Cour suprême du Canada
Roman Corp. c. Hudson’s Bay Oil & Gas Co., [1973] R.C.S. 820
Date: 1973-05-07
Roman Corporation Limited et Stephen B. Roman (Demandeurs) Appelants;
et
Hudson’s Bay Oil and Gas Company Limited, le Très Honorable Pierre E. Trudeau et l’Honorable John J. Greene (Défendeurs) Intimés.
1973: le 28 février et les 1 et 2 mars; 1973: le 7 mai.
Présents: Le Juge en Chef Fauteux et les Juges Abbott, Martland, Judson, Ritchie, Spence et Laskin.
EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.
APPEL d’un jugement de la Cour d’appel de l’Ontario[1], confirmant un jugement du Juge Houlden. Appel rejeté.
J. Sedgwick, c.r., P.B.C. Pepper, c.r., et P.S.A. Lamek, pour les demandeurs, appelants.
J.T. Weir, c.r., et B. Finlay, pour les défendeurs, intimés.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE MARTLAND — Les appelants ont intenté un procès aux intimés en Cour suprême de l’Ontario, réclamant, contre les intimés qui sont des particuliers, ci-après appelés «les intimés», une déclaration que ces derniers ont commis un délit civil ou des délits civils contre les appelants, et demandant des dommages-intérêts au montant de 104 millions. Contre la compagnie intimée, ci-après appelée «la compagnie Hudson’s Bay», ils ont demandé une déclaration qu’un accord entre les appelants et ladite compagnie, en date du 24 février 1970, était un contrat valide et existant liant les parties. Les délits civils censés avoir été commis par les intimés sont les suivants:
(i) provocation ou tentative de provocation illicite d’une rupture dudit contrat;
(ii) complot en vue de faire du tort aux appelants;
(iii) intimidation à l’encontre des appelants; et
(iv) ingérence dans les intérêts économiques des appelants.
A l’appui de leurs réclamations, les appelants allèguent les faits suivants: la compagnie Hudson’s Bay est constituée en vertu des lois du Canada et son bureau principal est à Calgary (Alberta). Un nommé John C. McLean était à toutes les époques en cause membre du conseil d’administration de la compagnie Hudson’s Bay
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et, aussi, président de la compagnie Continental Oil, qui détenait plus de 60 pour cent des actions ordinaires en circulation de la compagnie Hudson’s Bay. Le 24 février 1970, l’appelant Roman, agissant au nom de la compagnie appelante, en son nom propre et au nom de certains autres actionnaires de Denison Mines Limited, ci-après appelée «Denison», a conclu un accord verbal avec John C. McLean, agissant au nom de la compagnie Hudson’s Bay, en vue de la vente par les appelants à la compagnie Hudson’s Bay d’actions qu’ils possédaient ou contrôlaient dans Denison, au prix de $65 l’action pour un nombre maximum d’actions de 1,600,000. Le prix d’achat devait être versé, pour environ la moitié, en espèces lors de la clôture du marché avec, en plus, des actions privilégiées de la compagnie Hudson’s Bay d’une valeur nominale globale d’environ 10 millions, et le solde devait être versé le 15 février 1971. Le temps prévu pour la clôture était la fin de mars 1970. Le temps n’était pas un élément essentiel du contrat. La vente visait environ 38 pour cent des actions en circulation de Denison, laquelle exploite une mine à Elliot Lake (Ontario), pour la production d’oxyde d’uranium.
Bien qu’on ne l’ait pas spécifiquement allégué, personne ne conteste que la compagnie Continental Oil est une corporation américaine contrôlée par des étrangers.
L’exposé de la demande continue en faisant état d’une communication faite à la Chambre des communes le 2 mars 1970 par l’intimé, le très honorable Pierre E. Trudeau, premier ministre, ci-après appelé «le Premier ministre», portant que le gouvernement canadien avait eu vent de l’accord susmentionné et qu’il s’inquiétait du fait qu’une quantité considérable d’actions de Denison puisse passer en des mains étrangères. Le Premier ministre avait alors informé la Chambre que le Gouvernement, au besoin, présenterait un projet de loi visant à modifier la Loi sur le contrôle de l’énergie atomique afin d’empêcher le marché. On allègue qu’à la fin de mars 1970 les procureurs des parties avaient terminé la rédaction d’un contrat en bonne et due forme, mais que la signature du
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contrat a été retardée à la lumière de cette communication.
L’appelant Roman a rencontré le Premier ministre le 4 mars 1970 et il lui a donné les détails de la vente projetée. Le Premier ministre lui a dit que les appelants seraient informés des lignes de conduite que déciderait le Gouvernement.
Le 19 mars 1970, le Premier ministre informa M. Roman par télégramme que le marché projeté ne serait pas acceptable au Gouvernement dans le cadre des lignes de conduite annoncées ce jour-là par l’intimé, l’honorable John J. Greene, Ministre de l’Énergie, des Mines et des Ressources, ci-après appelé «le Ministre». D’après cette déclaration du Ministre faite à la Chambre des communes, le Gouvernement devait édicter des règlements imposant des restrictions sur le contrôle de mines ou d’usines d’uranium au Canada par des propriétaires étrangers.
Le 18 septembre 1970, le Ministre, dans un communiqué émis par son bureau, déclara que, afin de mettre en œuvre la politique gouvernementale, une loi était nécessaire, et que, en attendant cette loi, certaines catégories de marchés concernant l’industrie de l’uranium au Canada seraient approuvées. Dans le communiqué lui-même, on dit ceci:
La première catégorie comprend les cas qui, selon une entente légale déjà en vigueur, devaient transférer avant le 2 mars 1970 des intérêts utiles dans une compagnie d’uranium au Canada d’une partie à une autre. Ces ententes pourront être exécutées selon les termes prévus.
L’exposé de la demande allègue ensuite que jusqu’à la date de l’exposé (1er décembre 1970) aucun règlement n’avait été édicté, ni aucun projet de loi déposé. On fait valoir que les appelants et la compagnie Hudson’s Bay n’ont pas complété le marché à cause des déclarations faites par les intimés.
Avant que soit émis l’exposé de la demande, Denison avait, le 1er octobre 1970, émis contre le Procureur général du Canada un bref d’assi-
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gnation demandant une déclaration que la Loi sur le contrôle de l’énergie atomique, S.R.C. 1952, c. 11, modifiée, était ultra vires.
Après qu’eut été émis l’exposé de la demande, le 18 janvier 1971, un bref d’assignation fut émis par les appelants contre le Ministre et la Commission de contrôle de l’énergie atomique pour tenter d’obtenir, dans le cas du Ministre, une déclaration qu’il n’existe pas d’obstacle, sous l’empire des lois du Canada, à ce que les appelants vendent leurs actions dans Denison, et, dans le cas de la Commission, une déclaration que celle-ci n’était pas tenue d’exécuter ou mettre en œuvre les lignes de conduite contenues dans le communiqué du Ministre en date du 18 septembre 1970, et n’avait pas le droit de ce faire.
Le 23 décembre 1970, les intimés ont demandé que soit rendue une ordonnance rayant certains passages de l’exposé de la demande pour le motif qu’ils étaient de nature à nuire à une audition équitable de l’action, ainsi qu’une ordonnance de rejet de l’exposé de la demande pour défaut de cause d’action raisonnable, concluant au rejet de l’action quant aux intimés.
Dans les motifs de jugement du savant juge qui a entendu la requête, on dit:
[TRADUCTION] Cette requête aurait pu être plaidée en faisant valoir que, lorsqu’ils ont agi comme on l’allègue dans l’exposé de la demande, les défendeurs Trudeau et Greene ne faisaient qu’exécuter leurs fonctions de premier ministre du Canada et de ministre de la Couronne. Les demandeurs déclarent ne pas mettre en question la bonne foi des défendeurs et il n’y a dans l’exposé de la demande aucune allégation selon laquelle les défendeurs auraient agi avec intention délictueuse ou pour des motifs de gain personnel. Toutefois, les avocats des défendeurs Trudeau et Greene ont jugé à propos de contester la requête en s’appuyant sur des moyens plus restreints et, par conséquent, je traiterai cette requête d’après les arguments présentés à la Cour.
Les moyens plus restreints qu’il mentionne sont la prétention que les déclarations faites à la Chambre des communes sont des déclarations privilégiées et que les déclarations contenues
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dans le télégramme du Premier ministre en date du 19 mars, ainsi que dans le communiqué de presse du Ministre en date du 18 septembre, sont un prolongement des déclarations faites à la Chambre des communes. Le savant juge a retenu cette prétention et il a rayé les paragraphes de l’exposé de la demande qui sont mentionnés dans l’avis de requête. Cependant, il a poursuivi en disant:
[TRADUCTION] Les avocats des demandeurs soutiennent que leurs clients ont été traités injustement et que le fait que dans le passé aucun tribunal n’a accordé de redressement dans des circonstances semblables n’est pas une raison qui empêche la Cour de reconnaître une nouvelle cause d’action, comme on l’a fait dans des affaires telles que l’affaire Hedley Byrne and Co. Ltd. v. Heller and Partners Ltd., [1964] A.C. 465; [1963] 2 All E.R. 575. Ils soutiennent que, en conséquence des actes posés par les défendeurs Trudeau et Greene, les demandeurs ont subi de lourdes pertes et devraient avoir la possibilité de soumettre leur cause devant un tribunal en vue d’être indemnisés. Si j’avais un doute quelconque quant à la question de savoir si, oui ou non, les demandeurs ont une cause d’action, je devrais, bien entendu, refuser cette requête et laisser trancher ce point par le juge du procès. Toutefois, après une étude attentive de l’exposé de la demande, je suis convaincu que les demandeurs n’ont pas de cause d’action contre les défendeurs Trudeau et Greene.
Il est de l’essence de notre régime parlementaire de gouvernement que nos représentants élus soient capables d’exécuter leurs fonctions courageusement et résolument selon ce qu’ils considèrent être le plus grand bien du Canada, libres de toute appréhension d’être appelés à rendre des comptes où que ce soit, excepté au Parlement. Comme je l’ai déjà fait remarquer plus haut dans le présent jugement, il n’y a aucune allégation que les défendeurs Trudeau et Greene ont agi avec intention délictueuse ou dans un but de gain personnel; leur bonne foi n’est pas du tout mise en doute. Sûrement, les actes qu’on leur reproche dans l’exposé de la demande sont exactement ceux qu’on pouvait attendre de personnes dans leur situation, lorsque mises en face d’un marché qu’elles croyaient préjudiciable au plus grand bien du pays.
Il a conclu que l’action, en ce qui a trait aux intimés, doit être rejetée avec dépens.
La Cour d’appel, par décision unanime, a rejeté l’appel interjeté de ce jugement par les
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appelants. Traitant des déclarations faites à la Chambre des communes, M. le Juge d’appel Aylesworth, s’exprimant au nom de la Cour, a dit ceci:
[TRADUCTION] Pour ce qui est de la première catégorie, je suis respectueusement d’accord avec le savant juge de première instance que les intimés ne peuvent être appelés à répondre, devant une cour de justice ordinaire, à des allégations concernant des déclarations faites par eux à la Chambre des communes. Depuis plus de cent ans, nulle cour du genre n’a pris en considération une action fondée sur de telles déclarations, statuant que c’est le privilège absolu de la Chambre elle-même de traiter ces déclarations comme elle le juge à propos. Bien entendu, je me limite pour l’instant à des déclarations faites de bonne foi à la Chambre et à la conduite des affaires de la Chambre, ce qui est précisément le cas des deux déclarations directement à l’étude et décrites comme s’insérant dans la première catégorie que j’ai exposée.
Abordant la question des déclarations faites hors de la Chambre des communes, il a dit:
[TRADUCTION] Qu’y a-t-il de délictueux dans les actes qu’auraient posés les intimés lors de la réunion? En qualité de ministres de la Couronne responsables, ils ont expliqué à l’appelant Roman, une partie intéressée au premier chef, la politique du Gouvernement annoncée en Chambre, à savoir, que «le Gouvernement présentera, au besoin, un projet de loi visant à modifier la Loi sur le contrôle de l’énergie atomique, et qui entrerait en vigueur dès aujourd’hui, afin d’éviter qu’une telle transaction ait lieu», et, soutient-on, ont convenu de ce que le Gouvernement «devrait» faire pour venir en aide aux appelants. De l’aveu général, leurs intentions en ce qui a trait à tout ce qu’ils ont dit et tout ce qu’ils ont fait étaient empreintes de bonne foi et favorisaient ce que, comme ministres de la Couronne, ils pensaient être dans l’intérêt public. En outre, la Cour peut prendre judiciairement connaissance du fait bien connu que le sujet dont il est ici question, soit la mainmise étrangère sur les ressources canadiennes, était et est encore une question d’intérêt public. La justification légale des actes qu’ils auraient posés lors de la réunion devient alors si évidente qu’elle écarte complètement tout fondement que ce soit à une action pour délit civil basée sur une incitation à rompre un contrat (s’il y a bien eu incitation, par opposition à un simple conseil), un complot, de l’intimidation ou sur une autre cause.
Bien qu’une bonne part de ce qui ait déjà été dit s’applique également à elles, j’aborde à présent les
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prétentions relatives au télégramme envoyé à l’appelant Roman par l’intimé Trudeau, et au communiqué de presse émis par l’intimé Greene. Le savant juge de première instance a vu dans ces actes ou déclarations des intimés un simple prolongement des déclarations faites par ces derniers à la Chambre et, par conséquent, il a estimé que lesdits actes ou déclarations étaient protégés par privilège absolu au même titre que les communications faites à la Chambre même. En d’autres mots, ces actes étaient, par essence, des «délibérations du parlement» suivant le sens et l’application que les tribunaux ont donnés à cette expression consacrée. Là encore, je suis respectueusement d’accord.
C’est de ce jugement que l’appel est interjeté à cette Cour. Sans être en désaccord avec les vues exprimées dans les cours d’instance inférieure en ce qui a trait au privilège qui s’attache aux déclarations faites devant le Parlement, je préférerais considérer l’appel d’après la question plus large sur laquelle les autres cours ont aussi exprimé une opinion. Il s’agit de la question de savoir si les appelants ont une cause d’action pour ne pas avoir complété avec la compagnie Hudson’s Bay le contrat prévoyant la vente à cette dernière de leurs actions dans Denison à cause de déclarations faites de bonne foi par les intimés, tous deux ministres de la Couronne, sur l’intention du Gouvernement du Canada de prendre des mesures par voie de réglementation ou de législation pour empêcher que le contrôle des ressources du Canada en uranium passe de mains canadiennes en mains étrangères.
Je signale tout de suite que la réclamation des appelants, n’est pas, dans sa forme, une réclamation fondée sur une perte de bénéfices due à de l’ingérence dans leurs intérêts commerciaux. Le montant réclamé dans la demande en dommages-intérêts s’élève à $104,000,000, soit le prix d’achat total des actions que l’on projetait de vendre. Les appelants possèdent encore ces actions et il est impossible d’imaginer que la compagnie Hudson’s Bay aurait payé ce montant pour des actions qui n’ont aucune valeur actuelle dans les mains des appelants.
Je signale aussi, en passant, que la déclaration énonçant des lignes de conduite faite par le
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Ministre le 18 septembre 1970 prévoyait qu’un accord légal signé et obligatoire intervenu avant le 2 mars 1970 en vue du transport d’un droit de bénéficiaire dans une mine d’uranium au Canada pourrait être mis à exécution. Les appelants, dans leur exposé de demande, allèguent qu’un accord verbal liant légalement les parties en vue de la vente d’actions de Denison a été fait le ou vers le 24 février 1970, comme en fait foi un mémoire signé par Stephen B. Roman et John C. McLean.
Les appelants prétendent que les intimés ont illicitement provoqué une rupture de contrat entre les appelants et la compagnie Hudson’s Bay. Il n’y a, toutefois, aucune allégation que la compagnie Hudson’s Bay s’est rendue coupable de rupture relativement à son contrat avec les appelants. Au contraire, les appelants demandent, contre la compagnie Hudson’s Bay, une déclaration que l’accord du 24 février 1970 constitue un contrat valide et qui subsiste encore entre les parties. Ce qui est arrivé, comme on l’allègue dans les plaidoiries écrites, c’est que les parties n’ont pas, suite aux déclarations des intimés, vu à compléter leur accord. Il est clair qu’il en fut ainsi parce qu’elles appréhendaient qu’une législation par voie réglementaire ou législative serait adoptée pour empêcher que le contrôle de ressources canadiennes en uranium passe de mains canadiennes en des mains étrangères.
Si une législation valide à cette fin était adoptée et qu’elle empêchait l’exécution d’un contrat de transfert d’un tel contrôle, il n’y a pas de doute que les parties à l’accord n’auraient pas de cause d’action découlant de l’adoption de semblable législation. Un énoncé de politique fait de bonne foi par un ministre de la Couronne relativement à l’intention du gouvernement d’adopter une législation du genre ne peut, à mon avis, donner lieu à une réclamation délictuelle pour incitation à rupture de contrat, si les parties au contrat choisissent, à la lumière de cet énoncé, de ne pas exécuter le contrat.
Les appelants invoquent également un recours délictuel fondé sur l’intimidation. Pour avoir gain de cause sur ce chef, il faudrait que
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les faits invoqués par les appelants fassent voir qu’ils ont subi un dommage à cause d’une menace d’acte illicite faite par les intimés. A mon avis, on ne peut pas dire qu’une déclaration faite de bonne foi par un ministre de la Couronne sur la politique du gouvernement et l’intention de mettre cette politique en œuvre au moyen d’une législation appropriée constitue une menace d’acte illicite. Au contraire, la divulgation de cette politique de temps à autre fait partie des devoirs qu’a un ministre envers le public.
Les appelants allèguent que les intimés ont comploté en vue de faire du tort aux appelants. L’arrêt anglais qui fait autorité en matière de délits de complot est celui rendu dans l’affaire Crofter Hand Woven Harris Tweed Company, Limited v. Veitch[2]. Si l’on suppose que, vu les faits allégués, il soit possible d’affirmer que les intimés se sont coalisés, les faits n’établissent pas une coalition qui donnerait lieu au délit de complot. J’appliquerais la déclaration de Lord Simon dans l’affaire susmentionnée, pp. 444 et 445:
[TRADUCTION] La question à trancher en déterminant si une coalition ayant pour but de poser un acte qui cause un dommage à autrui donne matière à procès, même si une personne l’accomplissant seule ne pourrait pas être poursuivie pour cet acte, n’est pas: [TRADUCTION] «les parties ont-elles compris, ou devraient-elles être traitées comme comprenant, que d’autres personnes auraient à souffrir de leur acte», mais bien «quel est le vrai motif pour lequel elles l’ont posé?» Ou, comme le dit Lord Cave, «quel est le but véritable de la coalition?» Le critère n’est pas de savoir quelle est la conséquence naturelle pour les demandeurs d’un tel acte concerté, ou quel est le dommage que les défendeurs savent ou devraient savoir susceptible de se produire, mais de savoir quel est en réalité le but que les coalisés avaient en tête en agissant comme ils l’ont fait.
Rien dans l’exposé de la demande ne fait supposer que les actes des intimés dont il fait état ont été posés dans le but de causer un préjudice aux appelants. Ce qu’ont fait les intimés fut d’énoncer une politique relative au contrôle des ressources en uranium au Canada qui,
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si elle était mise en œuvre, pouvait faire obstacle à l’exécution du contrat.
Les appelants tentent d’obtenir une déclaration que les intimés ont commis un délit civil d’ingérence illicite dans leurs intérêts économiques. Un recours basé sur une telle ingérence, dans les circonstances présentes, devrait forcément être rattaché à une ou à plus d’une des trois causes d’actions examinées ci-dessus.
Les avocats des appelants ont cité l’arrêt de cette Cour rendu dans l’affaire Roncarelli c. Duplessis[3]. Les deux affaires ne se ressemblent guère. Dans l’affaire Roncarelli, le défendeur, qui était alors premier ministre et procureur général de la province de Québec, sans justification légale et dans un but illicite a fait annuler par la régie des alcools du Québec le permis de vente de boissons alcooliques du demandeur, causant ainsi un tort considérable au commerce de ce dernier. Il n’agissait pas dans l’exercice d’une de ses attributions officielles. Dans la présente affaire, à mon avis, les intimés, en tant que ministres de la Couronne, agissaient dans l’accomplissement de leurs fonctions publiques en énonçant, de bonne foi, la politique du Gouvernement.
Je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens.
Appel rejeté avec dépens.
Procureurs des demandeurs, appelants: Fraser & Beatty, Toronto.
Procureurs des défendeurs, intimés, Le Très Honorable P.E.Trudeau et l’Honorable J.J. Greene: Weir & Foulds, Toronto.
[1] [1972] 1 O.R. 444, 23 D.L.R. (3d) 292.
[2] [1942] A.C. 435.
[3] [1959] R.C.S. 121.