malfaçons, il y aura alors lieu d’appliquer pareille loi ou pareil article du Code civil.
La preuve démontre sans contradiction que le givrage excessif à l’intérieur des fenêtres s’est manifesté dès le premier hiver après l’achèvement en substance des travaux, achèvement dont on a fixé la date au 15 mars 1961. D’un autre côté, ce n’est que beaucoup plus tard, soit au début de l’année 1964, que la cause de la défectuosité a été découverte. L’entrepreneur peut-il, parce qu’il s’agit d’un défaut caché à l’intérieur des murs, se retrancher derrière le fait qu’on ne l’a repéré qu’au bout de trois ans, alors que les inconvénients qui en découlent se sont manifestés pendant la période fixée au contrat? Je ne le crois pas.
Je veux bien admettre qu’il ne s’agit pas ici d’une perte partielle au sens de l’art. 1686 C.C. puisque la stabilité du bâtiment n’est pas compromise. La situation n’est pas la même que pour les deux panneaux de verre qui se sont détachés de la façade. La preuve ne démontre pas que le givre sur les fenêtres fait plus que causer des inconvénients. D’un autre côté, une preuve tout à fait concluante démontre que ce défaut découle de ce que le contrat appelle «faulty materials or workmanship» et il s’est manifesté pendant l’année qui a suivi l’achèvement en substance de l’ouvrage. Cependant, parce qu’il était caché à l’intérieur des murs, on n’est pas parvenu à en connaître la nature exacte pendant cette période-là. A mon avis, la manifestation du symptôme pendant l’année devrait suffire dans un cas semblable pour donner lieu à l’application de la cause précitée même si l’on ne réussit que plus tard à faire le diagnostic.
Il reste une dernière objection à considérer. C’est l’effet de l’entente conclue en présence de l’architecte le 22 mai 1962 et à laquelle fait suite sa lettre du lendemain. L’appelante soutient qu’il a alors été convenu que le propriétaire n’aurait de recours que pour ce qui est mentionné dans l’espèce de procès-verbal rédigé par
[Page 51]
l’architecte et intitulé «memorandum of special meeting». On y trouve la phrase suivante:
[TRADUCTION] Toutes les parties ont convenu que l’architecte délivrera un certificat complet et final d’achèvement des travaux et joindra une lettre avisant le propriétaire de retenir sur ce certificat final un montant de $11,000.00 pour couvrir toutes les questions en litige, conformément au présent rapport.
Le document est rédigé en paragraphes numérotés de 1 à 14. Chacun d’eux constate la décision prise en regard du paragraphe correspondant d’un mémoire rédigé par le propriétaire en vue de la réunion et qui est intitulé «Highlights for the final meeting». Plusieurs paragraphes de ce mémoire ne décrivent l’objet de la récrimination que par renvoi à une précédente liste de défauts. Comme ces listes antérieures ne sont pas au dossier, on ne se trouve pas en présence d’une énumération complète.
D’ailleurs il est certain qu’il n’y a vraiment pas eu entente complète entre les parties. On a indubitablement déterminé le solde du prix du contrat et fixé ce qui serait payable immédiatement mais, pour le surplus, le désaccord a subsisté. On s’est tellement peu préoccupé de définir limitativement les réclamations du propriétaire que le dernier paragraphe du procès-verbal de la réunion du 22 mai 1962 se lit comme suit:
[TRADUCTION] Ces questions n’ont pas été discutées puisque les personnes présentes étaient d’avis que la plupart avaient déjà fait l’objet de discussion et, au mieux de leur connaissance, été résolues en majeure partie.
Pour ces motifs, je ne vois pas d’erreur dans la décision de la Cour supérieure confirmée par la Cour d’appel et je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.
Appel rejeté avec dépens.
Procureurs de la demanderesse, appelante: Chait, Salomon, Gilber, Reis & Bronstein, Montréal.
Procureurs des défendeurs, intimés: Robinson, Sheppard & Shapiro, Montréal.
[1] [1971] C.A. 536.
[2] (1927), 43 K.B. 168.