Cour suprême du Canada
Ministre des Finances de Colombie-Britannique c. First National Bank of Nevada, [1975] 1 R.C.S. 525
Date: 1973-12-21
Le Ministre des Finances de la Province de Colombie-Britannique Appelant;
et
First National Bank of Nevada, Exécutrice de la Succession de Feu Hugh Herbert Wolfenden Intimée.
1973: les 8 et 9 mai; 1973: le 21 décembre.
Présents: Le Juge en chef Fauteux et les Juges Abbott, Martland, Judson, Ritchie, Spence, Pigeon, Laskin et Dickson.
EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE
APPEL à rencontre d’un arrêt de la Cour
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d’appel de la Colombie-Britannique[1] qui a rejeté l’appel que l’appelant avait interjeté à l’encontre d’un jugement du Juge Hinkson. Appel rejeté.
G.S. Cumming, c.r., pour l’appelant.
J.G. Watson, pour l’intimée.
Oliver Prat, Paul A. Deniers, c.r., et Raymond Maker, pour l’intervenant, le procureur général du Québec.
Le jugement du Juge en chef Fauteux et des Juges Ritchie et Pigeon a été rendu par
LE JUGE RITCHIE — Je souscris aux motifs de jugement rédigés par M. le Juge Laskin, mais je ne puis faire mien l’avis exprimé par M. le Juge Spence et la majorité de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique selon lequel la disposition contestée (le par. (1) de l’art. 94 du Companies Act, R.S.B.C. 1960, c. 67) est une tentative d’un caractère spécieux, sous le couvert du droit des compagnies, en vue de changer le situs d’actions de manière à ce que celles-ci deviennent situées dans la province.
Je partage l’avis exprimé par le Juge en chef Davey de la Colombie-Britannique dans ses motifs de dissidence en Cour d’appel, suivant lequel la loi contestée n’est pas ultra vires, et, comme je l’ai indiqué, je suis d’avis de rejeter l’appel pour les motifs énoncés par mon collègue le Juge Laskin.
Les Juges Abbott, Martland, Judson et Dickson ont souscrit au jugement rendu par
LE JUGE LASKIN — Dans la présente affaire, il s’agit de déterminer si certaines actions d’une compagnie de la Colombie-Britannique avaient leurs situs dans cette province-là et étaient donc imposables en vertu du par. (1) de l’art. 6 du Succession Duty Act, R.S.B.C. 1960, c. 372. Cet article, dans ce qu’il a de pertinent au litige, se lit comme suit:
[TRADUCTION] Tout bien d’un défunt — que le défunt ait été domicilié dans la province ou ailleurs au moment du décès qui — est situé dans la province et transmis à une personne à cause de droit de bénéficiaire de propriété véritable, quel qu’il soit, est sous
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réserve de l’article 5, assujetti à un impôt sur sa valeur imposable au taux prescrit dans la table de taux de l’annexe C …
Au par. (1) de l’art. 2, la loi définit les termes «transmis» et «transmis au décès» comme signifiant, entre autres choses, «transmis en vertu d’un testament, d’une succession ab intestat, ou autrement, immédiatement au décès d’une personne ou à l’expiration d’un intervalle postérieur au décès, de façon absolue ou sous condition suspensive, par transmission originelle ou par voie de clause de substitution …».
En première instance de même qu’en appel devant la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, la question du situs a été considérée comme reposant sur la validité du par. (1) de l’art, 94 du Companies Act, R.S.B.C. 1960, c. 67, modifié par les statuts de 1967 (C.-B.), c. 12, art. 9. Cette disposition se lit comme suit:
[TRADUCTION] Un transfert de la part ou des intérêts d’un membre décédé dans une compagnie, fait par son représentant personnel, est, bien que le représentant personnel ne soit pas membre lui-même, aussi valide que si ce dernier avait été membre au moment de la signature de l’instrument de transfert, et, nonobstant les dispositions de l’article 87, le transfert de la part ou des intérêts d’un membre décédé doit être fait sur le registre tenu conformément à l’article 82.
La modification se trouve à la fin, et elle a pour effet d’exiger que le transfert d’actions d’un actionnaire décédé soit fait seulement sur le registre gardé au bureau enregistré de la compagnie situé en Colombie-Britannique, même si la compagnie a, sous l’autorité de l’art. 87 du Companies Act, des registres annexes à l’extérieur de la province dans lesquels des transferts d’actions peuvent normalement être effectués.
Les parties ont reconnu que, abstraction faite de l’effet du par. (1) de l’art. 94, le situs des actions dans la présente affaire était à l’extérieur de la Colombie-Britannique. Le 26 mai 1968, jour de décès du Hugh Herbert Wolfenden, les actions étaient enregistrées au nom de ce dernier, leur propriétaire, dans le registre principal de la compagnie, à Vancouver; elles y avaient été enregistrées avant la modification du
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par. (1) de l’art. 94 du Companies Act en 1967. Wolfenden est décédé domicilié au Nevada, où il avait le certificat d’actions attestant l’existence de sa part d’intérêts. La compagnie gardait des registres annexes à New York, de même qu’à Winnipeg, Toronto et Montréal, et il semble que Wolfenden ait acheté ses actions avant l’établissement d’un registre annexe à New-York. À la lumière de ces faits, les avocats ont convenu que, vu les arrêts R. v. Williams[2], et Treasurer of Ontario v. Blonde; Treasurer of Ontario v. Aberdein[3], et compte tenu aussi de l’arrêt de cette Cour dans l’affaire Le Roi c. National Trust Co.[4], les actions de Wolfenden n’étaient pas situées en Colombie-Britannique à moins que le par. (1) de l’art. 94 n’ait eu pour effet d’en placer le situs dans cette province-là aux fins des droits successoraux.
Le Juge Hinkson, qui a été saisi de l’affaire par voie de question soumise d’un commun accord sur mémoire spécial, a été d’avis que le par. (1) modifié (dont le précurseur adopté en 1937 a été abrogé en 1960) de l’art. 94 était une tentative d’un caractère spécieux visant, sous le couvert du droit des compagnies, à placer dans la province le situs des actions de façon à permettre à la province de recueillir des droits successoraux. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a souscrit majoritairement à ses motifs et à sa conclusion. Dans sa dissidence, le Juge en chef de la Colombie-Britannique, le Juge Davey, ne doute aucunement que [TRADUCTION] «le par. (1) de l’art. 94 a été adopté afin de donner aux actions d’un actionnaire décédé un situs local sous le régime des principes de la common law et, par là, assujettir celles-ci aux droits successoraux provinciaux»; mais, à son avis, cette conséquence ne rend pas la disposition ultra vires. À son avis, si une législature provinciale peut validement changer le situs en autorisant l’établissement de registres annexes par des lois concernant les compagnies, elle peut tout aussi validement, dans ses lois relatives aux compagnies, inverser le processus. Il n’est pas, bien entendu, vrai, si on tient compte
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des critères élaborés par les tribunaux relativement au situs des actions, que l’existence de registres d’actions multiples à l’intérieur et à l’extérieur de la province constitue à elle seule un facteur déterminant. Le Juge en chef surmonte cette difficulté en faisant remarquer dans ses motifs que le par. (1) de l’art. 94, tel que modifié, n’a pas changé les principes de la common law sur la détermination du situs de biens incorporels, mais que, plutôt, il a changé les circonstances dans lesquelles les règles de la common law doivent s’appliquer. Selon le Juge en chef Davey, c’est par application des principes établis que les actions se trouvent à être, en l’espèce, situées dans la province.
A mon avis, la question de la validité du par. (1) de l’art. 94 ne se pose pas avant que l’on ne détermine d’abord qu’il peut, sur le plan temporel, avoir un effet déterminant sur le situs des actions relativement à leur caractère imposable sous le régime du par. (1) de l’art. 6 du Succession Duty Act. Il semble que les cours de la Colombie-Britannique aient, au départ, considéré qu’il avait semblable effet, ce que je ne suis pas prêt à faire. Je pose le problème, en l’espèce, comme suit: par référence à quel moment doit-on déterminer le situs des actions aux fins du par. (1) de l’art. 6? Si le critère servant à déterminer le situs doit être appliqué au moment même du décès du propriétaire enregistré, sur la base d’un transfert de propriété conceptuel effectué par un enregistrement sur un registre de transferts d’actions, alors il doit s’ensuivre que l’art. 94, par. (1), qui envisage un transfert après la mort, ne peut avoir aucun effet. D’autre part, on peut faire valoir que puisque le critère servant à déterminer le situs (à quel endroit l’expédition d’un transfert d’actions peut-elle efficacement, entre l’actionnaire et la compagnie, avoir lieu de manière à permettre à un cessionnaire de devenir actionnaire) envisage un transfert subséquent sur un registre d’actions de la compagnie, il peut seulement se crystalliser après la décès de l’actionnaire enregistré et, ainsi, le par. (1) de l’art. 94, s’il est valide, prend alors son effet. L’arrêt Blonde and Aberdein offre un appui quelconque au premier
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point de vue tandis que l’arrêt Williams fait de même pour le dernier.
Primordialement, il faut se reporter à l’art. 6, par. (1), du Succession Duty Act, la disposition qui décrète l’imposition, laquelle j’interprète comme imposant un impôt sur la base du situs au moment même du décès et comme exigeant donc une application conceptuelle du critère du situs à ce moment précis et non après. Que le droit de propriété véritable soit transmis immédiatement à des bénéficiaires ou qu’il soit transmis après un intervalle de temps, ou lorsqu’un événement contingent se réalise, cela n’a aucun effet sur le situs. C’est «tout bien d’un défunt … situé dans la province» qui fait l’objet de l’impôt en vertu du par. (1) de l’art. 6, et cette disposition signifie que la propriété du bien et son situs sont fixés à la mort. S’il en était autrement, la loi attribuerait la propriété à une personne déjà décédée quand, en droit, elle aurait été transmise à ses représentants personnels. L’attribution du situs à la mort ne pose aucune difficulté dans le cas d’un bien incorporel représenté par un contrat formel, pas plus que dans le cas d’un bien corporel. Mais, parce que le situs des actions est devenu subordonné à un critère qui envisage un transfert sur un registre d’actions une difficulté se pose logiquement si on considère un transfert un instant avant la mort (et ainsi avant l’application du Succession Duty Act) et, de façon semblable, un instant après la mort (quand la loi a déjà pris effet).
L’événement qui rend des droits payables, à savoir, le décès, implique au même moment un situs déterminé des biens à l’égard desquels les droits doivent être payés si les biens sont situés dans la province. A mon avis, ce serait composer avec la fiction que d’appliquer le critière du situs des actions en fonction d’un événement (tel que prescrit par l’art. 94, par. (1), attaqué) qui se produit après le décès de la personne dont le décès est la cause de l’imposition. L’application du critère à ce moment-là, par référence à un transfert hypothétique fait conformément à la prescription légale, aurait, ainsi qu’il a été reconnu, pour résultat de changer le situs que l’on aurait eu autrement. Je suis donc d’avis
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que le par. (1) de l’art. 94 ne peut avoir aucun effet déterminant sur le situs des actions aux fins de l’imposition prévue au par. (1) de l’art. 6 du Succession Duty Act et, par conséquent, aucune question de validité ne se pose. Pour les motifs susmentionnés, je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens.
Les Juges Abbott et Judson ont souscrit au jugement rendu par
LE JUGE SPENCE — J’ai eu l’avantage de lire les motifs de jugement de M. le Juge Laskin et je conviens qu’il y a lieu de rejeter l’appel pour les raisons qu’il donne.
Le point sur lequel mon collègue le Juge Laskin décide la question est, toutefois, soulevé en cette Cour pour la première fois et, par conséquent, je pense que je devrais exprimer un avis sur les motifs invoqués par les cours d’instance inférieure. Comme M. le Juge Laskin le signale dans ses motifs, le Juge Hinkson, qui a été saisi de l’affaire en première instance, dit dans ses motifs:
[TRADUCTION] Applicant ces principes à la modification apportée au Companies Act en 1937, je conclus que celle-ci était clairement une tentative d’un caractère spécieux visant, sous le couvert du droit des compagnies, à changer le situs des actions de manière à le placer dans la province. Si cette tentative avait été faite en 1921, elle aurait été tout aussi spécieuse. Aucune raison valable n’a été avancée pour expliquer pourquoi la province peut changer le situs des actions d’un actionnaire décédé à des fins de compagnie. Une étude de l’historique de la législation m’indique clairement que le but visé était de permettre à la Province de recueillir des droits successoraux. J’ai tiré la même conclusion relativement à la modification apportée au Companies Act en 1967.
Cet avis a reçu un accueil favorable de la majorité de la Cour d’appel de la Colombie Britannique et M. le Juge McFarlane, avec qui M. le Juge Branca a été d’accord, a dit:
[TRADUCTION] le Juge Hinkson a conclu que la modification de 1967 apportée à l’art. 94 (tout comme la disposition semblable adoptée en 1937, S.B.C. 1937, c. 10, art. 2) outrepassait les pouvoirs législatifs de la législature parce qu’elle «était clairement une tentative d’un caractère spécieux visant, sous le couvert du droit des compagnies, à changer le situs des
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actions de manière à le placer dans la province». Le changement du situs, s’il est valide, a pour résultat d’assujettir les actions détenues par un non-résident maintenant décédé à l’imposition de droits successoraux dans cette province.
À mon avis, la conclusion du savant juge était juste et je souscris à ses motifs de jugement.
Je suis moi de même d’avis que la disposition attaquée est clairement une tentative d’un caractère spécieux visant, sous le couvert du droit des compagnies, à changer le situs des actions et à le placer dans la province.
Je n’ai rien à ajouter aux motifs rédigés par le Juge Hinkson et par la majorité de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique et je suis disposé à rejeter l’appel pour ces motifs de même que pour ceux que donne M. le Juge Laskin.
Appel rejeté avec dépens.
Procureurs de l’appelant: Fulton, Cumming, Richards & Co., Vancouver.
Procureurs de l’intimée: Davis & Co., Vancouver.
[1] [1972] 5 W.W.R. 443, 28 D.L.R. (3d) 756.
[2] [1942] A.C. 541.
[3] [1947] A.C. 24.
[4] [1933] R.C.S. 670.