Cour suprême du Canada
Falconbridge Nickel Mines Ltd. et al. c. Chimo Shipping Ltd. et al., [1974] R.C.S. 933
Date: 1973-05-07
Falconbridge Nickel Mines Ltd. et al. (Demanderesses) Appelantes;
et
Chimo Shipping Limited et al. (Défenderesses) Intimées.
1972: les 26 et 27 octobre; 1973: le 7 mai.
Présents: Le Juge en Chef Fauteux et les Juges Abbott, Ritchie, Pigeon et Laskin.
EN APPEL DE LA COUR DE L’ÉCHIQUIER DU CANADA
APPEL et APPEL INCIDENT d’un jugement du juge adjoint en amirauté pour le district d’amirauté de Québec. Appel et appel incidents rejetés avec dépens.
D.L.D. Beard, c.r., et B.L. Eastman, pour les demanderesses, appelantes.
T.H. Bishop, pour les défenderesses, intimées.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE RITCHIE — Il s’agit d’un appel interjeté à l’encontre d’un jugement rendu par M. le Juge Kerr siégeant en sa qualité de juge adjoint
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en amirauté pour le district d’amirauté de Québec, dans lequel il avait statué qu’un tracteur et un générateur évalués à $70,001.64 et $57,841.56 respectivement, qui avaient été transportés de Montréal à Deception Bay dans la province de Québec à bord du navire P.M. CROSBIE en vertu d’un contrat de transport attesté par un connaissement passé entre Chimo ShippingLimited et Falconbridge Mines Limited, avaient été perdus par suite de la négligence du propriétaire du navire (Chimo Shipping Limited) après avoir été chargés à bord d’un chaland (C-242-A) qui appartenait à cette compagnie-là et était transporté par le P.M. CROSBIE et qui, au moment de la perte, se trouvait amarré le long de ce navire à Deception Bay.
Les conclusions suivantes sur des faits, que M. le Juge Kerr a tirées et que j’adopte, servent à clarifier la situation des parties:
[TRADUCTION] (1) (Page 263) — Au moment de la perte du tracteur et de l’ensemble générateur, la demanderesse Falconbridge était propriétaire de l’ensemble générateur et avait un droit dans le tracteur, à titre de locataire, en vertu d’un contrat de location passé avec la demanderesse Janin qui, elle, avait loué le tracteur de son propriétaire, la demanderesse Hewitt. Falconbridge était aussi l’expéditeur et le consignataire nommé dans la connaissement qui a été délivré.
(2) (Page 267) — À mon avis, bien qu’il y ait eu des arrangements mutuels entre Chimo et Clarke, arrangements que les témoignages n’ont abordés que superficiellement, la preuve ne démontre pas de lien contractuel entre Clarke et Falconbridge relativement au voyage et à la cargaison en question et elle n’indique rien dont on pourrait conclure que Clarke est délictuellement ou contractuellement responsable envers une des demanderesses.
(3) (Page 268) — À mon avis, les témoignages du Capitaine Jorgensson et de M. Munro démontrent que Munro Jorgensson n’agissait qu’à titre de mandataire de Chimo, en sollicitant des clients et en agissant comme intermédiaire entre ces clients et Chimo, et en préparant des propositions qu’ils acceptaient ou rejetaient, mais sans être autorisée à passer un contrat pour aucun d’entre eux. Elle n’était en rien propriétaire du Crosbie et elle n’avait aucun contrôle sur le navire ou son équipage. À mon avis, la preuve n’établit pas de lien contractuel entre Munro Jorgensson et
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Falconbridge relativement à ce voyage ou à la cargaison et il n’y a aucune responsabilité délictuelle ou contractuelle de la part de Munro Jorgensson.
À mon avis, le contrat existait essentiellement entre Chimo et Falconbridge.
Les arrangements entre Falconbridge et Munro Jorgensson, agissant à titre de mandataire de Chimo relativement aux conditions qui devaient régir le transport de la cargaison à Deception Bay, furent réglés dès le 24 février 1966, et ils sont énoncés dans une lettre émanant du représentant du navire qui porte cette date et qui se lit, en partie, comme suit:
[TRADUCTION] TRANSPORTEUR: Chimo-Clarke Northern Services
CHARGEMENT: Approximativement 1000 tonnes comprenant environ 700 tonnes d’huile et d’essence en barils, 100 tonnes de chlorure de calcium, 100 tonnes bois et diverses pièces de machinerie, cargaisons diverses jusqu’à la capacité du navire — en pontée ou dans les cales.
Port de chargement: Montréal
Destination: Deception Bay, Ungava.
Tarif: $34.00 par tonne de 2000 livres ou 40 pieds cubes, selon le plus grand. Le fret est considéré payé d’avance. Le quayage de plate-forme du Conseil des ports nationaux à Montréal est à la charge de l’expéditeur au tarif courant, qui est présentement de 60 cents le tonneau de chargement.
…
Déchargement: À être déchargé par le navire sur des chalands et apporté au rivage. La responsabilité du déchargement des chalands est à la charge de l’expéditeur.
Le connaissement, daté à Montréal du 10 semptembre 1966, stipule que le P.M. GROSSIE est le navire transporteur, et il est assujetti [TRADUCTION] «aux dispositions des Règles applicables en vertu de la Loi du transport des marchandises par eau 1936 (Canada)» (maintenant la Loi sur le transport des marchandises par eau, S.R.C. 1970 (Can.), c. C-15). Concluant que ces Règles s’appliquaient au contrat de transport en cause, le savant juge de première instance a appliqué les dispositions de la règle 5 de l’art. IV, qui limitent la responsabilité du transporteur ou du navire, en considérant que le
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tracteur et l’ensemble générateur devaient être vus comme deux unités d’expédition à l’égard de chacune desquelles la responsabilité de l’intimée ne devrait pas dépasser $500. L’adjudication de dommages-intérêts aux appelantes fut donc limitée à $1,000. C’est à l’encontre de cette dernière conclusion que les appelantes interjettent maintenant appel, alléguant que la Loi sur le transport des marchandises par eau et les Règles annexes (ci‑après appelées les «Règles») ne s’appliquaient pas à la cargaison après qu’elle eut été transbordée du P.M. CROSBIE au chaland C-242-A et que, de toute manière, les Règles ne s’appliquaient pas à la cargaison en pontée et finalement que même si la règle 5 de l’art. IV s’appliquait, la responsabilité des intimées ne devrait pas être limitée en considérant le tracteur et l’ensemble générateur comme deux unités d’expédition mais devrait plutôt se calculer conformément au nombre d’unités de fret dont se composait chaque élément de cargaison.
La prétention principale des appelantes est que l’accident s’est produit après que les marchandises furent déchargées du navire et donc après le temps visé dans la Loi sur le transport des marchandises par eau, et que de toute manière le chaland C-242-A n’était pas un «navire» au sens de la Loi. À ce sujet, l’avocat des appelantes a cité l’al. e) de l’art. I des Règles qui définit «transport de marchandises» comme suit:
e) «transport de marchandises» couvre la période s’étendant de l’époque du chargement des marchandises jusqu’à l’époque où elles sont déchargées du navire.
On s’est référé d’abord à l’al, b) de l’art. I des Règles qui définit «contrat de transport» comme s’appliquant:
…seulement aux contrats de transport couverts par connaissement ou autre titre du même genre, dans la mesure où ce document a trait au transport des marchandises par eau…
et, finalement, on a cité l’art. 2 de la Loi sur le transport des marchandises par eau qui se lit comme suit:
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2. Sous réserve des dispositions de la présente loi, les règles sur les connaissements contenues dans l’annexe (ci-après appelées «les Règles») seront exécutoires relativement et quant au transport de marchandises par eau dans des navires voiturant des marchandises de quelque port du Canada à tout autre port, soit à l’intérieur, soit en dehors du Canada.
On prétend aussi que ce dernier article ne peut s’appliquer parce que le «navire» mentionnée dans le connaissement est le P.M. CROSBIE et il faut déduire que les parties n’avaient pas l’intention de considérer le chaland comme un «navire» au sens de l’al. d) de l’art. I des Règles qui prévoit que:
d) «navire» ou «bâtiment» signifie tout navire employé pour le transport de marchandises par eau;…
Cette dernière prétention est censée s’appuyer sur les conditions énoncées dans la lettre du 24 février 1966 à laquelle je me suis déjà reporté, où il est mentionné que la cargaison doit [TRADUCTION] «être déchargée par le navire sur des chalands et apportée au rivage. La responsabilité du déchargement des chalands est à la charge de l’expéditeur.»
À mon avis, ces prétentions ne peuvent prévaloir. Il ne me semble pas fondé d’agir à partir de la supposition que les Règles doivent être interprétées comme s’appliquant uniquement à la période entre le temps où les marchandises sont chargées à bord du navire et le temps où elles sont déchargées. Je crois plutôt que l’accord entre Chimo et Falconbridge, en vue du transport de la cargaison à bord du P.M. CROSBIE de Montréal jusqu’au débarcadère à Deception Bay, constitue depuis le début un contrat de transport au sens des Règles et auquel celles-ci s’appliquent. À ce sujet, je me reporte au passage suivant des motifs de jugement du Juge Devlin dans l’arrêt Pyrene v. Scindia Navigation Company[1], que M. le Juge Rand a expressément retenu en rendant le jugement de cette Cour dans l’affaire Anticosti Shipping Company c. St-Amand[2].
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[TRADUCTION] À mon avis, toutes les fois qu’un contrat de transport est conclu, et qu’il est prévu qu’un connaissement sera, en temps opportun, délivré à son égard, ce contrat est «couvert» depuis sa création par un connaissement et il est donc depuis le début un contrat de transport au sens des Règles et auquel les Règles s’appliquent. Il n’y a aucun précédent anglais sur ce point; mais j’accepte et suis sans hésiter le raisonnement du Lord Président Clyde dans l’arrêt Harland and Wolff v. Burns and Laird Lines.
Il s’ensuit qu’à mon avis les Règles s’appliquent au contrat attesté par la lettre du 24 février, que l’on doit considérer comme «couvert» par le connaissement, et que l’obligation assumée par les propriétaires du navire de décharger la cargaison du navire sur des chalands et de l’apporter au rivage faisait partie de ce contrat. Pour ces motifs, de même que pour ceux qui ont été relatés au long par M. le Juge Kerr dans ses motifs de jugement à la p. 281, j’accepte sa conclusion suivante:
[TRADUCTION] Dans la présente affaire, le transporteur avait à bord du Crosbie des chalands servant au transport de la cargaison au rivage, et les chalands étaient utilisés à cette fin. Il était tenu de transporter les marchandises au rivage en vertu de son contrat de transport. Dans les circonstances, je suis d’avis que les Règles s’appliquaient à l’utilisation d’un chaland. L’utilisation d’un chaland devrait être considérée comme faisant partie des opérations de déchargement; mais même si le déchargement des marchandises en question du Crosbie était complet lorsqu’elles ont été déposées sur le chaland, le chaland était un navire utilisé par le transporteur dans l’exécution de son obligation de transporter les marchandises par eau en vertu du contrat de transport couvert par le connaissement, et par conséquent, je suis d’avis que les Règles s’appliquaient à cette partie du transport.
La prétention des appelantes selon laquelle les Règles ne s’appliquaient pas à la cargaison en question parce qu’il s’agissait d’une «cargaison en pontée», est, à mon avis, insoutenable, parce que l’ensemble générateur et le tracteur étaient transportés au havre de Deception Bay dans la cale du Crosbie, qui était le navire transporteur, et le fait que le déchargement de la cargaison s’est effectué par livraison au moyen du chaland n’a pas à mon avis transformé la cargaison en cargaison en pontée.
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En appliquant les Règles aux circonstances dévoilées en l’espèce, la considération première est, à mon avis, l’obligation assumée par le transporteur en vertu du par. 2 de l’art. III, qui se lit comme suit:
2. Sous réserve des dispositions de l’article IV, le voiturier doit convenablement et soigneusement charger, manier, arrimer, transporter, garder, surveiller et décharger les marchandises voiturées.
et, à ce sujet, la principale conclusion que le juge de première instance a tirée et que j’accepte entièrement se trouve à la p. 271 de ses motifs de jugement:
[TRADUCTION] À mon avis, les officiers responsables du Crosbie n’ont pas exercé la diligence que des officiers de navire raisonnablement prudents et expérimentés auraient ordinairement exercée pour assurer la sûreté des deux pièces d’équipement coûteux. Ils n’ont pas exercé la diligence qu’ils pouvaient raisonnablement exercer en pratique et qu’ils étaient tenus d’exercer dans une situation qui comportait des éléments de danger qu’ils connaissaient ou qu’ils auraient dû connaître. On aurait au moins pu s’attendre d’eux, s’ils étaient prêts à risquer le tracteur et l’ensemble générateur sur le chaland par un temps incertain qui empirait, qu’ils s’assurent que le matériel était suffisamment arrimé pour empêcher qu’il ne glisse du pont ras du chaland.
Quand le capitaine Bugden a vu la première fois le chaland se heurter contre le navire et le tracteur se déplacer vers le côté du chaland, il a essayé de trouver quelqu’un pour amarrer solidement le chaland; mais, il était déjà trop tard pour agir et empêcher que le matériel tombe du chaland. Cependant, c’était là un état de choses que les officiers responsables n’auraient pas dû laisser se produire. À mon avis, il y a eu, pour reprendre les termes du Juge en chef Duff dans l’arrêt Canadian National Steamships c. Bayliss:
[TRADUCTION] …manque d’attention aux précautions qui auraient, il est raisonnable de le croire, probablement eu pour effet d’empêcher la perte.
Par conséquent, je conclus que la perte du tracteur et de l’ensemble générateur a résulté d’une série (ou d’un «réseau», pour employer une expression de Lord Shaw dans une autre affaire) de causes qui a commencé quand le capitaine et les officiers du Crosbie ont placé le tracteur et l’ensemble générateur sur le chaland par le temps qui sévissait et les ont laissés sans surveillance, sans s’assurer qu’ils étaient bien
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arrimés pour qu’ils ne glissent pas et sans s’assurer que le chaland était bien amarré au Crosbie, et qui s’est terminée peu de temps après quand le tracteur a glissé sur le pont plat en acier du chaland de manière à le rendre si instable que le matériel a glissé par‑dessus bord. À mon avis, les actes et omissions du capitaine et des officiers responsables équivalent à une négligence.
L’intimée a interjeté un appel incident alléguant que la preuve n’établit aucune négligence dont elle est responsable et faisant valoir qu’elle était de toute manière exempte de responsabilité en vertu des dispositions de l’art. IV des Règles parce que la perte résultait d’un «péril de la mer» et qu’une diligence raisonnable avait été exercée pour mettre le bâtiment en bon état de navigabilité. La conclusion du savant juge de première instance que j’ai adoptée se trouve à régler l’allégation d’absence de négligence mais l’effet de cette conclusion sur les deux autres prétentions requiert un examen un peu plus poussé. Le par. 1 de l’art. IV prévoit que:
1. Ni le voiturier ni le navire ne seront responsables de pertes ou dommages provenant ou résultant de l’innavigabilité à moins qu’ils ne soient causés par un manque de diligence raisonnable de la part du voiturier pour mettre le bâtiment en bon état de navigabilité;…
Lorsque les pertes ou dommages ont été occasionnés par l’innavigabilité, la preuve de l’exercice d’une diligence raisonnable incombe au voiturier ou autre personne invoquant une exemption prévue par le présent article.
2. Ni le voiturier ni le navire ne seront responsables des pertes ou dommages provenant ou résultant,…
c) des périls, dangers et accidents de la mer ou des autres eaux navigables;…
L’appelante par voie d’appel incident invoque les dispositions de cette dernière Règle pour le motif que la grosse mer et les trombes d’eau qui caractérisaient les mauvaises conditions atmosphériques à Deception Bay le 20 septembre, constituaient un péril de la mer au sens de la règle et le transporteur et le navire n’étaient donc pas responsables des pertes qui se sont produites.
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Le sens de l’expression «périls de la mer» dans ce contexte a fait l’objet de commentaires dans de nombreux arrêts et a, de temps à autre, donné lieu à ce qui semble être des avis contraires de la part des tribunaux attribuables, à mon avis, à la méthode d’appréciation légèrement différente utilisée dans les affaires d’assurance maritime comparativement à celle utilisée lorsque la seule question en litige se rapporte à l’interprétation du connaissement, mais il me semble que les affaires Parish and Heinbecker Limited et al. c. Burke Towing and Salvage Company Limited[3], Goodfellow Lumber Sales c. Verreault[4] et N.M. Paterson and Sons Limited c. Mannix[5], indiquent clairement que cette Cour a approuvé et adopté, du moins dans les affaires de connaissements, le critère énoncé par Sir Lyman Duff dans l’arrêt Canadian National Steamships c. Bayliss[6], où il a dit en parlant du moyen de défense excipant des «périls de la mer»:
[TRADUCTION] La question soulevée par ce moyen était évidemment une question de fait et il incombait aux appelantes de prouver que le mauvais temps avait été la cause du dommage et qu’il était tel qu’on n’aurait pu prévoir ou prévenir, comme l’un des incidents probables du voyage, le danger d’avaries à la cargaison que ce mauvais temps comportait.
Les caractères italiques sont de moi.
Il découle clairement de la conclusion du savant juge de première instance que la cause du dommage en l’espèce était «les actes et ommissions du capitaine et des officiers responsables» du P.M. Crosbie et qu’on aurait pu et aurait dû prévenir le danger d’avaries à la cargaison que les conditions atmosphériques comportaient. Il s’ensuit qu’à mon avis, l’argument de l’appelante par voie d’appel incident selon lequel la perte a été causée par un «péril de la mer» est sans fondement.
L’autre prétention de l’appelante par voie d’appel incident, selon laquelle elle est exempte de responsabilité en vertu du par. 1 de l’art. IV
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parce qu’il n’y avait aucune preuve d’un «manque de diligence raisonnable» de la part du transporteur pour mettre le bâtiment en bon était de navigabilité, doit s’appuyer sur la supposition que «la perte ou le dommage» était une perte ou un dommage «provenant ou résultant de l’innavigabilité», et, comme je l’ai indiqué, je considère que cette perte a été causée par la négligence, en n’arrimant pas suffisamment la cargaison de manière à l’empêcher de glisser et n’amarrant pas le chaland au navire.
L’obligation relative à l’état de navigabilité se trouve au par. 1 de l’art. III qui se lit ainsi:
1. Avant le voyage et au commencement du voyage, le voiturier est tenu d’exercer une diligence raisonnable,
a) pour que le bâtiment soit en bon état de navigabilité; …
et il a été décidé dans l’arrêt Maxine Footwear Company Limited c. Canadian Government Merchant Marine Limited[7], que l’expression «avant le voyage et au commencement du voyage» dans ce contexte signifie [TRADUCTION] «la période allant depuis au moins le commencement du chargement jusqu’à ce que le navire se mette en route».
A mon avis, le voyage qui nous intéresse en l’espèce est le voyage de Montréal à Deception Bay et puisque le savant juge de première instance a conclu que [TRADUCTION] «le chaland était relativement neuf, non endommagé et en bon état pour recevoir la cargaison lorsque les opérations de chargement ont débuté le 20 septembre», je crois qu’il est suffisamment clair qu’on avait exercé une diligence raisonnable pour le mettre en bon état de navigabilité au sens du par. 1 de l’art. III et du par. 1 de l’art. IV des Règles. Il ne fait aucun doute qu’un navire peut être mis en mauvais état de navigabilité, avant de commencer le voyage, par la manière dont il est chargé car un mauvais arrimage peut compromettre la stabilité du navire et ainsi faire en sorte qu’il ne soit pas en état d’affronter les conditions atmosphériques et les
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mers prévues pour le voyage projeté. La cargaison en cause n’a pas été perdue parce que le chaland était en mauvais état de navigabilité, mais parce qu’elle a glissé du pont d’un chaland en bon état de navigabilité à cause d’un arrimage fautif et négligent de la part des officiers et des membres d’équipage du navire. Par conséquent, je ne crois pas que la question de l’innavigabilité ou de la «diligence raisonnable» intervienne de manière à exempter le transporteur des dispositions de la règle 2 de l’art. III.
Il conviendrait aussi d’ajouter que je suis d’accord avec le juge de première instance, pour les motifs qu’il a exposés, que le négligence manifestée en l’espèce n’était pas un acte de [TRADUCTION] «négligence ou un manquement du capitaine, des matelots ou des serviteurs du voiturier dans la navigation ou la conduite du navire au sens de la règle 2 de l’art. IV».
De ce qui précède, on voit que j’accepte la conclusion du juge de première instance selon laquelle l’intimée était responsable de la perte du tracteur et de l’ensemble générateur, et je partage aussi son avis relativement aux valeurs qu’il a données à ces deux pièces d’équipement. Par contre, il reste à étudier la question du montant auquel l’intimée a le droit de limiter sa responsabilité en vertu des Règles et en vertu des dispositions de la Loi sur la marine marchande du Canada, qui se trouve maintenant au chapitre S-9 des Statuts revisés du Canada de 1970. La Règle pertinente est la règle 5 de l’art. IV qui se lit comme suit:
5. Ni le voiturier ni le navire ne seront tenus ou ne deviendront responsables, en aucun cas, de la perte de marchandises ni des dommages qu’elles ont subis ou les concernant pour un montant dépassant cinq cents dollars par colis ou unité, ou l’équivalent de cette somme dans un autre numéraire, à moins que la nature et la valeur de ces marchandises n’aient été déclarées par l’expéditeur avant le chargement et insérées dans le connaissement.
En concluant que le tracteur et l’ensemble générateur constituaient deux unités distinctes à l’égard de chacune desquelles la responsabilité des intimées se limite à $500, le savant juge de première instance a étudié de nombreux précé-
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dents, mais je crois qu’il faut donner la priorité aux deux arrêts dans lesquels nos propres tribunaux ont traité de cette question difficile.
Dans l’affaire Anticosti Shipping, précitée, un camion avait subi des dommages lors de son transport de l’île d’Anticosti à Rimouski sur le Saint-Laurent. Il est clair que le camion n’était ni emballé dans une caisse à claire-voie ni emballé d’aucune autre façon et dans ses motifs de jugement, le Juge Rand a mentionné qu’en appliquant la règle 5 de l’art. IV dans le contexte de l’affaire, il ne s’intéressait qu’au sens du terme «unité» tel qu’il se présente dans cette règle. Le raisonnement suivi à ce sujet est reproduit dans les motifs de jugement du savant juge de première instance à la p. 290 et il se lit comme suit:
[TRADUCTION] Le terme «unité» s’appliquerait normalement, je crois, à une unité d’expédition, c’est-à-dire, une unité de marchandise; le terme «colis» et le contexte général semblent ainsi le restreindre. Mais on a suggéré, et la règle le précise parfois, l’unité de facturation du fret. En l’espèce, ni le connaissement ni la preuve ne font la lumière sur l’unité servant au calcul du fret. Il semble n’y avoir eu qu’un tarif uniforme de $48 plus $3 de frais de quayage; on ne précise aucunement, par exemple, un tarif basé sur le poids en tonnes ou sur un autre poids. Le poids du camion est indiqué, mais en supposant que le prix est calculé à partir d’un tarif donné pour 100 livres, nous serions en présence d’un chiffre comportant une fraction, qui ne pourrait vraisemblablement pas représenter la base réelle de calcul. La somme de $500 ne pourrait guère être considérée comme une juste limite de la valeur moyenne de 100 livres de fret; dans la présente cause, le montant serait le produit de 102.16 unités à $500 chacune ou $51,000, montant qui semble disproportionné à une évaluation de principe s’inspirant de la règle. Et l’absence même de tout motif raisonnable de rapporter le terme à cette sorte de mesure, compte tenu également des autres considérations, exclut son application en l’espèce.
Ce dernier passage nous indique que le Juge Rand a pris soin de restreindre la portée de son jugement aux faits particuliers présentés devant lui, et il m’apparaît clairement qu’il ne prétendait pas décider comment il fallait interpréter la Règle dans une affaire où le «connaissement ou
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la preuve… font la lumière sur l’unité servant au calcul du fret.»
Dans la présente affaire, comme je l’ai indiqué, l’unité servant au calcul du fret est précisée dans le contrat de transport (c.-à.-d. la lettre du 24 février 1966) comme étant de $34 par tonne de 2000 livres ou 40 pieds cubes, selon le plus grand, lequel tarif est aussi indiqué sur le connaissement, et la question difficile est de déterminer si ce facteur permet de considérer la présente affaire comme différente de l’affaire Anticosti.
Lorsque le Juge Rand mentionne que [TRADUCTION] «la règle précise parfois l’unité de facturation du fret», il se réfère clairement aux dispositions de la loi dite Carnage of Goods by Sea Act, 46 U.S. Code, art. 1304, par. (5):
[TRADUCTION] Ni le voiturier ni le navire ne seront tenus ou ne deviendront responsables, en aucun cas, des pertes ou dommages à des marchandises ou concernant leur transport pour un montant dépassant $500 par colis en monnaie légale des États-Unis, ou dans le cas de marchandises qui ne sont pas expédiées par colis, par unité courante de fret, ou l’équivalent de cette somme dans un autre numéraire, à moins que la nature et la valeur de ces marchandises n’aient été déclarées par l’expéditeur avant le chargement et insérées dans le connaissement.
Les caractères italiques sont de moi.
L’appelante prétend que l’expression «ou dans le cas de marchandises qui ne sont pas expédiées par colis, par unité courante de fret», telle qu’elle se présente dans la loi américaine, a pour but de clarifier le sens qu’est censée avoir l’expression «par colis ou unité» dans les Règles de La Haye, sur lesquelles la règle 5 de l’art. IV est basée et desquelles la loi américaine tire aussi son origine. A partir de ce qui précède, on allègue que le terme «unité» dans la règle canadienne se rapporte à une unité de fret et que dans la présente affaire, la limitation de responsabilité devrait être calculée d’après le tarif de fret mentionné dans le contrat de transport et dans le connaissement ($34 par tonne de 2000 livres ou 40 pieds cubes).
Le sens du terme «unité» tel qu’il se retrouve dans l’expression «colis ou unité» dans la règle
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5 m’a donné énormément de difficulté mais je suis maintenant convaincu que les précédents américains nous sont de peu d’utilité parce que la nette différence dans le libellé de la règle, de même que les précédents canadiens et anglais dans ce domaine, me paraissent appuyer l’énoncé du Juge Rand selon lequel le terme employé dans ce contexte signifie une unité d’expédition, c’est-à-dire une unité de marchandise. A ce sujet, le savant juge de première instance s’est aussi reporté à l’affaire Sept Iles Express Inc. c. Clement Tremblay[8], dans laquelle le juge de district en amirauté qui avait présidé le procès s’était considéré lié par l’arrêt Anticosti, fondant en partie son raisonnement sur la conclusion que:
[TRADUCTION] …aucune déclaration relative à la valeur de la voiture n’a été insérée dans le connaissement, lequel document n’indique pas, ni aucune preuve ne démontre, quel fret a été facturé ou si le fret a été facturé selon un tarif uniforme ou suivant le poids en tonnes dudit véhicule.
En appel devant la Cour de l’Échiquier, M. le Juge Kearney a conclu que le savant juge de première instance n’avait pas tenu compte de la preuve du tarif de fret qui avait été fournie dans certaines pièces justificatives produites par la demanderesse, mais il s’est néanmoins considéré lié par l’arrêt Anticosti. A mon avis, cette dernière décision de M. le Juge Kearney constitue donc le seul précédent canadien qui s’applique directement car il concerne la perte d’un camion non emballé dans une caisse à claire-voie et qui était expédié en vertu d’un contrat de transport où le tarif du fret était mentionné.
Dans ses motifs de jugement, M. le Juge Kearney a dit, à la p. 218:
[TRADUCTION] L’avocat du chargeur a signalé qu’aux États-Unis, le terme «unité», tel qu’il se trouve dans notre loi et dans la loi britannique correspondante, a été remplacé par l’expression «unité courante de fret». (Voir Carver — Carriage of Goods by Sea, 9e. éd., pages 1102 et 108). Bien qu’on affirme que ce changement «semble avoir été apporté pour clarifier le sens du terme unité plutôt que pour le changer», je ne suis pas certain que ce soit le cas.
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A ce sujet, il serait avantageux de se reporter à l’arrêt The Bill[9], une décision de la District Court des États-Unis pour le district du Maryland dans laquelle on a fait toute l’historique du Carriage of Goods by Sea Act de 1936 des États-Unis; après s’être reporté à l’ouvrage Knauth on Ocean Bills of Lading, 1937, pp. 99 à 110, M. le Juge Chestnut a dit au sujet des Règles de La Haye:
[TRADUCTION] Dans ces Règles (section 5 de l’art. 4), la clause correspondante de limitation de responsabilité se lisait ainsi: «Pour un montant dépassant 100 livres sterling par colis ou unité». Ces Règles de La Haye ont par la suite été adoptées dans de nombreux autres pays y compris la Grande Bretagne (1925) et les États-Unis (1936). Le texte de la loi anglaise a respecté les Règles de La Haye en ce qui concerne les termes de la clause de limitation. Mais il convient de remarquer que, dans la loi américaine, l’expression «par unité» a été élargie ou changée pour se lire «par unité courante de fret». Un délai considérable s’est écoulé (1923-1936) avant que notre pays n’adopte sa loi. Dans l’intervalle, on avait introduit plusieurs projets de loi successifs dans lesquels le libellé de la clause de limitation disait, selon le projet, «$100 par colis ou unité», «$500 par colis ou unité», «$500 par colis ou, dans le cas de marchandises qui ne sont pas expédiées par colis, par unité courante de fret». Plusieurs auditions ont été tenues au sujet de ces projets de loi au cours de ces années. Lors de ces auditions, ou de quelques-unes d’entre elles, des parties intéressées ont à l’occasion proposé diverses autres expressions et, entre autres, l’expression «par unité déclarée de fret». Le dernier projet, qui a finalement été adopté, fut déposé au Sénat (S. 1152) le 17 janvier 1935; il contenait le libellé suivant: «$500 par colis, en monnaie légale des États‑Unis, ou dans le cas de marchandises qui ne sont pas expédiées par colis, par unité courante de fret.» (Les caractères italiques sont de moi.) Il semble n’y avoir aucun rapport de comité qui clarifierait le sens de l’expression «par unité courante de fret» précitée; mais il paraît assez clair que le libellé qui a finalement été retenu était censé être plus défini que l’expression plus courte «par unité» contenue dans les Règles de La Haye.
Ainsi, il m’apparaît que ce n’est qu’après de longs débats que les États-Unis ont adopté la formulation actuelle de leur texte législatif et je suis convaincu que les termes «par colis ou,
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dans le cas de marchandises qui ne sont pas expédiées par colis, par unité courante de fret» constituent effectivement un changement par rapport aux Règles de La Haye telles qu’elles ont été adoptées en Grande-Bretagne et au Canada, et je ne crois pas qu’ils nous aident beaucoup à découvrir le sens de l’expression «par colis ou unité» telle qu’elle se présente à la règle 5 de l’art. IV.
La façon de considérer adoptée dans l’arrêt Anticosti est conforme à l’avis exprimé par Temperley et Vaughan dans leur ouvrage sur le Carriage of Goods by Sea Act, 1924 (4e éd. (1932), pp. 81 et 82) où il est dit:
[TRADUCTION] 1. Le terme «unité» implique l’idée d’une chose parmi un certain nombre de choses plutôt qu’une chose isolée, et en ce qui concerne des marchandises transportées par navire, il ne semble pas approprié pour décrire l’ensemble ou une partie d’une cargaison en vrac. En outre, il semble que l’interprétation naturelle du terme «unité» dans l’expression «colis ou unité» est qu’il a été ajouté afin de s’appliquer à des parties d’une cargaison qui ressemblent généralement à un colis mais qui ne sont pas strictement comprises dans ce terme, lequel est censé impliquer une chose emballée ou destinée à être portative et ne comprendrait donc pas quelque chose comme une bille de bois ou une barre de métal. Le terme «unité», croyons-nous, a été ajouté pour englober ces réalités et non pour étendre la portée de la Règle aux cargaisons en vrac ou à des parties de celles-ci. En outre, toute la fin que vise la Règle 5, soit d’empêcher les réclamations excessives relativement à des choses qui ont une valeur anormale non révélée, confirme cette interprétation restreinte du terme.
Les savants auteurs de cet ouvrage mentionnent ensuite [TRADUCTION] «un autre point de vue au sujet duquel il y a beaucoup à dire», et qu’ils décrivent comme suit:
[TRADUCTION] …dans la mesure où le terme «unité» est couramment employé pour signifier une unité de mesure ou d’enumeration, ou une unité tirée d’une série de choses divisée matériellement ou abstraitement pour fin d’énumération ou de mesure, l’expression «colis ou unité» employée ici doit se rapporter aux éléments particuliers d’énumération ou de mesure qui doivent être mentionnés dans le connaissement comme le prévoit la Règle 3 de l’article III…
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Cependant, il est clair que les auteurs préfèrent la première opinion. Cette interprétation se trouve en outre confirmée par la note qui se trouve dans Halsbury’s Laws of England, 3e éd., Vol. 35, p. 535, où les savants rédacteurs ont fait remarquer dans une note laconique en bas de page, en parlant du terme «unité» tel qu’employé dans la Règle: [TRADUCTION] «…ce dernier terme peut sans doute désigner un véhicule qui n’est pas dans une caisse».
Comme le savant juge de première instance l’a indiqué, il y a aussi, dans Scrutton on Charter Parties, 7e éd., p. 427, une courte note du rédacteur qui dit que le terme «unité» tel qu’employé dans la règle [TRADUCTION] «signifie probablement l’unité d’enumeration ou de mesure mentionnée dans le connaissement comme prévu dans la Règle 3 de l’Article III». Cette dernière règle prévoit que le connaissement doit indiquer, entre autres choses, «soit le nombre de colis ou pièces, soit la quantité ou le poids, selon le cas…» et je suis d’avis que le tracteur en question dans la présente affaire est une pièce de cargaison au sens de cette règle.
Dans l’affaire Studebaker Distributors Limited v. Charlton Steamship Company[10], que le savant juge de première instance a aussi citée, Se Juge Goddard n’avait pas à interpréter la règle 5 de l’art. IV mais plutôt le sens que l’on devait donner au terme «colis» dans une clause du connaissement en litige dans cette affaire-là qui stipulait en partie:
[TRADUCTION] Il est convenu et entendu que la valeur de chaque colis remis en vertu des présentes ne dépasse pas la somme de $250 ou l’équivalent de cette somme dans la monnaie du pays de destination.
En statuant que cette clause n’allait pas à rencontre des dispositions du Harter Act, le Juge Goddard a aussi conclu que certaines automobiles qui avaient été mises à bord pour être transportées [TRADUCTION] «comme elles étaient sorties de l’usine», sans être recouvertes d’aucune façon, ne pouvaient être considérées comme un colis au sens de cette clause, et, dans ses motifs de jugement, il a dit:
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[TRADUCTION] J’avoue ne pas voir comment je pourrais conclure qu’il y a un colis auquel la clause peut s’appliquer. Le terme «colis» doit se rapporter à quelque chose qui est emballé. Il est évident que cette clause ne peut s’appliquer à toutes les cargaisons qui peuvent être expédiées en vertu du connaissement; par exemple, une cargaison de grain. Elle pourrait s’appliquer au grain expédié dans des sacs, mais elle ne pourrait vraisemblablement pas s’appliquer, à mon avis, à une cargaison en vrac. Si les propriétaires de navire veulent qu’elle s’applique à toute pièce individuelle de cargaison, il n’est pas difficile d’employer une formule appropriée comme, par exemple, «colis ou unité», pour reprendre les termes des Règles de La Haye.
Bien que la décision dans l’affaire dont il était saisi ne l’exigeât pas, il me semble que M. le Juge Goddard a clairement indiqué que le terme «unité», tel qu’employé dans les Règles de La Haye, signifiait «une pièce individuelle de cargaison». De toute manière, il ressort des décisions rendue dans l’affaire Studebaker et l’affaire Whaite v. Lancashire and Yorkshire Railway Company[11], où la Cour a étudié l’expression [TRADUCTION] «paquet ou colis» qui se trouve dans le Carriers Act, 11 Geo. 4 et 1 Wm. 4 Ch. 68, s. 1, que le terme «colis» signifie des articles qui sont emballés, ou placés dans des caisses à claire-voie, et il ne me semblerait pas logique de conclure qu’un chargeur qui a pris soin d’emballer ses marchandises dans une caisse à claire-voie serait limité à $500 tandis que le chargeur qui livre ses marchandises au navire «comme elles sont sorties de l’usine» et sans les emballer aurait le droit d’appliquer une limite basée sur le tarif de fret.
Étant donné que les Règles de La Haye, sur lesquelles les Règles dans l’Annexe à la Loi sur le transport des marchandises par eau sont fondées, ont été, à l’origine, formulées au cours d’un congrès international tenu à Bruxelles en 1924 aux fins d’établir des règles uniformes en matière de connaissements dans les pays maritimes, je crois qu’il serait utile d’étudier le sens donné à l’expression «colis ou unité» qui se trouve dans le même contexte dans les Règles
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adoptées par la République française, qui était un des États signataires de la Convention de Bruxelles.
Dans l’ouvrage Traité général de Droit Maritime, Tome II, de René Rodière, le savant auteur, après avoir cité la décision de cette Cour dans l’arrêt Anticosti, fait remarquer qu’une grosse machine qui voyage «à nu» doit être considérée comme un colis au sens de la règle en question. Le savant auteur a conclu comme suit: (p. 302)
Le «colis» c’est donc l’élément de cargaison individualisé au titre de transport. C’est l’élément spécifique pris en charge par le transporteur. Nous verrons infra… que cette notion l’emporte sur la mention du poids mais qu’elle ne l’emporte que si la spécification est suffisante.
Le «colis» est une chose individualisée et rien d’autre. Il n’y a pas à retenir l’idée, susceptible d’en restreindre notablement la notion, qu’un colis doit être empaqueté, emballé. C’est la solution de la jurisprudence anglaise, allemande ou italienne, (citant l’arrêt Studebaker Distributors, précité). Elle ne se justifie pas plus que celle qui voyait dans un colis quelque chose de relativement petit. Contrairement à ces deux théories, une grosse machine qui voyage «à nu» est un «colis» au sens de notre loi.
La même question est commentée plus à fond dans l’arrêt Cie. Générale Transatlantique c. des. The Marine Insurance Co., La Prévoyance, Assurance Générale et autres[12], où il est dit, p. 27:
Considérant qu’en l’absence de déclaration de valeur à l’embarquement, comme c’est ici le cas, la limite de responsabilité du transporteur maritime s’applique en vertu de l’art. 4, al. 5, de la Convention «par colis ou par unité»;
Considérant que, pour interpréter cette disposition, il faut retenir que la Convention s’applique, spécifiquement aux «connaissements» et que la solution de la difficulté doit donc se trouver dans les usages — ou les nécessités techniques — relatives à la rédaction de ces documents, telle que celle-ci est organisée par l’art. 3, al. 3, de la Convention;
Considérant qu’en l’espèce, les connaissements remis aux chargeurs concernaient: a) 3 caisses d’un poids total brut de 4,854 livres, pour la Sté ARMCO (Assurances Générales); b) une caisse d’un poids brut
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de 19,750 livres, soit plus de 9 tonnes, pour la Sté Citroen (La Prévoyance); c) une voiture automobile Dodge à nu, d’un poids brut de 2,820 livres et d’un volume de 44,880 pieds cubes, destinée à Simon automobiles (The Marine Insurance Cy); que chacune de ces caisses, ainsi que la voiture, se trouvaient avoir été dûment identifiées et spécialisées par le chargeur et prises en charge comme telles par le capitaine; que celui-ci a donc reçu une série de colis déterminés et non pas seulement en bloc un certain poids ou un certain volume de marchandises; que, dans ce dernier cas seulement, il y aurait lieu d’appliquer la limite de 100£ or à chaque unité choisie par les parties, d’après le connaissement, pour mesurer la marchandise prise en charge;
Considérant que, sans doute, l’une des demanderesses soutient que le terme de «colis» implique par lui-même la notion de charge limitée et qu’une caisse pesant 9 tonnes 500 ou une voiture automobile ne sauraient donc être considérées comme des colis pour l’application de la règle limitative de responsabilité du transporteur maritime; mais que, si tel était bien le sens du mot «colis», il y a quelques siècles, lorsque les portefaix ne disposaient que de leur cou pour charger les ballots de marchandises, le sens en a glissé depuis des décennies, et, maintenant que la technique des moyens de levage ou de manutention permet d’embarquer et de débarquer des charges unitaires sans commune mesure avec celles que peut déplacer un homme, le terme de «colis», tout au moins dans le langage des professionnels du transport maritime, c’est-à-dire dans le sens où il est employé par le texte l’interprétation duquel il s’agit, désigne, non pas seulement une petite charge mais toute charge individualisée, remise telle quelle au transporteur et ainsi acceptée par celui-ci, quel que soit son poids ou son volume;…
En apparence, il peut paraître injuste qu’un chargeur qui livre des marchandises non emballées dont la valeur dépasse manifestement $50,000 soit limité à ne recouvrer que $500, mais, comme a dit le Juge Rand dans l’arrêt Anticosti:
[TRADUCTION] Nous en sommes réduits, donc, à considérer l’unité comme étant l’article. Il est incontestable que cette méthode peut produire des anomalies, mais la règle ne semble pas autoriser de tempérament. Il incombe au chargeur de s’assurer que la valeur de la chose expédiée est déclarée et insérée dans le connaissement et tout inconvénient résultant doit
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être imputé à son propre défaut de respecter cette exigence.
Les caractères italiques sont de moi.
Et, dans la même veine, M. le Juge Kearney a dit dans l’arrêt Sept Iles Express, précité, p. 218:
[TRADUCTION] Il est important de souligner que l’«anomalie» mentionnée par l’avocat de l’appelante aurait pu être écartée et n’aurait jamais été soulevée si le chargeur avait inséré la valeur qu’il attribuait au véhicule automobile en question;
…
Étant donné tout ce qui précède, je suis persuadé que l’intimée a le droit de limiter sa responsabilité à $500 pour chaque élément de cargaison et je suis donc d’accord avec le savant juge de première instance que le montant total des dommages-intérêts doit se limiter à $1,000.
À mon avis, les dispositions relatives à la limitation de responsabilité de la Loi sur la marine marchande du Canada, à l’art. 657, maintenant l’art. 647, S.R.C. 1970 c. S-9, se seraient appliquées aux faits de la présente affaire, et je rejette la suggestion des appelantes que la perte s’est produite par suite de la faute ou de la complicité du propriétaire. (Voir Robin Hood Mills v. Patterson Steamship Limited[13]. Cependant, il est évident que l’application de cet article n’aurait pas réduit les dommages au-dessous de $1,000 et, par conséquent, il n’est pas nécessaire d’étudier cet aspect de l’affaire.
Pour tous ces motifs, je suis d’avis de rejeter l’appel ainsi que l’appel incident avec dépens.
Appel et appel incident rejetés avec dépens.
Procureurs des demandeurs, appelants: Du Vernet, Carruthers, Beard and Eastman, Toronto.
Procureurs des défendeurs, intimés: Beauregard, Brisset and Reycraft, Montréal.
[1] (1954), 2 Q.B. 402, p. 410.
[2] [1959] R.C.S. 372, p. 375.
[3] [1943] R.C.S. 179.
[4] [1971] R.C.S. 522.
[5] [1966] R.C.S. 180.
[6] [1937] R.C.S. 261.
[7] [1957] R.C.S. 801.
[8] [1964] R.C.É. 213.
[9] [1944] A.M.C. 883.
[10] [1938] 1 K.B.459.
[11] (1874), L.R. 9 Ex. 67.
[12] (1967), 19 Le Droit Maritime Français, 23.
[13] [1937] 3 D.L.R. 1 à p. 6.