Cour suprême du Canada
Industrial Acceptance Corp. c. Richard, [1975] 1 R.C.S. 512
Date: 1974-02-25
Industrial Acceptance Corporation (Demanderesse) Appelante;
et
René Richard (Défendeur) Intimé.
1974: le 23 janvier; 1974: le 25 février.
Présents: Le Juge en chef Laskin et les Juges Ritchie, Pigeon, Beetz et de Grandpré.
EN APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE, PROVINCE DE QUÉBEC
APPEL d’un jugement de la Cour du banc de la reine, province de Québec[1], infirmant un jugement de la Cour supérieure. Appel accueilli.
L. Ducharme, et Jean Dagenais, pour l’appelante.
R. Bélec, pour l’intimé.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE DE GRANDPRÉ — Par son action intentée en septembre 1967, l’appelante réclame des deux souscripteurs, François Groulx et son épouse Marie-Paule, ainsi que de l’endosseur René Richard, le paiement d’un billet signé le 20 novembre 1964.
La Cour supérieure a rejeté l’action quant à madame Groulx pour le motif que, contrairement aux dispositions de l’art. 1301 C.c., elle s’était obligée pour le bénéfice de son époux; il n’y a pas eu d’appel de cette partie du jugement. Par ailleurs, condamnation solidaire a été prononcée par le premier juge contre François Groulx et l’intimé. Seul Richard en a appelé de cette condamnation et son pourvoi a été accueilli à l’unanimité par les trois juges de la Cour d’appel.
La demanderesse-appelante demande le rétablissement du jugement de première instance quant à l’intimé Richard. Je suis d’avis que cette demande doit être accueillie.
Les faits qui ont précédé la signature du billet sont les suivants:
— Le 21 avril 1964, l’intimé s’est porté acquéreur d’un commerce de lavage et a signé en faveur du vendeur, Lavandières Eaux Vives Inc., un billet pour un montant de $18,112. Ce billet est endossé à l’ordre de l’appelante.
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— Le 29 septembre 1964, par convention sous seing privé, l’intimé a vendu à François Groulx ce commerce de lavage pour la somme de $15,448, dont $1,200 étaient payables à l’intimé personnellement et le solde à l’appelante aux termes d’une clause stipulant que François Groulx «déclare assumer personnellement la dette que le vendeur a avec ladite compagnie».
— L’acheteur Groulx a pris possession du commerce le 1er octobre 1964.
— Le même jour, l’intimé écrivait à l’appelante pour lui transmettre son chèque mensuel et ajoutait: «Veuillez prendre note aussi, que ce commerce a été vendu au notaire François Groulx de la rue Hôtel-de-Ville à Hull, le 1er octobre 1964, et que celui-ci prendra des arrangements avec vous pour continuer les paiements.»
— Le 20 novembre 1964, François Groulx et son épouse Marie-Paule ont signé à l’ordre de l’intimé un billet de $18,626, billet que celui-ci a endossé à l’ordre de l’appelante avec la mention à la plume, au-dessous de sa signature, «vendeur».
— Un document intitulé «Contrat de vente conditionnelle» sur une formule de l’appelante fut aussi signé par les époux Groulx comme acheteurs et par l’intimé comme vendeur. La preuve n’est pas très claire quant à la date de ce document; la copie produite comme pièce au dossier porte la date du 9 novembre 1965 et c’est la date mentionnée par François Groulx dans son témoignage; par ailleurs, d’autres témoins affirment que ce document et le billet ont été signés en même temps. Vu la conclusion à laquelle j’en arrive sur le fond, il ne m’est pas nécessaire d’approfondir cette question.
— Les époux Groulx firent leurs versements régulièrement jusqu’en juin 1965; leur défaut à partir de ce moment-là entraîna l’institution des procédures.
Dans sa déclaration, la demanderesse s’est contentée d’invoquer le billet et son endossement mais le débat a été élargi par la défense
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écrite, particulièrement celle de l’intimé. Ce dernier a soulevé les moyens suivants:
(a) Le billet n’a été endossé par lui que comme «vendeur» et n’a pas fait de l’intimé un endosseur aux termes de la Loi des lettres de change; ce moyen n’a été retenu ni par la Cour supérieure, ni par la Cour d’appel et je ne m’y attarde pas.
(b) Le billet n’est pas de sa véritable nature une lettre de change et il participe essentiellement de la nature du contrat de vente conditionnelle auquel il était annexé.
(c) Le billet n’est qu’un écrit reconnaissant l’existence d’une dette par les époux Groulx en faveur de l’intimé; cette dette a été transportée par ce dernier à l’appelante sans autre garantie de la part de l’intimé que sa créance existait contre les débiteurs.
Évidemment, ce dernier moyen ne doit être examiné que si le document invoqué par l’appelante n’est pas de sa véritable nature une lettre de change. Sur ce point, la Cour de première instance s’est exprimée comme suit:
«Le billet, sur lequel la demanderesse base sa réclamation, n’est pas l’accessoire d’un contrat de vente d’un centre de lavage, consenti par le défendeur au souscripteur François Groulx, le 29 septembre 1964, et réitéré, le 20 novembre 1964, sur une forme de Vente conditionnelle’, l’épouse de François Groulx étant ajoutée comme acheteur.
Il forme un effet de commerce autonome, négociable.»
M. le Juge Owen, parlant pour la Cour d’appel, en est arrivé à une conclusion diamétralement opposée:
[TRADUCTION] «… l’action aurait dû être rejetée pour le motif que le document P-1, sur lequel I.A.C. a poursuivi, ne doit pas être considéré indépendamment du contrat de vente conditionnelle et donc n’est pas un billet à ordre.»
La Cour d’appel a vu dans la présente instance un problème similaire à celui que cette Cour a étudié dans l’affaire Range c. Corporation de Finance Belvedère[2]. Avec respect, je ne
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crois pas que l’arrêt Range s’applique ici. Cette Cour avait alors examiné la valeur d’un billet souscrit par un acheteur qui n’avait jamais reçu l’objet promis dans le contrat de vente conditionnelle originairement attaché au billet et la preuve avait révélé qu’il était impossible de considérer la promesse de payer indépendamment du contrat de vente conditionnelle.
La situation ici est tout à fait différente. Entre François Groulx et l’intimé, la vente est devenue parfaite dès le 29 septembre 1964 et rien par la suite n’est venu priver François Groulx de son titre de propriété. Rien au dossier ne laisse supposer que François Groulx ait renoncé à ses droits sur les biens acquis de l’intimé. La signature du document intitulé «Contrat de vente conditionnelle» n’était qu’un support comptable justifiant le montant total du billet souscrit par les époux Groulx à l’ordre de l’intimé et transporté par celui-ci à l’appelante. Ce billet est un effet de commerce complet et parfait.
Pour ces motifs, j’accueillerais donc l’appel avec dépens dans toutes les cours et rétablissant le jugement de première instance avec une légère modification mentionnée ci-après, j’accueillerais l’action pour partie contre l’intimé le condamnant solidairement avec François Groulx, à payer à la demanderesse la somme de $16,194 avec intérêts au taux de 12 pour cent l’an. La Cour supérieure a fait courir les intérêts depuis le 30 novembre 1964. La preuve ayant révélé que des versements ont été reçus par l’appelante et crédités par elle à l’intimé jusqu’au 5 août 1965, je ferais courir les intérêts de cette dernière date.
Appel accueilli avec dépens, les intérêts ne commençant à courir qu’à compter de la date du dernier versement effectué par l’intimé.
Procureurs de l’appelante: Dagenais & Dagenais, Gatineau.
Procureurs de l’intimé: Bélec, Boulanger, Joyal & Bélec, Hull.
[1] [1972] C.A. 775.
[2] [1969] R.C.S. 492.