Synthèse
Référence neutre : [1975] 1 R.C.S. 494
Date de la décision :
21/12/1973Sens de l'arrêt :
Le pourvoi doit être accueilli et le règlement en question déclaré nul et sans effet
Analyses
Droit constitutionnel - Règlement provincial obligeant les exploitants d’abattoirs à acheter les porcs de l’office de producteurs, y compris ceux apportés dans la province - Nullité - Intervention directe dans le commerce interprovincial - The Natural Products Marketing Act, R.S.M. 1970, c. N20 - Manitoba Reg. 97/72.
La cour d’appel du Manitoba a confirmé un jugement du Juge en chef de la Cour du banc de la Reine accordant une injonction contre les Abattoirs appelants et rejetant leur demande reconventionnelle. L’injonction interdit aux Abattoirs d’abattre au Manitoba des porcs qu’ils n’ont pas achetés à l’intimé, l’Office de commercialisation des producteurs de porcs du Manitoba. La demande reconventionnelle des Abattoirs priait la Cour de déclarer nuls et sans effet, pour le motif qu’ils seraient ultra vires de la
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province du Manitoba, le Natural Products Marketing Act, c. N20 des R.S.M. 1970, modifié par le c. 67 de 1971 et le c. 77 de 1972, ainsi que les règlements manitobains 180/71, 4/72, et 97/72 et les conditions de vente établies conformément au Règlement 4/72. Dans le pourvoi devant cette Cour, l’attaque des Abattoirs n’a porté que sur le Règlement 97/72. Celui-ci décrète que «Aucun exploitant engagé dans la transformation au Manitoba ne doit préparer pour l’abattage au Manitoba ou y abattre des porcs qui n’ont pas été achetés à l’Office de producteurs et, lorsque des porcs ont été apportés dans la province ils sont, aux fins de la Loi, censés être des porcs produits au Manitoba et ils sont assujettis aux mêmes dispositions de la Loi et du Règlement que les porcs élevés au Manitoba.»
Arrêt (Le Juge Ritchie étant dissident): Le pourvoi doit être accueilli et le Règlement en question déclaré nul et sans effet.
Le Juge en chef Fauteux et les Juges Abbott, Martland, Judson, Spence et Pigeon: Ce que le Règlement attaqué cherche à faire c’est d’exiger que l’acquisition de porcs auprès d’un producteur dans une autre province se fasse conformément à la loi du Manitoba, non à celle de la province d’origine. Il ne prétend pas en interdire l’entrée si cette exigence n’est pas remplie mais il cherche à obtenir le même résultat lorsqu’il prévoit que les porcs ne peuvent être utilisés à la fin unique pour laquelle ils ont été apportés, à savoir, l’abattage immédiat. Rien dans les arrêts antérieurs appuie la proposition voulant qu’une autorité provinciale puisse intervenir de façon aussi directe dans le commerce interprovincial.
Le Juge Ritchie, dissident: La législation attaquée vise primordialement l’abattage de porcs dans la province, ce qui est une matière d’intérêt local, et elle ne touche le commerce interprovincial qu’accessoirement à un plan de contrôle du commerce local dans la province et ne vise pas à réglementer le commerce quant à des matières d’intérêt interprovincial.
[Distinction faite avec les arrêts: Shannon v. Lower Mainland Dairy Products Board, [1938] A.C. 708; Brant Dairy Co. et al. c. Milk Commission of Ontario et al., [1973] R.C.S. 131; Carnation Company Ltd. c. Régie des marchés agricoles du Québec, [1968] R.C.S. 238. Arrêts mentionnés: Royal Bank of Canada v. The King, [1913] A.C. 283; Attorney General for British Columbia v. Attorney General for Canada, Reference re Natural Products Marketing Act, 1934, [1937] A.C. 377; Altantic Smoke Shops Ltd. v. Conlon, [1943] A.C. 550; Home Oil Distributors Ltd.
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c. Le Procureur général de la Colombie-Britannique et al., [1940] R.C.S. 444; Procureur général du Manitoba c. Manitoba Egg & Poultry Assoc. et al., [1971] R.C.S. 689]
POURVOI à rencontre d’un arrêt de la Cour d’appel du Manitoba[1] confirmant un jugement du juge en chef de la Cour du banc de la Reine, le Juge en chef Tritschler. Pourvoi accueilli, le Juge Ritchie étant dissident.
J.J. Robinette, c.r., pour les appelants, Canada Packers Ltd. et Swift Canadian Co. Ltd.
Joseph Sedgwick, c.r., pour l’appelante, Burns Food Ltd.
D.W. Moylan, c.r., pour l’intimé, le Procureur général du Manitoba.
J. Barry Hugues, c.r., et R.E. Houston, pour l’intimé, l’Office de commercialisation des producteurs de porcs du Manitoba.
John A. Scollin, c.r., pour le Procureur général du Canada.
Marcel Bourget, c.r., pour le Procureur général du Québec.
J.D. Hilton, c.r., pour le Procureur général de l’Ontario.
K. Lysyk, pour le Procureur général de la Saskatchewan.
W. Henkel, c.r., pour le Procureur général de l’Alberta.
George S. Cumming, c.r., et G.H. Cross, c.r., pour le Procureur général de la Colombie‑Britannique.
Le jugement du Juge en chef Fauteux et des Juges Abbott, Martland, Judson, Spence et Pigeon a été rendu par
LE JUGE PIGEON — Il s’agit de l’appel d’un jugement de la Cour d’appel du Manitoba confirmant un jugement du Juge en chef de la Cour du Banc de la Reine accordant une injonction contre les appelantes Burns Foods Limited,
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Canada Packers Limited et Swift Canadian Co. Limited (les Abattoirs), et rejetant leur demande reconventionnelle. L’injonction interdit aux Abattoirs d’abattre au Manitoba des porcs qu’ils n’ont pas achetés à l’intimé, l’Office de commercialisation des producteurs de porcs du Manitoba (l’Office). La demande reconventionnelle des Abattoirs prie la cour de déclarer nuls et sans effet, pour le motif qu’ils seraient ultra vires de la province du Manitoba, le Natural Products Marketing Act, R.S.M. 1970, c. N20 modifié par le c. 67 des S.M. 1971 et le c. 77 des S.M. 1972, ainsi que les règlements 180/71, 4/72, et 97/72 de la province du Manitoba et les conditions de vente établies conformément au Règlement 4/72. A l’audition en cette Cour, l’attaque des Abattoirs n’a vraiment porté que sur le Règlement 97/72. L’intervention du Procureur général du Canada s’est limitée à ce point-là. D’autre part, les Procureurs généraux de l’Ontario, de la Colombie-Britannique, de l’Alberta et de la Saskatchewan sont intervenus pour soutenir la validité de tous les règlements attaqués.
En 1971, le Natural Products Marketing Act du Manitoba (la Loi) a été modifié pour inclure dans la définition des produits naturels
[TRADUCTION] les animaux de ferme élevés, gardés, préparés pour l’abattage, abattus ou écorchés dans la province.
A la fin de cette même année, le Règlement 180/71 créait «le plan de commercialisation des producteurs de porcs du Manitoba». Le plan définit le «producteur» de la façon suivante:
[TRADUCTION] «producteur» désigne toute personne qui élève, garde, prépare pour l’abattage ou abat des porcs dans la province et comprend: l’employeur de cette personne, celui qui, en vertu d’un bail ou d’une convention, a droit à une partie des porcs élevés par cette personne, et celui qui prend possession de porcs de cette personne en vertu d’une garantie pour dettes quelconque;
A la suite de la création du plan, l’Office a établi un règlement connu sous le nom de Règlement 4/72 de la province du Manitoba, dont la date d’entrée en vigueur est le 1er janvier 1972 et dont voici l’art. 2:
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[TRADUCTION] 2. Sauf lorsqu’il achète à l’Office de producteurs, aucun exploitant engagé dans la transformation des viandes ne doit acheter à un producteur des porcs assujettis aux règlements de l’Office de producteurs, ni en accepter la livraison.
Vu la définition précitée du «producteur», cette disposition ne pouvait s’appliquer aux porcs achetés dans la province de Saskatchewan ou dans une autre province, les personnes élevant des porcs dans une province autre que le Manitoba n’étant pas des «producteurs». Même sans la définition, on ne pourrait l’interpréter comme applicable aux achats faits à l’extérieur de la province du Manitoba. Cependant, dans un télégramme envoyé aux Abattoirs, le 7 janvier 1972, le président de l’Office, après avoir cité quelques extraits des règlements, a déclaré:
[TRADUCTION] Il a été porté à l’attention du Conseil d’administration de l’Office de commercialisation des producteurs de porcs du Manitoba que, au cours de la semaine prenant fin le 7 janvier 1972, des porcs qui n’avaient pas été achetés par l’intermédiaire de l’Office ont été abattus dans cette province. On suppose que ces porcs provenaient de la Saskatchewan. Sachez que ces agissements doivent cesser immédiatement.
Le 17 juillet 1972, l’Office a établi un règlement, connu sous le nom de Règlement 97/72 de la province du Manitoba, qui ajoute au Règlement 4/72, après l’art. 2, la disposition suivante:
[TRADUCTION] 2A. Aucun exploitant engagé dans la transformation au Manitoba ne doit préparer pour l’abattage au Manitoba ou y abattre des porcs qui n’ont pas été achetés à l’Office de producteurs et, lorsque des porcs ont été apportés dans la province ils sont, aux fins de la Loi, censés être des porcs produits au Manitoba et ils sont assujettis aux mêmes dispositions de la Loi et du Règlement que les porcs élevés au Manitoba.
Voici comment, dans un communiqué de presse émis le jour de sa demande d’injonction, soit le 15 août 1972, l’Office décrivait les faits:
[TRADUCTION] LES ABATTOIRS BRAVENT LE RÈGLEMENT DE L’OFFICE MANITOBAIN DES PORCS
Au début de cette année, l’Office de commercialisation des producteurs de porcs du Manitoba a statué que tous les porcs abattus dans cette province doi-
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vent être vendus au moyen du dispositif d’enchères par télétype de l’Office. Ceci vise, par semaine, environ 25,000 porcs de producteurs du Manitoba et environ 1,000 porcs de la Saskatchewan.
Récemment, les principaux Abattoirs ont contesté le pouvoir légal de l’Office de les empêcher d’acheter des porcs additionnels à l’extérieur de la province sur la base «directement à l’abattoir». En fait, au cours des trois dernières semaines, ils ont acheté environ 1,750 têtes, en violation du Règlement. L’Office estime qu’il s’agit là d’une grave menace pesant sur le programme de commercialisation méthodique qui fonctionne dans la province, et il a chargé son conseiller juridique de demander une injonction aux tribunaux.
A Canada Packers, Swift Canadian and Burns Foods Ltd., qui disent que la règle établie par l’Office restreint le commerce interprovincial — l’Office répond: ce n’est certainement pas le cas. Chaque semaine, l’Office du Manitoba reçoit et vend tous les porcs expédiés de la Saskatchewan, ou de toute autre province, et ceux-ci sont traités exactement de la même manière que les porcs des producteurs du Manitoba. Le fait que de 800 à 1,000 porcs provenant de la Saskatchewan ont été vendus chaque semaine depuis le début de l’année, en est la preuve.
L’Office estime que si l’on autorise les Abattoirs du Manitoba à contourner le système d’enchères par télétype pour s’approvisionner — la force économique des producteurs du Manitoba risque d’être sérieusement compromise.
Voici des extraits des motifs de M. le Juge en chef Tritschler, en Cour du Banc de la Reine:
[TRADUCTION] Lorsqu’une interdiction vise des agissements à l’intérieur d’une province, alors, prima facie, la législation est du domaine provincial — Cowen c. Procureur-général de la Colombie-Britannique [1941] R.C.S. 321, à la p. 323. C’est ce que nous avons ici — l’interdiction d’abattre, au Manitoba, des porcs qui n’ont pas été achetés à l’Office. La législation a pour but la commercialisation et la transformation des viandes de porc au Manitoba, la réglementation de la vente de porcs au Manitoba et la fixation des prix du porc par le marché local et non par l’Office. Elle ne vise pas le fait pour les Abattoirs d’acheter des porcs en Saskatchewan et d’en prendre possession là‑bas pour les introduire au Manitoba… C’est l’abattage de porcs au Manitoba que vise la législation et il s’agit là d’une question d’intérêt local.
…
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On a opposé à rencontre de cette législation que les producteurs de la Saskatchewan avaient été «privés de l’avantage» de choisir de vendre directement à des fins d’abattage aux exploitants engagés dans la transformation au Manitoba. Encore une fois, les producteurs d’autres provinces n’ont pas prétendu, ni suggéré, que les exploitants engagés dans la transformation au Manitoba paieraient aux producteurs de la Saskatchewan un prix meilleur ou même aussi bon que celui que l’Office pourrait leur offrir. Au contraire, il est évident qu’un producteur de la Saskatchewan vendant par l’intermédiaire de l’Office recevra un meilleur prix que s’il vend directement à un exploitant engagé dans la transformation des viandes au Manitoba. Ceci ne constitue pas une entrave mais un encouragement au commerce interprovincial.
…
Le fait que des porcs soient importés ou que certains d’entre eux, à l’état naturel ou après avoir subi des transformations, soient exportés de la province ne touche en rien le pouvoir de maintenir un prix juste et une commercialisation méthodique des porcs au sein de la province, à moins qu’il ne soit prouvé que la législation n’est qu’un artifice visant à prendre le contrôle du commerce interprovincial. A mon avis, la preuve n’est pas en ce sens. Il est essentiel au succès du plan que la participation des producteurs et des exploitants engagés dans la transformation au Manitoba soit obligatoire. Si l’exploitant engagé dans la transformation au Manitoba peut contourner le système, le plan n’a plus de raison d’être et l’industrie de la viande de porc subira un grave préjudice. La législation veut obliger l’exploitant engagé dans la transformation au Manitoba à acheter son produit brut en concurrence avec tous les autres exploitants au Manitoba et ce, afin d’établir et de maintenir un juste prix pour le producteur qui envoie ses porcs à l’Office pour la vente. Il ne fait aucun doute que, pour les compagnies qui font du commerce interprovincial, ceci a des répercussions sur le coût des opérations au Manitoba mais cela n’est pas suffisant, en soi, pour rendre la législation nulle et sans effet.
En Cour d’appel, M. le Juge Dickson (alors juge puîné) a dit, entre autres choses:
[TRADUCTION] A la lecture de la Loi, du Plan et des ordonnances il me semble que c’est l’abattage des porcs au Manitoba que l’on vise et que, comme le dit M. le Juge en chef Tritschler dans son jugement en Cour du Banc de la Reine, «il s’agit là d’une question d’intérêt local». Il n’existe, dans le texte, aucun indice interne d’une préoccupation interprovinciale; au contraire le membre de phrase «dans la province» appa-
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raît très fréquemment. A mon avis, la législation touche le commerce interprovincial mais de façon uniquement accessoire à un plan de contrôle du commerce local dans la province et non dans le but de réglementer des questions d’intérêt interprovincial. Le «but», à mon avis, est d’égaliser, au Manitoba, la force économique existant entre ceux qui produisent et vendent, c’est-à-dire les producteurs du Manitoba, et ceux qui achètent et transforment la viande, c’est-à-dire les Abattoirs. Il ne me paraît pas déraisonnable qu’une méthode de commercialisation obligatoire soit obligatoire pour tous. Je ne pense pas que la législation soit conçue pour restreindre ou limiter le libre flot du commerce entre les provinces en tant que tel, mais elle me paraît plutôt destinée à développer et maintenir une commercialisation méthodique du produit réglementé.
Rien dans la législation ne vise à donner à l’Office le pouvoir de restreindre ou limiter par des contingentements le produit réglementé, ou d’en interdire l’entrée au Manitoba. De même, on ne fait aucune distinction entre le produit du Manitoba et le produit qui n’est pas du Manitoba, comme c’était le cas dans l’affaire du Renvoi du Manitoba. Un producteur de porcs en Saskatchewan est libre de vendre ses porcs à l’Office, de recevoir le même prix et d’être traité à tous égards de la même manière qu’un producteur du Manitoba. Il est libre de vendre ses porcs aux Abattoirs en Saskatchewan pour expédition au Manitoba. Il est vrai qu’avant de pouvoir abattre les porcs ainsi achetés, les Abattoirs doivent, comme tous les producteurs de porcs du Manitoba, les offrir en vente à l’Office, mais je ne considère pas cela comme créant quelque obstacle frontalier au mouvement des porcs.
A mon avis, ce que les règlements en cause exigent des Abattoirs, relativement aux porcs en provenance de la Saskatchewan, c’est qu’ils les achètent au producteur de la Saskatchewan par l’intermédiaire de l’Office manitobain. C’est ce que disent le télégramme et le communiqué de presse, c’est clairement ce que voulait l’Office et c’est également ce qu’on voulait exiger au moyen de l’ordonnance d’injonction, comme il ressort des motifs de M. le Juge en chef Tritschler. L’office n’a jamais eu l’intention d’autoriser les Abattoirs à acheter à eux-mêmes, par l’intermédiaire de l’Office, des porcs achetés par eux aux producteurs de la Saskatchewan.
Bien que la définition de «producteur» soit suffisamment large pour inclure un Abattoir qui a
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acheté des porcs, il existe dans le plan de commercialisation (Règlement 180/71) une disposition clairement destinée à permettre à l’Office d’empêcher les Abattoirs de ce faire. Il s’agit de l’art. 10A, par.(1):
10A. (1) Aucun producteur ne doit, au cours d’une année financière de l’Office de producteurs, mettre en marché plus de 5,000 porcs sans un permis à cet effet de l’Office de producteurs.
Le règlement attaqué doit, par conséquent, être considéré comme ayant l’effet d’interdire aux Abattoirs d’abattre au Manitoba des porcs élevés en Saskatchewan, ou dans une autre province, s’ils ne les ont pas achetés au producteur par l’intermédiaire de l’Office. Il est vrai que l’interdiction ne s’applique que lorsque les porcs sont abattus au Manitoba, mais c’est là l’unique fin pour laquelle les Abattoirs les achètent. A l’audience en cette Cour, la position adoptée par ceux qui cherchent à soutenir la validité du Règlement a été que l’Office avait établi le règlement attaqué en sachant pertinemment qu’il toucherait les porcs apportés d’une autre province.
La question est donc de savoir si, accessoirement à son pouvoir de réglementer la matière locale de l’abattage de porcs par les Abattoirs au Manitoba, la province peut réglementer l’achat, par les Abattoirs, de porcs de producteurs d’une autre province. Comme nous l’avons vu, l’injonction vise à empêcher les Abattoirs d’acheter des porcs en Saskatchewan, directement du producteur, pour l’abattage au Manitoba. Ce genre d’acquisition est un contrat conclu à l’extérieur du Manitoba. Naturellement, les parties pourraient choisir de le conclure au Manitoba, mais elles choisiront certainement de le conclure en Saskatchewan quand elles voudront, comme c’est le cas des Abattoirs, éviter de se soumettre au Plan du Manitoba. Toutefois, si l’ordonnance est valide, les conditions de vente sont réglementées par le plan du Manitoba même quand les Abattoirs traitent avec des producteurs de la Saskatchewan dans cette dernière
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province. Un tel contrat ne relève certainement pas du pouvoir législatif de la province du Manitoba (Royal Bank of Canada v. The King[2]). Péut-il y devenir assujetti pour le motif que, comme le déclare M. le Juge en chef Tritschler: «si l’exploitant engagé dans la transformation au Manitoba peut contourner le système, le plan n’a plus de raison d’être et l’industrie de la viande de porc subira un grave préjudice»? A mon avis, il faut trouver la réponse à cette question dans la phrase suivante du jugement de Lord Atkin dans l’affaire Natural Products Marketing Act (Attorney-General for British Columbia v. Attorney-General for Canada[3]), à la p. 387:
[TRADUCTION] «Le Parlement ne peut s’arroger la compétence absolue sur des matières d’intérêt local et provincial qu’impliquent ces dispositions en légiférant du même coup sur le commerce extérieur et interprovincial et en confiant au même organisme la réglementation de ce commerce et celle du commerce exclusivement local et des commerçants et producteurs y engagés: (Le Roi c. Eastern Terminal Elevator Co. [1925] R.C.S. 434).»
Si le Parlement fédéral ne peut réglementer le commerce local pour le motif qu’il serait plus efficace de le réglementer en même temps que le commerce extra-provincial, a fortiori une législature provinciale ne peut réglementer le commerce interprovincial d’un produit donné parce que cela semble souhaitable pour l’efficacité du contrôle du commerce intra-provincial.[4] En d’autres termes, la réglementation directe du commerce interprovincial est en soi un domaine qui ne relève pas du pouvoir législatif d’une province et on ne peut la considérer comme accessoire du commerce local. Il ne s’agit pas ici d’un cas où l’on cherche à soumettre tous les biens d’une certaine espèce à l’intérieur d’une
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province à une réglementation uniforme, par exemple quant au prix de la vente au détail (comme dans l’affaire Home Oil Distributors Ltd. c. Le procureur général de la Colombie‑Britannique[5]). Il s’agit d’un cas où l’on veut réglementer directement des opérations commerciales extra-provinciales dans leurs aspects essentiels, à savoir quant au prix et quant à toutes les autres conditions de vente. En réalité, le règlement attaqué ne vise pas vraiment des biens déjà apportés dans la province. Ce qu’il cherche à faire c’est d’exiger que leur acquisition auprès d’un producteur dans, une autre province se fasse conformément à la loi du Manitoba, non à celle de la province d’origine. Il est vrai qu’il ne prétend pas en interdire l’entrée si cette exigence n’est pas remplie mais il cherche à obtenir le même résultat lorsqu’il prévoit que les biens ne peuvent être utilisés à la fin unique pour laquelle ils ont été apportés à savoir, l’abattage immédiat.
Rien que l’on ait dit dans les arrêts antérieurs ne vient à l’appui de la proposition voulant qu’une autorité provinciale puisse intervenir de façon aussi directe dans le commerce interprovincial. Il ne s’agit pas d’une intervention banale, bien au contraire. On n’a pas nié que le commerce interprovincial des porcs entre la Saskatchewan et le Manitoba soit important. Affirmer qu’il n’existe pas de discrimination n’est pas une réponse, d’abord parce que cela est dû à une ligne de conduite sujette à modification au bon vouloir de l’Office, et aussi parce que c’est la substance même du commerce interprovincial qui est réglementée et non un aspect secondaire ou non essentiel. Pour faire une comparaison avec l’industrie du camionnage, je dirais que c’est tout comme si l’on fixait le tarif du transport interprovincial, par opposition aux limites de vitesse.
Je ne peux, par conséquent, accepter l’argument de M. Hilton voulant que la restriction soit valide du fait qu’elle est imposée en vue d’aider à assurer un juste prix de vente du produit local. La décision rendue dans l’affaire Shannon c.
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Lower Mainland Dairy Products Board[6] ne nous est d’aucun secours car elle repose sur une conclusion [TRADUCTION] «que la loi en question se borne à la réglementation d’opérations qui ont lieu entièrement dans la province». La situation ici est tout à fait différente de celle de l’affaire Brant Dairy Co. et al. c. Milk Commission of Ontario et al.[7] Dans cette affaire-là, l’attaque basée sur des motifs d’ordre constitutionnel a été rejetée car on ne pouvait prouver que les ordonnances avaient quelque effet extra-provincial. On exigeait des fabricants qu’ils achètent exclusivement par l’intermédiaire de l’Office mais tous les producteurs étaient de la province. De même, dans l’affaire Carnation Company Ltd. c. Régie des marchés agricoles du Québec[8], tous les producteurs se trouvaient à l’intérieur de la province où fonctionnait l’usine de transformation. L’attaque n’était pas fondée sur l’argument que des producteurs extra-provinciaux étaient touchés, mais sur ce qu’une grande partie de la production de l’usine était vendue à l’extérieur de la province. Envisagée sous cet angle, la situation est très semblable en l’espèce présente. On a concédé que les deux tiers de la production des Abattoirs sont vendus à l’extérieur du Manitoba. Toutefois, vu la décision rendue dans l’affaire Carnation, ceci n’a pas constitué le fondement de la contestation de la constitutionnalité du Règlement.
On cherche à défendre le Règlement en disant qu’il ne s’applique qu’aux porcs apportés dans la province. En fait, le règlement en cause prétend dicter les conditions auxquelles les porcs peuvent être apportés de l’extérieur, ce qui, en soi, relève du commerce interprovincial. Il ne s’agit pas là d’un aspect accessoire de l’opération d’abattage qui se fait dans la province.
On dit aussi que, dans son essence et sa substance, l’objet du Règlement n’est pas d’élever des barrières à l’encontre du libre flot du commerce mais de stabiliser le prix des porcs au Manitoba. Or, un règlement semblable, en sou-
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mettant le prix des «importations» aux mêmes règles que celui des ventes locales, se trouve précisément, en lui-même, à réglementer le commerce interprovincial. Que cela soit présentement fait sans les caractéristiques discriminatoires que l’on trouvait dans l’affaire des Oeufs (Procureur général du Manitoba c. Manitoba Egg and Poultry Assoc. et al.[9]), ne peut faire de véritable différence, non seulement parce qu’une discrimination pourrait à tout moment être établie à la discrétion de l’Office mais aussi du fait que, ce que l’on cherche à réglementer dans tous ses aspects essentiels, c’est le commerce des porcs entre les Abattoirs du Manitoba et les producteurs de porcs d’autres provinces.
Pour ces motifs je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer les jugements des cours d’instance inférieure, de dissoudre l’injonction, de rejeter l’action et d’accueillir la demande reconventionnelle aux fins de déclarer nul et sans effet le règlement 97/72 de la province du Manitoba; les appelants ont droit à leurs dépens en toutes les cours contre l’Office de commercialisation des producteurs de porcs du Manitoba mais il n’y aura aucune autre adjudication de dépens. Tous droits que les appelants peuvent avoir de s’adresser à la Cour du Banc de la Reine du Manitoba aux fins d’obtenir des dommages-intérêts en raison de l’engagement pris le 21 août 1972 et de l’émission subséquente de l’injonction sont réservés.
LE JUGE RITCHIE (dissident) — Je pense comme la Cour d’appel du Manitoba que la législation attaquée vise primordialement l’abattage de porcs dans la province, ce qui est une matière d’intérêt local, et qu’elle ne touche le commerce interprovincial qu’accessoirement à un plan de contrôle du commerce local dans la province et ne vise pas à réglementer le commerce quant à des matières d’intérêt interprovincial.
Pour ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens.
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Appel accueilli, LE JUGE RITCHIE étant dissident.
Procureurs des appelantes: Christie, Turner, De Graves, McKay, Settle & Kennedy, Winnipeg.
Procureurs de l’intimé, l’Office de commercialisation des producteurs de porcs du Manitoba: Inkster, Walker, Westbury, Irish, Rusen & Hughes, Winnipeg.
Procureur de l’intimé, le Procureur général du Manitoba: Le Sous-Procureur général du Manitoba.
[1] [1973] 5 W.W.R. 60, 35 D.L.R. (3d) 581.
[2] [1913] A.C. 283.
[3] [1937] A.C. 377.
[4] Voir également le jugement du Vicomte Simon dans Atlantic Smoke Shops Lt. v. Conlon, [1943] A.C. 550, où il dit (à p. 568): (traduction)
…il faut juger de la validité de l’article 5 comme il se lit, et, si en le décrétant la Législature a excédé ses pouvoirs, on ne saurait le justifier parce qu’il serait nécessaire pour mettre le plan complet à l’abri des fuites.
[5] [1940] R.C.S. 444.
[6] [1938] A.C. 708.
[7] [1973] R.C.S. 131.
[8] [1968] R.C.S. 238.
[9] [1971] R.C.S. 689.
Parties
Demandeurs :
Burns Foods Ltd. et al.Défendeurs :
Procureur general du Manitoba et al.Proposition de citation de la décision:
Burns Foods Ltd. et al. c. Procureur general du Manitoba et al., [1975] 1 R.C.S. 494 (21 décembre 1973)
Origine de la décision
Date de l'import :
06/04/2012Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1973-12-21;.1975..1.r.c.s..494