Cour suprême du Canada
Ferland c. Sun Life Assurance Co. of Canada, [1975] 1 R.C.S. 266
Date: 1974-04-29
Pothier Ferland (Défendeur) Appelant;
et
Sun Life Assurance Company of Canada (Demanderesse) Intimée.
1974: le 14 mars; 1974: le 29 avril.
Présents: Le Juge en chef Laskin et les Juges Judson, Pigeon, Beetz et de Grandpré.
EN APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE, PROVINCE DE QUÉBEC
APPEL d’un jugement de la Cour du banc de la reine, province de Québec, confirmant un jugement de la Cour supérieure. Appel rejeté avec dépens mais en retranchant une indemnité de $1,281.74.
Pothier Ferland, défendeur en personne.
W.D. Thomas, c.r., pour la demanderesse, intimée.
Le jugement du Juge en chef Laskin et des Juges Pigeon et Beetz a été rendu par
LE JUGE PIGEON — Le pourvoi de l’appelant est à l’encontre d’un jugement de la Cour d’appel du Québec qui a confirmé le jugement rendu par la Cour supérieure, le 24 novembre 1970. Ce jugement condamne le défendeur, appelant en cette Cour, à payer la somme de $26,916.59 avec intérêt depuis la signification de l’action, à 7 pour cent sur $25,634.85 et à 5 pour cent sur $1,281.74. De plus, il déclare hypothéqué en faveur de la demanderesse, intimée en cette Cour, un immeuble situé à Outremont. L’hypothèque a été constituée par un acte d’obligation où l’emprunteur s’est engagé à rembourser un prêt de $28,300 avec intérêt à 7 pour cent calculé tous les six mois. La clause se lit comme suit:
[TRADUCTION] 2a) L’Emprunteur accepte que ledit principal de VINGT-HUIT MILLE TROIS CENTS dollars ($28,300) porte intérêt au taux de sept pour cent (7%) Tan calculé semi-annuellement, non à l’avance et s’engage à payer ledit principal et les
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intérêts sur celui-ci audit taux, établis sur les sommes avancées de temps à autre à compter des dates respectives des avances de la façon suivante:
L’intérêt courra à compter de la date d’avances faites en vertu des présentes et deviendra dû et payable le premier du mois suivant la date de la première avance et, par suite, le premier de chaque mois, jusqu’au premier du mois précédant immédiatement la date prévue ci-dessous pour le paiement du premier versement de principal et d’intérêt, inclusivement. Au choix du Prêteur, l’intérêt ainsi dû et payable peut être déduit de ces avances.
Par la suite, en partie par versements consécutifs et mensuels de DEUX CENT QUARANTE-SEPT dollars ($247) chacun (en paiement du principal et des intérêts), commençant le premier novembre mil neuf cent soixante-trois et de même par la suite mensuellement le premier de chaque mois, jusqu’au premier octobre mil neuf cent quatre-vingt-trois inclusivement, et le solde, s’il en est, dudit principal et des intérêts sur celui-ci calculés comme prévu ci-dessus, à la dernière date mentionnée.
Tous les paiements requis en vertu des présentes qui ne seront pas faits lorsqu’ils deviendront exigibles produiront par la suite des intérêts composés, intérêts qui seront payables de jour en jour, au taux susdit, calculé semi-annuellement et non à l’avance à compter de la date de toute semblable défaillance.
Il est convenu que les versements mensuels mentionnés ci-dessus seront imputés par le Prêteur, à sa discrétion, à l’acquittement des intérêts, y inclus les intérêts composés, sur le présent prêt, au remboursement des avances qu’il a pu faire comme prévu aux présentes, ou à la réduction du principal.
LES PARTIES AUX PRÉSENTES CONVIENNENT QUE L’ALINÉA SUIVANT S’APPLIQUE SEULEMENT si les versements mensuels susdits doivent pourvoir au paiement des taxes foncières sur une base mensuelle en outre du principal et des intérêts:
Le Prêteur peut avancer des fonds suffisants sous le régime des stipulations du présent prêt aux fins d’acquitter les taxes et cotisations annuelles dues ou à échoir, à condition qu’il n’y ait pas défaillance sous le régime des présentes, mais le Prêteur ne sera pas cependant obligé d’imputer ces avances au paiement de ces taxes et cotisations plus qu’une fois par année, et toute avance ainsi faite sera confondue avec le principal garanti par les présentes, portant intérêt comme susdit. Si le montant total des taxes et cotisa-
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tions dépasse TROIS CENT QUARANTE-HUIT dollars ($348) pour une année civile, l’Emprunteur s’engage à payer au Prêteur l’excédent de cette somme à l’époque ou aux époques où ce dernier l’exigera. L’Emprunteur doit présenter au Prêteur aussitôt qu’il les reçoit, toutes les factures de taxes et demandes de paiement, sauf celles concernant la taxe d’eau.
Dans les dix jours après que des taxes seront devenues exigibles (sauf s’il s’agit de taxes qui étaient payables par le Prêteur en vertu du présent acte) l’Emprunteur doit les payer lui-même et présenter le reçu original au Prêteur.
Malgré la lourdeur de ce texte, lourdeur que l’avocat de l’intimée n’a pas niée, la portée n’en est pas douteuse. L’emprunteur doit payer sa dette, en principal et intérêt à 7 pour cent, par versements mensuels de $247 chacun à partir du 1er novembre 1963 jusqu’au 1er octobre 1983, date à laquelle tout ce qui pourra rester dû sera payable. L’acte ne dit pas quelle partie du versement mensuel sera imputée à l’intérêt et quelle partie au principal. Au contraire, il est stipulé que le prêteur pourra, à sa discrétion, imputer les versements à l’acquittement de l’intérêt, à celui d’avances qu’il aura pu faire ou au principal. Suivent des stipulations qui ne s’appliquent que si les versements mensuels doivent pourvoir au paiement des taxes foncières en outre du principal et des intérêts. Tel est le cas en l’occurrence car, dans l’alinéa qui prévoit la faculté pour le prêteur d’avancer des fonds pour acquitter des taxes, il est stipulé que si celles-ci dépassent $348 par année, l’emprunteur remboursera l’exédent selon que le prêteur l’exigera.
En défense, l’appelant a tout d’abord invoqué des calculs théoriques du montant qui aurait été dû lors de l’institution de l’action, soit en présumant que les versements mensuels de $247 seraient entièrement imputables sur le principal et les intérêts, soit en présumant que la somme de $217.71 serait ainsi imputable. C’est à bon droit que la Cour d’appel et la Cour supérieure ont écarté ces calculs théoriques. Le montant réclamé a été établi non pas en se fondant sur le montant estimé des taxes foncières sur l’immeu-
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ble, mais bien sur le montant réellement payable prouvé par les factures et reçus versés au dossier. L’imputation des paiements, dont le montant n’est pas contesté, a été faite comme l’intimée aurait eu le droit de la faire en l’absence de toute stipulation spéciale, c’est-à -dire en imputant les sommes reçues à l’acquittement des intérêts et des taxes avant de réduire le principal. Le calcul des intérêts a été fait suivant la convention, c’est-à -dire tous les six mois. Il n’y a donc absolument rien à redire au compte détaillé produit au dossier d’où il ressort que l’appelant doit bien le montant réclamé.
En second lieu, l’appelant a soutenu qu’il ne devait pas d’intérêts en invoquant l’art. 6 de la Loi sur l’intérêt, S.R.C. 1952, c. 156, aujourd’hui 1970, c. I-18, qui se lit comme suit:
6. Lorsqu’une somme principale ou un intérêt garanti par hypothèque sur biens-fonds est stipulé, par l’acte d’hypothèque, payable d’après le système du fonds d’amortissement, ou d’après le système en vertu duquel les versements du principal et de l’intérêt sont confondus, ou d’après tout plan ou système qui comprend une allocation d’intérêt sur des remboursements stipulés, aucun intérêt n’est exigible, payable ou recouvrable sur une partie quelconque de la somme principale prêtée, à moins que l’acte d’hypothèque ne contienne un état de la somme principale et du taux de l’intérêt exigible à son égard, calculé annuellement ou semestriellement, mais non d’avance.
Cette disposition a fait l’objet de plusieurs arrêts de notre Cour dont le plus récent est Kilgoran Hotels Limited c. Samek[1]. Dans ce cas-là comme dans la présente instance, l’acte, après la stipulation d’un taux d’intérêt annuel, prévoyait l’obligation pour le débiteur d’acquitter le principal et les intérêts par versements trimestriels d’un montant déterminé imputable d’abord sur l’intérêt et ensuite sur le principal. On a statué unanimement qu’il ne s’agissait pas là d’un système en vertu duquel les versements du principal et des intérêts sont confondus au sens de la disposition précitée, parce que le taux d’intérêt était clairement stipulé et qu’il n’y avait
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à faire qu’un simple calcul arithmétique pour déterminer le montant de chaque paiement imputable à l’intérêt et au principal respectivement. En somme, ce que l’on a jugé c’est que le principal et l’intérêt ne sont confondus que si l’acte ne fait pas connaître le taux véritable d’intérêt payable. Deux arrêts dans le même sens ont été rendus dès 1917: Canadian Mortgage Investment Co. c. Cameron[2], Standard Reliance Mortgage Corp. c. Stubbs[3].
Il faut cependant constater qu’en vertu de l’art. 8 de la Loi sur l’intérêt, l’intimée n’a pas le droit de recouvrer la somme de $1,281.74 qui lui a été accordée par le jugement rendu en cette affaire à titre d’indemnité payable en diverses circonstances, notamment au cas où des procédures sont intentées par suite du défaut de l’emprunteur de l’encontrer ses obligations. L’interprétation de l’art. 8 et son application à une clause analogue dans un acte d’hypothèque font l’objet de l’arrêt rendu après une seconde audition devant tous les membres de cette Cour dans Les Immeubles Fournier Inc. et autres c. Construction St-Hilaire Limitée. Vu que ce moyen n’a pas été soulevé par l’appelant mais bien par la Cour à l’audition et que, par ailleurs, l’appelant échoue sur tous les moyens qu’il a invoqués, le retranchement de l’indemnité de 5 pour cent, à titre de peine au sens de l’art. 8 de la Loi sur l’intérêt, ne saurait influer sur l’adjudication des dépens en cette Cour.
Pour ces motifs je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens contre l’appelant sauf que le jugement de la Cour supérieure, confirmé par la Cour d’appel, sera modifié en retranchant la somme de $1,281.74 réduisant ainsi la condamnation au montant de $25,634.85, avec intérêt depuis la signification de l’action à 7 pour cent l’an.
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Le jugement des Juges Judson et de Grandpré a été rendu par
LE JUGE DE GRANDPRÉ — Je partage sans hésitation l’avis de M. le Juge Pigeon que le compte détaillé produit par l’intimée est conforme à la convention des parties et que l’art. 6 de la Loi sur l’intérêt ne s’applique pas en l’espèce.
Quant à l’art. 8 de cette Loi, si ce n’était du jugement prononcé ce jour par la Cour siégeant au complet dans l’affaire Les Immeubles Fourrier Inc. et al c. Construction St-Hilaire Limitée, j’aurais conclu qu’il n’est pas un obstacle au recouvrement par l’intimée de l’indemnité de $1,281.74. Cependant, vu cet arrêt Fourrier, je crois devoir partager la conclusion de M. le Juge Pigeon sur le point.
Sur le tout, il y a lieu de décider le présent appel comme M. le Juge Pigeon l’a proposé.
Appel rejeté avec dépens, mais en retranchant une indemnité de $1,281.74.
Procureurs de la demanderesse, intimée: McDougall, Hemens, Harris, Thomas, Mason & Schweitzer, Montréal.
[1] [1968] R.C.S. 3.
[2] (1917), 55 R.C.S. 409.
[3] (1917), 55 R.C.S. 422.