Synthèse
Référence neutre : [1975] 1 R.C.S. 332
Date de la décision :
01/04/1974Sens de l'arrêt :
Le pourvoi doit être accueilli
Analyses
Véhicules automobiles - Fonds d’indemnisation des victimes d’accidents d’automobiles - Réclamation de la Commission des services hospitaliers considérée sur une base pari passu avec les autres créanciers - La Commission des services hospitaliers: un assureur - Subrogation - The Hospital Services Commission Act, R.S.O. 1970, c. 209 - The Motor Vehicle Accident Claims Act, R.S.O. 1970, c. 281, art. 21, (R.R.O. 1970), Règ. 443, art. 45.
Deux actions en dommages-intérêts pour blessures corporelles ont été intentées à l’encontre d’un défendeur non assuré. Le montant total des indemnités s’élevait à $63,496.81, ce qui incluait $15,643.72 pour les services rendus par la Commission des services hospitaliers de l’Ontario. La différence était de $47,953.09. Étant donné que l’accident s’est produit le 18 septembre 1968, le montant maximum payable par le fonds créé en vertu des dispositions du Motor Vehicle Accident Claims Act, maintenant R.S.O. 1970, c. 281, était de $35,000. Le juge de première instance a rejeté la demande de la Commission de concurrencer, «proportionnellement et sur un pied d’égalité», les demandeurs appelants blessés, et il a ordonné de répartir les $35,000 proportionnellement entre les demandeurs et a exclu la Commission. Cependant la Cour d’appel a décidé que la Commission avait droit de partager au pro rata le montant disponible.
Arrêt: Le pourvoi doit être accueilli.
Le Hospital Services Commission Act, R.S.O. 1970, c. 209, art. 20(1), prévoit «que... la Commission peut édicter des règlements... subrogeant la Commission dans le droit au recouvrement de frais d’hôpitaux passés...» et le règlement 443 édicté en vertu de cette loi-là prévoit à l’art. 55 (2) que «La Commission est subrogée dans le droit d’un assuré de recouvrer la totalité ou une partie du coût des soins
[Page 333]
assurés...». Dans l’interprétation de ces règlements, on doit donner au mot subrogation le sens qu’on lui attribue habituellement en equity. C’est un droit en equity et il faut avant tout veiller à ce que l’assuré obtienne compensation totale pour sa perte. Ensuite, il faut veiller à ce que l’assuré retienne tout excédent au profit de l’assureur, en l’espèce la Commission. La disposition sur la répartition des dépens dans les règlements ne permet pas à la Commission de participer proportionnellement et sur un pied d’égalité à l’encontre du montant disponible quand celui-ci est insuffisant.
POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario[1] accueillant un appel d’un jugement du Juge Keith. Le pourvoi est accueilli avec dépens et le jugement de première instance est rétabli.
B.L. Eastman, pour les appelants.
B.H. Wheatley et J. David Sloan, pour les intimés.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE JUDSON — Le litige en ce pourvoi porte sur la question de savoir si l’Ontario Hospital Services Commission (commission des services hospitaliers de l’Ontario) peut concurrencer, proportionnellement et sur un pied d’égalité, la personne blessée qui fait une réclamation auprès du Motor Vehicle Accident Claims Fund (fonds d’indemnisation des victimes d’accidents d’automobile) et qui découvre que les limites de ce dernier «Fonds» sont insuffisantes pour lui permettre de recouvrer la totalité des dommages-intérêts fixés par le jugement rendu en sa faveur. Le Juge Keith, en première instance, a rejeté la réclamation de la Commission. Cette décision a été renversée en appel. J’estime qu’il faut rétablir le jugement de première instance.
Deux actions en dommages-intérêts pour blessures corporelles ont été intentées à l’encontre d’un défendeur non assuré. Les dommages-intérêts ont été fixés de la façon suivante:
1ère action.
Ralph W. Ledingham
$17,787.62
Linda Susan Ledingham
41,638.19
2ème action.
Joseph Peter Amodeo
3,180.00
Joseph Amodeo
891.00
[Page 334]
Le montant accordé à Ralph Wilson Lading-ham incluait la somme de $14,995.12, valeur des soins assurés — tels que les définit l’article 1b) du Règlement 443 des R.R.O. 1970 — prodigués à Linda Susan Ledingham, épouse de Ralph Wilson Ledingham; le montant accordé à Joseph Amodeo incluait la somme de $548.60, valeur des soins assurés prodigués à Joseph Peter Amodeo, fils de Joseph Amodeo. Ces soins assurés avaient été payés par la Commission.
Le montant total de ces dommages-intérêts s’élève à $63,496.81, ce qui inclut $15,543.72 pour les services rendus par la Commission. La différence est de $47,953.09 et l’on ne dispose que de $35,000 pour payer cette somme.
Le Juge Keith a ordonné de répartir les $35,000 proportionnellement entre les demandeurs et a exclu la Commission.
J’expose maintenant les textes législatifs et règlements pertinents:
[TRADUCTION] 1. L’Hospitai Services Commission Act, R.S.O. 1970, c. 209, art. 20(1):
20.(1) Sous réserve de l’approbation du lieutenant-gouverneur en conseil, la Commission peut édicter des règlements,
...
h) subrogeant la Commission dans le droit au recouvrement de frais d’hôpitaux passés et à venir que possède un assuré ou un indigent hospitalisé visé par les règlements en cas de blessure ou d’invalidité, et prévoyant les modalités selon lesquelles on peut intenter, soutenir et régler une action pour faire valoir ces droits, ainsi que les modalités du paiement auquel a droit la Commission par suite du règlement ou du jugement, et prescrivant la garantie de ce paiement.
2. Le Règlement 443 édicté en application de l’Hospital Services Commission Act, R.S.O. 1970, art. 55, par. (2) et (4):
(2) La Commission est subrogée dans le droit d’un assuré de recouvrer, de toute autre personne, la totalité ou une partie du coût des soins assurés, y compris des soins assurés à venir, et la Commission
[Page 335]
peut intenter une action au nom de l’assuré afin de faire respecter ces droits.
(4) L’assuré qui intente une action en recouvrement, pour pertes ou dommages dûs à la négligence ou autre faute d’un tiers reliée à la blessure ou à l’invalidité qui a nécessité les soins assurés, doit en même temps inclure une réclamation au nom de la Commission pour le coût des soins assurés.
L’article 55, par. (2), du Règlement 443 définit clairement la question en litige. Quel sens doit‑on donner au «droit de subrogation» reconnu à la Commission? Le Juge Keith a soutenu qu’il avait le sens qu’on lui attribue habituellement en equity, et que, par conséquent, la Commission ne pouvait se prévaloir d’aucune réclamation tant que les personnes assurées n’avaient pas été complètement indemnisées par l’auteur du dommage, et que, lorsque ce dernier n’est pas assuré et que les réclamations des personnes blessées auprès du Fonds dépassent la limite de $35,000, cela représente pour eux une indemnisation incomplète et il n’existe aucun enrichissement sans cause ou autre moyen d’equity permettant de soutenir une réclamation de la Commission à l’effet de partager au pro rata avec ces personnes.
La Cour d’appel s’est refusée à appliquer cette doctrine. Elle a soutenu que le mot «subrogation» tel qu’utilisé au par. (2) de l’art. 55 du Règlement 443 avait une signification particulière que l’on ne devait déterminer que par rapport à la Loi. L’extrait suivant de ses motifs nous indique son raisonnement[2] (pp. 295-296):
Les paragraphes (2) et (4) de l’article 5 du règlement 443 énoncent clairement l’obligation de la personne assurée d’inclure dans son action, intentée afin de recouvrer des dommages-intérêts pour négligence, une réclamation au nom de la Commission pour le coût des soins assurés, ainsi que l’obligation pour le procureur de la personne assurée d’agir comme procureur de la Commission, à moins que celle-ci ne désigne quelqu’un d’autre pour la représenter.
A cause de ça, les actions soutenues par ces demandeurs à l’encontre des défendeurs ont été menées par un procureur qui représentait à la fois les
[Page 336]
demandeurs et la Commission, au nom de qui le demandeur exigeait jugement. En ces actions, les demandeurs ont obtenu jugement en leurs noms et au nom de la Commission. S’il y avait eu suffisamment de fonds pour payer le montant total déterminé par jugement, il n’y aurait eu aucune difficulté mais, en l’espèce, nous savons que le montant disponible sera inférieur aux pleins montants accordés par les jugements. Dans ces circonstances, en l’absence de motif permettant d’accorder priorité au crédit d’un jugement plutôt qu’à l’autre, le vieux principe juridique selon lequel tous les créanciers ont droit au partage des fonds disponibles pari passu, en fonction de la valeur de leurs jugements respectifs, doit prévaloir.
A mon avis, l’erreur est là. J’estime que ces règlements ne contiennent aucune définition spéciale du mot «subrogation». Examinons la situation de la personne assurée. Elle a payé des primes pour la protection qu’assure l’Hospital Services Commission. Lorsqu’elle intente une action contre l’auteur des dommages, elle est obligée, en vertu du règlement 52, par. (4), d’intenter également une action au nom de la Commission pour le coût des soins assurés. La Commission conserve un certain contrôle sur l’action et son règlement, s’il en est. La personne assurée doit informer la Commission, après l’émission du bref, et agir comme procureur de celle-ci aux fins de l’article, à moins d’être avertie du contraire. Il existe une disposition sur la répartition des dépens mais permet-elle à la Commission de participer, proportionnellement et sur un pied d’égalité, à une réclamation à l’encontre du Fonds quand celui-ci est insuffisant? A mon avis, un droit semblable devrait être énoncé en ces termes-là. Il faudrait qu’il soit dit que la réclamation de la Commission prend rang proportionnellement, et sur un pied d’égalité, dans toute réclamation existant à l’encontre du fonds. Ce que le règlement 55, par. (2), ne dit pas.
Par conséquent, j’estime que le Juge Keith avait raison d’opter pour la définition ordinaire du mot «subrogation» telle que l’énonçait le Chancelier Boyd dans l’affaire National Fire Insurance Co. v. McLaren[3] à la p. 687:
[Page 337]
[TRADUCTION] La doctrine de la subrogation est une création de l’equity, elle n’est pas fondée sur un contrat mais découle des relations entre les parties. Dans les cas d’assurance où un tiers est responsable du dédommagement, le droit de subrogation dépend d’un large principe de base qui le régit, selon lequel, d’une part, il faut garantir à l’assuré une complète indemnisation, et selon lequel, d’autre part, il faut considérer ce dernier comme tenu de rendre compte, à titre de fiduciaire, de tous les avantages qu’il peut obtenir au-delà de l’indemnisation de la perte subie. Étant un droit en equity, il partage tous les privilèges et inconvénients attachés à ces droits: par exemple, en accordant un recours la cour tiendra compte non pas tant de la forme que du fond de l’opération. Il faut avant tout veiller à ce que l’assuré obtienne compensation totale pour le bien détruit et les dépenses subies pour obtenir réparation. Ensuite, il faut veiller à ce qu’il retienne au profit de la compagnie d’assurance tout excédent.
Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi avec dépens en cette Cour et en Cour d’appel et de rétablir le jugement du juge de première instance.
Appel accueilli avec dépens.
Procureurs des appelants: Du Vernet, Carruthers, Toronto.
Procureurs de l’intimée, le Ministre des transports de l’Ontario: Gardiner, Roberts, Toronto.
Procureurs de l’intimée, Ontario Hospital Services Commission: Raphael, Wheatley, Macpherson & Levitt, Toronto.
[1] [1973] 1 O.R. 291.
[2] [1973] 1 O.R. 291.
[3] (1886), 12 O.R. 682.
Parties
Demandeurs :
LedinghamDéfendeurs :
Ontario Hospital Services CommissionProposition de citation de la décision:
Ledingham c. Ontario Hospital Services Commission, [1975] 1 R.C.S. 332 (1 avril 1974)
Origine de la décision
Date de l'import :
06/04/2012Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1974-04-01;.1975..1.r.c.s..332