Cour suprême du Canada
Lapointe c. Klint, [1975] 2 R.C.S. 539
Date: 1974-06-28
Pierre Lapointe Appelant;
et
Dame Vibeke Klint Intimée.
1974: le 26 mars; 1974: le 28 juin.
Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Judson, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré.
EN APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE, PROVINCE DE QUÉBEC
APPEL d’un jugement de la Cour du banc de la reine, province de Québec[1], rejetant un appel d’un jugement de la Cour supérieure. Appel rejeté avec dépens.
J. Richard, pour l’appelant.
J.M. Gagné et R. Barakett, pour l’intimée.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE MARTLAND — L’appel est à l’encontre de l’arrêt unanime de la Cour d’appel de la province de Québec qui a rejeté l’appel formé par l’appelant à l’encontre d’un jugement de la Cour supérieure lui refusant la demande de rejet qu’il avait opposée, sur une question de droit préliminaire, à la requête de l’intimée concluant à l’octroi d’une allocation d’entretien.
Les parties au présent appel se sont mariées le 28 octobre 1968 et se sont installées à Montréal. Le 18 août 1969 l’intimée, c’est-à-dire l’épouse, intentait une action en séparation de corps. Le 23 septembre de cette année-là elle obtenait une ordonnance lui octroyant des aliments à titre provisoire, au montant de $40 par semaine.
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Le 18 mars 1970 l’appelant, c’est-à-dire l’époux, présentait une requête en divorce. Le 16 juin 1970, l’épouse demandait que son mari lui verse une allocation d’entretien. Cette demande présentable le 17 juin a été continuée au 25 juin puis au 6 juillet, date où elle a été rayée en raison de l’absence de l’épouse. Le mari, dans les procédures de divorce, a obtenu un jugement conditionnel le 6 novembre 1970. Son épouse, se trouvant alors à Tokyo, s’est fait représenter par un avocat. Le jugement conditionnel prévoyait: «Autres droits réservés.»
Le mari a obtenu le jugement irrévocable le 8 février 1971. Celui-ci précisait, après avoir déclaré que les parties étaient divorcées, que: «LA COUR RÉSERVE tous autres recours.» Le 23 mars, l’épouse présentait une requête pour allocation d’entretien, datée du 9 mars. Elle était étayée de sa déclaration sous serment, dont les paragraphes 4 à 7 se lisent comme suit:
4e. La requérante n’a pu présenter la requête pour pension alimentaire dans la présente cause dû au fait que lorsque la requête pour divorce a été plaidée, la requérante se trouvait à Tokyo et qu’il lui était impossible de se rendre à Montréal;
5e. La requérante a besoin pour vivre d’une pension alimentaire de $100.00 par semaine;
6e. L’intimé a les moyens de payer à la requérante une pension alimentaire de $100.00 par semaine;
7e. La requête est bien fondée en fait et en droit.
L’époux a alors soulevé la question de droit objet de cet appel, quant au droit de son épouse à l’obtention après la dissolution du mariage d’une ordonnance relative à l’entretien, du fait qu’il n’existait pas dans le jugement de divorce de disposition ordonnant des mesures accessoires en faveur de l’épouse.
Le pouvoir de la cour d’accorder des mesures accessoires relativement à des procédures de divorce est défini à l’art. 11, par. (1) de la Loi sur le divorce, c. D-8, S.R.C. 1970, ci-après appelée «la Loi», dont voici les extraits pertinents:
11. (1) En prononçant un jugement conditionnel de divorce, le tribunal peut, s’il l’estime juste et approprié, compte tenu de la conduite des parties
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ainsi que de l’état et des facultés de chacune d’elles et des autres circonstances dans lesquelles elles se trouvent, rendre une ou plusieurs des ordonnances suivantes, savoir:
a) une ordonnance enjoignant au mari d’assurer l’obtention ou d’effectuer le paiement de la somme globale ou des sommes échelonnées que le tribunal estime raisonnables pour l’entretien
(i) de l’épouse,
…
Cette cour a étudié dans l’arrêt Zacks c. Zacks[2], l’application de ce paragraphe. On y a rejeté la prétention du mari selon laquelle une ordonnance d’allocation d’entretien en vertu de l’art. 11, par. (1) n’aurait dû être rendue qu’en même temps que le jugement conditionnel. On a statué que les mots «En prononçant un jugement conditionnel de divorce» désignaient le moment où la cour acquérait juridiction pour accorder des mesures accessoires. Dans cette affaire-là, le tribunal avait déclaré, en prononçant le jugement conditionnel, que l’épouse avait droit à l’entretien, mais il avait renvoyé au registraire, pour qu’il fasse une recommandation, la question du montant de l’allocation qu’il convenait d’accorder. Ce montant n’avait pas encore été fixé lors du prononcé du jugement irrévocable.
A l’avant-dernier paragraphe des motifs rédigés dans l’arrêt Zacks, on trouve le passage suivant, à la p. 914:
L’avocat représentant le procureur général du Canada nous a invités à décider, en interprétant le sens du mot «en» figurant à l’art. 11, par. (1), que le tribunal, dans tous les cas où un jugement conditionnel de divorce a déjà été prononcé, peut rendre à n’importe quel moment par la suite une ordonnance relative à la pension alimentaire, à l’entretien et à la garde des enfants. On a allégué que le laps de temps écoulé après le prononcé du jugement conditionnel, ou le prononcé d’un jugement irrévocable intervenu dans l’intervalle, avant qu’une telle ordonnance soit demandée, ne sont que des facteurs à être examinés par le tribunal saisi de la demande. Il n’est pas nécessaire en l’espèce, et il ne serait pas non plus, à mon avis, souhaitable de cautionner un énoncé si général. Dans le présent appel, il est vrai qu’un juge-
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ment irrévocable a été prononcé, mais le droit à l’entretien avait été reconnu au moment du jugement conditionnel, et la procédure pour en fixer le montant avait été entamée avant le prononcé du jugement irrévocable. Ce que serait la situation si aucune réclamation en vue d’obtenir une pension alimentaire, une allocation d’entretien ou la garde des enfants n’avait été faite sauf après le prononcé d’un jugement irrévocable, ou si une demande à cette fin avait été rejetée lors du prononcé du jugement conditionnel, n’est pas en litige dans la présente affaire et je n’exprimerai aucune opinion là-dessus.
En l’espèce, aucune déclaration reconnaissant le droit à l’entretien n’a été faite, que ce soit dans le jugement conditionnel ou dans le jugement irrévocable, mais les expressions «Autres droits réservés» et «LA COUR RÉSERVE tous autres recours» apparaissent respectivement dans ces jugements. Le juge d’appel Rinfret, dans les motifs qu’il a rédigés en Cour d’appel, propose une explication quant au pourquoi de l’inclusion de ces réserves-là dans les jugements:
J’ignore la raison précise pour laquelle les deux juges ont fait cette réserve mais je peux imaginer que cela peut être en raison de l’existence d’une requête pour pension alimentaire de la part de l’intimée, produite le 16 juin 1970, présentable le 17 juin, continuée au 25 juin et encore au 6 juillet alors qu’elle a été rayée en raison de l’absence de l’intimée et sur laquelle, par conséquent, il n’y a eu aucune adjudication.
Dans la requête pour pension présentement devant la Cour, l’intimée allègue qu’elle n’a pas pu présenter sa première requête dû au fait que lorsque la requête pour divorce a été plaidée, elle se trouvait à Tokyo et qu’il lui a été impossible de se rendre à Montréal.
Elle appuie cette affirmation par son affidavit.
Vu la réserve de tous ses autres droits consignée aux jugements conditionnel et irrévocable, je suis d’avis que la requérante, présente intimée, n’est pas empêchée de présenter sa demande même après les jugements.
Il faut noter que la demande de l’épouse relativement à l’entretien a été présentée promptement après le prononcé du jugement irrévocable.
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Il ne s’agit pas d’un cas où la question de l’entretien n’avait pas du tout été soulevée au moment du prononcé du jugement conditionnel, ni d’un cas où une demande d’entretien avait été rejetée. L’épouse avait déposé une demande d’entretien avant le prononcé du jugement conditionnel mais celle-ci avait été rayée, non pas parce qu’elle n’était pas fondée mais parce que l’intimée, se trouvant à Tokyo, était absente. Le tribunal, lors du prononcé du jugement conditionnel, n’a pu rendre d’ordonnance du fait de cette absence, mais vu les observations faites par l’avocat de l’épouse, la question a été réservée, comme elle l’a été également dans le jugement irrévocable. La question qui se pose alors est celle de savoir si, compte tenu de ces circonstances, le tribunal est empêché, en droit, de se prononcer sur la question de l’entretien une fois le mariage définitivement dissout.
A ce sujet, l’avocat du mari se fonde sur le par. (3) de l’art. 13 de la Loi qui prévoit que:
(3) Lorsqu’un jugement conditionnel de divorce a été prononcé mais n’est pas devenu irrévocable, toute personne peut exposer au tribunal des raisons pour lesquelles le jugement ne devrait pas devenir irrévocable, du fait qu’il a été obtenu par collusion, du fait de la réconciliation des parties ou de tous autres faits pertinents, et dans un tel cas le tribunal peut, par ordonnance,
a) rescinder le jugement conditionnel;
b) ordonner un complément d’enquête; ou
c) rendre telle autre ordonnance que le tribunal estime appropriée.
Se référant à ce paragraphe, M. le juge Verchere déclarait, dans l’affaire McKay and McKay[3], à la p. 128:
[TRADUCTION] Je ne peux refuser de tenir compte de l’intention manifeste du par. (3) de l’art. 13 d’interdire toute ordonnance ou enquête supplémentaire après qu’un jugement conditionnel est devenu irrévocable.
Avec respect, je ne suis pas d’accord avec cette interprétation du par. (3) de l’art. 13. Ce paragraphe ne concerne que les dispositions du jugement conditionnel de divorce, comme l’indi-
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quent ses premiers mots. Je ne l’interprète pas comme voulant limiter à la période s’écoulant entre le jugement conditionnel et le jugement irrévocable le pouvoir du tribunal d’octroyer des mesures accessoires. Une telle interprétation serait contraire à la décision rendue dans l’affaire Zacks, qui a reconnu le pouvoir du tribunal de rendre après le prononcé du jugement irrévocable une ordonnance fixant l’entretien. Je ne trouve rien dans la Loi qui empêche le tribunal de retarder l’examen de la question de l’entretien, comme il l’a fait en l’espèce.
J’estime que la question de l’octroi de l’entretien, bien que secondaire et liée au prononcé d’un jugement de divorce, peut être jugée par le tribunal indépendamment de la question de l’octroi d’un tel jugement de divorce. Si le tribunal décide qu’une partie aux procédures de divorce a droit à l’entretien, ou a droit à ce que soit tranchée une telle question, son pouvoir de déterminer si ce droit existe ne l’empêche pas de dissoudre le mariage, mais une telle dissolution n’interdira pas au tribunal de traiter par la suite de l’aspect relatif aux mesures accessoires. C’est du fait qu’on dissout le mariage qu’interviennent le pouvoir et la nécessité de déterminer si l’une des parties au mariage a droit à une allocation d’entretien. Le tribunal ayant obtenu la compétence de se prononcer sur cette question lors du prononcé du jugement conditionnel, il n’est pas, en l’absence d’une disposition expresse à l’effet contraire dans la Loi, privé du pouvoir de traiter de la question dont il a été saisi parce que le jugement est rendu irrévocable, si cette question est toujours en suspens.
Je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens.
Appel rejeté avec dépens.
Procureur de l’appelant: Jacques Richard, Ville St-Laurent.
Procureurs de l’intimée: Monette, Clerk, Michaud, Barakett, Levesque & Guerette, Montréal.
[1] [1973] C.A. 452.
[2] [1973] R.C.S. 891.
[3] (1972), 23 D.L.R. (3d) 126.