Cour suprême du Canada
Ville de Montréal c. Esquire Club Inc. et al., [1975] 2 R.C.S. 32
Date: 1974-04-29
La Ville De Montréal Appelante;
et
Esquire Club Inc. Intimée;
et
La Cour municipale de la Ville de Montréal Mise-en-cause.
1974: le 26 mars; 1974: le 29 avril.
Presents: Le Juge en chef Laskin et les Juges Judson, Pigeon, Beetz et de Grandpré.
EN APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE, PROVINCE DE QUÉBEC
APPEL d’un jugement de la Cour du Banc de la Reine, province de Québec, confirmant un jugement de la Cour supérieure. Jugement dont appel modifié pour ordonner de surseoir à l’audition de toute nouvelle sommation signifiée à l’intimée à la demande de l’appelante pour les mêmes fins.
R. Bilodeau, pour l’appelante.
J.P. Ste-Marie, c.r., pour l’intimée.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE DE GRANPRE — L’appelante nous demande de modifier le jugement de la Cour d’appel confirmant celui de la Cour supérieure. Celle-ci a accordé une requête pour émission d’un bref de mandamus.
Aux conclusions en mandamus, l’intimé a greffé deux accessoires:
(1) surseoir à l’audition de toute sommation déjà signifiée au Club et
(2) surseoir au dépôt de toute plainte supplémentaire contre le Club, ainsi qu’à l’émission de toute nouvelle sommation.
Devant cette Cour, la Ville ne se plaint pas de cette partie du jugement qui accorde l’émission d’un bref de mandamus. Elle ne se plaint pas non plus de la première des deux autres conclusions, ordonnant de surseoir à l’audition des sommations déjà signifiées au Club. La Ville, toutefois, s’appuyant sur l’art. 758 du Code de procédure civile, nous demande de modifier le jugement dont appel et d’en radier la référence aux plaintes et sommations supplémentaires.
[Page 34]
Les difficultés entre les parties remontent à plusieurs années et le résumé des faits allégués dans la requête le démontre à l’évidence:
1) Le Club est ouvert depuis de nombreuses années et jusqu’au 30 avril 1963 avait obtenu de la Ville le permis requis par les règlements municipaux;
2) en 1963, le renouvellement de ce permis fut refusé par la Ville, ce qui donna naissance à des procédures en mandamus qui, par la faute des deux parties, sont encore pendantes;
3) depuis 1963, nonobstant l’absence du permis, le Club a payé à la Ville toutes les taxes, surtaxes et autres impositions fiscales pertinentes;
4) de 1963 à 1970, nonobstant l’absence de permis, l’exploitation du Club ne fut pas gênée par la Ville;
5) toutefois, entre le 21 mai et le 21 septembre 1970, environ 137 sommations furent signifiées au Club à la demande de la Ville, pour avoir «opéré» un commerce sans détenir le permis requis par les règlements.
D’où les procédures qui nous sont maintenant soumises, procédures qui en sont toujours au stade préliminaire, savoir l’émission du bref de mandamus.
En Cour supérieure, la Ville fit défaut de comparaître et le jugement, tel que ci-haut mentionné, non seulement autorisa l’émission et la signification du bref, mais prononça les ordannances suivantes:
ORDONNE à l’intimée de surseoir au dépôt de toute plainte supplémentaire contre la requérante, pour présumées infractions au règlement n° 2820 des règlements municipaux de l’intimée;
ORDONNE à la mise-en-cause de surseoir, jusqu’à ce que jugement final soit rendu sur la présente instance, à l’audition de toute sommation déjà signifiée à la requérante par l’intimée, ainsi qu’à l’émission de toute nouvelle sommation pour les mêmes fins;
Ce jugement fut confirmé à l’unanimité par la Cour d’appel. Il convient de citer ici les trois paragraphes pertinents des notes de M. le Juge en chef:
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Devant nous, la Ville ne s’oppose pas à l’émission du bref. Elle ne conteste que l’ordonnance de sursis. Son seul argument, c’est que cette ordonnance constitue une injonction pour empêcher des procédures judiciaires contrairement à l’article 758 C.P.
D’abord, ce n’est pas une injonction, mais un mandamus. Il est reconnu que la Cour supérieure peut, à l’occasion d’une demande d’évocation suivant l’article 846 C.P., ordonner la suspension des procédures devant un tribunal inférieur. Je ne vois pas pourquoi elle ne pourrait pas le faire à l’occasion d’un mandamus.
De plus, dans le cas présent, je crois qu’elle eut raison de le faire. Si la Ville avait fait diligence pour presser les procédures en mandamus intentées en 1963, la question serait décidée depuis longtemps. Elle peut encore le faire. Il me paraîtrait injuste de soumettre entre-temps Esquire à d’innombrables poursuites devant la Cour municipale.
J’ai beaucoup d’hésitation à appliquer à cette demande de mandamus les règles régissant les demandes d’évocation. Je crois que ce sont là deux domaines différents, d’autant plus que cette comparaison peut difficilement s’appliquer à des procédures qui ne sont pas encore intentées, ce qui est le seul problème qui nous est soumis. Cette comparaison nous entraînerait aussi dans une étude du sens et de la portée de l’art. 758 C.p., étude qui ne m’apparaît pas opportune en l’espèce.
Au fond, ce que les parties de part et d’autre sont désireuses d’accomplir est de ne pas être obligées de s’affronter en Cour municipale avant que le bien-fondé des prétentions du Club n’ait été déterminé de façon définitive sur le mandamus. Pour en arriver à ce résultat, tout en protégeant la Ville contre les effets de la prescription, il suffit de modifier le jugement dont appel pour ordonner à la mise-en-cause de surseoir, jusqu’à ce que le jugement final soit rendu sur la présente instance, non seulement à l’audition de toute sommation déjà signifiée au Club pour présumées infractions au règlement n° 2820 des règlements municipaux de la Ville, mais aussi à l’audition de toute nouvelle sommation signifiée au Club à la demande de la Ville pour les mêmes fins.
[Page 36]
Vu les circonstances, il n’y aura pas d’adjudication quant aux frais devant cette Cour.
Jugement en conséquence. Pas d’adjudication quant aux frais.
Procureurs de l’appelante: Côté, Péloquin, Normandin & Bouchard, Montréal.
Procureurs de l’intimée: Ste-Marie & Giroux, Montréal.