Cour suprême du Canada
Cardinal c. Procureur général de l’Alberta, [1974] R.C.S. 695
Date: 1973-06-29
Charlie Cardinal Appelant;
et
Le Procureur général de l’Alberta Intimé.
1972: le 7 décembre; 1973: le 29 juin.
Présents: Le Juge en Chef Fauteux et les Juges Abbott, Martland, Judson, Ritchie, Hall, Spence, Pigeon et Laskin.
EN APPEL DE LA COUR SUPRÊME DE L’ALBERTA, DIVISION D’APPEL
APPEL d’un jugement de la Cour suprême de l’Alberta, Division d’appel[1], infirmant un jugement de la Cour d’instance inférieure. Appel rejeté, les juges Hall, Spence et Laskin étant dissidents.
R.F. Roddick et L.R. Cunningham, pour l’appelant.
W. Henkel, c.r., et B.A. Crane, pour l’intimé.
Le jugement du Juge en Chef Fauteux et des Juges Abbott, Martland, Judson, Ritchie et Pigeon a été rendu par
LE JUGE MARTLAND — Le 8 décembre 1970, l’appelant, un Indien visé par les traités, a vendu chez lui dans une réserve indienne, dans la province d’Alberta, un morceau de viande d’orignal à un non-Indien. Il a été accusé d’avoir violé l’art. 37 de la Loi dite The Wildlife Act, R.S.A. 1970 c. 391, qui prévoit:
[TRADUCTION] 37. Personne ne doit faire le commerce du gros gibier ou du gibier à plume sauf suivant que le permettent expressément la présent loi ou les règlements.
Le juge de première instance a conclu que l’appelant avait fait le commerce du gros gibier aux termes de cet article. L’appelant a été acquitté pour le motif que la loi The Wildlife Act est ultra vires des pouvoirs de la législature de l’Alberta en ce qui concerne son application à l’appelant en tant qu’Indien vivant dans une réserve indienne. Sur cette question de droit, un exposé de cause a été rédigé et soumis à un juge de la Cour suprême de l’Alberta qui a conclu que la décision était juste. Un appel a été inter-
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jeté à la Division d’appel de la Cour suprême de l’Alberta, qui a accueilli l’appel et infirmé le jugement de la cour d’instance inférieure. Le présent appel est interjeté, sur autorisation, à cette Cour.
Le par. (24) de l’art. 91 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867, donne au Parlement du Canada l’autorité législative exclusive sur:
24. Les Indiens et les terres réservées pour les Indiens.
Une convention datée du 14 décembre 1929, ci-après appelée «la convention», a été conclue entre le Gouvernement du Canada et le Gouvernement de l’Alberta, en vue du transfert par le Canada à l’Alberta des droits de la Couronne sur toutes les terres fédérales, mines et minéraux dans la province de l’Alberta, et les dispositions de l’Acte de l’Alberta ont été modifiées suivant ce qui est établi dans la convention.
Les articles 10 à 12 inclusivement figurent dans la convention sous l’intitulé «Réserves Indiennes», et les articles 10 et 12 sont les dispositions importantes dans le présent appel. Elles prescrivent ce qui suit:
10. Toutes les terres faisant partie des réserves indiennes situées dans la province, y compris celles qui ont été choisies et dont on a mesuré la superficie, mais qui n’ont pas encore fait l’objet d’une ratification, ainsi que celles qui en ont été l’objet, continuent d’appartenir à la Couronne et d’être administrées par le gouvernement du Canada pour les fins du Canada, et, à la demande du surintendant général des Affaires indiennes, la province réservera, au besoin, à même les terres de la Couronne inoccupées et par les présentes transférées à son administration, les autres étendues que ledit surintendant général peut, d’accord avec le ministre approprié de la province, choisir comme étant nécessaires pour permettre au Canada de remplir ses obligations en vertu des traités avec les Indiens de la province, et ces étendues seront dans la suite administrées par le Canada de la même manière à tous égards que si elles n’étaient jamais passées à la province en vertu des dispositions des présentes.
12. Pour assurer aux Indiens de la province la continuation de l’approvisionnement de gibier et de poisson destinés à leurs support et subsistance, le Canada consent à ce que les lois relatives au gibier et
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qui sont en vigueur de temps à autre dans la province, s’appliquent aux Indiens dans les limites de la province; toutefois, lesdits Indiens auront le droit que la province leur assure par les présentes de chasser et de prendre le gibier au piège et de pêcher le poisson, pour se nourrir en toute saison de l’année sur toutes les terres inoccupées de la Couronne et sur toutes les autres terres auxquelles lesdits Indiens peuvent avoir un droit d’accès.
La convention a été approuvée par le Parlement du Canada et la législature de la province de l’Alberta et, par la suite, cette convention de même que celles conclues entre le Gouvernement du Canada et les provinces du Manitoba, de la Saskatchewan et de la Colombie-Britannique ont été confirmées par l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1930. L’article 1 de cette dernière loi prévoit ce qui suit:
1. Les conventions comprises dans l’annexe de la présente loi, sont par les présentes confirmées et auront force de loi nonobstant tout ce qui est contenu dans l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867, ou dans tout Acte le modifiant, ou dans toute loi du Parlement du Canada ou dans tout arrêté du Conseil ou termes ou conditions d’Union faits ou approuvés sous l’empire d’aucune de ces lois.
Les articles 10 et 12 de la convention ont donc reçu force de loi nonobstant tout ce qui est contenu dans l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867. La question en litige dans le présent appel est de savoir si l’art. 12 a eu pour effet de rendre les dispositions du The Wildlife Act applicables à l’appelant, un Indien vise par les traités, relativement à un acte qui a été accompli dans une réserve indienne dans la province de l’Alberta.
L’appelant a allégué que le Parlement du Canada a l’autorité législative exclusive sur l’administration des réserves indiennes et que les lois provinciales ne peuvent s’appliquer dans semblable réserve à moins qu’elles ne soient introduites par renvoi dans la législation fédérale. On prétend que l’expression «sur toutes les terres inoccupées de la Couronne et sur toutes les autres terres auxquelles lesdits Indiens peuvent avoir un droit d’accès» ne comprend pas les terres des réserves indiennes et que les seules lois auxquelles sont assujettis les Indiens,
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lorsqu’ils sont dans une réserve, sont les lois du Canada. L’article 12, prétend-on, ne peut s’appliquer qu’aux Indiens de l’Alberta hors des réserves indiennes.
L’arrêt R. v. Wesley[2] a été cité au soutien de cette proposition. Il s’agit d’un arrêt de la Division d’appel de l’Alberta. A mon avis, il ne nous aide pas à décider la question en litige dans le présent appel. L’inculpé, un Indien, avait été accusé dé violations à la loi dite The Game Act de l’Alberta relativement à ses opérations de chasse sur les terres inoccupées de la Couronne. Le chevreuil qu’il avait tué avait servi de nourriture. La question était de déterminer l’étendue de la protection que lui accordait l’art. 12 de la convention relativement à la chasse pour se nourrir. La Couronne a prétendu que le droit de chasser «le gibier» ne comprenait pas les animaux dont la chasse était totalement interdite par la loi The Game Act. On a aussi allégué que quand fut accordé le droit de chasser «en toute saison de l’année», seul le droit de faire la chasse hors saison s’est trouvé à être conféré, mais que cette chasse était toujours sujette aux restrictions imposées par le Game Act. Ces prétentions ont été rejetées. Les conclusions de la Cour sont exposées dans le jugement du Juge d’appel McGillivray, page 344:
[TRADUCTION] Si la réserve a simplement pour effet d’accorder aux Indiens le privilège additionnel de chasser pour se nourrir «hors saison» et s’ils sont pour le reste assujettis aux lois provinciales sur la chasse, il s’ensuit que, dans toute année, on peut restreindre le nombre d’animaux d’une espèce donnée qu’ils peuvent tuer même si ce nombre n’est pas suffisant pour leur subsistance et entretien et même si aucune autre espèce de gibier ne leur est accessible. Je ne crois pas que ce soit là, d’après le texte de l’article, l’intention du législateur. Je crois que la loi entendait assujettir l’Indien comme le Blanc aux lois visant la conservation de la faune quand ils pratiquent la chasse sportive ou commerciale sauf que, en chassant des animaux sauvages pour se procurer la nourriture nécessaire à la vie, l’Indien devait être placé dans une position très différente du Blanc qui, d’une manière générale, ne chasse pas pour se nourrir, et
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devait, de par la réserve de l’article 12, se voir assuré de la jouissance continue d’un droit qu’il avait depuis des temps immémoriaux.
Ce dernier passage a été cité et approuvé par cette Cour dans l’arrêt Prince c. R.[3], dans lequel le litige portait sur la signification du terme «chasser» dans le par. 1 de l’art. 72 du The Game and Fisheries Act, R.S.M. 1954, c. 94, qui avait été adopté en application de l’art. 13 du Manitoba Natural Resources Agreement, qui est identique à l’art. 12 de la convention. Il était admis que les appelants étaient des Indiens, pratiquant la chasse pour se nourrir sur des terres auxquelles ils avaient droit d’accès. On a statué qu’aucune restriction ne s’appliquait à eux quant à la méthode de chasse. La Cour d’appel du Manitoba a récemment appliqué le même principe dans l’arrêt R. v. McPherson[4].
Dans l’arrêt R. v. Smith[5], la Cour d’appel de la Saskatchewan a étudié l’application de l’art. 12 du Saskatchewan Natural Resources Agreement, qui est identique à l’art. 12 de la convention. L’inculpé, un Indien, était accusé de port d’armes à feu dans une réserve pour gibier. On a prétendu qu’il était protégé par la réserve de l’article, car il chassait sur des terres inoccupées de la Couronne ou sur des terres auxquelles il avait un droit d’accès. Ces deux arguments ont été rejetés. On a statué que le terme «inoccupé» signifiait «inemployé» ou «non utilisé» et que les terres de la Couronne réservées à une fin spéciale n’étaient pas inoccupées au sens de l’art. 12. On a aussi statué que le seul droit d’accès aux terres en question était simplement le privilège accordé à toutes les personnes d’entrer dans la réserve sans transporter d’armes à feu.
En étudiant la signification de l’expression «droit d’accès», tous les membres de la Cour ont considéré qu’elle s’appliquait aussi bien aux réserves Indiennes qu’aux autres terres.
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La dernière cause citée concernant l’interprétation de l’art. 12 est le jugement de cette Cour dans l’affaire Daniels c. White et La Reine[6], qui a traité de l’article équivalent (l’art. 13) de la convention relative au Manitoba. Cependant, dans cette dernière affaire, il s’agissait de déterminer si la garantie du droit des Indiens de chasser, de prendre le gibier au piège et de pêcher le poisson pour se nourrir, liait le Gouvernement fédéral de façon à exempter l’appelant, qui était un Indien, de l’application des dispositions de la Loi sur la Convention concernant les oiseaux migrateurs. On a statué que seules les lois provinciales sur la chasse et la pêche étaient visées par la réserve contenue dans cet article. Cette dernière décision ne s’applique pas aux circonstances de l’espèce.
Le présent appel soulève donc des questions quant à l’application de l’art. 12 qui n’ont pas été étudiées précédemment.
Comme il a été indiqué plus haut, l’appelant part de la proposition que, avant la conclusion de la convention, les réserves indiennes étaient des enclaves qui ont été retirées du champ d’application de la législation provinciale, sauf lorsqu’elle s’applique par renvoi en vertu d’une loi fédérale. A partir de cette prémisse, on prétend que l’art. 12 ne devrait pas être interprété de manière à ce que la législation provinciale en matière de chasse et pêche soit applicable aux réserves indiennes.
Je ne puis accepter cette première prémisse. Le par. (24) de l’article 91 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867, a donné au Parlement canadien l’autorité législative exclusive relativement aux Indiens et aux terres réservées aux Indiens. L’article 92 a donné à chaque province le pouvoir exclusif de légiférer sur les sujets qui y sont énumérés. Il est bien établi, comme le démontre l’arrêt Union Colliery Company v. Bryden[7], qu’une province ne peut légiférer relativement à une matière exclusivement assignée au Parlement fédéral en vertu de
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l’article 91. Mais, il est aussi bien établi qu’une loi provinciale adoptée en vertu d’une des catégories de l’art. 92 ne devient pas nécessairement nulle parce qu’elle touche quelque chose qui est assujetti à la législation fédérale. Le Conseil privé l’a clairement illustré dans l’arrêt Cunningham v. Tomey Homma[8], qui a été rendu quelques années après l’affaire Union Colliery et qui a confirmé la validité d’une loi provinciale, passée en vertu du par. (1) de l’art. 92, qui interdisait aux Japonais, qu’ils soient naturalisés ou non, de voter aux élections provinciales en Colombie-Britannique.
Une législature provinciale ne saurait légiférer relativement aux Indiens ou relativement aux réserves indiennes, ce qui est loin de dire que le par. (24) de l’art. 91 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867, avait pour effet de créer des enclaves dans une province à l’intérieur des limites desquelles la législation provinciale ne pourrait pas s’appliquer. A mon avis, le critère concernant l’application de la législation provinciale dans une réserve est le même que celui qui concerne son application dans la province, c’est-à-dire, que la législation doit s’inscrire dans le cadre des pouvoirs énumérés à l’art. 92 et non porter sur des sujets exclusivement assignés au Parlement du Canada en vertu de l’art. 91. Deux de ces sujets sont les Indiens et les réserves indiennes, mais si une législation provinciale dans les limites de l’art. 92 n’est pas interprétée comme étant une législation relative à ces catégories de sujets (ou tout autre sujet visé par l’art. 91), elle est applicable partout dans la province, y compris les réserves indiennes, même si elle peut toucher les Indiens et les réserves indiennes. Le point que j’avance est que le par. (24) de l’art. 91 énumère des catégories de sujets à l’égard desquelles le Parlement fédéral a le pouvoir exclusif de légiférer, mais il ne vise pas à définir des secteurs d’une province dans lesquels le pouvoir d’une province de légiférer, qui serait autrement de sa compétence, doit être exclu.
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De nombreux arrêts des cours provinciales rendus dans des affaires où l’art. 12 de la convention, ou son équivalent dans les conventions du Manitoba et de la Saskatchewan, n’était pas applicable, ont étudié la question de l’application des lois provinciales aux Indiens et leur application à l’intérieur des réserves indiennes. L’avocat de l’appelant cite l’arrêt R. v. Jim[9]. Dans cette dernière affaire, le Juge en chef de la Colombie-Britannique, le Juge Hunter, a statué qu’une accusation d’avoir chassé le chevreuil sans détenir un permis émis en vertu de la loi dite British Columbia Game Protection Act, ne pourrait être portée contre un Indien qui chasse dans une réserve indienne. La décision a été fondée sur le motif que la Loi sur les Indiens, adoptée en vertu du par. (24) de l’art. 91 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867, prévoyait que toutes les terres indiennes devaient être administrées comme le décrète le gouverneur en conseil et que l’administration comprenait la réglementation de la chasse dans une réserve.
L’arrêt R. v. Rodgers[10] est une décision dans le même sens de la Cour d’appel du Manitoba concernant le piégeage du vison dans une réserve indienne sans un permis provincial.
Dans l’arrêt R. v. Morley[11], la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a statué qu’une loi provinciale en matière de chasse et pêche s’appliquait à un non-Indien à l’égard d’une accusation d’avoir tué un faisan en temps prohibé dans une réserve indienne.
Dans l’affaire Corporation of Surrey v. Peace Arch Enterprises Ltd.[12], la situation était différente. Il s’agissait de terres situées dans une réserve indienne qui avaient été “cédées” en fidéicommis à la Couronne fédérale à des fins de louage. La question était de savoir si les terres étaient sujettes, dans leur utilisation par
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les locataires, qui étaient des non-Indiens, à certains règlements municipaux et aux règlements établis en vertu de la loi dite Provincial Health Act. La Cour a conclu que les terres en question étaient toujours «des terres réservées aux Indiens» et, puisqu’il en était ainsi, seul le Parlement fédéral pouvait légiférer quant à l’usage auquel elles pouvaient être destinées. L’arrêt Morley n’a pas été mentionné dans le jugement et je présume qu’il en a été ainsi parce que les affaires n’étaient pas considérées comme comparables. Dès lors qu’on avait décidé que les terres restaient des terres réservées aux Indiens, la législation provinciale concernant leur usage n’était pas applicable. La législation en matière de chasse et pêche étudiée dans l’arrêt Morley régissait la conduite de personnes qui chassaient le gibier en Colombie-Britannique et il a été décidé qu’elle s’appliquait dans toutes les parties de la province.
Dans l’arrêt R. v. Groslouis[13], la Cour des sessions de la paix du Québec a déclaré un marchand indien qui résidait et exploitait un magasin de détail dans une réserve indienne coupable d’une infraction en vertu de la Loi de l’impôt sur la vente en détail du Québec relativement à la vente de marchandises à un non-Indien dans une réserve. La Cour a toutefois exprimé l’avis que quand il vendait des marchandises à un non-Indien, il accomplissait une action qui, en théorie, avait pour effet de le faire sortir de la réserve.
Dans l’arrêt R. v. Hill[14], la Cour d’appel de l’Ontario a statué qu’un Indien non emancipé visé par les traités, résidant dans une réserve, était assujetti aux dispositions de la loi dite Ontario Medical Act lorsqu’il pratiquait la médecine à titre onéreux, mais non dans une réserve. Dans l’arrêt R. v. Martin[15], cette dernière Cour a aussi statué qu’un Indien, hors d’une réserve, pouvait être déclaré coupable d’une infraction en vertu de la loi dite The Ontario Temperance Act.
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Le Juge Riddell, à la p. 83, appliqua mutatis mutandis, dans l’affaire dont il était saisi, les termes de la décision rendue par le Conseil privé dans l’affaire Canadian Pacific Railway Company v. Corporation of the Parish of Notre Dame de Bonsecours[16]. Les passages pertinents de l’arrêt Canadian Pacific Railway sont les suivants:
[TRADUCTION] L’acte de l’Amérique du Nord britannique, bien qu’il donne au Parlement du Canada l’autorité législative sur le chemin de fer de l’appelante en tant que chemin de fer, ne déclare pas que le chemin de fer cessera de faire partie des provinces dans lesquelles il est situé, ou qu’il doit, à d’autres égards, être retiré de la compétence des législatures provinciales.
* * *
Il apparaît donc à leurs Seigneuries que toute tentative par la législature du Québec de régir par législation, décrite ou non comme étant en matière municipale, la structure d’un fossé faisant partie des ouvrages autorisés de la compagnie appelante, serait une législation qui outrepasserait ses pouvoirs. D’autre part, si la loi ne concernait pas la structure du fossé, mais prévoyait qu’advenant une accumulation de détritus et de déchets causant le débordement du fossé et un préjudice à un autre propriétaire dans la paroisse, le fossé devra être complètement nettoyé par la compagnie appelante, alors, d’après leurs Seigneuries, la loi serait une loi en matière municipale du ressort de la législature du Québec.
Le Juge Riddell a poursuivi:
[TRADUCTION] En d’autre s termes, aucune loi de la législature provinciale concernant les Indiens ou leurs terres comme tels serait valide et exécutoire; mais il n’y a aucune raison pour laquelle des lois d’application générale ne pourraient les toucher.
Aucun de ces arrêts n’a décidé qu’une loi provinciale d’application générale en matière de chasse et pêche ne pourrait toucher à un Indien hors d’une réserve. Les lois de cette nature ne visent pas les Indiens en tant qu’Indiens, et le passage précité serait, à mon avis, applicable à pareilles lois. Les arrêts Jim et Rodgers ont
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décidé que pareilles lois ne s’appliquaient pas à un Indien dans une réserve indienne. L’arrêt Morley est inconciliable avec la proposition selon laquelle aucune loi provinciale ne peut s’appliquer à l’intérieur d’une réserve indienne, sauf par renvoi dans une loi fédérale.
J’aborde maintenant la question de l’effet de l’art. 12 de la convention.
Nous avons remarqué que cet article, de même que les articles 10 et 11, figure sous l’intitulé «réserves indiennes». Le début se lit comme suit:
Pour assurer aux Indiens de la province la continuation de l’approvisionnement de gibier et de poisson destinés à leurs support et subsistance, le Canada consent à ce que les lois relatives au gibier et qui sont en vigueur de temps à autre dans la province, s’appliquent aux Indiens dans les limites de la province,…
Les mots du début de l’article en précisent le but. H vise à assurer aux Indiens de la province la continuation d’un approvisionnement en gibier et poisson pour leur soutien et leur subsistance. C’est afin d’atteindre ce but que les Indiens résidant à l’intérieur des limites de la province doivent respecter les lois provinciales en matière de chasse et pêche, sous réserve toujours de leur droit de chasser et de pêcher pour se nourrir. Cela étant le but de l’article, on ne pouvait entendre que les règles qui s’appliqueraient aux Indiens relativement à la chasse et à la pêche à des fins autres que pour se nourrir, devaient s’appliquer seulement aux Indiens hors des réserves.
De plus, si la portée de l’article était ainsi restreinte, il ne servirait pas à atteindre son but. Les arrêts qui ont précédé la convention, tels que R. v. Martin, précité, avaient décidé que les lois provinciales d’application générale qui ne se rapportaient pas aux Indiens en tant qu’Indiens leur seraient applicables. D’après leurs faits, ces espèces concernaient des Indiens hors des réserves. Ce à quoi je veux en venir, c’est que les dispositions de l’art. 12 n’étaient pas essentielles pour que les lois provinciales en matière de chasse et pêche s’appliquent aux Indiens hors des réserves.
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A mon avis, l’art. 12 signifie que le Canada, dont la compétence législative s’étendait aux «Indiens et aux terres réservées aux Indiens», afin d’atteindre le but de l’article, a accepté l’imposition de règles provinciales sur la chasse et la pêche que la province n’aurait pas eu le pouvoir d’imposer antérieurement. En termes exprès, il prévoit que les lois provinciales en matière de chasse et pêche doivent s’appliquer «aux Indiens dans les limites de la province». A mon avis, il faut en déduire qu’elles s’appliquent à tous les Indiens dans la province, où qu’ils se trouvent dans la province.
Ce point de vue s’appuie sur une étude de l’état du droit en Alberta, à l’époque où la convention a été conclue. A ce moment-là, l’art. 69 de la Loi des Indiens, c. 98, S.R.C. 1927, prévoyait ce qui suit:
69. Le surintendant général peut, de temps en temps, par voie d’avis public, déclarer qu’à dater d’un jour que l’avis indique, les lois en vigueur dans les provinces du Manitoba, de la Saskatchewan ou de l’Alberta, ou dans les Territoires, concernant la chasse ou concernant telle espèce de gibier qui est désigné dans cet avis, sont applicables, à l’égard des Indiens dans ces provinces ou dans ces Territoires, selon le cas, ou dans celles de leurs régions où l’application lui en semble opportune.
Le surintendant général avait donc le pouvoir de déclarer que les lois de l’Alberta concernant la chasse devaient s’appliquer à l’égard «des Indiens dans cette province» ou «dans celles de ses régions où l’application lui en semble opportune». Puisqu’il s’agit d’une disposition de la Loi sur les Indiens, l’article a dû prévoir l’exercice possible de ce pouvoir à l’égard des Indiens dans les réserves quand il a parlé des «Indiens dans ces provinces».
Quand l’art. 12 a été rédigé, il énonçait d’abord son but général et il prévoyait ensuite que les lois de la province en matière de chasse et pêche devaient s’appliquer aux «Indiens dans les limites de la province». Il s’agit pratiquement de la même expression que l’expression «Indiens dans ces provinces» contenue dans
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l’art. 69, et, à mon avis, on avait l’intention de lui donner le même sens et la même application.
L’article 69 a cessé d’être en vigueur en Alberta, en Saskatchewan et au Manitoba après l’adoption de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1930, qui a donné force de loi aux conventions qui y étaient mentionnées nonobstant toute disposition de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867, ou modification s’y rapportant, ou toute loi du Parlement du Canada. L’article 69 a disparu de la Loi sur les Indiens adoptée en 1951, c. 29, S.C. 1951, laquelle introduisait l’art. 87 (maintenant l’art. 88) mentionné plus loin qui prévoyait:
Sous réserve des dispositions de quelque traité et de quelque autre loi du Parlement du Canada, toutes lois d’application générale et en vigueur, à l’occasion, dans une province sont applicables aux Indiens qui s’y trouvent et à leur égard, sauf dans la mesure où lesdites lois sont incompatibles avec la présente loi ou quelque arrêté, ordonnance, règle, règlement ou statut administratif établi sous son régime, et sauf dans la mesure où ces lois contiennent des dispositions sur toute question prévue par la présente loi ou y ressortissant.
L’appelant insiste sur les termes suivants qui se trouvent dans la réserve de l’art. 12 de la convention: «sur toutes les autres terres auxquelles lesdits Indiens peuvent avoir un droit d’accès». On prétend que l’art. 10 prévoit que les réserves indiennes continuent d’appartenir à la Couronne fédérale et qu’il prévoit aussi la création d’autres réserves, et que, sur ces terres, les Indiens résidants ont un droit de beaucoup supérieur à un simple «droit d’accès». L’emploi de cette expression, prétend-on, est incompatible avec toute mention de terres de réserves, et par conséquent, puisque la réserve, selon les termes employés, ne s’applique pas aux réserves indiennes, il faut en déduire que l’article, dans son ensemble, ne leur est pas applicable.
Je ne puis accepter que la portée des termes larges employés dans la première partie de l’art. 12 puisse, par déduction, être restreinte de cette façon. A mon avis, ayant eu pour effet d’assujettir, dans leur propre intérêt, tous les Indiens dans les limites de la province aux lois provin-
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ciales en matière de chasse et pêche, la réserve, par laquelle la province a assuré les droits précis de chasser et de pêcher pour se nourrir, a été rédigée en termes larges. La réserve de l’article assure le droit de chasser et de pêcher pour se nourrir dans les réserves indiennes, car il ne fait aucun doute que, quels que soient les droits additionnels que les Indiens résidant dans une réserve puissent avoir, ils y ont certainement droit d’accès. Ce point de vue a été exprimé par la Cour d’appel de la Saskatchewan dans l’arrêt Smith déjà mentionné.
Pour ces motifs, je suis d’avis que l’art. 12 de la convention a eu pour effet de rendre les dispositions de la loi dite The Wildlife Act applicables à tous les Indiens, y compris ceux qui se trouvent dans les réserves, et de régir leurs activités dans toute la province, y compris dans les réserves. En vertu de l’art. 1 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1930, il a force de loi, nonobstant toute disposition de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867, modification s’y rapportant, ou toute loi fédérale.
Vu la conclusion que j’ai tirée, il n’est pas nécessaire, dans les circonstances de l’espèce, de déterminer le sens et l’effet de l’art. 88 (anciennement l’art. 87) de la Loi sur les Indiens, c. I‑6, S.R.C. 1970.
Je suis d’avis de rejeter l’appel.
Le jugement des Juges Hall, Spence et Laskin a été rendu par
LE JUGE LASKIN (dissident) — Cet appel soulève pour la première fois devant cette Cour la question de savoir si les lois provinciales sur la conservation de la faune s’appliquent à un Indien visé par les traités dans une réserve indienne, de telle sorte que celui-ci devient passible des sanctions pénales prévues par ces lois lorsqu’il se livre dans la réserve à des activités interdîtes par la législation provinciale. Bien que dans la présente affaire la question en litige intéresse directement les lois de l’Alberta, et exige par conséquent que l’on considère la convention sur les ressources naturelles passée entre le gouvernement du Canada et le gouver-
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nement de la province de l’Alberta, telle qu’elle a été approuvée par, respectivement, 1930 (Canada), c. 3, et 1930 (Alberta), c. 21, et confirmée par l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1930 (Royaume-Uni), chapitre 26, cette question intéresse indirectement les provinces soeurs de l’Ouest qui ont passé des conventions analogues avec le gouvernement du Canada et, à mon avis, elle est tout aussi importante pour les Indiens visés par les traités vivant dans des réserves situées dans les provinces à l’est du Manitoba.
La convention sur les ressources naturelles de l’Alberta fait partie intégrante de l’ordre constitutionnel sur lequel repose l’existence du Canada et de ses provinces, et il s’agit de savoir si cette convention touche à la répartition du pouvoir législatif prévue par les articles 91 et 92 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique et est touchée par elle, et dans quelle mesure. Ce que met en jeu, par conséquent, la question en litige dans la présente affaire, c’est non seulement les dispositions pertinentes de la convention sur les ressources naturelles de l’Alberta, mais également le pouvoir exclusif du parlement fédéral de légiférer en vertu du par. (24) de l’art. 91 à l’égard des «Indiens et des terres réservées pour les Indiens». A mon avis, il y a des questions parallèles ici qui sont de savoir dans quelle mesure, le cas échéant, les lois provinciales sur la conservation de la faune peuvent s’appliquer aux Indiens d’une réserve soit en regard de la convention sur les ressources naturelles de l’Alberta (ou de la convention sur les ressources naturelles du Manitoba, ou encore de la convention sur les ressources naturelles de la Saskatchewan, qui contiennent des dispositions semblables sur la matière du présent litige) soit en regard du pouvoir législatif non exercé du fédéral sous le régime de l’art. 91, par. (24). Sous ce dernier rapport, j’emprunte à l’arrêt Union Colliery Co. v. Bryden[17] ces termes consacrés qui expriment ce qui est devenu un axiome du droit constitutionnel:
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[TRADUCTION] Le fait que le parlement fédéral s’abstient de légiférer dans la plénitude de ses pouvoirs ne saurait avoir pour effet de transférer à une législature provinciale le pouvoir législatif conféré au Dominion par l’article 91 de l’acte de 1867.
Une question complémentaire se pose ici si on décide que la loi provinciale pertinente, le Wildlife Act, 1970 (Alberta), c. 113 (maintenant R.S.A. 1970, c. 391), s’applique à des Indiens dans une réserve sous le régime de la convention sur les ressources naturelles de l’Alberta. Cette question consiste à savoir si, dans ce cas, cette loi provinciale est exclue ou écartée par les dispositions de la Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, c. 1-6, en particulier ses articles 73, 81 et 88.
L’un des attendus de la convention sur les ressources naturelles de l’Alberta (de même que de la convention sur les ressources naturelles de la Saskatchewan et également, quoique dans un contexte différent, de la convention sur les ressources naturelles du Manitoba) prévoit qu’«il est avantageux que la province soit traitée à l’égal des autres provinces de la Confédération quant à l’administration et au contrôle de ses ressources naturelles, à dater de son entrée dans la Confédération en 1905».
Les clauses de la convention qui soulèvent directement la question à décider dans la présente affaire sont les articles 10 et 12 qui s’énoncent, respectivement, comme suit:
10. Toutes les terres faisant partie des réserves indiennes situées dans la province, y compris celles qui ont été choisies et dont on a mesuré la superficie, mais qui n’ont pas encore fait l’objet d’une ratification, ainsi que celles qui en ont été l’objet, continuent d’appartenir à la Couronne et d’être administrées par le gouvernement du Canada pour les fins du Canada, et, à la demande du surintendant général des Affaires Indiennes, la province réservera, au besoin, à même les terres de la Couronne inoccupées et par les présentes transférées à son administration, les autres étendues que ledit surintendant général peut, d’accord avec le ministre approprié de la province, choisir comme étant nécessaires pour permettre au Canada de remplir ses obligations en vertu des traités avec les Indiens de la province, et ces étendues seront dans la suite administrées par le Canada de la même manière
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à tous égards que si elles n’étaient jamais passées à la province en vertu des dispositions des présentes.
12. Pour assurer aux Indiens de la province la continuation de l’approvisionnement de gibier et de poisson destinés à leurs support et subsistance, le Canada consent à ce que les lois relatives au gibier et qui sont en vigueur de temps à autre dans la province, s’appliquent aux Indiens dans les limites de la province; toutefois, lesdits Indiens auront le droit que la province leur assure par les présentes de chasser et de prendre le gibier au piège et de pêcher le poisson, pour se nourrir en toute saison de l’année sur toutes les terres inoccupées de la Couronne et sur toutes les autres terres auxquelles lesdits Indiens peuvent avoir un droit d’accès.
Plusieurs autres articles de la convention sur les ressources naturelles de l’Alberta méritent d’être reproduits car ils témoignent de l’intention, dans cette convention-là, de placer l’Alberta dans une situation d’égalité avec les autres provinces en ce qui touche l’administration et le contrôle de ses ressources naturelles. Il s’agit des articles 14, 15 et 18 qui, en leurs termes matériels, sont ainsi libellés:
14. Les parcs nationaux à l’annexe des présentes demeureront parcs nationaux, et les terres y comprises, ainsi qu’elles sont décrites dans les arrêtés en conseil énoncés dans ladite annexe (sauf celles desdites terres qui peuvent ensuite en être exclues), ainsi que les mines et minéraux (précieux et vils) qui se trouvent dans chacun desdits parcs, de même que les redevances y afférentes, continueront d’appartenir au gouvernement du Canada et d’être administrées par lui à titre de parcs nationaux; mais, advenant le cas où le Parlement du Canada déclarerait, à quelque époque que ce soit, que lesdites terres ou une de leurs parties ne sont plus requises comme parcs, les terres, mines, minéraux (précieux et vils) et les redevances y afférentes, mentionnés dans cette déclaration, appartiendront immédiatement de ce chef à la province, et les dispositions du troisième paragraphe de la présente convention s’y appliqueront à compter de la date de cette déclaration.
15. Le Parlement du Canada possédera une juridiction législative exclusive dans toute la zone comprise dans les limites extérieures de chacun desdits parcs, nonobstant le fait que des portions de cette zone puissent ne pas faire partie du parc lui-même; les lois actuellement en vigueur dans ladite zone continueront de l’être à moins qu’elles ne soient changées par le Parlement du Canada ou sous son autorité; cepen-
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dant, toutes les lois de la province actuellement en vigueur ou qui le deviendront et qui ne répugnent à aucune loi ou à aucun règlement dont l’application dans ladite zone a été décrétée par ou sous l’autorité du Parlement du Canada s’étendront à ladite zone et y seront exécutoires, et toutes les lois générales d’impôt adoptées par la province s’y appliqueront à moins que leur application n’en soit expressément exclue par ou sous l’autorité du Parlement du Canada.
18. Sauf dispositions expressément contraires des présentes, rien dans la présente convention ne doit s’interpréter comme s’appliquant de manière à affecter ou à transférer à l’administration de la province a) des terres pour lesquelles des concessions de la Couronne ont été faites et enregistrées en vertu du Land Titles Act de la province et dont Sa Majesté le Roi pour le compte de son Dominion du Canada est le propriétaire enregistré ou a le droit de le devenir à la date de l’entrée en vigueur de la présente convention, ou b) des terres non concédées de la Couronne pour lesquelles des deniers publics du Canada ont été dépensés ou qui sont, à la date de l’entrée en vigueur de la présente convention, en usage ou réservées par le Canada pour les fins de l’administration fédérale.
L’accusé dans la présente affaire, qui est un Indien visé par les traités, a été accusé de commerce illégal du gros gibier sur sa réserve (il a vendu une pièce de viande d’orignal à un gardechasse provincial) en violation de l’art. 37 de la loi dite Wildlife Act. Il n’est pas contesté qu’il ait commis, en fait et en droit, un acte visé par les interdictions de cette loi. Celle-ci établit un mode de contrôle de la faune de l’Alberta au moyen de règlements prévoyant des permis et interdictions de chasse auxquelles sont soumises ex facie toutes les personnes en Alberta. Cette loi ne parle ni d’Indiens ni de réserves indiennes. Dans sa généralité, elle s’étend à eux mais, comme dans d’autres cas où une loi provinciale énoncée de manière générale doit être interprétée de façon à tenir compte des limitations imposées à l’autorité provinciale en raison d’une compétence fédérale exclusive ou en raison d’une loi fédérale exclusive ou interposée, la question qui se pose est de savoir si le domaine d’application ex facie de la loi doit être limité de façon à tenir compte du pouvoir fédéral, que celui-ci ait été exercé ou non.
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Je me propose d’examiner d’abord l’effet de l’article 91, par. (24), quant à la portée des lois provinciales sur la conservation de la faune. Indépendamment du pouvoir exclusif dont le Parlement du Canada est investi pour faire des lois relatives aux Indiens, le pouvoir exclusif qu’il possède également en ce qui concerne les réserves indiennes place de telles étendues de terre, bien qu’elles soient physiquement comprises dans les limites intérieures d’une province, en dehors de la compétence provinciale lorsqu’il s’agit de réglementer leur usage ou de contrôler les ressources qui s’y trouvent. Cela n’est pas dû à un droit de propriété quelconque dont le Parlement du Canada ou la Couronne du chef du Canada se trouvent investis, mais au fait que, quel que soit le droit en cause, c’est seulement le Parlement qui peut faire des lois concernant les réserves une fois que celles-ci ont été reconnues ou réservées comme telles. La question du droit de propriété concernant les terres indiennes, qu’il s’agisse des terres mal définies dont la Proclamation royale de 1763 fait état, ou des étendues plus précisément définies que l’on appelle réserves indiennes, a été examiné par le Conseil privé dans l’affaire St. Catherines Milling and Lumber Co. v. The Queen[18]. Dans la présente affaire, il s’agit d’une réserve dans le sens spécial de terres expressément réservées comme telles, et dans l’affaire St. Catherines Milling on a conclu que lorsque de telles terres sont dans les limites d’une province, ce n’est que lorsqu’elles sont cédées à la Couronne que la province peut revendiquer son plein droit de propriété et y exercer alors son autorité et en avoir la disposition: voir également Ontario Mining Co. v. Seybold[19].
Cependant, ainsi qu’on l’a souligné dans l’affaire Procureur Général du Canada c. Giroux[20], motifs du juge Duff, auxquels le Juge Anglin a souscrit, peut exister dans une réserve un titre indien qui soit davantage que le simple droit personnel et d’usufruit dont l’existence a été reconnue dans l’affaire St. Catherines Milling.
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Les Indiens peuvent avoir la propriété réelle qui est détenue pour eux en fiducie, et s’il en est ainsi l’autorité législative du Parlement prévue à l’art. 91, par. (24) demeure après la cession de la terre de réserve à la Couronne pour lui permettre de donner suite à la fiducie. La cession ne serait pas, dans un tel cas, à la Couronne du chef de la province, comme elle l’avait été dans l’affaire St. Catherines Milling où la terre en cause n’avait fait l’objet d’aucune fiducie en faveur des Indiens. En tout état de cause, comme cette Cour l’a souligné dans Reference re Saskatchewan Natural Resources[21], (traduction) «une distinction [est] reconnue entre les pouvoirs législatifs et les droits de propriété, et la Couronne peut, à une fin, être représentée par le Dominion et, à l’autre fin, par la province, comme dans le cas des pêcheries dans les eaux intérieures ou dans celui des terres indiennes».
Lorsque dans une province il existe une terre qui, comme dans la présente affaire, constitue une réserve indienne reconnue, son administration et la loi qui y est applicable, du moins en ce qui concerne les Indiens vivant sur cette terre, sont du domaine fédéral. Les réserves indiennes constituent des enclaves qui, aussi longtemps qu’elles existent en tant que réserves, sont soustraites au pouvoir de réglementation provincial. Si tant est que les lois provinciales sont applicables, elles ne le sont que par une incorporation par renvoi adoptée par le Parlement du Canada. C’est ce que l’on peut constater dans la Loi sur les Indiens, que j’examinerai plus tard dans les présents motifs.
Il importe de souligner l’importance de l’attribution au Parlement d’un pouvoir législatif exclusif en ce qui concerne les réserves indiennes, si l’on tient compte du genre d’enclave que constitue une réserve. Elle constitue une collectivité sociale et économique, qui possède également sa propre structure politique suivant les dispositions de la Loi sur les Indiens. Le droit de propriété sous-jacent (c’est-à-dire, lors d’une cession) peut bien appartenir à la province, mais une réserve, tant qu’elle existe en tant que telle,
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n’est, à mon avis, pas plus soumise à la législation provinciale que l’est un bien de la Couronne fédérale; et elle n’est pas plus soumise à l’autorité réglementaire provinciale que l’est toute autre entreprise relevant d’une compétence fédérale exclusive.
Je ne veux pas aller trop loin dans les comparaisons. Cependant, je trouverais vraiment étrange qu’alors que la compétence provinciale est niée relativement à une terre détenue par la Couronne du chef du Canada (voir Spooner Oils Ltd. c. Turner Valley Gas Conservation Board[22]), ou relativement à une terre sur laquelle fonctionne un service fédéral (voir Reference re Saskatchewan Minimum Wage Act[23]), ou relativement à une terre faisant partie intégrante de l’exploitation d’une entreprise privée qui relève d’une compétence fédérale exclusive (voir Campbell-Bennett Ltd. v. Comstock Midwestern Ltd.[24]), on puisse avoir un doute quelconque sur le manque de compétence provinciale concernant des terres qui relèvent de l’article 91, par. (24). A mon avis, on ne trouve rien dans des affaires telles que C.P.R. v. Notre Dame de Bonsecours[25] qui ébranle cette opinion étant donné que dans cette affaire-là il s’agissait de l’application d’une loi provinciale à un chemin de fer de juridiction fédérale quant à un objet qui ne faisait pas partie intégrante de son exploitation.
Il n’est pas nécessaire, non plus, que j’examine dans la présente affaire si, en l’absence d’une législation fédérale, la législation provinciale concernant le statut personnel et les liens de parenté de personnes vivant dans une réserve, notamment en ce qui a trait au mariage ou à la garde ou à l’adoption d’enfants, s’appliquerait valablement; ou, de même, si le droit commercial provincial s’appliquerait en l’absence d’une législation fédérale. La présente affaire porte sur la réglementation et l’administration des ressources de terres comprises dans une réserve, et je ne puis imaginer rien qui fasse
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davantage partie intégrante de ces terres en tant que telles. Si le pouvoir fédéral prévu par l’article 91, par. (24) n’écarte pas l’application aux réserves indiennes d’une telle législation provinciale, ce pouvoir a perdu le caractère exclusif que prescrit la constitution.
Je pense qu’il est important ici, non moins que lorsqu’il s’agit d’autres catégories énumérées de pouvoirs fédéraux, d’écarter toute notion selon laquelle l’art. 91, par. (24) existe en vertu d’un retranchement opéré sur une catégorie énumérée plus vaste de pouvoirs provinciaux, par exemple, la propriété et les droits civils dans la province, et est donc de portée limitée, laissant un champ de compétence à la province là où il n’existe pas de législation fédérale. Mon collègue Judson a traité de ce même sujet, dans un autre contexte, dans Nykorak c. Le procureur général du Canada[26].
Étant donné que le pouvoir fédéral relatif aux «terres réservées pour les Indiens» est un pouvoir indépendant et exclusif, il doit englober le contrôle administratif et le pouvoir de réglementation sur les réserves indiennes. Par conséquent, non seulement les lois provinciales sur la conservation de la faune mais les autres lois provinciales de caractère réglementaire ne peuvent s’appliquer à de telles réserves du seul fait de leur mise en vigueur, du moins si l’on cherche à y assujettir les Indiens vivant dans ces réserves. La Cour d’appel du Manitoba a jugé dans Rex v. Rodgers[27], que la loi provinciale dite Game Protection Act ne pouvait pas s’appliquer sur une réserve indienne. Le contexte de cette décision est important parce que l’accusé était un non-Indien qui avait reçu en guise de paiement pour des marchandises qu’un Indien visé par des traités lui avaient achetées en dehors de la réserve, la peau d’un vison que l’Indien avait piégé dans sa réserve. La question pertinente dans cette affaire-là, qui était de savoir si l’Indien était un trappeur aux termes de la loi provinciale, a reçu une réponse négative, le principe étant que la législation provinciale ne pouvait pas s’appliquer à une terre sur laquelle
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la province n’avait pas compétence. Dans une décision plus récente, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a jugé que les règlements municipaux édictés en vertu de la loi provinciale dite Health Act ne s’appliquaient pas à une réserve indienne, même dans le cas d’un locataire non-Indien: voir Surrey v. Peace Arch Enterprises[28]. Bien que dans la présente affaire je n’aie pas à conclure sur l’application d’une législation provinciale à des non-Indiens en raison d’actes ou de comportements dans une réserve, il me semble que la décision rendue dans Surrey v. Peace Arch Enterprises sape le jugement majoritaire prononcé par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans Rex v. Morley[29] qui a conclu que les lois provinciales sur la conservation de la faune s’appliquaient à un non-Indien qui avait chassé du gibier sur une réserve pendant la période de prohibition.
On pourrait mentionner un certain nombre d’autres affaires sur la question de l’application de lois provinciales à des Indiens dans une réserve. Dans Rex v. Hill[30], jugement prononcé par une cour de comté de l’Ontario, on a conclu que la loi provinciale sur la chasse et la pêche ne pouvait pas s’appliquer à un Indien trouvé, dans sa réserve, en possession de deux filets de seine, de telle sorte qu’on puisse le rendre passible d’une pénalité pour possession non autorisée. La cour a adopté la décision rendue dans Rex v. Jim[31], dans laquelle le Juge en chef Hunter de la Colombie-Britannique avait conclu que la loi provinciale sur la conservation de la faune ne s’appliquait pas à un Indien vivant dans une réserve et que, de ce fait, l’accusé ne pouvait pas être trouvé coupable d’une infraction pour avoir tué un chevreuil pendant la période de prohibition, eh violation de la loi provinciale. Dans Rex v. Groslouis[32], un juge de la Cour des Sessions du Québec a abouti à
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une conclusion de principe différente en condamnant un Indien en vertu d’une loi fiscale provinciale pour vente de marchandises sans permis à un non-Indien dans la réserve. Je note, cependant, que la Cour a considéré qu’il s’agissait là d’une situation dans laquelle l’Indien accusé, étant un marchand au détail qui avait vendu à une personne n’habitant pas dans la réserve, se trouvait, pour ainsi dire, à être sorti de la réserve aux fins de l’opération commerciale. Dans cette affaire-là, un autre argument, qui touchait à la question, dont j’ai déjà parlé, du caractère exclusif du pouvoir fédéral, était que la Loi sur les Indiens fédérale ne visait pas la situation et que, par conséquent, la loi générale provinciale s’appliquait. Sur cet aspect de la question la cour québécoise s’est référée à l’opinion du juge dissident dans Rex v. Roâgers, précité. Cette façon de voir ne tient pas compte de l’effet d’exclusion de l’art. 91, par. (24).
Je passe maintenant à la convention sur les ressources naturelles de l’Alberta, qui traite séparément dans ses articles 10 et 12 des réserves et des terres inoccupées de la Couronne et autres terres auxquelles les Indiens peuvent avoir un droit d’accès. La Division d’appel de l’Alberta a simplement mentionné puis laissé de côté l’art. 10 dans ses motifs dans le présent litige, le traitant comme si la seule question était de savoir si des terres auxquelles les Indiens ont un droit d’accès comprenaient les réserves indiennes dans une convention muette quant à ces réserves. Même selon cette optique, je pense que subsumer réserves indiennes dans les mots «toutes les autres terres auxquelles les… Indiens peuvent avoir un droit d’accès» constituerait une conclusion audacieuse. Cela impliquerait une adoption dans les réserves par le pouvoir fédéral de lois provinciales, sans mention expresse et malgré l’existence d’une Loi sur les Indiens fédérale qui prévoit de son côté l’introduction limitée de certaines lois provinciales à appliquer sur et dans les réserves.
Mais le fait est que les réserves indiennes étaient expressément traitées dans la convention sur les ressources naturelles de l’Alberta, comme elles l’étaient également dans la conven-
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tion relative au Manitoba et dans la convention relative à la Saskatchewan. Les termes utilisés dans les deux articles qui nous intéressent directement ici sont les mêmes pour les trois provinces.
L’histoire, qui est très pertinente ici, nie toute assimilation des réserves indiennes à des terres auxquelles les Indiens peuvent avoir un droit d’accès. La logique juridique également nie une telle assimilation dans une situation où elles sont traitées séparément, comme elles le sont ici, et dans le même document. Traiter les réserves indiennes comme tombant dans la description de «terres auxquelles les Indiens peuvent avoir un droit d’accès» ainsi que l’a fait la Cour d’appel de l’Alberta, revient à les décrire suivant leur sens juridique le plus faible plutôt que suivant leur sens juridique le plus fort. Les Indiens ont au moins un droit d’occupation des réserves, et ce droit constitue un intérêt plus grand qu’un simple droit d’accès qui, ainsi que cette Cour l’a conclu dans Prince et Myron c. La Reine[33], peut exister dans des terres appartenant à des particuliers. Je ne vois aucun motif de donner à la catégorie de terres que, en bref, j’appellerai terres d’accès une extension qui engloberait davantage que des terres qui répondent strictement à cette description et qui n’ont pas une qualité juridique plus élevée. H serait singulier, par exemple, de conclure que le genre de terres dont il a été question dans l’affaire Giroux, mentionnée plus haut dans les présents motifs, puissent être justement définies comme étant des terres d’accès; elles le seraient certainement, bien entendu, mais elles seraient en outre bien davantage.
L’article 10 de la convention sur les ressources naturelles de l’Alberta contredit lui-même l’opinion exprimée par la Division d’appel. Toutes les réserves indiennes doivent continuer à être administrées par le gouvernement du Canada pour les fins du Canada; aucune restriction n’est apportée ici pour admettre une fin provinciale quelconque. Par ailleurs, toutes les autres réserves qui peuvent être créées sur des terres inoccupées de la Couronne qui ont été transférées à la province doivent être adminis-
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trées par le Canada de la même manière, à tous égards, que si elles n’étaient jamais passées à la province. Ce qui indique clairement que les réserves échappent au contrôle provincial.
Elles ne retournent pas sous ce contrôle en vertu de l’art. 12 en ce qui concerne l’application des lois provinciales sur la conservation de la faune. Cet article traite d’une situation qui est sans rapport avec les réserves indiennes. Il s’intéresse plutôt aux Indiens en tant que tels, et a pour objet de leur garantir un droit continu de chasse, de piégeage et de pêche pour leur nourriture, indépendamment des lois provinciales sur la conservation de la faune qui restreindraient autrement les Indiens dans les parties de la province qui sont soumises à l’administration provinciale. Bien que l’article 12 ne soit pas très élégant dans son libellé, il n’élargit pas le pouvoir législatif de la province, mais le contracte. Les indiens doivent avoir le droit de chasser et de pêcher pour se nourrir sur toutes les terres inoccupées de la Couronne (celles-ci ne comprennent certainement pas les réserves), ainsi que sur toutes les autres terres auxquelles ils peuvent avoir un droit d’accès. Il existe donc, de par l’autorité de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1930, une limitation du pouvoir provincial, que le Parlement légifère ou non.
Il est intéressant d’étudier les art. 14 et 15 de la convention sur les ressources naturelles de l’Alberta, qui ont été cités plus haut et qui traitent des parcs nationaux, car ils ont une application analogue à l’art. 10. Aux termes de ces deux articles, les parcs nationaux existants mentionnés dans une annexe devaient demeurer sous l’administration fédérale; et ce n’était que dans le cas où une terre quelconque comprise dans les parcs était cédée par le gouvernement du Canada du fait qu’elle n’était plus requise à des fins de parc, que son administration allait à la province. (Il en va de même, naturellement, pour les réserves indiennes). Par ailleurs, la compétence législative fédérale sur ces terrains de parcs devait s’étendre au-delà des parcs eux-mêmes et s’appliquer à leurs limites extérieures.
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D’après les faits en cause la réserve de l’art. 12 ne nous concerne pas, étant donné que l’accusé ne chassait pas pour se nourrir; la question essentielle est donc de savoir si les lois provinciales sur la conservation de la faune s’appliquent du seul fait que la réserve où l’accusé exerçait son commerce du gros gibier est située dans la province. A mon avis, l’art. 12, aussi bien dans sa généralité que dans sa réserve, ne vise pas «les terres réservées pour les Indiens», lesquelles relèvent séparément de l’autorité fédérale exclusive suivant l’art. 91, par. (24) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique; et il ne modifie pas le pouvoir fédéral relativement à ces terres. Même si les termes suivants de l’art. 12, «toutes les autres terres auxquelles lesdits Indiens peuvent avoir un droit d’accès», sont pris suivant une acceptation large comme étant capables, l’art. 12 considéré isolément, d’englober les réserves indiennes, on doit néanmoins les interpréter comme excluant les réserves dont traite spécialement l’art. 10. La règle d’interprétation consacrée par la maxime generalia specialibus non derogant est particulièrement appropriée ici.
L’histoire, cependant, est encore plus convaincante, et je me reporte d’abord à la revue qu’a faite le Juge d’appel McGillivray dans Rex v. Wesley[34]. Il s’agit d’une décision unanime de la Cour d’appel de l’Alberta, selon laquelle l’Alberta Game Act en vigueur à l’époque ne s’appliquait pas à un Indien visé par les traités qui chassait pour sa nourriture sur une terre de la Couronne inoccupée. Après s’être reporté à la Proclamation royale de 1763 qui réservait aux Indiens diverses terres et interdisait à un particulier de les leur acheter, le Juge d’appel McGillivray a fait remarquer qu’était exclu de ces terres le territoire concédé à la Compagnie de la Baie d’Hudson en 1670. Ce territoire, cédé plus tard au Canada, comprenait la terre de la Couronne inoccupée sur laquelle chassait l’accusé dans Rex v. Wesley. Cette terre avait été incluse dans un traité passé le 22 septembre 1877 entre certaines tribus indiennes et la Reine aux termes duquel des droits de chasse leur étaient assurés sur les terres qui faisaient l’objet du traité à
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condition qu’elles cèdent les droits que les Indiens possédaient sur ces terres.
Le traité mitigeait les droits de chasse en fonction des règlements que le gouvernement du pays pouvait éventuellement établir, et il sauvegardait et exceptait les parcelles de terrain que le gouvernement du Canada pouvait revendiquer ou administrer à des fins de colonisation, d’exploitation minière, de commerce ou pour toutes autres fins. Ce qui est particulièrement important dans ce traité, c’est une disposition prévoyant «que des réserves doivent être attribuées» aux Indiens. Le Juge d’appel McGillivray a signalé à cet égard que le gouverneur qui avait négocié le traité avait à l’époque déclaré aux chefs indiens [TRADUCTION] «VOUS avez le privilège de chasser partout dans les prairies et quand vous désirerez vendre une partie quelconque de votre terre ou une certaine quantité de charbon ou de bois extrait de vos réserves, le gouvernement verra à ce que l’on vous donne un prix juste et équitable»; et plus loin, «la réserve vous sera concédée sans que vous perdiez le privilège de chasser sur les plaines jusqu’à ce que la terre soit prise». Les faits historiques relatés dans Rex v. Wesley ont amené le Juge d’appel Lunney, qui a également rédigé des motifs dans cette affaire-là, à déclarer: [TRADUCTION] «la convention (sur les ressources naturelles de l’Alberta) n’a pas modifié le droit applicable aux Indiens et n’était pas destinée du tout à le modifier».
A cet égard, je cite aussi le jugement majoritaire que cette Cour a prononcé dans l’affaire Daniels c. White et la Reine[35], dans laquelle il était question du rapport entre l’art. 13 de la convention sur les ressources naturelles du Manitoba (qui est semblable à l’art. 12 de la convention relative à l’Alberta) et la Loi sur la convention concernant les oiseaux migrateurs fédérale. Dans cette affaire-là, il s’agissait de savoir si un Indien visé par les traités qui avait abattu des oiseaux sur sa réserve en vue de se nourrir était dispensé d’obéir à la loi fédérale par l’art. 13 de la convention relative au Manitoba. En décidant qu’il n’en était pas dispensé, le Juge Judson, qui a exposé l’avis de la majo-
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rité, a cité la convention ainsi que la législation confirmative adoptée en 1930, et a déclaré: [TRADUCTION] «elle n’a rien fait de plus qu’imposer des obligations et restrictions spécifiques à la province cessionnaire». Ce point de vue concorde avec mon opinion en la présente affaire suivant laquelle rien dans la convention relative à l’Alberta n’accroît le pouvoir législatif de la province au détriment de celui que possède le Parlement du Canada sur «les Indiens et les terres réservées pour les Indiens».
Mon opinion n’est pas non plus incompatible avec le point de vue exprimé par les juges minoritaires dans l’affaire Daniels, qui ont jugé que l’art. 13 de la convention relative au Manitoba donnait aux Indiens une garantie fédérale aussi bien que provinciale, et qu’en vertu de l’art. 1 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1930, confirmant la convention, le droit des Indiens de chasser pour se nourrir, tel qu’exprimé par l’art. 13, prévalait contre la Loi sur la convention concernant les oiseaux migrateurs et ses règlements d’application. Cette opinion minoritaire ne touche pas aux restrictions supplémentaires imposées à l’autorité législative provinciale par les dispositions de l’art. 91, par. (24) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique.
L’arrêt Daniels mérite d’être noté relativement à un autre point que j’ai signalé plus tôt dans les présents motifs, c’est-à-dire l’intention dans les diverses conventions sur les ressources naturelles d’accorder aux provinces de l’Ouest une situation égale à celle des autres provinces en ce qui concerne le contrôle et l’administration de leurs ressources naturelles. La désirabilité d’une application uniforme de la Loi sur la convention concernant les oiseaux migrateurs fédérale dans les diverses régions du Canada à rencontre de toute situation privilégiée recherchée sous le régime de la convention sur les ressources naturelles du Manitoba, a été une considération du jugement majoritaire. Par conséquent, je ne crois pas qu’il faille ici donner à la convention relative à l’Alberta une interprétation tirée qui dérangerait l’autorité exclusive que
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le Parlement possède relativement aux réserves indiennes.
Il ressort clairement d’arrêts comme Rex v. Wesley, précité, et de l’arrêt Daniels ainsi que d’autres comme Rex v. Smith[36], qui relatent l’histoire des traités de cession indiens, que les Indiens qui ont cédé leurs terres étaient assurés de privilèges de chasse sur ces terres. Je n’ai pas besoin d’examiner si de tels privilèges constituent eux-mêmes des droits de propriété dont la nature les faits relever exclusivement de la juridiction fédérale suivant l’art. 91, par. (24), comme étant visés par les mots «terres réservées pour les Indiens», ou si la compétence est due au fait que les droits en cause appartiennent à des Indiens: voir Regina v. White and Bob[37]. Ce qui est évident, c’est que l’existence de tels privilèges dans de telles terres cédées donne un objet à l’art. 12 de la convention sur les ressources naturelles de l’Alberta sans que l’on soit forcé d’y inclure des réserves qui sont d’un ordre différent des terres sur lesquelles existent seulement des droits de chasse ou sur lesquelles des droits de chasse peuvent être revendiqués de par la force de l’art. 12 seulement.
Dans Rex v. Wesley, le Juge d’appel McGillivray a décliné l’invitation à traiter également des droits des Indiens dans leurs réserves. Ce n’était pas une question dont était saisie la Cour, et, à mon avis, c’était une question sans rapport avec l’application de l’art. 12 de la convention sur les ressources naturelles. Plutôt, c’était une question qui donnait lieu à l’application de l’art. 10, et donc à l’application d’une autorité fédérale exclusive qui a déjà été exerçée sous l’empire de la Loi sur les Indiens.
La Loi sur les Indiens, maintenant S.R.C. 1970, c. I-6, définit le terme «réserve» à l’art. 2, par. (1), comme désignant une parcelle de terrain dont le titre juridique est attribué à Sa Majesté et que Sa Majesté a mise de côté à l’usage et au profit d’une bande indienne. Les articles 18 et 36 de la loi sont libellés comme suit:
18. (1) Sauf les dispositions de la présente loi, Sa Majesté détient des réserves à l’usage et au profit des bandes respectives pour lesquelles elles furent mises
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de côté; et, sauf la présente loi et les stipulations de tout traité ou cession, le gouverneur en conseil peut décider si tout objet, pour lequel des terres dans une réserve sont ou doivent être utilisées, se trouve à l’usage et au profit de la bande.
(2) Le Ministre peut autoriser l’utilisation de terres dans une réserve aux fins des écoles indiennes, de l’administration d’affaires indiennes, de cimetières indiens, de projets relatifs à la santé des Indiens, ou, avec le consentement du conseil de la bande, pour tout autre objet concernant le bien-être général de la bande, et il peut prendre toutes terres dans une réserve, nécessaires à ces fins, mais lorsque, immédiatement avant cette prise, un Indien particulier avait droit à la possession de ces terres, il doit être versé à cet Indien, pour un semblable usage, une indemnité d’un montant dont peuvent convenir l’Indien et le Ministre, ou, à défaut d’accord, qui peut être fixé de la manière que détermine ce dernier.
36. Lorsque des terres ont été mises de côté à l’usage et au profit d’une bande et que le titre juridique y relatif n’est pas dévolu à Sa Majesté, la présente loi s’applique comme si les terres étaient une réserve, selon la définition qu’en donne cette Loi.
Ces articles, ainsi que les dispositions connexes qui ont trait à la possession par les Indiens de terres situées dans une réserve, renforcent mon opinion suivant laquelle la législation réglementaire provinciale ne peut pas, ex proprio vigore, s’appliquer à une réserve.
Cette opinion n’est pas modifiée par l’art. 88 de la Loi sur les Indiens qui est ainsi libellé:
Sous réserve des dispositions de quelque traité et de quelque autre loi du Parlement du Canada, toutes lois d’application générale et en vigueur, à l’occasion, dans une province sont applicables aux Indiens qui s’y trouvent et à leur égard, sauf dans la mesure où lesdites lois sont incompatibles avec la présente loi ou quelque arrêté, ordonnance, règle, règlement ou statut administratif établi sous son régime, et sauf dans la mesure où ces lois contiennent des dispositions sur toute question prévue par la présente loi ou y ressortissant.
Cet article ne traite que des Indiens, et non des réserves, et il constitue, dans tous les cas, une incorporation par renvoi d’une législation provinciale qui, en vertu de cet article, prend effet en tant que législation fédérale. Je n’interprète pas l’art. 88 comme créant une exception à l’application de la législation fédérale en permet-
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tant l’introduction d’une législation provinciale intra vires à tous autres égards, comme c’est le cas sous le régime de la Loi sur le Dimanche, maintenant S.R.C. 1970, c. L-13. Si le Wildlife Act de l’Alberta constitue un texte législatif envisagé par l’art. 88, un Indien qui agirait en violation de ses dispositions se rendrait coupable d’une infraction en vertu des lois fédérales et non d’une infraction en vertu des lois provinciales.
L’intimé, le procureur général de l’Alberta, a soutenu que le pouvoir fédéral relatif aux «Indiens» est apparenté à celui que le fédéral exerce relativement aux aubains (art. 91, par. (25)), et que les Indiens comme les aubains sont soumis aux lois provinciales d’application générale. Je ne poursuis pas la comparaison car celle-ci s’effondre complètement lorsqu’on tient compte du fait que nous avons affaire ici non seulement à des Indiens mais également à «des terres réservées pour les Indiens». Le fait que l’art. 88 de la Loi sur les Indiens rend les lois d’application générale des provinces «applicables aux Indiens qui s’y trouvent et à leur égard», et que l’on puisse donc l’interpréter comme voulant dire applicables dans leurs réserves également, n’apporte rien à la prétention que les lois provinciales sur la conservation de la faune s’appliquent aux Indiens dans une réserve. L’exercice par le Parlement de son pouvoir législatif en vertu de l’art. 91, par. (24), n’élargit pas la portée constitutionnelle de lois provinciales adoptées par le Parlement lorsque la province cherche à s’y appuyer pour ses propres fins.
Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de se prononcer sur la prétention de l’appelant suivant laquelle le pouvoir d’établir des règlements concernant la protection et la conservation des animaux à fourrure, du poisson et du gibier de toute sorte dans les réserves, dévolu aux termes de l’al. a) du par. (1) de l’art. 73 de la Loi sur les Indiens au gouverneur en conseil, ainsi que le pouvoir semblable d’établir des statuts administratifs dévolu, aux termes de l’al. o) de l’art. 81 de la Loi, au conseil d’une bande, ont, bien que non exerçés, pour effet d’empêcher l’application
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d’une législation provinciale qui, autrement, serait valide et applicable. La conclusion à laquelle je suis parvenu ne m’oblige pas à m’appuyer sur la Loi sur les Indiens aux fins d’écarter la déclaration de culpabilité qui frappe l’appelant. J’ai déjà indiqué très clairement que l’art. 12 de la convention relative à l’Alberta ne peut pas, étant donné l’art. 10 de cette convention et étant donné l’art. 91, par. (24) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, avoir pour effet de soumettre les Indiens d’une réserve à l’Alberta Wildlife Act.
En conséquence, je suis d’avis d’accueillir l’appel et de rétablir l’ordonnance du Juge Sinclair qui a tranché d’une manière favorable à l’accusé le point de droit qui faisait l’objet de l’exposé de cause.
Appel rejeté, les JUGES HALL, SPENCE et LASKIN étant dissidents.
Procureurs de l’appelant: Lefsrud, Cunningham, Patrick & Roddick, Edmonton.
Procureur de l’intimé: Le Procureur général de l’Alberta, Edmonton.
[1] [1972] 1 W.W.R. 536, 5 C.C.C. (2d) 193, 17 C.R.N.S. 110, 22 D.L.R. (3d) 716.
[2] [1932] 2 W.W.R. 337, 58 C.C.C. 269, [1932] 4 D.L.R. 774.
[3] [1964] R.C.S. 81 à 84, 46 W.W.R. 121, 41 C.R. 403, [1964] 3 C.C.C. 1.
[4] [1971] 2 W.W.R. 640.
[5] (1935), 64 C.C.C. 131, [1935] 2 W.W.R. 433, [1935] 3 D.L.R. 703.
[6] [1968] R.C.S. 517, 64 W.W.R. 385, 4 C.R.N.S. 176, [1969] 1 C.C.C. 299, 2 D.L.R. (3d) 1.
[7] [1899] A.C. 580.
[8] [1903] A.C. 151.
[9] (1915), 22 C.C.C. 236, 22 B.C.R. 106.
[10] [1923] 2 W.W.R. 353, 40 C.C.C. 51, [1933] 3 D.L.R. 414.
[11] [1932] 4 D.L.R. 483, [1932] 2 W.W.R. 193, 58 C.C.C. 166.
[12] (1970), 74 W.W.R. 380.
[13] (1943), 81 C.C.C. 167, [1944] R.L. 12.
[14] (1907), 15 O.L.R. 406.
[15] (1917), 41 O.L.R. 79, 29 C.C.C. 189, 39 D.L.R. 635.
[16] [1899] A.C. 367 à 372-3.
[17] [1899] A.C. 580 à 588.
[18] (1889), 14 App. Cas. 46.
[19] [1903] A.C. 73.
[20] (1916), 53 R.C.S. 172, 30 D.L.R. 123.
[21] [1931] R.C.S. 263 à 275, [1931] 1 D.L.R. 865.
[22] [1933] R.C.S. 629 à 643, [1933] 4 D.L.R. 545.
[23] [1948] R.C.S. 248 à 253, 91 C.C.C. 366, [1948] 3 D.L.R. 801.
[24] [1954] R.C.S. 207, [1954] 3 D.L.R. 481.
[25] [1899] A.C. 367.
[26] [1962] R.C.S. 331 à 335, 37 W.W.R. 660, 33 D.L.R. (2d) 373.
[27] [1923] 3 D.L.R. 414, [1923] 2 W.W.R. 353, 40 C.C.C. 51.
[28] (1970), 74 W.W.R. 380.
[29] [1932] 4 D.L.R. 483, 46 B.C.R. 28, [1932] 2 W.W.R. 193, 58 C.C.C. 166.
[30] (1951), 101 C.C.C. 343, 14 C.R. 266, [1951] O.W.N. 824.
[31] (1915), 26 C.C.C. 236, 22 B.C.R. 106.
[32] (1944), 81 C.C.C. 167, [1944] R.L. 12.
[33] [1964] R.C.S. 81, 46 W.W.R. 121, 41 C.R. 403, [1964] 3 C.C.C. 1.
[34] [1932] 4 D.L.R. 774, [1932] 2 W.W.R. 337, 58 C.C.C. 269.
[35] [1968] R.C.S. 517, 64 W.W.R. 385, 4 C.R.N.S. 176, [1969] 1 C.C.C. 299, 2 D.L.R. (3d) 1.
[36] [1935] 2 W.W.R. 433, 64 C.C.C. 131, [1935] 3 D.L.R. 703.
[37] (1964), 50 D.L.R. (2d) 613, 52 W.W.R. 193; conf. (1965), 52 D.L.R. (2d) 481.