Cour suprême du Canada
Association des Employés de Radio et Télévision du Canada (SCFP-CTC) c. Société Radio-Canada, [1975] 1 R.C.S. 118
Date: 1973-10-02
Association des Employés de Radio et Télévision du Canada (SCFP-CTC) Appelante;
et
La Société Radio-Canada Intimée.
1973: les 26 et 27 mars; 1973: le 2 octobre.
Présents: Le Juge en chef Fauteux et les Juges Abbott, Martland, Judson, Spence, Pigeon et Laskin.
EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU MANITOBA
APPEL à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel du Manitoba[1] accueillant un appel d’un jugement du Juge Dickson. Appel rejeté, les Juges Spence et Laskin étant dissidents.
M. Myers, c.r., pour l’appelante.
A.S. Dewar, c.r., et M. Sali, pour l’intimée.
Le jugement du Juge en chef Fauteux et des Juges Abbott, Martland, Judson et Pigeon a été rendu par
LE JUGE MARTLAND — L’appelante et l’intimée sont parties à une convention collective qui renferme des dispositions visant à conserver aux annonceurs attitrés, employés de l’intimée, le droit d’accéder sur un pied d’égalité avec les annonceurs pigistes aux concours relatifs aux émissions. La convention collective prévoit:
24.3 La Société apprécie à sa juste valeur l’apport des annonceurs aux émissions. Les annonceurs attitrés participent à la diffusion, à la rédaction et à la réalisation des émissions. Ils sont encouragés à négocier leur détachement à des émissions ou à des services d’émission où leur présence, à titre de spécialiste ou en raison de l’extension
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de leur rôle, servira les intérêts de l’émission. C’est là une ligne de conduite établie par la Société, qu’il convient de favoriser dans les domaines suivants sans que cette énumération soit limitative: sports, affaires publiques, émissions hors série, musique, informations, reportages, variétés, dramatiques…
24.3.1 En outre, la Société maintient en service un personnel de cadres et d’autres spécialistes des reportages courants ou hors série ou des informations, à qui elle peut accorder la préférence dans les missions de ce genre. Toutefois, la Société entend respecter le droit qu’ont les annonceurs d’apporter leur contribution dans ces domaines.
24.3.2 Sous réserve de la préférence prévue à l’alinéa 24.3.1, la Société garantit de mettre les annonceurs sur un pied d’égalité pour l’accès aux concours fondés sur le talent et les aptitudes…
25.1 Afin de garantir que les annonceurs attitrés continueront d’être affectés aux domaines énumérés au paragraphe 24.3, la Société donne préavis des auditions et fournit aux annonceurs l’occasion d’auditionner devant les mircros ou les caméras…
Le 3 septembre 1970, l’intimée a engagé deux annonceurs pigistes pour animer, à Winnipeg, deux séries radiophoniques de «tribune téléphonique» intitulées «Up to Now» et «Talk Back». Aucun avis de la disponibilité de ces postes n’a été donné aux annonceurs attitrés et il n’a pas été tenu d’auditions. Le 20 octobre 1970, l’appelante a présenté un grief alléguant que l’intimée avait retenu les services des annonceurs pigistes sans préavis aux annonceurs attitrés et sans fournir à ces derniers l’occasion d’auditionner, en contravention des articles 25 et 24.3.2 de la convention collective. Les contrats des annonceurs pigistes expiraient le 26 juin et le 3 juillet 1971.
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Le grief fut soumis à l’arbitrage et des audiences furent tenues le 10 février 1971. Alors que le conseil était saisi du grief, l’intimée a commencé à élaborer des plans pour la prolongation des émissions en question. Cette fois, les avis d’auditions ont été affichés, mais aucun des annonceurs attitrés n’a posé sa candidature par crainte de nuire à l’aboutissement du grief dont le conseil d’arbitrage était saisi. Comme les avis en question n’avaient pas attiré de réponse, l’intimée a engagé les deux annonceurs pigistes pour continuer les émissions. Ces prolongations de contrat furent signées au mois de juin 1971.
Le 30 juin 1971, la décision majoritaire du conseil d’arbitrage fut prononcée. Le conseil a conclu que l’intimée avait violé les articles 25 et 24.3.2 de la convention collective et a ordonné:
[TRADUCTION] a) Que la Société mette en application les conditions de la convention collective en donnant immédiatement préavis des auditions à tous les annonceurs attitrés membres de l’unité de négociation et en leur fournissant l’occasion d’auditionner pour les postes auxquels Haslam et Harvard (les annonceurs pigistes) ont été nommés, conformément à l’article 25 et à toutes les autres dispositions pertinentes de la convention.
b) Que les annonceurs attitrés ne soient pas comparés à Haslam et Harvard ou n’entrent pas en concurrence avec eux, et que les mieux qualifiés parmi les annonceurs attitrés aient le droit d’assumer les postes assignés à Haslam et Harvard sauf si la Société conclut, après avoir tenu les auditions requises, qu’aucun annonceur attitré a le talent et les aptitudes qu’exigent lesdits postes.
Le 15 octobre 1971, l’intimée a demandé à la Cour du Banc de la Reine de rendre une ordonnance d’annulation de la sentence arbitrale en invoquant que la sentence débordait la compétence du conseil.
L’intimée a prétendu dans cette demande que les pouvoirs du conseil d’accorder un redressement étaient restreints à ceux spécifiquement définis dans l’art. 82 de la convention collective, qui se lit comme suit:
82 Le conseil d’arbitrage n’est pas habilité à changer, à reviser, à étendre ou à modifier les dispositions de la convention, ni à accorder
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des frais et dépens ou dommages-intérêts à l’une ou l’autre partie, mais il est habilité à ordonner, s’il le juge à propos, qu’un employé suspendu, congédié ou autrement puni à tort, soit réintégré dans son emploi, avec réparation de la perte de tout ou partie de son salaire et des autres avantages conventionnels; il peut aussi ordonner que l’employé congédié soit réintégré sans réparation de la perte de son salaire. Une décision prise à la majorité des voix constitue la sentence arbitrale.
Cette prétention n’a pas été accueillie et la demande a été refusée. L’intimée a interjeté appel à la Cour d’appel avec succès, la Cour décidant que la décision du conseil avait eu pour effet de changer les dispositions de la convention collective et qu’elle était en contravention de l’art. 82. La position de la Cour d’appel est exposée dans le passage suivant de ses motifs:
[TRADUCTION] Avec le plus grand respect pour l’opinion de M. le Juge Dickson, juge ex officio, nous sommes d’avis que la partie contestée de la décision a outrepassé la compétence du conseil. Le droit que la convention conférait aux annonceurs de Radio‑Canada était celui «[d’être mis] sur un pied d’égalité pour l’accès aux concours fondés sur le talent et les aptitudes». C’était le droit à l’égalité, non pas celui à une préférence. Il permettait aux annonceurs de rencontrer tous les concurrents sur un pied d’égalité. D’autre part, il permettait à la Société Radio-Canada d’amener tous les candidats disponibles à se présenter aux concours et de les y admettre sur un pied d’égalité avec les annonceurs. La sentence arbitrale, cependant, change maintenant le domaine de compétition en en excluant deux personnes en particulier, soit Haslam et Harvard. En ce faisant, elle modifie les dispositions de la convention. Mais l’article 82 déclare expressément que le conseil d’arbitrage n’est pas habilité à changer les dispositions de la convention. En faisant ce qu’il n’est pas habilité à faire, il outrepasse sa compétence. Une erreur de ce genre, touchant la compétence du conseil comme elle le fait, est à bon droit sujette à révision par la Cour.
De cette décision l’appelante a, après en avoir obtenu la permission, interjeté appel à cette Cour. On a prétendu que la sentence arbitrale du conseil ne comportait aucune modification des dispositions de la convention, mais qu’elle accordait un redressement approprié pour ce qui a été admis être une violation de la convention.
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On a soutenu que, si Haslam et Harvard n’étaient pas écartés du concours, le redressement accordé serait inefficace parce que l’intimée, afin de justifier son acte antérieur, les choisirait, et que le conseil avait le droit de confectionner un redressement propre à la situation.
La question à déterminer est donc celle de l’étendue des pouvoirs du conseil dans la formulation d’un redressement visant une violation admise de la convention.
La décision de cette Cour dans l’affaire Port Arthur Shipbuilding Company c. Arthurs[2], a ratifié la proposition que les pouvoirs d’un conseil d’arbitrage, lors d’un différend de travail, doivent être déterminés à partir des dispositions de la convention collective. C’est là, et uniquement là, que sont définis les pouvoirs du conseil.
L’appelante s’en est fortement rapportée à la décision rendue dans Re Polymer Corporation and Oil, Chemical and Atomic Workers International Union, Local 16-14[3], jugement de M. le Juge en chef McRuer de la Haute Cour qui fut adopté par cette Cour en appel[4], à la p. 342. Dans cette affaire-là un conseil d’arbitrage, ayant décidé qu’une clause d’une convention collective interdisant les grèves avait été violée, a adjugé des dommages-intérêts pour réparer cette violation. Son droit d’agir ainsi fut confirmé dans le jugement de M. le Juge en chef McRuer de la Haute Cour et, finalement, par cette Cour. Aucun pouvoir spécifique d’accorder des dommages-intérêts n’était énoncé dans la convention collective, mais il fut décidé que la question de savoir si la partie qui avait violé la convention devait payer des dommages-intérêts, et pour quel montant, constituait un différend ou un grief prévu dans la convention. L’article VI de la convention stipulait que:
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[TRADUCTION] Tout différend entre la compagnie et le syndicat concernant l’administration, l’interprétation, la violation alléguée, ou l’application de la présente convention peut être soumis par écrit par l’une ou l’autre partie comme troisième étape de la procédure de grief.
L’article VII stipulait que:
[TRADUCTION] 7.01. Les deux parties à cette convention conviennent que toute fausse interprétation ou violation alléguée des dispositions de la présente convention, y compris tout grief qui a franchi les étapes prévues de la procédure des griefs énoncée à l’article VI et qui n’a pas encore été réglé, doit être déférée à un conseil d’arbitrage sur la demande par écrit de l’une ou l’autre des parties…
Les motifs du jugement sont exposés dans le passage suivant, aux pp. 614 et 615:
[TRADUCTION] L’article 6.05 est énoncé dans les termes les plus généraux. Il vise dans un langage précis tout différend surgissant entre la compagnie et le syndicat au sujet d’une violation alléguée de la convention. Cette clause, lue en regard de l’article 7.01, montre clairement que s’il s’agissait d’un contrat commercial ordinaire, tout différend relatif à une violation alléguée de la convention serait à juste titre sujet à l’arbitrage et indubitablement, vu le précédent de l’affaire Heyman ([1942] A.C. 356), la question de savoir si un contractant qui a violé une condition du contrat doit payer des dommages-intérêts et dans quelle mesure, constituerait un tel différend. Cette convention s’insère nettement dans les termes employés par le Vicomte Simon, à la p. 366.
Cependant, une convention collective diffère sous certains aspects d’un contrat commercial ordinaire. En premier lieu, c’est une convention entre un syndicat ouvrier et l’employeur de ses membres, ce qui pose la question du pouvoir d’adjuger des dommages-intérêts contre le syndicat. Je traiterai de ce point plus loin. En second lieu, ce n’est pas cette sorte de contrat qui peut prendre fin suivant répudiation par l’une des parties simplement parce que l’autre partie a violé une de ses conditions. En vertu de la loi, «tout différend entre les parties» doit se régler sans arrêt de travail. Je crois que cet aspect de la question permet de conclure plus fermement que lorsqu’il s’agit d’un contrat commercial que la question des dommages-intérêts pour violation de la convention devrait être réglée par le conseil d’arbitrage. On n’a pas prétendu que si l’employeur violait la convention en ce qui a trait à la rémunération des heures supplémentaires,
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par exemple, un conseil d’arbitrage ne serait pas habile à adjuger une juste compensation aux employés qui ont été victimes de la violation. Une violation de la convention est un «grief» qui doit être traité et réglé par une adjudication des arbitres.
Ma conclusion est que, sauf si on reconnaît de la valeur à la prétention que le conseil ne peut pas adjuger de dommages-intérêts contre le syndicat parce que celui-ci n’est pas une entité juridique, je pense qu’il faut conclure qu’il a la même compétence en ce qui a trait aux dommages subis par l’employeur qu’en ce qui a trait à ceux subis par les employés.
La conclusion dans cette affaire-là a été que, même si l’adjudication de dommages-intérêts n’était pas expressément énoncée dans la convention comme étant un pouvoir du conseil d’arbitrage, la perte subie par suite de la violation de la convention était une partie d’un «différend» relatif à une «violation alléguée» de la convention.
Le but de l’adjudication de dommages-intérêts pour violation de contrat est de placer la partie lésée dans la situation où elle se serait trouvée si le contrat avait été exécuté. Ce qu’a fait le conseil d’arbitrage dans l’affaire Polymer, ce fut de placer la partie lésée dans cette situation‑là. Sa compétence pour le faire se trouvait, implicitement, quoique pas explicitement, dans la convention collective.
Le droit en matière de contrats, par suite de la création du redressement d’equity de l’exécution directe (en nature), reconnaît aussi, en certains cas, le droit d’une partie à un contrat qui a été lésée d’obliger l’autre partie à l’exécution de la convention qu’elle a conclue.
En la présente instance, contrairement à l’affaire Polymer, l’art. 82 de la convention collective interdit spécifiquement au conseil d’accorder des frais et dépens ou dommages-intérêts à l’une ou l’autre partie. Cet article est le seul de la convention qui traite des pouvoirs du conseil en matière d’arbitrage. L’article 79 de la convention, qui est l’un des articles traitant des diverses étapes à franchir dans la procédure des griefs, stipule seulement que., si un grief n’a pas été réglé au cours des étapes antérieures, l’une ou l’autre des parties peut «en référer à un
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conseil d’arbitrage, dont la décision est sans appel et obligatoire».
Le redressement accordé par le conseil relativement au grief était censément, à l’al. a), une exigence que l’intimée mette en application les conditions de la convention collective, ce qui s’apparente à une ordonnance d’exécution directe, mais à l’al. b) il imposait une condition, en ce qui a trait au concours, pour laquelle il n’y avait pas de fondement dans la convention collective. Il ordonnait la tenue d’un concours que la convention n’exigeait pas.
A mon avis le conseil n’était pas habile à ordonner un redressement qui n’était pas prévu, soit expressément soit implicitement, dans la convention elle-même. Son ordonnance n’était pas une ordonnance qui exigeait que l’intimée place l’appelante dans la position où celle-ci aurait dû se trouver, si ce n’avait été de la violation, en obligeant l’intimée à exécuter son contrat. Le conseil exigeait que l’intimée fasse une chose qu’elle n’était pas tenue, en vertu de son contrat, de faire. En rendant l’ordonnance que renferme l’al. b) de la décision arbitrale, il a outrepassé ses pouvoirs.
J’adopte les motifs de mon collègue le Juge Laskin reconnaissant la compétence de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba pour connaître de la demande qui lui a été faite par l’intimée.
Je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens.
Le jugement des Juges Spence et Laskin a été rendu par
LE JUGE LASKIN (dissident) — La présente affaire a trait aux pouvoirs curatifs des arbitres des différends patrons-ouvriers. Elle a pris sa source dans une requête de la société intimée en vue d’infirmer la sentence d’un conseil d’arbitrage sous le régime d’une convention collective. M. le Juge d’appel Dickson, siégeant d’office comme membre de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba, a rejeté la requête. La Cour d’appel du Manitoba a infirmé cette décision pour le seul motif que la partie effectivement
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curative de la sentence (traduction) «a outrepassé la compétence du conseil [d’arbitrage]». Je suis d’avis que M. le Juge d’appel Dickson avait raison et que la Cour d’appel avait tort.
La question devant cette Cour est restreinte. Elle l’est pour trois raisons. Premièrement, la société y figure comme un violateur avoué de la convention collective; deuxièmement, le conseil d’arbitrage a été régulièrement investi de la compétence pour entendre et décider le grief qui a donné naissance aux procédures judiciaires; et, troisièmement, l’avocat de la Société a admis que le conseil avait un pouvoir curatif allant au delà d’une simple déclaration qu’une violation de la convention collective a eu lieu. Bien que (selon les propres termes de l’avocat) le conseil aurait pu ordonner l’exécution directe (en nature), l’avocat de la société a fait valoir que cela n’était pas pratique dans les circonstances.
Les sentences d’un conseil d’arbitrage de litiges patrons-ouvriers ne sont pas sujettes à appel sous le régime de la loi sur les relations de travail du Manitoba ou de la loi fédérale sur les relations de travail qui était celle qui s’appliquait dans la présente affaire. Si elles sont de quelque façon sujettes à révision au moyen de procédures à cette fin, c’est pour défaut de compétence ou erreur de droit. À mon sens, il n’y a pas eu défaut de compétence en l’espèce. Il pourrait y avoir eu erreur de droit si le conseil n’avait absolument pas de pouvoir curatif dans les circonstances du grief. Mais il a été concédé qu’il avait un pouvoir curatif. Une erreur de droit devient, par conséquent, une chose très impalpable lorsqu’on la réduit à un calcul destiné à établir si le redressement fourni par le conseil était trop fort pour qu’une cour le sanctionne. Je n’ai pas besoin de dire si j’aurais accordé le même redressement. Il suffit, selon moi, que le conseil pouvait accorder un redressement et que (je suis prêt à l’ajouter) le redressement a un rapport rationnel avec la violation et est une façon efficace de la traiter dans les circonstances de l’affaire. Les cours ne doivent pas intervenir, sauf dans les cas d’erreur manifeste, dans l’administration interne des conventions collectives par les organismes d’arbitrage consti-
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tués en vertu de semblables conventions. Les législatures ont, il me semble, tenu à établir ce point en exigeant un mécanisme de règlement définitif et exécutoire de griefs découlant de violations alléguées de conventions collectives. En outre, ce n’est pas comme si les membres du conseil d’arbitrage en l’instance étaient des personnes ignorantes du sujet. Tous les trois étaient des avocats et, même si ceci ne fait foi que de leur expérience, tous les trois étaient des conseils de la Reine.
Je suis d’avis que cette Cour a déjà accepté le principe que les cours ne doivent jouer qu’un rôle restreint en révisant les sentences des conseils d’arbitrage patrons-ouvriers: voir International Association of Machinists and Aerospace Workers, Flin Flon Lodge No. 1848 et al. c. Hudson Bay Mining and Smelting Co. Ltd.[5] Dans cette affaire-là, la question était de savoir si un conseil d’arbitrage avait commis une erreur sujette à révision dans son interprétation d’une disposition de fond d’une convention collective. Ici, la question est encore plus restreinte. Elle ne se classe pas facilement comme une erreur de droit, pas plus que ne le faisait la question analogue de l’affaire Polymer[6], une fois accepté le principe qu’un conseil d’arbitrage en matière de relations de travail possède des pouvoirs curatifs, sauf dans le cas d’exclusion ou de restriction expresse, relativement à la question de fond précise qui lui est soumise.
Passons maintenant aux faits qui ne sont pas contestés, dans la mesure où ils ont un rapport avec le litige en cette Cour. En vertu de la convention collective signée par la société et l’association appelante, les annonceurs attitrés avaient le droit de se voir mettre sur «un pied d’égalité pour l’accès aux concours fondés sur le talent et les aptitudes» pour certaines fonctions spécifiées à l’art. 24.3.2 de la convention collective. Cela comprend le droit pour tous les candidats d’auditionner, qu’ils soient des annonceurs indépendants ou des annonceurs attitrés, comme le prescrit l’art. 25. Je retiens particuliè-
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rement la stipulation de Fart. 25.3, notamment: «dans l’application de sa politique en matière d’auditions, la Société reconnaît qu’il lui incombe de fournir à ses annonceurs attitrés l’occasion de travailler dans les domaines visés.» La société a affecté deux personnes, Harvard et Haslam, qui n’étaient pas des annonceurs attitrés, à deux «tribunes téléphoniques» (des affectations visées par les articles 24 et 25) sans fournir aux annonceurs attitrés l’occasion d’auditionner. L’association a présenté un grief qui fut en dernier ressort soumis à un conseil d’arbitrage en vertu de la convention collective. Le conseil d’arbitrage a conclu à l’unanimité qu’il y avait eu violation de la convention collective par la société. Le Conseil, à la majorité, a décrété le redressement suivant:
[TRADUCTION] a) Que la Société mette en application les conditions de la convention collective en donnant immédiatement préavis des auditions à tous les annonceurs attitrés membres de l’unité de négociation et en leur fournissant l’occasion d’auditionner pour les postes auxquels Haslam et Harvard ont été nommés, conformément à l’article 25 et à toutes les autres dispositions pertinentes de la convention.
b) Que les annonceurs attitrés ne soient pas comparés à Haslam et Harvard ou n’entrent pas en concurrence avec eux, et que les mieux qualifiés parmi les annonceurs attitrés aient le droit d’assumer les postes assignés à Haslam et Harvard sauf si la Société conclut, après avoir tenu les auditions requises, qu’aucun annonceur attitré a le talent et les aptitudes qu’exigent lesdits postes.
La personne nommée par la société a exprimé sa dissidence, concluant que les conditions de la convention collective interdisaient l’exécution directe et que, à tout prendre, elle n’était pas convaincue que le redressement cherché par l’association (celui qui est énoncé dans l’alinéa b) précité) était un redressement efficace.
Il n’y a pas eu contestation en cette Cour ni, apparemment, en Cour d’appel du Manitoba, de l’alinéa a) de l’ordonnance curative. C’est l’alinéa b) qui fut attaqué comme n’étant pas autorisé. Il y a beaucoup à dire en faveur de l’un des motifs de la décision de M. le Juge d’appel Dickson, soit que la société devrait être débou-
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tée parce qu’elle a pris devant lui la position que le conseil d’arbitrage ne pouvait accorder qu’un redressement déclaratoire. Cette position a été abandonnée par la société, tout au moins en cette Cour. La Cour d’appel a conclu que la directive contestée que contient l’alinéa b) était en opposition directe avec l’art. 82 de la convention collective. Il y a une erreur dans son raisonnement, qui réside dans le fait qu’elle confond la question de l’interprétation juste et de l’application des articles 24 et 25 avec le redressement approprié d’une violation de ces articles.
L’article 82 se lit comme suit:
Le conseil d’arbitrage n’est pas habilité à changer, à réviser, à étendre ou à modifier les dispositions de la convention, ni à accorder des frais et dépense ou dommages-intérêts à l’une ou l’autre partie, mais il est habilité à ordonner, s’il le juge à propos, qu’un employé suspendu, congédié ou autrement puni à tort, soit réintégré dans son emploi, avec réparation de la perte de tout ou partie de son salaire et des autres avantages conventionnels; il peut aussi ordonner que l’employé congédié soit réintégré sans réparation de la perte de son salaire. Une décision prise à la majorité des voix constitue la sentence arbitrale.
Je suis d’accord avec M. le Juge d’appel Dickson sur son interprétation de cet article. Il n’y a aucun fondement à une prétention que dans sa décision quant au fond le conseil d’arbitrage a changé de quelque façon que ce soit les conditions de la convention collective ou les a étendues. L’exclusion du redressement par voie de dommages-intérêts ou dépens, sous réserve de l’exception du cas de congédiement, de suspension ou de punition à tort d’un employé, laissait au conseil d’arbitrage la liberté d’accorder d’autres redressements dans d’autres cas. C’est le sens évident de l’arrêt Polymer, précité.
Si le grief dans la présente affaire avait pu être présenté sur une base quia timet, avant que Harvard et Haslam aient été à tort affectés aux programmes en question, le conseil d’arbitrage se serait trouvé en position nette d’exiger une soumission stricte aux articles 24 et 25. Les annonceurs attitrés auraient alors bénéficié d’une chance égale d’entrer en concurrence avec les deux personnes de l’extérieur et avec tout autre
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aspirant à ce poste. Par ailleurs, si les programmes avaient une durée si courte qu’ils ne pouvaient pas survivre au-delà de la date de la décision arbitrale, sans parier de toute période supplémentaire requise par les procédures devant les tribunaux (et c’est effectivement ce qui était arrivé dans le cas de Harvard lorsque M. le Juge d’appel Dickson a exposé ses motifs), l’association se trouvait privée de tout redressement, puisque des dommages-intérêts n’auraient pu être adjugés. En cherchant à sauvegarder quelques chances d’emploi pour les annonceurs attitrés étant donné la violation par la société de ses obligations, le conseil d’arbitrage a agi raisonnablement dans les circonstances. En effet, il laissait la possibilité de retenir les services de Haslam si aucun annonceur attitré ne s’avérait apte à remplir le poste.
Puisque les dommages-intérêts sont exclus, il n’en coûterait rien au violateur si le redressement en cette affaire était limité nécessairement par les dispositions de fond qui ont été violées. Le redressement deviendrait alors simplement déclaratoire. Dans la mesure où les conditions de la convention collective ne l’excluent pas expressément, le redressement précis, dont il est fait état aux alinéas a) et b) précités, était du ressort du conseil d’arbitrage si celui-ci avait compétence de redressement. En cela, je me suis déjà reporté à l’affaire Polymer, précitée, et au principe qui y est sous-jacent. J’ai aussi fait mention de la reconnaissance par l’avocat de la société que le conseil était investi d’un pouvoir de redressement qui ne se limitait pas à une déclaration insignifiante. Je ne comprends pas la prétention de l’avocat qu’une exécution directe serait peu pratique dans les circonstances, à moins qu’il n’ait voulu parler de la tâche terminée de Harvard, et peut-être aussi de l’arrivée à terme de celle de Haslam avant qu’une décision judiciaire finale soit rendue. Je puis ajouter, pour qu’on ne pense pas que je ne me suis pas préoccupé de ce point, que ni Harvard ni Haslam ne peuvent faire valoir contre l’association des droits qu’ils peuvent revendiquer contre la société. L’ordonnance du conseil contenue à l’alinéa b) n’est pas une question de préférence injuste pour les annonceurs attitrés en vertu
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d’une interprétation erronée de la convention collective (c’est ce qu’a dit la Cour d’appel), mais plutôt l’application d’une réparation envers les annonceurs attitrés injustement lésés par la violation de la convention collective par la société.
Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer le jugement de la Cour d’appel du Manitoba et de rétablir le jugement de M. le Juge d’appel Dickson. L’association appelante a droit à ses dépens dans toutes les Cours.
Lors de l’ouverture de l’appel, cette Cour a invité les avocats à se faire entendre sur la compétence de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba pour connaître de la requête de la société. Le motif de l’intérêt porté à cette question-là réside principalement dans le fait que la requête fut lancée après l’entrée en vigueur de la Loi sur la Cour fédérale, 1970 (Can.), c.1. Les articles 18 et 28 de cette Loi donnent à la Division de première instance de la Cour fédérale compétence pour examiner les décisions d’«un office, d’une commission ou d’un autre tribunal fédéral», à l’exclusion des cours provinciales lorsque l’affaire tombe dans le champ de ces articles-là. Si le conseil d’arbitrage en la présente affaire était «un office, une commission ou un autre tribunal fédéral», alors sans aucun doute les cours du Manitoba n’auraient pas eu compétence pour connaître d’une requête en vue d’infirmer sa sentence. Un autre aspect de l’intérêt accordé à la compétence des cours du Manitoba réside dans la portée de la décision de cette Cour dans l’affaire Howe Sound Co. c. International Union of Mine, Mill and Smelter Workers, (Canada), Local 663.[7]
Il ne paraît pas que l’un ou l’autre de ces points ait été soulevé ou plaidé devant M. le Juge d’appel Dickson siégeant en première instance ni devant la Cour d’appel du Manitoba. Pour les motifs énoncés ci-après, je ne crois pas qu’ils soustraient l’affaire à la compétence des cours manitobaines.
La principale question, savoir si la Loi sur la Cour fédérale soustrait l’espèce à leur compé-
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tence, est solidement axée sur la question de savoir si le conseil d’arbitrage était «un office, une commission ou un autre tribunal fédéral», au sens de la définition de ces mots dans l’al. g) de l’art. 2 de la Loi sur la Cour fédérale qui se lit comme suit:
«office, commission ou autre tribunal fédéral» désigne un organisme ou une ou plusieurs personnes ayant, exerçant ou prétendant exercer une compétence ou des pouvoirs conférés par une loi du Parlement du Canada ou sous le régime d’une telle loi, à l’exclusion des organismes de ce genre constitués ou établis par une loi d’une province ou sous le régime d’une telle loi ainsi que des personnes nommées en vertu ou en conformité du droit d’une province ou en vertu de l’article 97 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867.
À mon avis, la «compétence ou [les] pouvoirs» du conseil d’arbitrage n’ont pas été conférés par une loi du Parlement du Canada ou sous le régime d’une telle loi. Ils provenaient de la convention collective. La Loi sur les relations industrielles et sur les enquêtes visant les différends du travail, S.R.C. 1952, c. 152, comme elle existait lorsque la convention collective en question fut signée par les parties, prévoyait seulement, à son art. 19, que toute convention collective doit contenir une disposition «pour le règlement définitif, sans suspension de travail, par arbitrage ou autrement, de tous différends… concernant le sens ou la violation de la convention»; et à défaut de telle disposition, le Conseil des relations ouvrières du Canada était tenu d’en prescrire une, comme condition de la convention collective, à la demande de l’une ou l’autre partie à la convention. Je ne puis regarder la directive stricte d’insérer une disposition pour le règlement définitif de tout différend concernant le sens ou la violation des conditions d’une convention collective comme ramenant tout instrument de semblable règlement, qu’il s’agisse d’un conseil d’arbitrage comme c’est ici le cas ou de quelque autre organisme, dans la catégorie des tribunaux publics qu’envisage la définition contenue à l’art. 2, al. g).
Ma conviction du bien-fondé de cette opinion reste inébranlée devant la modification subséquente du Code canadien du travail, auquel a
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été intégrée la Loi sur les relations industrielles et sur les enquêtes visant les différends du travail dans le c. L-1 des S.R.C. 1970. L’article 156, par. 3, de 1972 (Can.), c. 18, stipule que «aux fins de la Loi sur la Cour fédérale, ni un conseil d’arbitrage, ni un arbitre nommé en application d’une convention collective n’est un office, commission ou autre tribunal fédéral au sens où l’entend cette loi». Cette modification règle d’avance tout litige sur la question mais on ne peut l’interpréter comme une assertion par le Parlement que, sans elle, une situation différente existait.
La conclusion à laquelle je suis arrivé, je la tire indépendamment de la question de savoir si le conseil d’arbitrage est un tribunal «statutaire» (statutory), devant lequel des procédures en certiorari, ou le recours analogue d’une requête en annulation ou en cassation, peuvent être engagées. J’accepte la prétention de l’avocat que la question de savoir si le certiorari ou quelque autre recours du genre s’applique aux sentences du conseil ne constitue pas un critère du pouvoir d’intervention des Cours fédérales sous le régime des art. 18 et 28. Il y a, toutefois, une certaine affinité entre ces questions parce que la caractérisation d’un conseil d’arbitrage comme étant un tribunal statutaire, auquel la loi oblige les parties à recourir, a été constituée le critère applicable pour déterminer si les brefs de prérogative dits de certiorari, mandamus et prohibition peuvent être dirigés contre un conseil d’arbitrage.
La Cour d’appel de l’Ontario a mis cette question de l’avant dans Re International Nickel Co. of Canada Ltd. and Rivando[8]. Elle a décidé que l’effet de la législation provinciale en matière de relations de travail, qui à l’époque ne faisait rien de plus qu’exiger un règlement définitif et obligatoire, par voie d’arbitrage, des différends portant sur l’interprétation, l’application, l’administration ou la violation de conventions collectives, était de faire des conseils d’arbitrage établis en vertu de telles conventions des tribunaux statutaires dont les décisions étaient sujet-
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tes à révision sur certiorari. On ne saurait dire que les conseils d’arbitrage sous le régime de la législation ontarienne d’alors s’étaient vu conférer leurs droits et attributions statutaires par ladite législation. Pourtant, c’était un des critères d’assujettissement à certiorari qui avait été mentionné par Lord Goddard dans l’arrêt Regina v. National Joint Council for the Craft of Dental Technicians[9], sur lequel la Cour s’est fondée dans l’affaire Rivando.
Dans l’affaire Howe Sound, précitée, cette Cour a conclu que la décision Rivando ne s’appliquait pas à un conseil d’arbitrage établi sous le régime d’une convention collective et conformément à une exigence légale de soumettre les différends découlant d’une convention collective à un règlement définitif et sans appel «par arbitrage ou autrement». L’expression «par arbitrage ou autrement» (qui fait contraste avec la disposition de la disposition législative ontarienne qui exige un règlement final «par arbitrage seulement») se retrouve dans la loi du Manitoba sur les relations de travail et est dans la disposition pertinente, maintenant l’art. 125 du Code canadien du travail. Il semble, par conséquent, qu’indépendamment de la question de savoir si l’affaire Rivando avait été bien jugée ou non compte tenu de ses faits et de la législation qui entrait en jeu, cette Cour, elle, n’était pas disposée à conclure qu’une loi exigeant le règlement définitif de différends découlant d’une négociation collective «par arbitrage ou autrement» octroyait le caractère de tribunal statutaire (contre lequel pouvaient être dirigées des procédures de certiorari) à un conseil d’arbitrage établi sous le régime d’une convention collective. Cependant, la Cour dans l’affaire Howe Sound a poursuivi en disant que le fait qu’il n’y avait pas ouverture à certiorari ne signifiait pas qu’une révision en vertu de la common law ou en vertu d’une loi générale sur l’arbitrage était exclue.
Cette Cour a reformulé et élargi ce dernier point dans l’affaire Port Arthur Shipbuilding Co.
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c. Arthurs[10], aux pp. 94-95. L’effet de ce qui y a été dit est de refuser de s’incliner devant des questions de forme et de faire voir clairement que lorsque les procédures en vue de la révision d’une décision d’un conseil d’arbitrage se font au moyen d’une requête en annulation ou cassation de sentence, sans délivrance d’un bref de certiorari, il n’est pas important que le conseil d’arbitrage soit ou ne soit pas un tribunal statutaire dans un sens strict. Je souscris à cette façon de voir la question et je veux ajouter que celle-ci serait également résolue par l’institution d’une action déclaratoire. En ce qui a trait à la forme des procédures en l’espèce présente, il n’est pas nécessaire de considérer si le conseil d’arbitrage était un tribunal statutaire au sens de l’affaire Rivando ou s’il était un tribunal non statutaire au sens de l’affaire Howe Sound. Dans un cas comme dans l’autre, la Cour du Banc de la Reine du Manitoba était compétente.
L’avis de requête par lequel les procédures en la présente affaire ont été instituées était un avis introductif d’instance demandant une ordonnance que la sentence en l’espèce soit annulée. C’était donc une procédure appropriée pour chercher à obtenir uen révision.
Appel rejeté avec dépens, les JUGES SPENCE et LASKIN étant dissidents.
Procureurs de l’appelante: Pollock, Nurgitz, Skwark, Bromley & Myers, Winnipeg.
Procureurs de l’intimée: Thompson, Dewar, Sweatman, Winnipeg.
[1] (1972), 26 D.L.R. (3d) 124.
[2] [1969] R.C.S. 85.
[3] (1961), 26 D.L.R. (2d) 609.
[4] [1962] R.C.S. 338, Sub nom. Imbleau et al. c. Laskin et al.
[5] [1968] R.C.S. 113.
[6] [1962] R.C.S. 338.
[7] [1962] R.C.S. 318.
[8] [1956] O.R. 379
[9] [1953] 1 Q.B. 704.
[10] [1969] R.C.S. 85.