Cour suprême du Canada
Aldercrest Developments Ltd. c. Hamilton Co-Axial Ltd., [1974] R.C.S. 793
Date: 1973-05-07
Aldercrest Developments Limited et Charles A. Cecil, Séquestre officiel, district de faillite numéro 7, syndic de faillite intérimaire dans la faillite de Hudson R. Elmore (Demandeurs) Appelants;
et
Hamilton Co-Axial (1958) Limited (Défenderesse) Intimée.
1972: les 5 et 6 octobre; 1973: le 7 mai.
Présents: Les Juges Judson, Ritchie, Spence, Pigeon et Laskin.
EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.
APPEL d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario[1] rejetant un appel d’un jugement du Juge Thompson. L’appel est rejeté.
W.B. Williston, c.r., et J.F. Evans, pour les demandeurs, appelants.
C.F. Tallis, c.r., pour la défenderesse, intimée.
Le jugement des Juges Judson, Ritchie, Spence et Pigeon a été rendu par
LE JUGE JUDSON — Le principal point du litige porte sur la nature des droits d’un cessionnaire d’un billet payable à ordre qui détient le billet non endossé. Le billet en cause est daté du 15 février 1961, souscrit par Hamilton Co-Axial (1958) Limited en faveur de son président, Hudson Elmore, et payable sur demande pour la somme de $160,000. La demanderesse dans l’action et appelante en cette Cour est Aldercrest Development Limited, qui détient ce billet non endossé.
Aldercrest est une compagnie spécialisée dans la construction d’habitations unifamiliales. Hamilton Co-Axial, elle, était spécialisée dans l’installation de la télévision par câble. Le preneur du billet, Hudson Elmore, était président et seul actionnaire bénéficiaire de la compagnie, et il en avait l’entier contrôle de la gestion et des affaires. La compagnie était financée principale-
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ment par des prêts accordés par son président et, le 31 août 1960, l’état financier de la compagnie révélait que celle-ci lui était redevable d’une somme de $289,444.97.
Vers la fin de 1960, Elmore et un nommé Aiderson, président et propriétaire bénéficiaire de toutes les actions de Aldercrest, ont entamé des négociations en vue de réunir des fonds pour leurs compagnies respectives. Par un accord passé le 1er février 1961, Aldercrest a convenu de céder à Elmore certaines terres, conventions d’achat et de vente, et hypothèques, moyennant contrepartie de $100,000. L’accord prévoyait que la dette de Elmore envers Aldercrest serait garantie par la cession d’un billet à ordre, venant à échéance le 15 février 1962, souscrit par Hamilton Co-Axial en faveur de Elmore pour une somme de $160,000. Ce billet était assujetti à un droit prioritaire, pour la somme de $60,000, en faveur de la banque de Hamilton Co-Axial. Ce qui laissait une garantie de $100,000. Elmore a hypothéqué pour la somme de $160,000 les propriétés que Aldercrest lui avait transmises. L’accord prévoyait qu’au fur et à mesure que Elmore réduirait sa dette envers British Mortgage and Trust Company, les terres seraient rétrocédées à Aldercrest. Au mois d’avril 1963, Elmore avait réduit à $40,000 le montant de sa dette envers Aldercrest. Moyennant une contrepartie de $2,400, il obtint un délai d’un an pour le règlement de cette somme. Cependant, il fit défaut de payer à l’échéance. Aldercrest obtint un jugement contre Elmore le 19 juin 1964, pour la somme de $42,400 et les dépens. British Mortgage and Trust Company engagea des procédures de forclusion en vertu de son hypothèque, et le 7 octobre 1964, une ordonnance de séquestre fut rendue contre Elmore.
Il est très difficile de comprendre le motif commercial de ces opérations compliquées entre Elmore et Aldercrest. Le juge de première instance a clairement conclu que Aldercrest traitait avec Elmore personnellement et non avec Elmore comme représentant ou fonctionnaire de Hamilton Co-Axial. Le juge de première instance a été incapable de déceler de preuve quel-
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conque selon laquelle l’argent que Elmore avait reçu de British Mortgage and Trust Company serait parvenu à Hamilton Co-Axial. Une chose est certaine dans cette affaire, et le juge de première instance l’a constaté, c’est que le billet à ordre a été transféré par Elmore à Aldercrest à titre de garantie du paiement de la somme de $100,000, soit la dette créée par l’accord du 1er février 1961. Il s’agit là de la même dette que celle pour laquelle Elmore a été poursuivi et qui fait l’objet du jugement rendu pour la somme de $42,400, jugement qui a entraîné la faillite de Elmore. S’il existe un droit quelconque sur le billet, ce montant doit en constituer la limite.
Le dossier qui nous est soumis soulève un certain nombre de questions pour lesquelles aucune réponse satisfaisante ne peut être trouvée:
(a) Pourquoi ce billet était-il un billet payable sur demande et non un billet payable le 15 février 1962, comme l’exigeait l’accord?
(b) Pourquoi le billet n’était-il pas endossé lorsqu’il a été délivré par Elmore au procureur qui représentait les deux parties lorsque l’accord du 1er février 1961 a été conclu? Le juge de première instance a conclu qu’il ne s’agissait pas là simplement d’une erreur ou d’un oubli de bonne foi de la part de Elmore.
(c) Pourquoi le procureur commun des deux parties, ou Alderson au nom de Aldercrest, n’ont‑ils fait aucun effort à quelque moment que ce soit pour obtenir l’endossement d’Elmore sur ce billet?
(d) Pourquoi les registres de Hamilton Co-Axial ne font-ils aucune mention de l’existence de ce billet, soit dans les livres comptables soit dans les procès-verbaux des délibérations des administrateurs?
(e) Où est l’original de la résolution des administrateurs qui avait pour objet d’autoriser l’émission de ce billet? On a tenté de prouver l’original au moyen d’une photocopie. Le juge de première instance a conclu: [TRADUCTION] «Je suis mené à la conclusion que ce document n’est pas authentique et que, d’une certaine manière, il est simulé».
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(f) Pourquoi Alderson, lorsqu’il a prouvé la réclamation de faillite de Aldercrest à l’encontre de l’actif d’Elmore, a-t-il nié qu’il existait une garantie quelconque pour la dette?
Il appert, par conséquent, que tant Elmore qu’Aldercrest ont délibérément caché l’existence de ce billet. Cela est important du fait qu’au début de 1963, Elmore a entamé des négociations avec Famous Players Corporation en vue de vendre ses actions dans Hamilton Co-Axial. Cet acheteur éventuel a procédé à un examen très minutieux des livres de la compagnie et n’a trouvé aucune preuve indiquant que ce billet ait déjà été émis ou autorisé.
Le 17 janvier 1963, Elmore a consenti à Co-Axial une décharge dont les termes étaient suffisamment clairs pour inclure toute réclamation en vertu de ce billet. La décharge était exigée par l’acheteur des actions de Elmore. Deux mois plus tard, on a fait savoir à cet acheteur l’existence du billet, que ce billet était entre les mains de Aldercrest, et que le paiement en était exigé.
Le par. (1) de l’art. 61 de la Loi sur les lettres de change prévoit ce qui suit:
61. (1) Si le détenteur d’une lettre de change payable à son ordre la transfère contre valeur sans l’endosser, ce transfert investit le cessionnaire des mêmes droits qu’avait le cédant sur la lettre; et le cessionnaire acquiert en outre le droit de requérir l’endossement du cédant.
Je suis d’avis que Aldercrest n’a jamais été le détenteur de ce billet. «Détenteur» signifie «le preneur, ou l’endossataire ou bénéficiaire par endossement d’une lettre de change ou d’un billet, dont il a la possession ou dont il est porteur». Il ne s’agissait pas là d’un billet payable au porteur mais d’une lettre de change payable à ordre et celle-ci ne pouvait être négociée que par l’endossement du détenteur (Elmore) complété par la livraison.
Tant que l’endossement n’est pas effectué la situation du cessionnaire, dans l’espèce présente, n’est pas meilleure que celle du cessionnaire d’une simple créance. Tel a été l’avis du juge de première instance et de la Cour d’appel.
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Ce fut aussi l’avis unanime de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Morgan v. Bank of Toronto[2]. Ce point de vue correspond également au droit anglais — voir: 3 Hals., 3e éd. p. 182:
[TRADUCTION] — Dans un tel cas, la date à laquelle l’effet est endossé est censée être la date véritable de la négociation; et tant que l’endossement n’est pas effectué la situation du cessionnaire n’est pas meilleure que celle du cessionnaire d’une simple créance.
Aux États-Unis, l’art. 49 du Uniform Negotiable Instruments Law est libellé comme suit:
[TRADUCTION] — Article 49. — Si le détenteur d’un effet payable à ordre le transfère contre valeur sans l’endosser, ce transfer confère au cessionnaire les mêmes droits qu’avait le cédant sur cet effet; et le cessionnaire acquiert, en outre, le droit de requérir l’endossement du cédant. Mais aux fins d’établir si le cessionnaire est un détenteur régulier, la négociation prend effet à la date à laquelle l’endossement est véritablement effectué.
L’ouvrage Williston on Contracts, 3e éd., vol. 10, par. 1142A, donne le commentaire suivant:
[TRADUCTION] — Cet article a pour effet de conférer au cessionnaire les droits d’un cessionnaire d’une créance non négociable et tangible qui a le pouvoir de poursuivre en son propre nom. Mais il n’est pas un détenteur régulier.
Seules deux affaires sont en désaccord avec ces principes. La première est l’affaire Hood v. Stewart[3], dans laquelle on a jugé que le cessionnaire avait un titre valable sur la lettre sans endossement et pouvait recouvrer des mains de l’accepteur, bien qu’il ne pût le faire sous le régime de la Common Law. L’affaire Banque Mercantile du Canada c. Edmond[4], a été décidée dans le même sens. Ce sont là des décisions qui constituent des anomalies. L’affaire Hood v. Stewart a été considérée différente, et a été désapprouvée, par le Juge Cave siégeant à la Queen’s Bench Division dans l’affaire Good v. Walker[5], et elle n’est mentionnée dans aucune des trois éditions des recueils Halsbury.
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L’instance a été introduite contre Hamilton Co-Axial avec Aldercrest Developments Limited comme seule demanderesse. Avant que l’affaire ne soit entendue, le syndic de faillite de Elmore a été ajouté aux procédures à titre de codemandeur. Par l’adjonction de cette partie, il semble qu’il n’y ait aucun doute que l’action a été correctement constituée et il n’est nul besoin de considérer les questions de forme pouvant se poser lorsqu’il s’agit d’une action intentée sous le seul nom d’un cessionnaire sans endossement. Il existe en Ontario des précédents en vertu desquels on peut maintenir qu’un tel cessionnaire, en tant que cessionnaire en equity, peut poursuivre en son propre nom en vertu des Ontario Rules of Practice. Ce problème ne se pose pas ici.
Réduite à ses éléments essentiels, l’instance est en somme une action intentée par un cessionnaire en equity contre une personne qui était débitrice de son cédant. Avant qu’une connaissance quelconque de l’existence de la dette ait pu être attribuée à la compagnie, le cédant (Elmore) consentit une décharge. Cela vaut contre le cessionnaire; 4 Hals. (3e) 499; Stocks v. Dobson[6].
Elmore a agi tout au long à titre personnel et non comme représentant ou fonctionnaire de la compagnie. En fait, il dissimulait délibérément à quiconque aurait pu se renseigner sur la compagnie l’existence de ce billet. À mon avis, la compagnie n’a eu connaissance de l’existence de ce document que deux mois après la décharge, lorsque le procureur de Aldercrest a envoyé au nouvel acheteur une lettre l’informant de l’existence du billet qu’Aldercrest avait en main.
Je souscris aux jugements prononcés en première instance et en Cour d’appel et je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens.
LE JUGE LASKIN — Cet appel porte sur la responsabilité de la compagnie intimée relativement à un billet à ordre qu’elle a souscrit en faveur de son président et seul actionnaire béné-
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ficiaire, un nommé Elmore, qui l’a transféré non endossé mais contre valeur à la compagnie appelante. Le billet, payable sur demande et daté du 15 février 1961, a été donné pour, allègue-t-on, garantir une dette due à Elmore par sa compagnie; et ensuite, le billet a été transféré comme garantie d’une dette due par Elmore à la compagnie appelante à la suite d’un accord intervenu entre eux pour la vente à Elmore de certaines terres.
À l’époque où le billet a été transféré non endossé à la compagnie appelante, cette dernière a reçu par l’entremise de son président des copies des états financiers de la compagnie intimée révélant une dette due à Elmore, ainsi que ce qui était supposé être une copie certifiée conforme d’une résolution adoptée par le conseil d’administration de la compagnie intimée autorisant le billet à Elmore. Cependant, les livres de la compagnie intimée ne portent aucune mention du billet.
En janvier 1963, la compagnie intimée était en négociations avec Famous Players Canadian Corporation Ltd. pour un prêt, et le 17 janvier 1963, afin de faciliter les négociations, Elmore, par un acte, a libéré la compagnie intimée de toute réclamation et demande en sa faveur. Il est reconnu que cette libération a été assez générale pour couvrir l’obligation de la compagnie intimée suivant son billet à ordre payable à Elmore, billet que la compagnie appelante avait alors en main. Le contrôle de la compagnie intimée est par la suite passé à Famous Players, et Elmore a cessé d’être administrateur de la compagnie intimée en novembre 1963.
Elmore devint en défaut relativement à l’accord intervenu avec la compagnie appelante et, le 5 avril 1963, un délai lui a été accordé. Le 6 septembre 1963, la compagnie appelante a demandé à la compagnie intimée le paiement du billet, mais celle-ci a nié sa responsabilité. Dans l’intervalle, la compagnie appelante avait poursuivi Elmore en justice pour la somme de $42,400, qui représentait ce qui restait de la dette de ce dernier, et le 19 juin 1964 un jugement a été prononcé lui accordant cette somme. Quelques mois plus tard, une ordonnance de
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séquestre a été rendue contre Elmore et la compagnie appelante a déposé une preuve de réclamation dans la faillite pour la somme fixée dans son jugement, mais elle n’a pas réclamé le titre de créancier garanti. En mars 1966, la compagnie appelante a de nouveau demandé à la compagnie intimée le paiement du billet et finalement elle a intenté une action le 6 janvier 1967. À l’ouverture du procès, le syndic de faillite intérimaire a été ajouté aux procédures à titre de codemandeur.
Bien que certaines des circonstances survenues dans le cours des événements qui ont amené ce procès puissent donner lieu à des explications contradictoires fondées soit sur un oubli de bonne foi soit sur une opération frauduleuse, la partie centrale de la question de droit en litige est l’art. 61, par. (1), de la Loi sur les lettres de change, S.R.C. 1952, c. 15, dont le texte est le suivant:
61 (1) Si le détenteur d’une lettre de change payable à son ordre la transfère contre valeur sans l’endosser, ce transfert investit le cessionnaire des mêmes droits qu’avait le cédant sur la lettre; et le cessionnaire acquiert en outre le droit de requérir l’endossement du cédant.
De toute évidence, la compagnie appelante n’est jamais devenue un détenteur du billet, n’étant ni le preneur ni l’endossataire. Étant donné les circonstances de la présente affaire, la question qui se pose est de savoir quels sont les droits que la compagnie appelante a obtenus au moment où Elmore lui a transmis le billet contre valeur mais sans endossement. Tout vice de procédure dans le droit de poursuivre peut être considéré comme corrigé par l’adjonction du syndic de faillite intérimaire de Elmore aux procédures à titre de codemandeur.
À mon avis, on peut régler cet appel en se reportant à la question de savoir si Elmore lui‑même aurait pu avec succès poursuivre en justice la compagnie intimée à l’égard du billet. Nous avons la conclusion sur les faits du juge de première instance qu’il n’y avait aucune cause ou considération entre Elmore et la compagnie intimée pour le billet. Ce fait constitue
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un moyen de défense dont cette dernière peut se prévaloir contre la compagnie appelante. J’adhère par conséquent à la conclusion de mon collègue Judson suivant laquelle l’appel doit être rejeté avec dépens.
Appel rejeté avec dépens.
Procureurs des demandeurs, appelants: Evans, Philp, Gordon, Leggat & Evans, Hamilton.
Procureurs de la défenderesse, intimée: Robertson, Lane, Perrett, Frankish & Estey, Toronto.
[1] [1970] 3 O.R. 529.
[2] (1917), 39 O.L.R. 281.
[3] (1890), 17 S.C. (4th ser.) 749.
[4] [1964] C.S. 591.
[5] (1892), 61 L.J.Q.B. 736.
[6] (1853), 4 DeG. M. & G. 11.