Cour suprême du Canada
Toronto Police Association c. Le bureau des commissaires, [1975] 1 R.C.S. 630
Date: 1974-04-29
La Metropolitan Toronto Police Association et Paul C. Weiler (Plaignants) Appelantes;
et
Le Bureau des Commissaires de Police de la Région métropolitaine de Toronto (Défendeur) Intimé.
1974: les 7 et 8 février; 1974: le 29 avril.
Présents: Le Juge en chef Laskin et les Juges Martland, Judson, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré.
EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.
APPEL à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario[1] rejetant un appel interjeté à l’encontre d’un jugement du Juge Hughes qui avait accordé une ordonnance tenant lieu de certiorari pour annuler une sentence arbitrale de l’appelant Paul C. Weiler. Appel rejeté avec dépens, le Juge en chef Laskin et le Juge Spence étant dissidents.
Thomas E. Armstrong, pour les appelants.
G.M. Mace, c.r., et H.E.O. Doyle, pour l’intimé.
LE JUGE EN CHEF (dissident) — Il s’agit d’une affaire parmi toute une série d’autres dans lesquelles cette Cour a été appelée à résoudre des différends relatifs au degré de latitude qu’ont des arbitres consensuels (consensual), nommés en vertu de conventions collectives, pour interpréter ces conventions sans commettre d’erreurs donnant lieu à cassation. Cette affaire nous est soumise par permission de cette Cour et elle concerne une sentence rendue par un arbitre unique, le professeur Paul Weiler, sentence qui a été infirmée par M. le Juge Hughes de la Cour suprême de l’Ontario à la suite de procédures intentées à cette fin. Ce savant juge a considéré qu’il s’agissait d’une sentence rendue par un arbitre statutaire (statutory). La Cour d’appel de l’Ontario a confirmé l’annulation de la sentence en partant du principe que le professeur Weiler était un arbitre consensuel. C’est de cette manière que les questions en litige ont été traitées devant cette Cour, les avocats étant d’accord que cette façon de procéder était la bonne.
L’arbitre a été choisi par les parties afin de décider un grief soumis par l’association appelante dans une lettre du 14 septembre 1970, lettre dans laquelle l’association prétend que le bureau intimé a violé la convention collective en
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vigueur entre les parties en cessant la retenue sur le salaire des cotisations de l’association relativement à six personnes qui, à la suite de leur promotion en juillet 1970 du grade de sergent à celui d’inspecteur, avaient envoyé des lettres de démission à l’association et avaient prétendu que n’étant plus membres, elles n’avaient plus à accepter la retenue sur leur salaire des cotisations de l’association.
Les avocats des parties sont d’accord pour dire que la convention collective régissant les rapports entre les deux parties consiste en deux documents, appelés respectivement la convention de 1969 et la convention modificative de 1970. L’article 10 de la convention collective modifiée (je dois faire remarquer que l’article 10 n’a pas lui-même été modifié par la convention modificative de 1970) prévoit la retenue des cotisations de l’association, entre autres choses, de la façon suivante:
[TRADUCTION] b) Les membres qui étaient membres de l’association le 30 juin 1969 sont tenus de payer à l’association, comme condition de leur emploi, les cotisations prescrites, mais ne sont pas tenus de payer ces répartitions imposées aux membres ou à certains membres par l’association qui peuvent être supérieures aux cotisations prescrites, à moins qu’ils ne demeurent membres de l’association.
Le terme «membre» (le deuxième mot de l’alinéa b) ci-dessus) est défini à l’art. 2, al. d), de la convention collective modifiée (et je fais remarquer que l’art. 2 n’est pas lui-même modifié par la convention modificative de 1970), de la façon suivante:
d) Le terme «membre» signifie une personne dont le grade ou la classe est mentionné dans l’annexe A de la présente convention.
Dans l’annexe A de la convention de 1969 «sergent» est un des grades ou classes énumérés, de même que «inspecteur». La convention modificative de 1970 comprend également une annexe A où «sergent» est inscrit comme un des grades ou classes mais où «inspecteur» ne l’est pas, et c’est cette omission ou la signification qu’on veut lui donner qui a été au cœur de l’arbitrage et des procédures menées dans les cours d’instance inférieure.
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Il m’apparaît que, si l’on considère d’une certaine façon le grief soumis, il est sans conséquence que la classe «inspecteur» ne soit pas incluse dans l’annexe A sous le régime de la convention modificative de 1970. Les six personnes qui furent promues inspecteur en 1970 étaient sergents en 1969, et par conséquent faisaient partie d’une classe de «membre» selon l’al. d) de l’art. 2 et étaient membres de l’association le 30 juin 1969. Elles étaient, par conséquent, visées par l’obligation de l’art. 10, al. b), savoir, la retenue des cotisations de l’association pendant la durée de la convention collective modifiée. Le grief, cependant, ne fut considéré de cette façon ni par l’arbitre ni par les cours d’instance inférieure. La question qui a fait l’objet du litige a été celle de savoir si les «inspecteurs» étaient dans une classe qui était toujours visée par la convention collective modifiée de façon que ceux qui en faisaient partie, du moins les six personnes promues qui avaient voulu démissionner, restent assujettis à la retenue des cotisations syndicales.
Il me paraît clair, comme ce l’était pour l’arbitre et comme ce l’était pour les cours d’instance inférieure d’après les motifs qu’elles ont exposés, qu’il n’y avait pas de contestation quant à des questions de fait sur lesquelles l’arbitre aurait à se prononcer. Il y avait une seule question en litige et il s’agissait d’une question de droit à savoir si la convention collective incluait les inspecteurs pour fins de retenue des cotisations syndicales. Naturellement, on pourrait dire que la question était de savoir si, en fait, les inspecteurs étaient visés par la convention collective pour les fins de la retenue des cotisations syndicales, mais ce serait là introduire une confusion d’ordre sémantique entre le fait et le droit dans l’espèce; le fait, dans ce contexte, résulterait de l’interprétation de la convention, rien de plus n’étant nécessaire pour décider la question de l’application de la disposition relative à la retenue des cotisations. J’interprète les motifs du Juge d’appel Arnup, qui parle au nom de la Cour d’appel de l’Ontario en cette affaire, comme disant exactement ça. Après avoir conclu que le professeur Weiler était un arbitre
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consensuel, le Juge d’appel Arnup continue comme suit:
[TRADUCTION] La question suivante, par conséquent, est de savoir si la sentence d’un arbitre consensuel à qui une question d’interprétation de convention a été soumise, peut être annulée et, dans l’affirmative, pour quels motifs et suivant quelle procédure.
La question de procédure n’a pas été en litige ici et, de toute façon, elle avait été réglée par les arrêts de cette Cour dans les affaires Port Arthur Shipbuilding Co. c. Arthurs[2] aux pp. 94‑5, et Association des employés de radio et télévision du Canada c. La Société Radio‑Canada[3].
En l’espèce présente, le principal point en litige est l’étendue du pouvoir de révision (à distinguer de l’appel) que possède un tribunal dont on invoque le pouvoir de surveillance à l’encontre d’une sentence d’un arbitre consensuel à qui une question d’interprétation a été soumise. C’est sous cet aspect que l’affaire a été envisagée par la Cour d’appel de l’Ontario et, à mon avis, ce point de vue est juste. Je suis cependant en désaccord avec cette Cour-là quant à son exercice affirmatif de son pouvoir de surveillance pour infirmer la sentence du professeur Weiler.
La Cour d’appel, en acceptant la distinction, qui découle d’une série de précédents anglais, entre la révision de cas où une question de droit précise a été soumise à un arbitre consensuel et la révision de cas où un différend est soumis à un arbitre et ne peut être tranché sans que l’on tienne compte d’une question de droit, et en décidant (à bon droit, selon moi, comme je l’ai dit plus haut) que la présente affaire est de la catégorie de cas mentionnée ci-dessus en premier lieu, a adopté comme étant le droit régissant l’étendue du pouvoir de révision l’énoncé de Lord Cave, Lord Chancelier, dans l’arrêt Government of Kelantan v. Duff Development Co. Ltd.[4] à la p. 409, qui se lit comme suit:
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[TRADUCTION] Une sentence arbitrale peut sans aucun doute être infirmée pour cause d’erreur de droit apparaissant à sa lecture; et il ne fait aucun doute qu’une question d’interprétation est (d’une manière générale) une question de droit. Mais lorsqu’une question d’interprétation est la chose même qui est soumise à l’arbitrage, alors la Cour ne peut infirmer la décision de l’arbitre sur ce point pour le simple motif que la Cour aurait elle-même tiré une conclusion différente. S’il ressort de la sentence que l’arbitre a procédé illégalement — par exemple, qu’il a fondé sa décision sur une preuve qui en droit était irrecevable ou sur des principes d’interprétation que la loi n’autorise pas, il y a alors une erreur de droit qui peut être un motif d’infirmer la sentence; mais le simple fait que la Cour ne partage pas la conclusion de l’arbitre sur l’interprétation n’est pas suffisant à cette fin.
Cet exposé ne lie naturellement pas cette Cour, et si je peux me permettre de le dire il ne me paraît pas conforme avec les précédents qui ont établi les principes sur lesquels on doit se fonder pour décider si la sentence d’un arbitre consensuel est sujette à révision, et jusqu’à quel point. J’ai fait l’historique de la question dans mes motifs dans Bell Canada c. Office and Professional Employees’ International Union[5], aux pp. 569 et suiv. Les principes, en tant que droit jurisprudentiel, ne sont pas, évidemment, immuables, et la version de Lord Cave est citée avec approbation tant dans Halsbury, Vol. 2 (3e éd. 1953), à la p. 60, que dans Russell on Arbitration (18e éd. 1970), à la p. 360. Néanmoins, ce qu’il a dit, et ce sur quoi s’est fondée la Cour d’appel de l’Ontario en l’espèce, n’a pas été retenu par cette Cour dans l’arrêt Faubert and Watts c. Temagami Mining Co. Ltd.[6], dans lequel le Juge en chef Kerwin, parlant au nom de la Cour, s’est abstenu de retenir l’atténuation apportée par Lord Cave à la non-révisabilité de la sentence d’un arbitre consensuel lorsqu’une question de droit précise lui a été soumise pour décision.
Dans Faubert and Watts, cette Cour s’est appuyée sur l’arrêt F.R. Absalom Ltd. v. Great
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Western (London) Garden Village Society Ltd.[7], sans faire mention de l’arrêt antérieur rendu dans l’affaire Kelantan. Dans Absalom, Lord Russell a parlé au nom de la majorité relativement à la distinction entre une affaire où un différend est soumis à un arbitre et ne peut être tranché sans que l’on tienne compte d’une question de droit, et une affaire où une question de droit précise est soumise à l’arbitre. Relativement à ce dernier cas, Lord Russell a fait mention, mais sans l’approuver il me semble, de ce que Lord Cave avait ajouté dans l’affaire Kelantan. Cette attitude paraît être aussi celle qu’a adoptée Lord Wright, qui a écrit de longs motifs dans l’affaire Absalom et qui en citant ce que Lord Cave avait dit dans Kelantan, s’arrête à cette partie du passage des motifs de ce dernier dans laquelle celui-ci traite de la révision d’une décision pour cause de réception de preuve irrecevable ou d’emploi de principes d’interprétation erronés.
Dans Vancouver c. Brandram-Henderson of B.C. Ltd.[8], une affaire entendue quelques jours après que cette Cour eut rendu sa décision dans Faubert and Watts, et par les mêmes juges, le litige concernait une sentence d’arbitre qui, clairement, n’avait pas à statuer sur une présentation d’une question de droit précise mais plutôt sur un différend relatif à l’indemnité appropriée pour des dommages causés à certains biens. M. le Juge en chef Kerwin, dans son jugement auquel les Juges Abbott et Judson avaient souscrit, n’a pas jugé nécessaire de considérer la distinction qui est examinée en l’espèce présente, mais M. le Juge Locke, avec qui M. le Juge Cartwright de même que MM. les Juges Abbott et Judson s’étaient dit d’accord, a mentionné les vues exprimées par Lord Cave dans l’affaire Kelantan à l’égard de la révisabilité, mais sans les relier d’aucune façon à la distinction dont j’ai déjà parlé.
Cette mention par M. le Juge Locke du point de vue exprimé par Lord Cave dans Kelantan a
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été précédée par une mention de l’arrêt Walford, Baker & Co. v. MacFie & Sons[9], dans lequel une sentence rendue à l’égard d’un différend soumis à l’arbitrage en vertu d’une certaine convention avait été infirmée en raison de Pin-conduite légale de l’arbitré, parce que ce dernier avait fondé sa décision sur une autre convention, remplacée, des parties, de sorte qu’il s’était appuyé sur une preuve irrecevable. M. le Juge Locke a dit ensuite ceci:
[TRADUCTION] Dans l’arrêt Kelantan Government v. Duff Development Co., le vicomte Cave, à la p. 411, dit qu’une telle sentence pourrait être infirmée s’il ressortait à sa lecture que l’arbitre s’est fondé sur une preuve irrecevable ou sur des principes d’interprétation erronés, ou a autrement commis quelque erreur en droit.
Il me semble que M. le Juge Locke examinait alors une révisabilité de sentences arbitrales découlant d’un compromis soumis de façon générale, spécialement si l’on considère son allusion à ce que Lord Cave disait à la p. 411 de ses motifs dans Kelantan précitée, plutôt qu’à ce que ce dernier disait à la p. 409.
L’extrait tiré de la p. 411, qui est rédigé essentiellement dans les termes dont se sert M. le Juge Locke, que je viens de citer, me semble être en contradiction avec ce que Lord Cave disait à la p. 409 de l’arrêt Kelantan, qui est le passage cité par la Cour d’appel de l’Ontario dans la présente cause. S’il s’applique aux affaires où une question d’interprétation seulement est soumise à un arbitre consensuel, il supprime la distinction qui a fait l’objet de notre étude; il va certainement au-delà de l’énoncé de principe de la p. 409. Puisque Lord Cave avait conclu dans Kelantan que la présentation ou le renvoi à l’arbitre dont il parlait alors était un compromis relatif à l’interprétation, je suis incapable de voir comment la distinction dans l’étendue du pouvoir de révision (selon ce qui est soumis à l’arbitrage) garde un sens quelconque. Ceci a bien pu expliquer la façon dont les motifs de Lord Cave ont été traités par la Chambre des Lords dans Absalom; et de même la préférence de cette Cour dans Faubert and Watts pour
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chercher un appui dans l’arrêt Absalom sans faire mention de l’arrêt Kelantan.
La difficulté créée par la proposition de Lord Cave à la p. 411 de l’arrêt Kelantan (aussi bien que celle suscitée par le passage de la p. 409) n’est pas passée inaperçue ailleurs. Dans Melbourne Harbour Trust Commissioners v. Hancock[10] à la p. 251, le Juge Starke de la Haute Cour d’Australie, parlant du passage de la p. 411, disait ceci:
[TRADUCTION] Et, puis-je me demander, que signifient les mots «a autrement commis quelque erreur en droit»? Un jour, sans doute, le passage sera élucidé, mais on peut décider l’espèce présente sans entreprendre l’explication de l’atténuation...
Plus récemment, dans NSW Mining Co. Pty Ltd. v. Hartford Fire Ins. Co.[11] la Haute Cour d’Australie a eu l’occasion d’étudier la question de la révisabilité d’une sentence arbitrale et de décider si une question de droit précise était en cause. Un seul des cinq juges (le Juge Gibbs) s’est référé à ce qu’avait dit Lord Cave à la p. 409 de l’arrêt Kelantan (il n’y a pas eu d’autre mention de cet arrêt-là). Dans ses motifs, le Juge en chef Barwick a dit deux choses significatives (aux pp. 350 et 351):
[TRADUCTION] A mon avis, la première question posée à l’arbitre était une question précise qui comportait une recherche de l’interprétation que l’arbitre donnait à la police. Il n’est aucunement pertinent, à mon avis, que l’arbitre ait pu avoir eu à constater l’existence de certains faits ou à recevoir la preuve de certains faits en décidant quelle réponse donner à la question. La nature de la question demeure la même et c’est la nature de la question qui est déterminante....
Je crois que l’usage du mot «précis» dans ce champ de discussion est utile pour indiquer que la décision sur la question de droit est recherchée par les parties au moyen de la question soumise à l’arbitre. Il met en contraste le cas que j’ai mentionné où la question posée est posée sur la prémisse du sens qu’il faut donner au contrat et non sur celle du sens déterminé par l’arbitre. Il ne veut pas dire non plus, à mon avis, que dans tous les cas la question de droit doit être isolée dans le compromis ni qu’elle doit être isolée
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comme une question séparée. A mon point de vue, le vrai principe c’est que si d’après une juste interprétation du compromis présenté à l’arbitre on conclut que les parties, par les termes qu’elles ont employés, ont demandé à l’arbitre de décider pour elles une question de droit, la réponse ne peut être écartée simplement parce que l’arbitre a décidé la question erronément.
J’adopte cette façon de voir la question, bien qu’il ne soit pas nécessaire d’aller si loin en l’espèce présente. Je voudrais souligner ce que j’ai dit dans l’arrêt Bell Canada, à savoir, que sous un régime autonome établi par une convention collective qui donne aux parties leur propre appareil administratif et judiciaire, il devrait y avoir un minimum d’intervention dans les sentences, particulièrement lorsqu’elles démontrent, comme celle qui est contestée ici, que l’arbitre a consciencieusement exercé l’autorité qui lui avait été conférée, en exposant les motifs de sa décision. A mon avis, les parties, pour qui les décisions des arbitres sont rendues, sont mieux servies par des sentences qui énoncent les considérations et facteurs sur lesquels la décision est fondée que par des sentences qui ne contiennent aucun raisonnement et mentionnent simplement la question soumise et la conclusion, ou à peine plus que cela.
L’arbitre en l’espèce a abordé la question soumise suivant trois approches. Premièrement, il a tenté d’interpréter la convention collective telle que modifiée et à cet égard il était en droit de faire entrer en ligne de compte les circonstances qui en ont entouré la confection. Deuxièmement, et admettant candidement que l’interprétation comme telle posait une difficulté, il a été d’avis qu’une approche fondée sur l’ambiguïté était permise et que, par conséquent, il pouvait introduire une preuve extrinsèque. Troisièmement, il a invoqué le principe de la rectification, qui n’a pas été soulevé devant cette Cour et dont par conséquent il n’est pas nécessaire de traiter.
De la façon dont je lis les jugements des tribunaux d’instance inférieure, et particulièrement celui de la Cour d’appel, l’arbitre aurait commis une erreur parce qu’il a reçu une preuve
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extrinsèque d’une ambiguïté. Le Juge Hughes en première instance et le Juge Arnup en appel ont tous deux été d’avis qu’il n’existait pas d’ambiguïté et que par conséquent l’arbitre a commis une erreur donnant lieu à cassation en admettant une preuve extrinsèque. Il n’y a dans les motifs de la Cour d’appel qu’un seul passage qui traite de la question de l’interprétation et de la réception de la preuve, et je le cite en son entier:
[TRADUCTION] Bien que M. le Juge Hughes ait considéré la question sous un aspect différent (parce qu’on lui a demandé de le faire), je souscris néanmoins complètement à sa conclusion qu’il y a eu de la part de l’arbitre des erreurs de droit manifestes et graves. Pour se servir des termes habituellement employés dans les contestations des sentences d’arbitres consensuels, cet arbitre a agi illégalement non seulement parce qu’il s’est fondé sur une preuve irrecevable en droit, mais aussi parce qu’il a jugé la question dont il était saisi en se fondant sur des principes d’interprétation que le droit n’autorise pas. Je suis complètement d’accord avec M. le Juge Hughes que les conventions que l’arbitre a été appelé à examiner étaient claires et dénuées d’ambiguïté. Par conséquent, leur interprétation ne justifiait pas la réception d’une preuve extrinsèque. De plus, l’arbitre a commis une erreur en procédant à ce qu’il a appelé «l’application du principe de rectification», expression que je considère comme un euphémisme pour les mots «interpréter le document comme s’il était rectifié».
Il me semble que le Juge Hughes et le Juge d’appel Arnup traitent tous deux de la question de l’existence d’une ambiguïté comme s’il s’agissait d’une question collatéralle ou préliminaire sur laquelle ils avaient le droit de substituer leur opinion à celle de l’arbitre. Si le point de vue de l’arbitre en était un qu’il avait le droit de prendre en vertu de l’autorité qui lui était conférée, alors je ne peux voir rien d’anormal à son recours à une preuve extrinsèque; l’erreur relative à la preuve s’ensuivait si sa décision sur la question de l’ambiguïté était attaquable de sorte qu’il y avait une erreur seulement et non deux. Mon opinion est simplement qu’en traitant de la question d’interprétation, l’arbitre pouvait traiter celle-ci comme une question d’interprétation interne aussi bien que sur la base de l’existence
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d’une ambiguïté, si tel était son point de vue de remplacement. Il lui appartenait d’évaluer ce que la situation exigeait à l’égard de l’interprétation, et on ne laisse pas entendre qu’il y aurait erreur si, en appliquant des règles d’interprétation où une ambiguïté existe, il a eu recours à une preuve extrinsèque. Pour adapter une formule appliquée devant les conseils de relations du travail, la question de savoir s’il existait ou non une ambiguïté exigeant l’introduction d’une preuve extrinsèque, était du ressort de l’arbitre comme étant une question qui faisait partie intégrante de la question d’interprétation sur laquelle il était requis de se prononcer: voir Ontario Labour Relations Board, Bradley v. Canadian General Electric Co. Ltd.[12], à la p. 325.
J’en arrive maintenant à la convention collective de 1969 et à la convention modificative de 1970, lesquelles l’arbitre devait interpréter afin de décider si le bureau avait violé son obligation de retenir les cotisations de l’association. La convention de 1969, ainsi appelée par toutes les parties concernées bien qu’elle soit datée du 10 mars 1970, était en vigueur, selon l’art. 24, du 1er janvier 1969 au 31 décembre 1969 «et par la suite jusqu’à ce que remplacée par une nouvelle convention, décision ou sentence», chaque partie ayant le droit d’aviser l’autre, entre le 1er octobre et le 31 décembre de toute année, de son désir «de négocier une nouvelle convention ou de modifier la convention existante». L’art. 1 de cette convention stipule qu’elle ne s’applique «qu’aux membres de la sûreté de la région métropolitaine de Toronto visés dans l’annexe A des présentes». L’annexe A ne faisait pas qu’énumérer les classes qui donnaient un sens à l’art. 1 (e.g. constable, détective stagiaire, sergent de patrouille et détective, sergent et sergent-détective, sergent de détectives, inspecteur, surintendant du personnel et surintendant) mais donnait aussi les heures de travail hebdomadaire et les échelles de salaire pour chaque classe. L’art. 4 de la convention de 1969 prévoyait que «le traitement annuel de chaque membre à compter du 1er janvier 1969 doit être
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conforme à l’annexe A de la présente convention».
Ainsi l’annexe A concernait les classes qui étaient assujetties aux conditions de la convention de 1969 et aussi les traitements annuels des personnes comprises dans ces classes. J’ai déjà mentionné dans les présents motifs l’art. 2, al. d), définissant un «membre» comme signifiant une personne dont le grade ou la classe est mentionné dans l’annexe A, et j’ai mentionné également l’art. 10 relatif au paiement des cotisations du syndicat. L’art. 6 de la convention de 1969 prévoyait a) une indemnité annuelle pour les vêtements, d’un montant déterminé, à «chaque membre qui détient le grade d’inspecteur ou un grade supérieur» et b) une indemnité pour les vêtements, d’un montant déterminé, à «chaque membre d’un grade inférieur à celui d’inspecteur qui doit exécuter son travail de policier en civil».
Le 10 juillet 1970, les parties ont signé une convention modificative avec la même clause de durée, soit l’art. 24, sauf que la période déterminée s’étendait du 1er janvier 1970 au 31 décembre 1970. La convention modificative n’était pas une entière nouvelle rédaction de la convention de 1969 mais consistait plutôt en neuf clauses dont chacune avait trait à des changements dans des clauses désignées de la convention de 1969 laquelle, excepté pour ces changements, demeurait en vigueur en vertu de la nouvelle clause de durée. Les changements apportés l’ont été aux articles 4 et 5, al. f), un nouveau sous-al. 11 de l’al. b) de l’article 5 a été ajouté, l’article 11 a été remplacé de même que l’article 12, l’article 13 a été modifié, l’article 18 a été remplacé, l’art. 19 a été modifié et aussi l’article 24 quant à la durée. C’est donc dire qu’il y eut des changements dans huit des vingt-quatre articles de la convention de 1969. Il n’y a pas eu de changement à l’article 1, ni à l’article 2 (à moins qu’il y ait eu nécessairement un changement du fait du changement apporté à l’annexe A pour les fins de l’article 4), ni à l’article 6.
L’article 4 de la convention modificative de 1970 se lit comme suit:
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[TRADUCTION] Le traitement annuel de chaque membre, à compter du 7 avril 1970, doit être conforme à l’annexe A de la présente convention.
L’annexe A de la convention modificative énumère les classes comprises dans cette annexe de la convention de 1969, sauf celles d’inspecteur et de surintendant du personnel et de surintendant, mais elle joint aussi à la classe de détective stagiaire la classe de sergent de patrouille stagiaire. Les taux de traitement accrus par rapport à ceux apparaissant à l’annexe A de la convention de 1969 sont indiqués vis-à-vis des classes énumérées dans l’annexe A de la convention modificative de 1970.
La question que cette nouvelle annexe A soulève est assez claire: Est-ce que le changement dans cette annexe, effectué pour les fins de l’article 4 traitant des salaires, a en même temps eu pour effet d’exclure les inspecteurs des articles 1 et 2, et par conséquent de les exclure aussi de l’obligation relative à la retenue syndicale sous le régime de l’article 10? L’arbitre s’est penché sur la question, une question d’interprétation seulement, et il a conclu, en se fondant sur les trois motifs distincts, que l’obligation de retenir des cotisations syndicales à l’égard des inspecteurs et de les transmettre à l’association appelante n’était pas touchée par la convention modificative de 1970.
Pour les fins des présentes, il est suffisant de se référer au premier des motifs sur lesquels l’arbitre a fondé sa décision. Comme question d’interprétation dans le contexte littéral des deux conventions, il a conclu, eu égard au fait que les articles 1, 2 et 10 n’avaient pas été modifiés et que l’art. 6 avait également été retenu tel qu’il apparaissait dans la convention de 1969, que la position de l’association était la plus plausible. Même en appliquant la proposition la plus large de Lord Cave, il n’y a pas ici d’erreur de droit révisable; il ne pouvait y avoir qu’une différence d’opinions quant à la justesse de l’interprétation, et cela n’est pas une question révisable.
Le fait que l’arbitre a poursuivi en considérant du point de vue de l’ambiguïté la question soumise et admis une preuve extrinsèque ne
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change rien; un motif non révisable de décision étant présent, il n’y a pas de raison que la Cour intervienne parce qu’il y avait eu sous un autre aspect de l’affaire une question litigieuse révisable. Même en se fondant sur l’ambiguïté, dont il appartenait à l’arbitre de décider, il ne pourrait y avoir d’objection à une preuve extrinsèque comme telle. Apparemment, ce qu’on a dit vicier ce motif de remplacement c’est la mention d’une lettre du 24 avril 1970 adressée au président de l’association par le président du bureau intimé, lettre qui représente une proposition de règlement des disputes relatives aux salaires. Qu’elle en est bien une c’est ce que confirme l’acceptation des propositions par le président de l’association avec la notation, au-dessus de sa signature et de celles des autres personnes, des mots «à compter du 7 avril». C’est la date que mentionne le nouvel article 4. Bien qu’il ne soit pas nécessaire, pour des raisons déjà données, d’épiloguer sur ce motif de remplacement, je ne vois pas d’objection légale à une mention de cette lettre, qui confirmait un accord qui a été effectivement incorporé de façon solennelle dans la convention modificative de 1970. Elle est entièrement compatible avec ce que l’on trouve à l’article 4 et dans les dispositions relatives aux salaires et autres avantages que contiennent les conventions solennelles.
Pour les raisons mentionnées ci-dessus, j’accueillerais l’appel, infirmerais les jugements des cours d’instance inférieure et rejetterais la requête en annulation de sentence. Les appelants ont droit à leurs dépens en toutes les cours.
Le jugement des Juges Martland, Judson, Ritchie, Pigeon, Dickson et de Granpré a été rendu par
LE JUGE MARTLAND — Il s’agit d’un appel à l’encontre d’une ordonnance de la Cour d’appel de l’Ontario, qui a rejeté l’appel interjeté par les appelants à l’encontre d’un jugement du Juge Hughes; ce dernier avait accordé l’ordonnance tenant lieu de certiorari qu’avait demandée l’intimé pour annuler une sentence arbitrale prononcée par l’appelant Paul C. Weiler.
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L’association appelante (ci-après appelée «l’association») est l’agent négociateur des membres de la sûreté de la région métropolitaine de Toronto (Metropolitan Toronto Police Force). A toutes les époques pertinentes au litige, l’association et le bureau intimé (ci-après appelé «le bureau») étaient liés par une convention collective datée du 10 mars 1970 (ci‑après appelée «la convention de 1969»), telle que modifiée par une convention modificative datée du 10 juillet 1970 (ci-après appelée «la convention de 1970»).
La convention de 1969 prévoit s’appliquer du 1er janvier 1969 au 1er décembre 1969, [TRADUCTION] «et par la suite jusqu’à ce que remplacée par une nouvelle convention, décision ou sentence». Les dispositions de cette convention qui sont pertinentes à l’appel sont les suivantes:
[TRADUCTION] CONSIDÉRANT que, en vertu de l’art. 27 du Police Act, un comité de négociation représentant l’association a eu des rencontres avec un comité de négociation représentant le bureau et a négocié avec lui aux fins de rédiger une convention définissant, déterminant et prévoyant la rémunération, les avantages, les pensions et les conditions de travail des membres de la sûreté de la région métropolitaine de Toronto visés dans l’annexe (A) des présentes;
ET CONSIDÉRANT que la convention originale entre les parties a été modifiée de temps à autre;
ET CONSIDÉRANT que les parties ont, à compter de ce jour, conclu un accord tel qu’énoncé ci-après;
PAR CONSÉQUENT, LA PRÉSENTE CONVENTION ÉTABLIT QUE:
1. La présente convention ne s’applique qu’aux membres de la sûreté de la région métropolitaine de Toronto visés dans l’annexe A des présentes.
2. Sauf lorsqu’une intention contraire apparaît,
(a) Le terme «association» signifie la Metropolitan Toronto Police Association.
(b) Le terme «bureau» signifie le bureau des commissaires de police de la région métropolitaine de Toronto.
...
(d) Le terme «membre» signifie une personne dont le grade ou la classe est mentionné dans l’annexe A de la présente convention.
...
[Page 647]
...
4. Le traitement annuel de chaque membre à compter du 1er janvier 1969 doit être conforme à l’annexe A de la présente convention.
…
6. (a) A chaque membre qui détient le grade d’inspecteur ou un grade supérieur sera versée une indemnité annuelle pour ses vêtements comme suit:
(i) Cent cinquante dollars ($150) le 30 juin de chaque année, et
(ii) Cent cinquante ($150) le 31 décembre de chaque année,…
…
10. (a) Les membres qui n’étaient pas membres de l’association le 30 juin 1969 ne sont pas tenus de payer de cotisations à l’association comme condition de leur emploi.
(b) Les membres qui étaient membres de l’association le 30 juin 1969 sont tenus de payer à l’association, comme condition de leur emploi, les cotisations prescrites, mais ne sont pas tenus de payer ces répartitions imposées aux membres ou à certains membres par l’association qui peuvent être supérieures aux cotisations prescrites, à moins qu’ils ne demeurent membres de l’association.
(c) Les membres qui sont entrés dans la sûreté le 1er juillet 1969 ou après cette date sont tenus de payer à l’association, comme condition de leur emploi, les cotisations prescrites, mais ne sont pas tenus de payer ces répartitions imposées aux membres ou à certains membres par l’association qui peuvent être supérieures aux cotisations prescrites, à moins qu’ils ne deviennent membres de l’association.
Les alinéas (d), (e) et (f) de cette clause prévoient que le trésorier de la municipalité de la région métropolitaine de Toronto retient à la source les cotisations payables à l’association et remet au trésorier de l’association les montants déduits.
La clause 17 de la convention concerne la procédure des griefs, et prévoit cinq paliers dans le règlement des griefs. Le palier 5 prévoit la nomination d’un arbitre. Les alinéas pertinents de cette clause se lisent comme suit:
[TRADUCTION] Un arbitre nommé en vertu du palier 5 de la procédure des griefs n’a pas le pouvoir de retrancher, de changer, de modifier ni d’amender
[Page 648]
aucune partie de la présente convention ni d’y ajouter, ni de rendre autrement des décisions incompatibles avec la présente convention.
L’une ou l’autre des parties à la présente convention peut formuler par écrit un grief adressé à l’autre partie sur tout différend opposant les parties qui concerne l’interprétation, l’application ou l’administration de la présente convention y compris toute question de savoir si une question est arbitrable et un tel grief est initialement présenté au palier 4 et lesdits paliers 4 et 5 s’appliquent mutatis mutandis à un tel grief.
La convention contient une annexe qui est intitulée comme suit:
[TRADUCTION] LA PRÉSENTE CONSTITUE L’ANNEXE «A» — MENTIONNÉE DANS LA CONVENTION CI-JOINTE
Cette annexe décrit différents grades dans la sûreté, de constable à inspecteur, et à surintendant du personnel, et prévoit les heures respectives de travail hebdomadaire et le taux de traitement pour chaque grade.
Les dispositions pertinentes de la convention de 1970 sont les suivantes:
[TRADUCTION] CONSIDÉRANT que le bureau et l’association ont conclu une convention par écrit datée du 10 mars 1970 (ci-après appelée «la convention») définissant, déterminant et prévoyant la rémunération, les avantages, les pensions et les conditions de travail des membres de la sûreté de la région métropolitaine de Toronto visés dans l’annexe A de la convention; et
CONSIDÉRANT que l’art. 24 de la convention prévoit qu’elle reste en vigueur pour la période allant du 1er janvier 1969 au 31 décembre 1969, et par la suite jusqu’à ce qu’elle soit remplacée par une nouvelle convention, décision ou sentence; et
CONSIDÉRANT que le bureau et l’association ont convenu d’apporter à la convention les amendements, changements, modifications et additions ci-après énoncés;
PAR CONSÉQUENT, LA PRÉSENTE CONVENTION ATTESTE que, vu ce qui précède, le bureau et l’association stipulent et s’engagent mutuellement comme suit:
1. La clause 4 de la convention est supprimée et remplacée par la suivante:
[Page 649]
«4. Le traitement annuel de chaque membre, à compter du 7 avril 1970, doit être conforme à l’annexe «A» de la présente convention.»
…
9. La clause 24 de la convention est modifiée en rayant le nombre 1969 toutes les fois qu’il paraît dans la clause, et en le remplaçant par le nombre 1970, de manière que la clause, telle que modifiée, se lise comme suit:
«24. Les conditions contenues aux présentes doivent rester en vigueur pour la période allant du 1er janvier 1970 au 31 décembre 1970 et par la suite jusqu’à ce que remplacées par une nouvelle convention, décision ou sentence…»
Une annexe est jointe à cette convention, et elle s’intitule:
[TRADUCTION] LA PRÉSENTE CONSTITUE L’ANNEXE «A» — MENTIONNÉE DANS LA CONVENTION CI-JOINTE
Cette annexe décrit différents grades dans la sûreté, de constable à sergent de détectives, et prévoit les heures respectives de travail hebdomadaire et les taux de traitement pour chaque grade. Il ne s’y trouve aucune mention d’un grade supérieur à celui de sergent de détectives. Elle n’inclut pas les inspecteurs.
Le grief qui a donné lieu au litige est sous forme de lettre, datée du 14 septembre 1970 et adressée par le président de l’association au secrétaire exécutif du bureau. La lettre fait état du fait que cinq sergents ont été promus au grade d’inspecteur le 14 juillet 1970, et qu’un autre sergent l’a été le 28 juillet 1970. Peu de temps après, ces personnes avaient écrit à l’association pour indiquer qu’elles désiraient donner leur démission comme membres de l’association. Ces démissions n’ont pas été acceptées. Au mois d’août, l’auteur de la lettre avait reçu un avis selon lequel le chef adjoint Hamilton avait ordonné à la section de la rémunération ou de l’administration de ne plus retenir à la source, à l’égard de ces six employés, les cotisations de l’association. Le dernier alinéa de la lettre se lit comme suit:
[TRADUCTION] Je désire par les présentes saisir la commission de police de cette question le plus tôt possible car il s’agit d’un grief concernant une violation de la convention. Je suis respectueusement d’avis
[Page 650]
que le service, en particulier le chef adjoint Hamilton et (ou) la commission de police, a violé la convention en faisant cesser les retenues syndicales à l’égard des six membres susmentionnés.
C’est là le grief qui a été présenté à l’arbitre appelant. Dans sa sentence, celui-ci a accueilli le grief et conclu que le bureau des commissaires avait violé la convention en ne retenant pas les cotisations de l’association sur le traitement des inspecteurs et en ne les remettant pas à l’association. Il a donné des motifs écrits à sa décision.
Après s’être reporté aux conventions de 1969 et 1970, il a dit:
[TRADUCTION] En considérant les implications de ces deux documents pour la question à résoudre, l’unique point sur lequel toutes les parties s’entendent clairement est que les inspecteurs étaient inclus en vertu de la convention de 1969 et qu’ils étaient assujettis à la retenue syndicale pour le compte de l’association. Il ne s’agit pas ici du cas habituel d’un grief syndical dans lequel l’arbitre doit découvrir une preuve positive que, par exemple, certains employés ont été inclus par négociation dans l’unité de négociation. Plutôt, ce qu’il doit trouver ici c’est, dans les négociations et le document de 1970, une preuve positive selon laquelle il a été convenu que ces employés devaient être exclus de l’unité et de la convention.
Il a résumé les arguments présentés par le bureau et l’association et il a continué en ces termes:
Pris isolément, chacun de ces arguments constitue une interprétation possible de la lettre même de la convention. Cependant, considérés ensemble, ces deux points de vue sur le libellé que l’on trouve à la lecture des documents ne font que révéler les lacunes et les graves difficultés que chacun recèle. Ils font certainement voir des ambiguïtés importantes dans ce texte, ce qui m’autorise à examiner une preuve extrinsèque afin d’en clarifier le sens.
Il a ensuite passé en revue les négociations qui ont conduit à la signature de la convention de 1970. Dans cette étude, il a fait mention d’un document signé du 24 avril 1970 et ajouté ceci:
Il est certain qu’à ce stade, qui peut bien représenter une modification écrite de la convention, et une modification qui lie les parties, il n’y a aucun indice
[Page 651]
d’exclusion des inspecteurs, et nous pouvons supposer que des tentatives à cette fin auraient fort probablement dû nécessiter d’autres concessions et avantages de la part du bureau.
Il continue en disant:
Dans ce contexte, je déciderais en faveur du syndicat en m’appuyant sur trois motifs distincts bien que reliés. Si j’avais à considérer le seul texte des conventions de 1969 et 1970, à tout prendre j’en viens à la conclusion que l’interprétation du syndicat est la plus plausible. Pour ce faire, je m’appuie sur le fait que la convention de 1969 est toujours en vigueur sauf pour les modifications de la convention de 1970, que les articles 1, 2 et 10, qui originellement comprenaient les inspecteurs, ne sont pas modifiés explicitement par celle-ci, et que le maintien en existence de l’article 6 est incompatible avec une exclusion implicite retranchant les inspecteurs de la convention dans son ensemble, et qui résulterait d’un changement apporté à l’annexe des salaires que mentionne l’article 4 modifié. Bien que j’admette que mon interprétation littérale présente des difficultés, et que j’y aie recours surtout en raison des difficultés plus grandes que soulèverait une autre interprétation, ma conclusion est considérablement raffermie par l’étude de la preuve extrinsèque de l’historique de la négociation. Sur cette base, il m’apparaît clair en fait que les parties n’ont pas effectivement convenu ni voulu que les inspecteurs ne soient plus visés par l’exigence de la retenue à la source prévue à l’article 10. C’est pourquoi les ambiguïtés dans l’interprétation de l’article 10 doivent être résolues dans le sens du maintien de l’application de l’article aux inspecteurs.
Dans l’alternative, si j’ai tort de croire que les articles 10 et autres sont suffisamment ambigus dans leur signification pour nous permettre de recourir à une preuve extrinsèque afin de les interpréter, alors je conclus qu’il s’agit d’un cas où il convient de rectifier la plus récente pour la rendre conforme à l’accord écrit intervenu entre les parties en avril 1970, par lequel les parties se sont liées, et que devait refléter le document de juillet 1970. Cette affaire est semblable à la situation dont j’ai traité dans l’affaire Ontario Steel Products (1970) 21 L.A.C. 430 (Weiler), où j’ai examiné les précédents et statué que «la condition de son application (la doctrine de la rectification) est que l’on trouve un accord véritable, mutuel entre les parties qui n’a pas été exprimé dans le document final comme on avait voulu qu’il le soit.»
Pour chacun des trois motifs de droit mentionnés, j’en viens à la conclusion que le bureau a agi en
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violation de la convention en omettant de déduire les cotisations des inspecteurs et de les transmettre à l’association.....
Le bureau demanda à la Cour suprême de l’Ontario une ordonnance tenant lieu de certiorari en vue d’annuler la sentence arbitrale. L’ordonnance fut accordée par M. le Juge Hughes, qui déclara:
[TRADUCTION] Ma première remarque sur la façon dont le savant arbitre a procédé pour statuer ainsi est que, respectueusement, je suis incapable de discerner les ambiguïtés sur lesquelles il se fonde pour introduire dans sa sentence une preuve extrinsèque. La convention de 1969, telle que modifiée par la convention de 1970, est, à sa lecture, parfaitement claire et ses termes entendent carrément exclure de l’association tous les officiers ayant le grade d’inspecteur ou un grade supérieur. On ne prétend pas qu’il y ait quelque chose à redire au sujet de la signature de la convention de 1970. Les modifications, ou le manque de modifications, que contient la convention de 1970 n’ont créé d’autre incompatibilité que le fait de la rétention, à l’art. 6, de la clause accordant aux inspecteurs une indemnité pour vêtements. Mais trouver une incompatibilité dans la rétention d’un article que l’arbitre n’avait pas à interpréter ne suffit pas. Dire, aux fins d’introduire une preuve extrinsèque, qu’il y a là ambiguïté, et qu’il y a ambiguïté dans les omissions que le savant arbitre dit trouver dans la non-modification, dans la convention de 1970, du texte des articles 1, 2 et 10 de la convention de 1969, voilà qui constitue une erreur de droit à la lecture de la sentence et suffit à me contraindre à infirmer celle-ci. Il existe cependant un autre aspect de la sentence qui est en conflit avec les termes exprès et non modifiés de la convention de 1969; je veux parler de cette partie de l’article 17 qui traite de la procédure des griefs et qui se lit en partie comme suit: —
«Un arbitre nommé en vertu du palier 5 de la procédure des griefs n’a pas le pouvoir d’ajouter, de retrancher, de changer, de modifier ni d’amender aucune partie de la présente convention, ni d’y ajouter, ni de rendre autrement des décisions incompatibles avec la présente convention.»
Cette disposition crée évidemment un obstacle à toute application par l’arbitre de la «doctrine de la rectification».
Il conclut de la façon suivante:
Néanmoins l’interprétation que donne le savant arbitre aux effets conjugués des articles 1, 2, 4 et 10, et
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de l’annexe «A», de la convention de 1969 modifiée par la convention de 1970, change la portée des modifications qui ont été effectivement faites et signées par les parties. Qu’il agisse ainsi par simple interprétation, ou par rectification fondée sur des éléments de preuve extrinsèque, il excède en ce faisant sa compétence.
Les appelants interjetèrent appel à l’encontre de ce jugement devant la Cour d’appel. L’appel fut rejeté. L’arrêt mentionne que M. le Juge Hughes a considéré que l’arbitre siégeait à titre d’arbitre statutaire (statutory arbitrator) parce que les deux avocats avaient traité de l’affaire sous cet angle. L’avocat des appelants en appel fit valoir que l’arbitre était un arbitre privé consensuel (consensual) et la Cour d’appel se déclara d’accord sur ce point. La question en litige fut alors énoncée comme étant la suivante:
[TRADUCTION] La question suivante, par conséquent, est de savoir si la sentence d’un arbitre consensuel à qui une question d’interprétation de convention a été soumise, peut être annulée et, dans l’affirmative, pour quels motifs et suivant quelle procédure.
On déclara que le principe qui devait s’appliquer avait été énoncé par le vicomte Cave, Lord Chancelier, dans Government of Kelantan v. Duff Development Company Limited[13], à la p. 409:
[TRADUCTION] Une sentence arbitrale peut sans aucun doute être infirmée pour cause d’erreur de droit apparaissant à sa lecture; et il ne fait aucun doute qu’une question d’interprétation est (d’une manière générale) une question de droit. Mais lorsqu’une question d’interprétation est la chose même qui est soumise à l’arbitrage, alors la Cour ne peut infirmer la décision de l’arbitre sur ce point pour le simple motif que la Cour aurait elle-même tiré une conclusion différente. S’il ressort de la sentence que l’arbitre a procédé illégalement — par exemple, qu’il a fondé sa décision sur une preuve qui en droit était irrecevable ou sur des principes d’interprétation que le droit n’autorise pas, il y a alors une erreur de droit qui peut être un motif d’infirmer la sentence; mais le simple fait que la Cour ne partage pas la conclusion de l’arbitre sur l’interprétation n’est pas suffisant à cette fin.
[Page 654]
La conclusion à laquelle on arriva dans l’arrêt se lit comme suit:
[TRADUCTION] Bien que M. le Juge Hughes ait considéré la question sous un aspect différent (parce qu’on lui a demandé de le faire), je souscris néanmoins complètement à sa conclusion qu’il y a eu de la part de l’arbitre des erreurs de droit manifestes et graves. Pour se servir des termes habituellement employés dans les contestations des sentences d’arbitres consensuels, cet arbitre a agi illégalement non seulement parce qu’il s’est fondé sur une preuve irrecevable en droit, mais aussi parce qu’il a jugé la question dont il était saisi en se fondant sur des principes d’interprétation que le droit n’autorise pas. Je suis complètement d’accord avec M. le Juge Hughes que les conventions que l’arbitre a été appelé à examiner étaient claires et dénuées d’ambiguïté. Par conséquent, leur interprétation ne justifiait pas la réception d’une preuve extrinsèque. De plus, l’arbitre a commis une erreur en procédant à ce qu’il a appelé «l’application du principe de rectification», expression que je considère comme un euphémisme pour les mots «interpréter le document comme s’il était rectifié».
En se basant sur les faits, dans l’affaire Kelantan, le vicomte Cave avait statué qu’il y avait eu une présentation spécifique à l’arbitre d’une question d’interprétation et qu’il n’était pas prêt à décider que l’arbitre avait agi illégalement. Lord Shaw of Dunfermline avait souscrit à ce jugement. Lord Sumner avait souscrit au règlement proposé par le vicomte Cave. Lord Parmoor avait écrit des motifs distincts. Il avait statué qu’une question de droit précise avait été soumise à l’arbitre. Il avait adopté la déclaration de principe du Juge Channell énoncée dans l’arrêt In re King and Duveen[14], à la p. 36:
[TRADUCTION]…mais il est également clair que si une question de droit précise est soumise à la décision d’un arbitre et qu’il rend effectivement une décision, le fait que la décision soit erronée ne rend pas la sentence irrégulière à sa lecture de sorte qu’il soit permis de l’infirmer. Autrement, soumettre une question de droit à un arbitre serait toujours futile.
Lord Trevethin avait été d’avis qu’en raison des faits, il n’y avait pas eu une présentation d’une question de droit précise. A la p. 421, il avait énoncé la position du droit comme suit:
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[TRADUCTION] Si vos Seigneuries sont d’avis que la sentence est erronée en droit à sa lecture, elle doit être annulée, car selon moi il ne s’agit pas d’une présentation à l’arbitrage qui de par sa nature rendrait la décision inattaquable en dépit d’une erreur de droit apparaissant à la lecture de la sentence. Cela ne peut arriver que lorsque la présentation porte sur une question de droit précise, et est de nature à être équitablement interprétée comme démontrant que les parties ont renoncé à leur droit d’avoir recours aux tribunaux du Roi et voulu au lieu de ça que le litige soit soumis à la décision d’un tribunal qui est le leur.
Il avait souscrit au résultat proposé par ses collègues parce qu’il n’avait pas considéré que la sentence était erronée en droit.
Dans F.R. Absalom, Limited v. Great Western (London) Garden Village Society, Limited[15], la Chambre des Lords avait traité d’une affaire dans laquelle il fut décidé qu’il n’y avait pas eu de présentation d’une question de droit précise et la sentence avait été annulée pour motif d’erreur de droit à sa lecture. Lord Russell of Killowen, dans son jugement, avait dit à la p. 607:
[TRADUCTION] Vos Seigneuries, il est, je crois, essentiel d’établir une distinction entre une affaire où des différends sont soumis à un arbitre et ne peuvent être tranchés sans que l’on tienne compte d’une question de droit, et une affaire où une question de droit précise lui a été soumise. Je ne suis pas certain que la Cour d’appel ait appliqué ce principe. Les précédents font une nette distinction entre ces deux catégories d’affaires et, tels qu’ils me paraissent, ils ont décidé que, dans la première, la Cour peut intervenir si la décision comporte à sa lecture une erreur de droit, mais que, dans la seconde, il ne peut y avoir d’intervention basée sur le motif qu’il apparaît que la décision sur la question de droit est erronée.
Il n’était pas nécessaire, dans cette affaire, d’invoquer la proposition juridique énoncée par le vicomte Cave dans la dernière phrase de l’extrait cité plus haut, parce que dans l’affaire Absalom on est arrivé à la conclusion qu’aucune question de droit précise n’avait été soumise à l’arbitre.
L’énoncé du droit exposé dans l’arrêt Absalom, précité, avait été mentionné dans le jugement de cette Cour dans l’affaire Faubert and
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Watts c. Temagami Mining Co. Limited[16]. Encore une fois, on avait décidé dans cette affaire‑là qu’aucune question de droit précise n’avait été soumise aux arbitres et qu’il y avait une erreur de droit à la lecture de la sentence. On y avait appliqué le principe énoncé par Lord Russell of Killowen.
La proposition de droit du vicomte Cave avait été citée, et apparemment approuvée, dans l’affaire City of Vancouver c. Brandram-Henderson of B.C. Limited[17], par M. le Juge Locke, avec qui trois des quatre autres juges qui avaient entendu la cause avaient été d’accord.
Je ne serais pas prêt à dire que la Cour d’appel a commis une erreur en appliquant en l’espèce présente le principe énoncé par le vicomte Cave.
Il existe, cependant, un autre motif permettant d’infirmer la sentence de l’arbitre, et qui est qu’en l’espèce il n’y a pas eu de présentation d’une question de droit à l’arbitre à partir du principe que sa décision lierait les parties et ne serait pas susceptible de révision.
L’application du principe énoncé dans l’affaire Faubert and Watts a été examinée par cette Cour dans l’arrêt Bell Canada c. Office and Professional Employees’ International Union, Local 131[18]. Un grief avait été présenté alléguant qu’un employé avait été congédié sans motif juste. L’employeur prétendait que la question ne pouvait être soumise à l’arbitrage en vertu de la convention collective. Il avait été convenu que la seule question dont l’arbitre devait traiter lors de la première audition serait l’objection préliminaire. L’arbitre décida que la question pouvait être soumise à l’arbitrage. L’employeur tenta de faire infirmer la sentence. Sa requête fut rejetée et son appel devant la Cour d’appel de l’Ontario fut également rejeté, la Cour décidant qu’il y avait eu une présenta-
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tion d’une question de droit précise et que la sentence de l’arbitre ne pouvait être infirmée, même si elle était erronée en droit.
Le pourvoi devant cette Cour a été accueilli. M. le Juge Judson, énonçant l’avis de la majorité, déclara:
Il ne s’agit pas ici d’une affaire dans laquelle les parties ont convenu d’écarter le pouvoir des tribunaux de décider une question de droit, en choisissant de soumettre la question à un juge de leur propre choix. Cette affaire est survenue dans le cours ordinaire de l’audition d’un grief qui, selon l’employé, avait pour objet un congédiement et, selon la compagnie, une mise à la retraite avec pension. La lettre que la compagnie a écrite quand elle a consenti à la nomination de l’arbitre indique clairement qu’il y aurait une objection préliminaire quant à la compétence. C’est tout ce qui a été fait au cours de la première audition devant l’arbitre. Ce dernier a décidé de procéder à l’arbitrage. Rien n’empêchait la compagnie de demander à la Cour une révision immédiate de cette décision, une décision que la Cour aurait dû reviser et infirmer.
L’arrêt de la Cour d’appel dans la présente affaire a été rendu très peu de temps après celui qu’elle a rendu dans l’affaire Bell Canada, mais avant la décision de cette Cour dans la même affaire.
A mon avis, il ne s’agit pas en l’espèce présente d’un cas où les parties ont convenu «d’écarter le pouvoir des tribunaux de décider une question de droit», en choisissant de soumettre la question à un juge de leur propre création. La question de droit qui a été soulevée lors de l’arbitrage l’a été dans le cours ordinaire de l’audition d’un grief sous le régime des dispositions de la convention collective.
Il n’y a pas eu ici de demande conjointe faite par les parties à l’arbitre, en vue de faire décider pour eux une question de droit précise. La seule demande est celle qui est contenue dans le dernier alinéa de la lettre du 14 septembre 1970 adressée par le président de l’association au secrétaire exécutif du bureau, lequel a été cité plus haut. La prétention de l’association a été que le service, plus particulièrement le chef adjoint et (ou) la commission de police, avait violé la convention en faisant cesser les rete-
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nues des cotisations syndicales à l’égard des six inspecteurs. Cette question fut soumise à l’arbitre en vertu des dispositions de la convention collective régissant le règlement de tous les griefs. La solution comportait certainement une étude de l’interprétation de la convention, mais le compromis présenté à l’arbitre devait être décidé d’après le sens réel de la convention. Les parties ne s’étaient pas engagées à accepter sans réserve la décision de l’arbitre à l’égard de ce que la convention voulait dire.
C’est bien ce qu’illustrent les dispositions de la convention régissant les pouvoirs de l’arbitre. Il est prévu à la clause 17 de la convention de 1969 (clause qui n’a pas été modifiée par la convention de 1970) que l’arbitre n’aura pas le pouvoir d’ajouter, de retrancher, de changer, de modifier ni d’amender aucune partie de la convention, ni d’y ajouter, «ni de rendre autrement des décisions incompatibles avec la présente convention». L’arbitre, en rendant une décision sur le grief dont il était saisi, était obligé de rendre une décision compatible avec la convention. La question de savoir si cette décision est incompatible ou non avec la convention n’est certainement pas une question que l’arbitre lui-même peut trancher.
Par conséquent, à mon avis, la forme de compromis soumise à l’arbitre, considérée à la lumière des restrictions définies énoncées dans la convention quant aux pouvoirs de l’arbitre, ne peut être considérée comme un renvoi d’une question de droit précise que les parties ont convenu d’accepter comme liant les parties et qui, par conséquent, n’est pas sujet à révision pour erreur de droit à la lecture de la sentence.
Je souscris aux avis des deux cours d’instance inférieure selon lesquels il y avait erreur de droit à la lecture de la sentence.
La clause 1 de la convention de 1969 limite l’application de la convention aux membres de la sûreté de la région métropolitaine de Toronto visés à l’annexe «A» de cette convention-là. Le terme «membre» est défini comme désignant une personne qui détient un grade ou une classe mentionné à l’annexe «A».
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La clause 4 prévoit que le traitement annuel de chaque membre à compter du 1er janvier 1969 doit être conforme à l’annexe «A». L’annexe énumère les différents grades dans la sûreté ainsi que les taux de rémunération respectifs et heures de travail de chacun des grades, y compris les inspecteurs.
Cette clause a été abrogée par la clause 1 de la convention de 1970 et remplacée par une nouvelle clause 4 qui prévoit que «le traitement annuel de chaque membre, à compter du 7 avril 1970, doit être conforme à l’annexe «A» de la présente convention». La nouvelle annexe «A» n’inclut pas les inspecteurs.
A mon avis, à la suite de cette modification, un inspecteur n’est plus inclus dans la définition de «membre» en vertu de la convention. Autrement, et si un inspecteur pouvait être encore considéré comme un «membre», il n’y aurait aucune disposition fixant son traitement annuel, car la nouvelle clause 4 énonce que le traitement annuel de chaque «membre» doit être conforme à l’annexe «A» de la présente convention et l’annexe «A» ne contient aucune disposition prévoyant le traitement d’un inspecteur.
La clause 10 prévoit le paiement de cotisations à l’association par des «membres» qui peuvent être, ou peuvent ne pas être, membres de l’association. L’obligation de payer des cotisations s’applique seulement aux «membres». Une personne qui cesse d’être «membre» n’est plus assujettie à cette obligation.
En définitive, je suis d’avis que la Cour a eu raison de réviser la sentence pour erreur de droit à sa lecture. Une telle erreur existait et la Cour a infirmé à bon droit la sentence. Je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens.
LE JUGE SPENCE (dissident) — J’ai eu l’occasion d’étudier les motifs rédigés par M. le Juge en chef et par M. le Juge Martland et comme je ne puis souscrire complètement ni aux uns ni aux autres, je me dois d’exprimer mon point de vue.
D’abord, je suis totalement d’accord avec le Juge en chef que le grief en l’espèce est stricte-
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ment l’exposé d’une question de droit précise que l’on soumet à l’arbitre. Le Juge en chef exprime l’avis qu’il lui apparaît clair qu’il était clair pour l’arbitre et pour les cours d’instance inférieure qu’il n’y a entre les parties aucune contestation sur une question de fait. Il est clair pour moi aussi qu’il n’y avait qu’une seule question en litige et que cette question était uniquement une question de droit, soit celle de savoir si, selon l’interprétation des deux conventions lues une en regard de l’autre, les inspecteurs sont inclus aux fins de retenue des cotisations syndicales.
Les parties ont convenu que l’arbitre était un arbitre consensuel (consensual) et par conséquent nous avons à trancher la question étroite relative à l’étendue du pouvoir que peut avoir un tribunal de réviser la sentence de cet arbitre consensuel.
Dans l’arrêt Bell Canada c. Office and Professional Employee’s International Union, Local 131[19], la majorité de cette Cour, dont je faisais partie, a accueilli un appel de la Cour d’appel d’Ontario et infirmé la sentence de l’arbitre. Cette majorité-là, cependant, s’est fondée sur le fait que ce qu’on avait soumis à l’arbitre dans cette affaire-là était un grief général et non une question de droit précise relative à l’interprétation de la convention, bien que l’arbitre, dans le cours de sa décision, ait eu à interpréter la convention et à rendre une décision en droit à l’égard de celle-ci, et par conséquent une telle erreur de droit était révisable par la Cour. Le Juge Laskin, alors juge puîné, fut dissident pour le motif que ce qui était soumis à l’arbitre, qui était un arbitre consensuel, était une question de droit précise. Sur cette base, le Juge Laskin a étudié en détail les précédents anglais et canadiens traitant des pouvoirs des tribunaux de réviser la décision des arbitres consensuels et il a exprimé l’avis que cette Cour dans l’arrêt Faubert et Watts c. Temagami Mining Co. Ltd.[20], avait appliqué la conception plus étroite
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de l’étendue du pouvoir de révision des tribunaux adoptant l’énoncé formulé par Lord Russel dans l’arrêt Absalom Ltd. v. Great Western (London) Garden Village Society Ltd.[21], à la p. 607, plutôt que l’énoncé beaucoup plus étendu du Vicomte Cave dans Government of Kelantan v. Duff Development Co. Ltd.[22], à la p. 409. Le Juge en chef a réitéré cette conception dans ses motifs de jugement dans la présente affaire et je partage ce point de vue. Par conséquent, je suis d’avis que le pouvoir des tribunaux de réviser une décision sur une question de droit précise rendue par un arbitre consensuel est limité à des cas tels que ceux de partialité et de fraude et qu’aucun tribunal ne peut s’aviser de déterminer s’il doit réviser une sentence pour erreur de droit à la lecture de la sentence.
Je fais mienne l’opinion exprimée si succinctement par le Juge Channell dans l’arrêt Re King and Duveen[23], à la p. 36, [TRADUCTION] «Autrement, soumettre une question de droit à un arbitre serait toujours futile.»
Je souscris également au point de vue que le Juge en chef a exprimé dans l’arrêt Bell Canada c. Office and Professional Employee’s International Union, précité, et qu’il reprend dans ses motifs de jugement dans la présente affaire, à l’égard de la désirabilité de limiter aussi strictement que possible le pouvoir des tribunaux d’intervenir dans les sentences d’arbitres qui exercent leurs fonctions sous un régime autonome établi par convention collective.
Je suis par conséquent d’avis que les tribunaux, y inclus cette Cour, auraient dû s’abstenir d’infirmer la sentence de l’arbitre en raison d’une erreur de droit apparaissant à la lecture de la sentence. A mon avis, l’arbitre était admis à commettre cette erreur. Bien respectueusement, je diffère cependant d’avis avec le Juge en chef sur la question de savoir si une erreur de droit apparaît effectivement à la lecture de la sen-
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tence, et je souscris aux vues exprimées par le Juge Martland selon lesquelles il y a effectivement eu semblable erreur de droit. Je ne puis vraiment, quelque effort que je fasse, interpréter la convention collective de la façon que l’arbitre l’a fait. Je répète, cependant, que l’arbitre était admis à commettre ce que je considère une erreur de droit.
L’arbitre, s’appuyant sur un pouvoir qu’il a cru posséder, a également jugé bon de rectifier la convention. Je partage l’avis de la Cour d’appel de l’Ontario selon lequel l’exercice de ce prétendu droit de rectification va directement à l’encontre du texte de la clause 17 de la convention collective. Si la conclusion à laquelle en est venu l’arbitre avait été subordonnée à une rectification de la convention collective, j’aurais été fermement d’avis que la sentence outrepassait les pouvoirs de l’arbitre et était par conséquent nulle.
A mon avis, la sentence de l’arbitre n’est d’aucune façon subordonnée à un tel pouvoir de rectification mais dépend plutôt d’une interprétation de la convention collective.
En conséquence, je déciderais le pourvoi de la manière indiquée par le Juge en chef.
Le Juge Pigeon a souscrit au jugement du
JUGE BEETZ — M. le Juge en chef et M. le Juge Martland relatent les faits dans leurs motifs de jugement.
L’arbitre a clairement indiqué que les deux premiers motifs sur lesquels il fonde ses conclusions, c.-à-d. les termes de la convention et l’examen d’une preuve extrinsèque, n’étaient pas susceptibles d’être divisés mais étaient reliés l’un à l’autre. Il admet que l’interprétation qu’il donne aux termes de la convention comporte des difficultés et déclare sa conclusion [TRADUCTION] «considérablement raffermie par l’étude de la preuve extrinsèque de l’historique de la négociation.»
Je ne puis m’empêcher de penser qu’il aurait été incapable d’arriver à sa conclusion s’il ne s’était pas fondé sur cette preuve, qui consiste
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en un document exposant des propositions faites dans le cours des négociations.
Il n’y a pas lieu de rechercher si l’arbitre a raison de trouver de l’ambiguïté dans la convention collective qu’il doit interpréter. Si l’on devait accepter ce genre particulier de preuve extrinsèque, on rendrait continuellement renégociables les conventions rédigées et signées définitivement, et l’on détruirait la sécurité et l’utilité de la forme écrite.
Cette erreur, à mon avis, est assez grave pour priver l’arbitre de sa compétence, vicier sa sentence et la rendre sujette à révision.
Je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.
Appel rejeté avec dépens.
Procureurs des appelants: Armstrong & Maclean, Toronto.
Procureur de l’intimée: A.P.G. Joy, Toronto.
[1] [1972] 2 O.R. 793.
[2] [1969] R.C.S. 85.
[3] [1975] 1 R.C.S. 118.
[4] [1923] A.C. 395.
[5] (1973), 37 D.L.R. (3d) 561.
[6] [1960] R.C.S. 235.
[7] [1933] A.C. 592.
[8] [1960] R.C.S. 539.
[9] (1915), 84 L.J.K.B. 2221.
[10] (1927), 33 A.L.R. 245.
[11] [1972-73] A.L.R. 349.
[12] [1957] O.R. 316.
[13] [1923] A.C. 395.
[14] [1913] 2. K.B. 32.
[15] [1933] A.C. 592.
[16] [1960] R.C.S. 235.
[17] [1960] R.C.S. 539.
[18] [1974] R.C.S. 335.
[19] [1974] R.C.S. 335.
[20] [1960] R.C.S. 235.
[21] [1933] A.C. 592.
[22] [1923] A.C. 395.
[23] [1913] 2 K.B.32.