La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/03/1974 | CANADA | N°[1975]_1_R.C.S._534

Canada | Edmonton Country Club Ltd. c. Case, [1975] 1 R.C.S. 534 (17 mars 1974)


Cour suprême du Canada

Edmonton Country Club Ltd. c. Case, [1975] 1 R.C.S. 534

Date: 1974-03-18

Edmonton Country Club Limited Appelante;

et

Carl Edwin Case Intimé.

1973: les 9 et 13 novembre; 1974: le 18 mars.

Présents: Les Juges Ritchie, Spence, Pigeon, Laskin et Dickson.

EN APPEL DE LA COUR SUPRÊME DE L’ALBERTA, DIVISION D’APPEL

Cour suprême du Canada

Edmonton Country Club Ltd. c. Case, [1975] 1 R.C.S. 534

Date: 1974-03-18

Edmonton Country Club Limited Appelante;

et

Carl Edwin Case Intimé.

1973: les 9 et 13 novembre; 1974: le 18 mars.

Présents: Les Juges Ritchie, Spence, Pigeon, Laskin et Dickson.

EN APPEL DE LA COUR SUPRÊME DE L’ALBERTA, DIVISION D’APPEL


Synthèse
Référence neutre : [1975] 1 R.C.S. 534 ?
Date de la décision : 17/03/1974
Sens de l'arrêt : Le pourvoi et le pourvoi incident doivent être rejetés

Analyses

Compagnies - Nullité de résolutions modifiant des statuts d’association - Résolutions allant à l’encontre du principe qu’un actionnaire qui a payé ses actions est libéré de toute obligation pécuniaire y relative - Imposition d’un droit sur les transferts - Droit des administrateurs de refuser leur consentement à un transfert d’actions.

La compagnie appelante a été constituée en 1945 en vertu de The Companies Act, R.S.A. 1942, c. 240, pour les objets énoncés dans le mémorandum d’association. Ces objets comprennent, entre autres, l’acquisition de l’actif de Edmonton Golf and Country Club Ltd., une corporation existante; la promotion du sport du golf et des autres formes d’activité sportive; la construction et l’entretien de pavillons; et la possession et l’exploitation d’un terrain de golf.

En 1963 les statuts d’association ont été modifiés par l’abrogation de l’art. 14B et son remplacement par une disposition nouvelle dont l’effet était d’abroger la garantie donnée dans l’art. 14B originel suivant laquelle les actions de la compagnie ne pouvaient être assujetties à aucune cotisation, d’imposer une cotisation annuelle minimum et de permettre la confiscation ou la vente forcée de l’action en cas de non-paiement.

En 1969 d’autres modifications des statuts d’association ont été approuvées, en vertu desquelles le propriétaire d’une action ordinaire ou privilégiée de la compagnie était requis de payer à ladite compagnie une «cotisation annuelle minimum à être fixée par les administrateurs» à moins que lui ou son représentant désigné n’exerce des privilèges de joueur et paie la cotisation de joueur, à défaut de quoi ces actions ordinaires ou privilégiées devenaient grevées d’un privilège ou droit de recours en faveur de la compagnie, qui pouvait exécuter celui-ci par la vente des actions. Durant la même année l’art. 17 a été modifié de façon à permettre aux administrateurs de fixer le montant d’un droit de transfert pour l’enregistrement de transferts d’actions.

[Page 535]

Finalement, en 1970 une résolution spéciale a été adoptée stipulant que tout actionnaire, joueur ou non, doit payer les cotisations de club annuelles fixées par le conseil d’administration pour l’année alors en cours.

La validité des résolutions de 1963, 1969 et 1970 a été contestée par l’intimé, qui en 1966 avait hérité de son père une action ordinaire et une action privilégiée. Le juge de première instance a conclu que les résolutions étaient ultra vires des pouvoirs de la compagnie et nulles ab initio. H a conclu également que l’art. 20A, qui conférait aux administrateurs le pouvoir de refuser l’enregistrement de tout transfert d’actions, était intra vires et valide. Un appel et un appel incident ont été rejetés par la Division d’appel. Avec autorisation, la compagnie s’est ensuite pourvue devant cette Cour et l’actionnaire a interjeté un pourvoi incident.

Arrêt (les Juges Spence et Laskin étant dissidents en partie): Le pourvoi et le pourvoi incident doivent être rejetés.

Les Juges Ritchie, Pigeon et Dickson: Les résolutions en question sont ultra vires puisqu’elles vont à l’encontre du principe de droit fondamental qui a assuré leur vitalité aux compagnies à responsabilité limitée, à savoir qu’un actionnaire qui a acquitté le prix de ses actions est par la suite libéré de toute obligation pécuniaire à l’égard de celles-ci. La doctrine de la responsabilité limitée joue de façon à protéger les détenteurs d’actions intégralement acquittées non seulement contre les réclamations de créanciers de la compagnie mais aussi contre les obligations, financières ou autres, que d’autres actionnaires de la compagnie pourraient chercher à leur imposer.

Quant au pouvoir de la compagnie de faire du droit de transfert «ne dépassant pas $25» prévu à l’art. 17 des statuts d’association un «droit qui pourrait être établi par les administrateurs», un droit imposé sur le transfert, dans la mesure où ce droit n’excède pas le coût régulier et raisonnable du transfert, constitue une charge illégale imposée à l’actionnaire à l’égard de ses actions et viole le principe de la responsabilité limitée.

L’art. 20A n’est pas ultra vires des pouvoirs de la compagnie. Le pouvoir qu’ont les administrateurs de refuser de consentir à un transfert d’actions leur a été réservé lors de la constitution de la compagnie, par le contrat contenu dans les statuts, et il n’est pas quelque chose qu’on voudrait maintenant imposer aux actionnaires contre leur volonté. H n’y a aucune

[Page 536]

preuve, et il n’est pas non plus allégué, que les administrateurs aient, à quelque époque durant les presque 30 ans d’existence de la compagnie, agi de mauvaise foi ou de façon arbitraire ou autrement abusé de leur pouvoir.

Les Juges Spence et Laskin, dissidents en partie: L’article 20A, par lequel les administrateurs ont reçu un pouvoir arbitraire, qui n’est rattaché à aucune norme dans l’exercice d’une discrétion absolue, de contrôler la possession d’actions, est nul et doit être retranché. Ce que la compagnie a fait, en définitive, a été de se convertir en un club privé malgré sa constitution en compagnie publique. Si la compagnie refisse d’établir des critères qui permettraient de compter à l’avance sur une certaine dose d’exercice raisonnable de pouvoir discrétionnaire, elle ne devrait pas être autorisée à jouir du couvert d’une charte de compagnie publique.

POURVOI et POURVOI INCIDENT à l’eucontre d’un arrêt de la Cour suprême de l’Alberta, Division d’appel[1], rejetant un appel d’un jugement du Juge Bowen. Pourvoi et pourvoi incident rejetés, les Juges Spence et Laskin étant dissidents en partie.

J.E. Redmond, c.r., pour l’appelante.

T. Mayson, c.r., pour l’intimé.

Le jugement des Juges Ritchie, Pigeon et Dickson a été rendu par

LE JUGE DICKSON — La présente affaire conteste un principe de droit corporatif, normalement considéré comme fondamental et immuable, à savoir que des actions intégralement acquittées d’une compagnie ne peuvent être assujetties à aucune charge pécuniaire. Elle se rapporte à Edmonton Country Club Limited, une compagnie constituée le 14 juin 1945 en vertu du Companies Act de l’Alberta, R.S.A. 1942, c. 240, dont le but et les objets sont énoncés dans le mémorandum d’association. Ces objets comprennent, entre autres, l’acquisition de l’actif de Edmonton Golf and Country Club Ltd., une corporation existante; la promotion du sport du golf et des autres formes d’activités sportives; la construction et l’entretien de pavillons; et la possession et l’exploitation d’un terrain de golf. Le capital autorisé de la compa-

[Page 537]

gnie lors de sa constitution, lequel a été augmenté deux fois par la suite, était de $25,250 et divisé en 250 actions privilégiées d’une valeur nominale de $100 chacune et en 250 actions ordinaires sans valeur nominale ou valeur au pair à être émises au prix de $1 l’unité. On adopta comme statuts d’association les statuts types exposés à la Table A de l’annexe I du Companies Act, auxquels on ajouta certaines dispositions, dont les suivantes sont pertinentes.

[TRADUCTION] 6A. La compagnie interdit toute invitation au public pour la souscription des actions ou débentures de la compagnie.

14A. Il sera loisible aux administrateurs de définir de temps à autre différentes catégories de membres et de créer des catégories spéciales de membres et de fixer le taux de cotisation, sauf qu’un membre doit être propriétaire enregistré d’une action ordinaire pour bénéficier du taux fixé pour les actionnaires-membres joueurs.

Cependant, une compagnie à responsabilité limitée ou société en nom collectif qui détient une action, pourra désigner un associé d’affaires à titre de membre joueur, lequel jouira, sous réserve de l’approbation des administrateurs, des privilèges de joueur aux taux des actionnaires.

14B. Les actions de la compagnie ne seront assujetties à aucune cotisation. Les administrateurs peuvent permettre à un membre associé d’exercer les privilèges de joueur d’un actionnaire pour l’année courante si cet actionnaire ne signifie pas son intention avant le 15 mars de chaque année d’exercer lui-même ses privilèges. Cependant le nombre total de joueurs masculins seniors ne devra pas dépasser deux cent cinquante (250) dans une même saison.

14C. Toute personne désirant devenir membre joueur, y inclus les actionnaires, doit soumettre une demande au début de chaque saison afin d’obtenir l’approbation des administrateurs et ceux-ci peuvent prendre en considération, accepter ou refuser toute demande ainsi présentée, sauf que les administrateurs peuvent adopter une résolution retirant les privilèges de membre joueur à quelque moment que ce soit pour des motifs qui leur semble raisonnables, laquelle doit être approuvée par une majorité d’au moins les trois quarts des administrateurs.

Le principal point en litige est le pouvoir de la compagnie de cotiser un actionnaire qui n’est pas un membre participant, relativement à ses actions. A cet égard, je crois qu’il faut se rappe-

[Page 538]

ler que ceux qui ont demandé la constitution de la compagnie prévoyaient deux catégories de personnes, les actionnaires et les membres. Une personne peut être à la fois membre et actionnaire et en ce cas, elle bénéficiera du taux de l’actionnaire-membre joueur, présumément un taux favorable, mais il semble évident d’après les statuts qu’un membre n’est pas nécessairement actionnaire et qu’un actionnaire n’est pas nécessairement membre. L’énoncé que «les actions de la compagnie ne seront assujetties à aucune cotisation» s’avère aussi important.

Les statuts d’association ont été modifiés en 1963 par l’abrogation de l’art. 14B et son remplacement par le suivant:

[TRADUCTION]

14b. Les actions ordinaires et privilégiées du club seront assujetties annuellement à une cotisation minimum n’excédant pas 20% de la cotisation exigible d’un actionnaire-joueur masculin senior. Lorsqu’un actionnaire néglige de payer la cotisation annuelle minimum dans les six mois suivant l’avis d’imposition, les administrateurs peuvent prescrire que cet actionnaire vende ses actions. Si celui-ci néglige de se conformer à cette directive, les administrateurs peuvent soit:

(a) confisquer l’action ou les actions par une résolution des administrateurs à cet effet, ou

(b) vendre l’action ou les actions du membre défaillant aux conditions et au prix qu’ils déterminent.

Les administrateurs peuvent permettre à un membre associé d’exercer les privilèges de joueur d’un actionnaire pour l’année courante à moins que cet actionnaire ne signifie son intention avant le 15 mars de chaque année d’exercer lui-même ses privilèges.

Le sens de cet article modifié aurait pu être plus précis mais son intention est évidente, soit l’abrogation de la garantie donnée dans l’art. 14B originel suivant laquelle les actions de la compagnie ne pouvaient être assujetties à aucune cotisation, l’imposition d’une cotisation annuelle minimum ne devant pas excéder 20 pour cent de la cotisation exigible des actionnaires-joueurs masculins seniors et la confiscation ou la vente forcée des actions du membre défaillant. En même temps que la modification des statuts, la résolution suivante fut adoptée:

[Page 539]

[TRADUCTION] Le paiement de la cotisation annuelle minimum mentionnée donnera à l’actionnaire ainsi cotisé le droit d’être accrédité gratuitement comme membre du pavillon pour l’année courante.

Un fait nouveau se produisit à une assemblée spéciale de la compagnie, tenue le 14 février 1969, au cours de laquelle les modifications suivantes aux statuts d’association furent approuvées:

[TRADUCTION] (2) 14 (a) Il sera loisible aux administrateurs de définir de temps à autre différentes catégories spéciales de membres et de fixer le taux de cotisation, sauf qu’un membre doit être propriétaire enregistré d’une action ordinaire pour bénéficier du taux fixé pour les actionnaires-membres joueurs. Cependant une compagnie à responsabilité limitée ou société en nom collectif qui détient une action ordinaire, pourra désigner un associé d’affaires à titre de membre joueur, lequel jouira, sous réserve de l’approbation des administrateurs, des privilèges de joueur sur paiement de la cotisation annuelle de joueur de l’actionnaire.

14 (b) 1. Les actions ordinaires et privilégiées de la compagnie seront assujetties annuellement à une cotisation annuelle minimum à être fixée par les administrateurs.

2. Le détenteur d’une action ordinaire ou privilégiée de la compagnie, lorsqu’il reçoit des administrateurs l’avis de cotisation annuelle minimum, doit:

(a) donner avis à la compagnie avant le premier avril de chaque année de son intention d’exercer personnellement ses privilèges de joueur durant l’année courante, et moyennant paiement de sa cotisation de joueur il ne sera pas tenu de payer ladite cotisation annuelle minimum, ou…

(b) donner avis à la compagnie avant le premier avril de chaque année de son intention de désigner une personne adulte, qui devra d’autre part répondre aux exigences des administrateurs, et qui exercera les privilèges de membre joueur de l’actionnaire pour l’année courante. Moyennant le paiement par la personne ainsi désignée de sa cotisation de membre joueur, qui sera fixée par les administrateurs chaque année, l’actionnaire ne sera pas tenu de payer ladite cotisation annuelle minimum, ou…

(c) faire parvenir sans délai à la compagnie le montant de la cotisation annuelle minimum.

3. Lorsqu’un actionnaire a négligé d’exercer ses privilèges de joueur soit personnellement soit par l’intermédiaire d’une personne désignée, comme

[Page 540]

susdit, et néglige aussi de payer la cotisation annuelle minimum comme susdit dans un délai de six mois de l’expédition par la poste, à son attention, de l’avis de cotisation annuelle minimum, la compagnie aura un privilège ou un recours sur son action ordinaire ou privilégiée jusqu’à concurrence du montant de cette cotisation annuelle minimum ou de ces cotisations annuelles minimum.

4. Aux fins d’exécuter ce privilège ou ce recours, les administrateurs peuvent prescrire à l’ordinaire défaillant de vendre ses actions et si ledit actionnaire omet de se conformer à cette directive, les administrateurs peuvent vendre lesdites actions de la manière et au prix qu’ils jugeront à propos et le produit net de la vente ainsi faite sera appliqué au paiement intégral, ou en vue du paiement intégral, du montant dû et le surplus, s’il en existe, sera transmis à l’actionnaire par chèque visé expédié par la poste audit actionnaire à l’adresse apparaissant au registre des membres. Une fois la vente intervenue et le produit de celle-ci réparti comme mentionné ci-dessus, tout droit de l’actionnaire sur ladite action est par le fait même complètement éteint.

Par ces modifications, le propriétaire d’une action ordinaire ou privilégiée de la compagnie était requis de payer à ladite compagnie une «cotisation annuelle minimum à être fixée par les administrateurs» à moins que lui ou son représentant désigné n’exerce des privilèges de joueur et paie la cotisation de joueur, à défaut de quoi ses actions ordinaires ou privilégiées devenaient grevées d’un privilège ou d’un droit de recours en faveur de la compagnie, qui pouvait l’exécuter par la vente des actions.

Tout doute qui aurait pu subsister sur le but recherché par ces modifications est dissipé par la lettre que le président de la compagnie annexe à l’avis de convocation à l’assemblée et qui contient cet aveu non équivoque:

[TRADUCTION] 3. L’acceptation par tous les actionnaires de l’obligation d’activer leurs actions soit en exerçant leurs privilèges de joueur d’année en année, soit en faisant le nécessaire pour qu’une personne désignée convenable le fasse, aura pour effet d’augmenter les recettes et de permettre au club de faire face à l’accroissement des dépenses dans les années à venir et de compter sur des revenus en vue du financement rationnel et de la planification à long terme qui s’avéreront certainement nécessaires puisque la ville se développe en notre direction. Durant

[Page 541]

plusieurs années le club a été essentiellement soutenu par l’appui substantiel d’un noyau d’environ la moitié des actionnaires, avec l’aide qu’ont pu apporter les membres associés. La modification proposée dans les statuts aura pour conséquence de répartir de façon plus équitable l’assiette des revenus à mesure que le club avancera, et elle pourrait permettre la réduction de la cotisation de joueur annuelle, laquelle, selon le conseil d’administration, est présentement trop élevée vu le fait que la saison ne dure que sept mois.

Si ces modifications sont approuvées, le conseil d’administration étudiera la possibilité de réduire le droit actuel de transfert de $200 afin d’encourager la vente d’actions détenues par les actionnaires qui ne désirent pas soit jouer eux-mêmes, soit désigner une autre personne pour jouer à leur place.

Le dernier geste incriminé de la compagnie en l’instance fut l’adoption, le 9 décembre 1970, de ce qu’on désigna comme une «résolution spéciale», en ces termes:

[TRADUCTION] Tout actionnaire, joueur ou non, doit payer les cotisations de club annuelles fixées par le conseil d’administration pour l’année courante.

La résolution avait présumément pour but de fixer la cotisation des actionnaires au montant des cotisations de club annuelles, remplaçant les termes plus imprécis «cotisation annuelle minimum à être fixée par les administrateurs» mentionnés dans les modifications de 1969 apportées aux statuts d’association, quoique la résolution n’ait pas déclaré modifier les statuts.

La validité des résolutions de 1963, 1969 et 1970 a été contestée par Monsieur Case, qui en 1966 a hérité de son père une action ordinaire et une action privilégiée. Je crois sa contestation bien fondée et je partage l’avis du Juge Bowen — qui a siégé en Cour suprême de 1’Alberta — et de la Division d’appel de cette Cour-là selon lequel les résolutions sont ultra vires de la compagnie et nulles ab initio. Elles sont ultra vires puisqu’elles vont à l’encontre du principe de droit fondamental qui a assuré leur vitalité aux compagnies à responsabilité limitée, à savoir qu’un actionnaire qui a acquitté le prix de ses actions est par la suite libre de toute obligation pécuniaire à l’égard de celles-ci.

Edmonton Country Club Limited est une compagnie publique. Tout comme les lois de

[Page 542]

compagnie de la plupart des ressorts territoriaux, le Companies Act de l’Alberta définit une compagnie privée (par. 26 de l’art, 2) comme une compagnie qui dans son mémorandum ou ses statuts d’association, dans le cas d’une compagnie à capital-actions, (A) restreint le droit de transférer ses actions ou l’interdit; (B) limite le nombre de ses actionnaires à 50 ou moins et (C) interdit toute invitation au public pour la souscription d’actions ou de débentures de la compagnie. Edmonton Country Club Limited n’a pas limité le nombre de ses membres à 50 ou moins et par conséquent est une compagnie publique, définie au par. 28 de l’art. 2 comme étant une compagnie qui n’est pas une compagnie privée. Les actionnaires de cette compagnie publique jouissent des mêmes droits et privilèges et sont sujets aux mêmes limitations que les actionnaires de toute autre compagnie publique. On peut comprendre, peut-être même avec sympathie, le désir d’actionnaires-membres joueurs que tous les propriétaires d’actions jouent aussi au golf et partagent le fardeau des dépenses, mais la forme corporative de l’organisation ne permet pas à une majorité des actionnaires d’imposer à une minorité de ceux-ci un régime qui cotise les actions. Un régime à cet effet va directement à l’encontre des précédents (voir Ooregum Gold Mining Company of India, Ltd. v. Roper et al.[2]; Bisgood v. Henderson’s Transvaal Estates, Ltd.[3], et Shalfoon v. Cheddar Valley Co-operative Dairy Co. Ltd.[4]) et aussi de la loi en vertu de laquelle le Edmonton Country Club Limited a été constitué. Cette loi n’autorise en aucune façon la cotisation d’actions intégralement payées, pratique qui est incompatible avec les articles suivants de la loi. (Les renvois se rapportent tous aux R.S.A. 1970, c. 60):

[TRADUCTION] 15. (1) Trois personnes ou plus (ou dans le cas d’une compagnie privée, deux personnes ou plus) associées pour un objet licite permis par la présente loi peuvent, en apposant leurs signatures à un mémorandum d’association et en se conformant aux autres exigences de la présente loi relatives à l’enregistrement, créer une compagnie constituée en corporation, à responsabilité limitée, c’est-à-dire,

[Page 543]

(a) une compagnie à responsabilité limitée par actions, ou

(b) une compagnie à responsabilité limitée par garantie, ou

(c) une compagnie à responsabilité limitée de façon spéciale.

Edmonton Country Club Limited est une compagnie à responsabilité limitée par actions.

[TRADUCTION] 2. (1) Dans la présente Loi,

10. «compagnie à responsabilité limitée par actions» désigne une compagnie dont la responsabilité de ses membres est limitée au montant qui reste impayé, s’il en est, sur les actions détenues par eux;

16. Dans le cas d’une compagnie à responsabilité limitée par actions, le mémorandum d’association doit, selon les formes prescrites, énoncer

(c) que la responsabilité des membres est limitée, …

Le mémorandum d’association de la compagnie en cause contient une disposition semblable.

[TRADUCTION] 193. (1) Dans le cas d’une liquidation d’une compagnie, tous les membres anciens et actuels, sous réserve des dispositions de la présente loi, peuvent être obligés à contribuer à l’actif de la compagnie jusqu’à concurrence d’un montant suffisant pour le payement des dettes et des exigibilités de la compagnie ainsi que des coûts, frais et déboursés de la liquidation, et sont responsables du règlement des droits respectifs des contributeurs entre eux, sauf les réserves suivantes, c’est-à-dire,

(d) dans le cas d’une compagnie à responsabilité limitée par actions, ou d’une compagnie constituée par une loi spéciale de la législature et dotée d’un capital‑actions, on ne peut exiger d’un membre aucune contribution dépassant le montant impayé, s’il en est, du prix des actions en raison desquelles il est responsable à titre de membre ancien ou actuel.

Le certificat d’action privilégiée que Monsieur Case a reçu atteste qu’il est propriétaire d’une action privilégiée «non cotisable» du capital social de Edmonton Country Club Limited. Son action sans valeur nominale ou valeur au pair est régie par le par. 4 de l’art. 68 de la Loi:

[Page 544]

[TRADUCTION]

68. (4) Toutes les actions sans valeur nominale ou valeur au pair émises conformément au présent article sont considérées comme des actions intégralement acquittées et non cotisables et le détenteur de ces actions n’est pas responsable à leur égard envers la compagnie ou les créanciers de celle-ci.

On a prétendu au nom de la compagnie que les sommes qu’on cherchait à obtenir par suite des résolutions que l’on conteste ici étaient de la nature d’une rétribution pour services, visant à défrayer les dépenses d’exploitation, et non pas une cotisation à fin de capital relative aux actions. Les faits dans cette affaire ne justifient point cette distinction qui n’en est pas une reconnue en droit. Selon la lettre du président, les revenus recherchés l’étaient en vue «de faire face à l’accroissement des dépenses dans les années à venir» et de permettre de «compter sur des revenus en vue du financement rationnel et de la planification à long terme». La cotisation ne représentait pas une somme payable en échange de services. Elle devait être payée, que l’actionnaire joue au golf ou non ou qu’il profite ou non des avantages du club. Le montant à payer n’était pas déterminé par les services rendus, si services il y avait, mais par le nombre d’actions détenues. Jouer au golf était un privilège que pouvait exercer un actionnaire mais ce n’était pas une obligation. De toute façon, à mon avis, le but pour lequel les fonds sont demandés ne modifie en rien l’irrégularité de la cotisation.

L’avocat de la compagnie a, à juste titre, souligné les termes larges du par. 1 de l’art. 42 du Companies Act:

[TRADUCTION] 42. (1) Sous réserve des dispositions de la présente loi et des conditions énoncées dans son mémorandum, une compagnie peut, par résolution spéciale, modifier ses statuts d’association ou y ajouter, et une modification ou une addition ainsi faite est aussi valide que si elle avait été originellement incluse dans les statuts, et peut elle-même être modifiée de même façon par résolution spéciale.

mais les termes de cet article ne sont pas larges à ce point qu’ils peuvent permettre n’importe quelle modification ou addition aux statuts. La validité d’une modification dépend des dispositions du Companies Act et du mémorandum d’association et existe sous réserve de ces dis-

[Page 545]

positions. Une modification des statuts qui a pour but d’imposer aux actionnaires détenteurs d’actions intégralement acquittées une charge financière quelconque à l’égard de celles-ci va, selon moi, à l’encontre et de la loi et du mémorandum d’association.

L’avocat de la compagnie a cité plusieurs précédents, tels que l’arrêt de l’affaire McKewan[5]; l’arrêt Lion Mutual Marine Insurance Association, Ltd. v. Tucker[6], et l’arrêt de l’affaire Baird[7], mais ils ne nous sont d’aucune assistance puisque dans chacun de ces arrêts, l’obligation dont l’exécution était recherchée ne concernait pas des actions mais bien un contrat subsidiaire inséré dans les statuts et conclu par la personne qui avait fait l’objet de la demande de fonds. Le Viscount Cave, Lord Chancelier, traite de ce point-là dans l’arrêt Biddulph and District Agricultural Society v. Agricultural Wholesale Society[8], à la p. 85.

Beaucoup d’importance a été attachée à une remarque de Lord Atkin dans l’arrêt Hole v. Garnsey[9]. La Cour, dans cet arrêt-là, n’a pas permis à une société enregistrée en vertu du Industrial and Provident Societies Act, 1893, d’adopter une résolution obligeant ses actionnaires à acquérir des actions supplémentaires dans la société. Il y a, cependant, la déclaration suivante de Lord Atkin à la p. 496:

[TRADUCTION] On donne plein effet à l’article en limitant son application contre des dissidents aux questions qui entrent dans le cadre de l’administration de l’entreprise originellement conçue. Je dois considérer comme entrant dans cette définition des questions comme la cotisation annuelle payable à un club social, que Von peut à juste titre considérer comme une question d’administration interne. Mais une augmentation du capital est autre chose. (J’ai mis des mots en italique)

Je considère que c’est une erreur que d’extraire une couple de phrases de leur contexte littéral et de s’attendre à ce qu’elles puissent être déterminantes dans une affaire où les lois invoquées

[Page 546]

aussi bien que les faits sont différents. Je partage entièrement l’opinion exprimée par le Juge Clément de la Chambre d’appel de la Cour suprême d’Alberta:

[TRADUCTION] La remarque de Lord Atkin fut faite dans le contexte de la portée plus large qu’on attribuait à l’Industrial and Provident Societies Act, 1893, et de l’éventail par conséquent plus étendu d’obligations in invitum que l’on peut validement établir en vertu de cette loi. En raison des précédents examinés ci-dessus, je ne crois pas que cette remarque-là s’applique dans le présent cas.

Enfin sur ce point je voudrais bien préciser que le but de la doctrine de la responsabilité limitée est de protéger les détenteurs d’actions intégralement acquittées non seulement contre les réclamations des créanciers de la compagnie mais contre aussi les obligations, financières ou autres, que les autres actionnaires de la compagnie pourraient chercher à leur imposer. Il serait singulier et contraire à toute la jurisprudence que l’acquéreur d’actions d’une compagnie publique puisse être soudainement requis, contre sa volonté à la demande de la compagnie ou de la majorité dé ses actionnaires, de contribuer aux dépenses d’exploitation de la compagnie ou à son besoin de nouveaux capitaux. L’irrégularité d’une demande de cette nature n’est qu’aggravée lorsqu’elle s’accompagne d’une menace de grever les actions d’un droit de recours et de les confisquer si l’actionnaire fait défaut de se conformer à la demande.

Un point subsidiaire en ce pourvoi concerne la cessibilité des actions et peut être étudié sous deux aspects: (i) le droit de la compagnie de faire du droit de transfert «ne dépassant pas $25» prévu à l’art. 17 des statuts d’association un «droit qui pourra être établi par les administrateurs»; (ii) le droit des administrateurs de la compagnie, à leur «entière discrétion», de refuser de donner leur consentement à des transferts d’actions de la compagnie.

Lors de la constitution en corporation, l’art. 17 des statuts adoptés était le suivant:

[TRADUCTION] Les administrateurs peuvent refuser d’accepter tout document de transfert à moins qu’un droit n’excédant pas $25 soit payé à la compagnie; et

[Page 547]

le document de transfert doit être accompagné du certificat de l’action à laquelle il se réfère et de toute autre preuve que les administrateurs peuvent raisonnablement exiger comme attestation du droit de l’actionnaire d’effectuer ledit transfert.

Les résolutions de 1969 ont abrogé l’art. 17 et l’ont remplacé par le suivant:

[TRADUCTION] Les administrateurs peuvent refuser d’accepter tout document de transfert à moins que ne soit payé à la compagnie le droit qui pourra être établi par les administrateurs; et le document de transfert doit être accompagné du certificat de l’action à laquelle il se réfère et de toute autre preuve que les administrateurs peuvent raisonnablement exiger comme attestation du droit de l’actionnaire d’effectuer ledit transfert.

La lettre du président dont j’ai déjà parlé contenait ce paragraphe:

[TRADUCTION] 2. La modification des statuts d’association qui vise à autoriser les administrateurs à changer de temps à autre les droits de transfert sur la vente des actions, permettra aux administrateurs de décourager ou d’encourager les transferts d’actions de la compagnie en fonction des intérêts du club à une époque donnée.

La raison d’être d’un droit de transfert est de rembourser la compagnie du coût régulier et raisonnable du transfert d’une action, y inclus le coût de l’enregistrement des détails relatifs au transfert, de l’émission d’un nouveau certificat d’action, de la correspondance et de l’expédition par la poste. Je ne puis m’empêcher de penser que la manipulation du montant des droits de transfert aux fins de décourager ou d’encourager les transferts des actions d’une compagnie, voire à quelque fin que ce soit autre que celle de faciliter le transfert des actions, est tout à fait inacceptable. Dans la mesure où le droit de transfert excède le coût régulier et raisonnable de ce transfert, il constitue une charge illégale imposée à l’actionnaire à l’égard de ses actions et viole le principe de la responsabilité limitée.

L’autre aspect de la question de cessibilité concerne la validité de l’art. 20A des statuts d’association. Cette disposition apparaît dans les statuts tels qu’édictés originellement et est demeurée inchangée:

[Page 548]

[TRADUCTION] 20A. Aucune action de la compagnie, acquittée ou non, ne sera transférée sans le consentement de la majorité des administrateurs, qui peuvent refuser leur consentement que les actions soient acquittées ou non, à leur entière discrétion.

Cet article a pour effet de conférer aux administrateurs un pouvoir, qu’ils peuvent exercer sans critère déclaré, de restreindre le transfert d’une action intégralement acquittée de la compagnie ou même d’y opposer leur veto. La question qui demande une réponse est de savoir si une compagnie constituée en vertu du Companies Act de l’Alberta peut conférer à ses administrateurs un pouvoir de cette nature. Le juge de première instance et la Cour d’appel ont répondu dans l’affirmative, d’où l’appel incident de M. Case.

Une compagnie privée doit, dans son mémorandum ou ses statuts d’association, restreindre ou interdire le droit de transfert de ses actions, et une compagnie publique, autre que celles dont les actions sont cotées à une bourse, peut inclure dans ses statuts des restrictions sur le droit de transfert. Dans Canada National Fire Insurance Co. v. Hutchings[10], le Conseil privé a statué qu’une compagnie constituée par lettres patentes en vertu de la Loi des compagnies, S.R.C. 1906, c. 79, ne pouvait validement adopter un règlement conférant aux administrateurs un pouvoir illimité de refuser des transferts, mais Sir Walter Phillimore dit ceci dans le jugement, à la p. 456:

[TRADUCTION] Il y a … ici aucune analogie entre les compagnies du Royaume-Uni qui sont créées par contrat, que ce soit en vertu d’un acte de société ou en vertu des mémorandum et statuts d’association auxquels le régistrateur des sociétés par actions donne nécessairement son approbation si les documents sont réguliers en la forme, et les compagnies canadiennes constituées en vertu de la Loi des compagnies canadiennes, par lettres patentes ou loi spéciale.

et à la p. 459, mentionnant le droit de veto donné aux administrateurs, il déclare:

Il y a des décisions de tribunaux anglais qui statuent qu’un pouvoir de cette nature peut être légalement réservé aux administrateurs lors de la constitu-

[Page 549]

tion de la compagnie, et un nombre suffisant de ces décisions illustrent que ce pouvoir a été jugé utile.

Les arrêts Re Gresham Life Assur. Society; Ex p. Penney[11]; Re Bell Bros. Ltd.; Ex p. Hodgson[12] Re Coalport China Company[13], et Re Smith and Fawcett, Limited[14] peuvent être cités à titre d’exemples.

Le droit d’un actionnaire de transférer ses actions est sans aucun doute un des privilèges découlant de la propriété d’actions, garanti par le Companies Act de l’Alberta en son art. 61, «Les actions ou autres intérêts de tout membre de la compagnie sont des biens meubles, transférables de la manière prescrites par les statuts de la compagnie …», de même que par le Companies Act, 1948 (U.K.), en son art. 73, mais ce droit n’est pas absolu. Nous lisons dans 6 Halsbury, 3rd ed., p. 252, cet énoncé:

[TRADUCTION] Une restriction au droit de transférer les actions n’est pas incompatible avec le droit absolu de propriété des actions, mais constitue une des servitudes originelles des actions qui s’attachent à elles de par la convention incluse dans les statuts d’association.

et:

Il n’y a apparemment aucune limite aux restrictions qu’on peut ainsi imposer sur le transfert…

La même idée est exprimée, de façon plus positive, dans Palmer’s Company Law, 21e éd., à la p. 340:

[TRADUCTION] Il est usuel de prévoir, dans les statuts, que les administrateurs auront le pouvoir de refuser l’enregistrement d’un transfert sans donner de motifs; ou selon leur entière et complète discrétion; ou en d’autres termes également très généraux…

et dans Gower’s Modem Company Law, 3e éd., à la p. 392:

[TRADUCTION] Ces restrictions peuvent être conçues de bien des façons, mais normalement, en pratique, elles accordent aux membres actuels un droit de préemption ou de premier refus, ou laissent à la discrétion des administrateurs le droit de refuser les demandes de transfert.

[Page 550]

Cette note en bas de page suit:

[TRADUCTION] Cette dernière restriction se trouve généralement jointe à la première. Aux États-Unis, la tendance générale des tribunaux est que ces restrictions, étant des contraintes imposées à l’aliénabilité de biens mobiliers, doivent être raisonnables. En Angleterre, il est évident que nous ne rencontrons pas d’exigences semblables sauf, peut-être, lorsque les restrictions sont imposées après l’émission des actions.

J’en conclus que l’art. 20A n’est pas ultra vires des pouvoirs de la compagnie et que l’appel incident doit être rejeté. Le pouvoir qu’ont les administrateurs de refuser de consentir à un transfert d’actions leur a été réservé lors de la constitution de la compagnie, par le contrat contenu dans les statuts, et n’est pas quelque chose qu’on voudrait maintenant imposer aux actionnaires contre leur volonté. Avant de retrancher ce pouvoir pour le motif qu’il est déraisonnable nous devons, à mon avis, être en mesure d’étayer cette conclusion sur des faits. Il n’y a devant nous aucune preuve, et il n’est pas non plus allégué, que les administrateurs ont, en aucun temps, durant les presque trente ans d’existence de la compagnie, agi de mauvaise foi ou de façon arbitraire ou autrement abusé de leur pouvoir.

Je rejetterais par conséquent le pourvoi avec dépens et je rejetterais le pourvoi incident sans dépens.

Le jugement des Juges Spence et Laskin a été rendu par

LE JUGE LASKIN (dissident en partie) — Je pense comme mon collègue le Juge Dickson que le pourvoi doit être rejeté pour les motifs qu’il a donnés. L’appel incident concernant la validité de l’art. 20A des statuts d’association (Articles of Association) me fait réfléchir davantage, mais, en définitive, je suis d’avis que l’article doit être retranché.

Mon collègue le Juge Dickson l’a à bon droit interprété comme conférant aux administrateurs «un pouvoir qu’ils peuvent exercer sans critère déclaré, de restreindre le transfert d’une action intégralement acquittée de la compagnie ou

[Page 551]

même d’y opposer leur veto». Là où nous divergeons d’opinion, c’est sur la question de savoir si ce pouvoir arbitraire, qui n’est rattaché à aucune norme dans l’exercice d’une discrétion absolue, devrait être contrôlé seulement dans le contexte d’un cas particulier requérant son application (comme il le pense), ou s’il devrait être retranché simplement parce qu’il est à sa lecture absolument arbitraire (comme je le pense).

Les considérations qui m’incitent à le retrancher s’énoncent facilement. Ce que la compagnie a fait, en définitive, a été de se convertir en un club privé malgré sa constitution en compagnie publique. Je ne suis pas convaincu que des personnes connaissant le pouvoir arbitraire des administrateurs de contrôler la possession d’actions accepteraient d’encourir le discrédit que pourrait leur valoir le rejet possible de leur demande de transfert d’actions, ni que l’on devrait s’attendre à ce qu’elles acceptent de l’encourir. Si la compagnie refuse d’établir des critères qui permettraient de compter à l’avance sur une certaine dose d’exercice raisonnable de ce pouvoir discrétionnaire, elle ne devrait pas être autorisée à jouir du couvert d’une charte de compagnie publique.

La loi pertinente, le Companies Act d’Alberta, R.S.A. 1942, c. 240, n’accorde à une compagnie publique aucun pouvoir exprès de restreindre le transfert d’actions intégralement acquittées. Tout pouvoir semblable doit être inféré de l’article 65 qui édicté que [TRADUCTION] «les actions … de tout membre de la compagnie sont des biens meubles, transférables de la manière prescrite par les statuts de la compagnie …». Dans la mesure où on peut considérer que cela confère une autorité quelconque de restreindre le transfert des actions, je l’interpréterais, comme j’interpréterais aussi un pouvoir similaire inclus dans une loi municipale ou dans une loi établissant un organisme public, comme nécessitant une norme qui pourrait faire l’objet, si nécessaire, d’un contrôle judiciaire. Les statuts d’association types exposés à la Table A de l’annexe 1 de la loi comprennent l’art. 17, qui prévoit que [TRADUCTION] «les

[Page 552]

administrateurs peuvent refuser l’inscription de tout transfert d’actions non entièrement acquittées fait à une personne qu’ils ne trouvent pas à leur gré, et ils peuvent aussi refuser l’inscription de tout transfert d’actions sur lesquelles la compagnie détient un droit de recours». On peut difficilement considérer cette disposition comme ayant une portée dans un sens ou dans l’autre, mais, dans la mesure où elle est un indice de principe directeur, elle milite contre une conclusion selon laquelle une restriction absolue relative au transfert d’actions intégralement acquittées pourrait être introduite dans les statuts d’association d’une compagnie publique. Les restrictions sur le transfert sont, bien entendu, partie intégrante de l’existence même d’une compagnie privée, tel qu’il appert de l’al. z) de l’art. 2 de la loi.

On dit cependant, et il existe certainement de la jurisprudence à l’appui de ce point de vue, que pour les compagnies constituées par «mémorandum» et statuts d’association, même comme compagnies publiques, l’aspect contractuel du mémorandum et des statuts (memorandum and articles) fonde le pouvoir d’y insérer des clauses restreignant rigoureusement les transferts d’actions. On a dit aussi que cela fait partie du droit commun régissant ces compagnies.

Sur cette prétention, je ferais deux commentaires. Le premier est que, bien que d’origine contractuelle, les actions d’une compagnie publique sont une catégorie de biens et à ce titre jouissent de l’avantage de l’aliénabilité franche de toute restriction déraisonnable, sauf s’il y a autorisation légale à l’effet contraire. Mon second commentaire est sur l’aspect contractuel, comme on le désigne, des compagnies constituées par mémorandum d’association. Le mémorandum d’association ne constitue qu’une des méthodes de constitution en compagnie, méthode en vertu de laquelle son aspect contractuel est submergé dans un régime légal qui assujettit la compagnie à la réglementation publique. Je ne puis, en de telles circonstances, et en l’absence d’un pouvoir exprès dans le

[Page 553]

mémorandum, accepter la thèse selon laquelle il existe une autorisation contractuelle d’adopter un article de statuts d’association qui confère un pouvoir discrétionnaire illimité de refuser un transfert d’actions.

Mon collègue le Juge Dickson a mentionné l’arrêt du Comité judiciaire du Conseil privé dans l’affaire Canada National Fire Insurance Co. v. Hutchings[15], où l’on fait une distinction, relativement au sujet à l’étude, entre une compagnie constituée par l’émission de lettres patentes ou une compagnie constituée en vertu d’une loi spéciale et une compagnie constituée par mémorandum d’association. Je ne puis me convaincre que le mode de constitution pourrait avoir une influence si remarquable sur l’étendue permise des limites d’un pouvoir de réglementer les transferts d’actions, ou d’établir les conditions de ces transferts, dans une compagnie publique.

Je n’ai pas à me demander ici jusqu’où peuvent aller, sans friser la nullité, les restrictions sur les transferts dans les compagnies publiques. Dans l’arrêt Ontario Jockey Club Ltd. v. McBride[16], le Comité judiciaire du Conseil privé, traitant d’une compagnie constituée par lettres patentes, déclarait que l’octroi d’un droit de préemption est permis mais qu’[TRADUCTION] «une clause qui empêche entièrement un actionnaire d’effectuer des transferts peut être invalide» (à la p. 923). Je ne serais pas si équivoque, et le Comité judiciaire ne l’était certainement pas sur ce point précis dans l’arrêt Hutchings.

La clause restrictive de type droit de préemption ou droit de première option est courante aux États-Unis et elle a généralement été considérée valide. Mais la position adoptée là-bas est autre en ce qui concerne des restrictions du genre de celles que contient l’art. 20A, particulièrement lorsque ces restrictions ne sont pas limitées dans le temps. Le droit américain semble avoir tenté de concilier l’aspect contractuel et l’aspect «élément de patrimoine» de l’ac-

[Page 554]

tion, autant que les restrictions sur les transferts sont concernées, en y appliquant le critère du caractère raisonnable. Dans Ballantine on Corporations (éd. de 1946), à la p. 778, on énonce de la façon suivante la position adoptée:

[TRADUCTION] Il a été décidé dans de nombreux arrêts que les restrictions qui interdisent le transfert d’actions sauf sur approbation et consentement des administrateurs ou autres actionnaires sont nulles comme étant contraires à l’ordre public et comme imposant des contraintes indues à l’aliénation de biens. Mais l’exigence d’un consentement des administrateurs ou des actionnaires a parfois été maintenue, surtout lorsqu’elle était imposée par charte ou par un accord des actionnaires d’une corporation fermée.

Je dois faire remarquer que la corporation fermée est similaire à la compagnie privée du droit canadien: voir Gower, «Some Contrasts Between British and American Corporation Law», (1955), 69 Har. L. Rev. 1369, aux pp. 1375-6 Oleck, dans Modern Corporation Law, vol. 3, éd. 1959, traite du même point d’une façon plus mitigée que Ballantine dans deux passages, aux pages 286 et 300 respectivement:

[TRADUCTION] Prenons le cas d’une restriction, non inusitée, qui déclare qu’un actionnaire ne peut transférer ses actions à moins d’obtenir au préalable le consentement des administrateurs, ou des actionnaires, ou d’une certaine proportion des administrateurs ou des actionnaires. Généralement parlant, ce type de restriction sera considéré comme déraisonnable et contraire à l’ordre public, et c’est pour cette raison qu’on a jugé qu’une restriction de cette nature adoptée simplement par règlement est «non avenue» et non exécutoire. D’autre part, une restriction de ce genre insérée dans les statuts de constitution originels a été reconnue valide dans deux arrêts.

Une contrainte moins usitée est la restriction dite du «consentement», suivant laquelle le consentement du conseil d’administration ou des autres actionnaires est une condition préalable du transfert des actions. Bien que ces restrictions aient été reconnues valides, elles ont virtuellement pour effet d’empêcher l’aliénation des actions et sont plus susceptibles d’être considérées déraisonnables et, par conséquent, nulles.

Je me dois ici d’appliquer le critère du caractère raisonnable, surtout en raison de l’accent

[Page 555]

sur l’aspect «élément de patrimoine» des actions qu’indique l’art. 65 de l’Alberta Companies Act, dont j’ai fait mention plus haut. Suivant ce point de vue, je suis d’avis que l’art. 20A est mauvais. Je suis renforcé dans cet avis par le fait que cet article se trouverait ex facie à empêcher même les transferts involontaires, quoiqu’il apparaisse, dans la présente affaire, que le demandeur qui avait acquis les actions en vertu du testament de son père a bel et bien reçu l’approbation des administrateurs aux fins du transfert effectif des actions en sa faveur.

Par conséquent, j’accueillerais le pourvoi incident avec dépens.

Pourvoi rejeté avec dépens et pourvoi incident rejeté sans dépens, les JUGES SPENCE et LASKIN étant dissidents en partie.

Procureurs de l’appelante: Bishop & McKenzie, Edmonton.

Procureurs de l’intimé: Milner & Steer, Edmonton.

[1] [1973] 3 W.W.R. 14, 30 D.L.R. (3d) 211.

[2] [1892] A.C. 125.

[3] [1908] 1 Ch. 743.

[4] [1924] N.Z.L.R. 561 (C.A.).

[5] (1877), 6 Ch. D. 447.

[6] (1883), 12 Q.B.D. 176.

[7] [1899] 2 Ch. 593.

[8] [1927] A.C. 76.

[9] 9[1930] A.C. 472.

[10] [1918] A.C. 451.

[11] (1872), L.R. 8 Ch. App. 446.

[12] (1891), 65 L.T. 245.

[13] [1895] 2 Ch. 404.

[14] [1942] Ch. 304.

[15] [1918] A.C. 451.

[16] [1927] A.C. 916.


Parties
Demandeurs : Edmonton Country Club Ltd.
Défendeurs : Case
Proposition de citation de la décision: Edmonton Country Club Ltd. c. Case, [1975] 1 R.C.S. 534 (17 mars 1974)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1974-03-17;.1975..1.r.c.s..534 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award