Synthèse
Référence neutre : [1975] 1 R.C.S. 677
Date de la décision :
01/10/1974Sens de l'arrêt :
Le pourvoi doit être accueilli avec dépens
Analyses
Évaluation - Immeuble - Évaluation à la valeur marchande, à la valeur réelle - Principe énoncé de nouveau - Valeur marchande et valeur réelle synonymes dans la législation relative à l’évaluation - The Assessment Act, R.S.O. 1960, c. 23, art. 35 - The Assessment Act, 1 (Ont.), c. 6, art. 27.
L’art. 35 de The Assessment Act, R.S.O. 1960, c. 23 exigeait que l’évaluation d’un immeuble soit faite a la «valeur réelle», alors que l’Assessment Act 1968-69, (Ont.), c. 6, (maintenant R.S.O. 1970, c. 32) emploie, à l’art. 27, l’expression «valeur marchande». L’évaluateur a employé, et la commission municipale confirmé, dans des circonstances où la propriété était peu susceptible d’être facilement vendable sur le marché vu son utilisation et son emplacement, où la propriété n’était pas destinée à être mise sur le marché et où la propriété était entièrement convenable aux fins pour lesquelles elle était utilisée, la méthode du coût de remplacement déprécié plutôt que la méthode comparative basée sur les données du marché. La Cour d’appel a été d’avis contraire.
Arrêt: Le pourvoi doit être accueilli avec dépens.
La substitution de l’exigence de l’évaluation de la propriété foncière à sa «valeur marchande» plutôt qu’à sa «valeur réelle», seule différence entre l’Assessment Act, R.S.O. 1960, c. 23, et l’Assessment Act, 1968-69 (Ont.) c. 6 (maintenant R.S.O. 1970, c. 32), ne change pas la base de l’évaluation des biens imposables. Les tribunaux ont toujours statué que ces expressions, telles qu’utilisées dans la législation relative à l’évaluation, sont interchangeables et synonymes. Le principe selon lequel peut être appréciée la valeur «réelle» ou «marchande» est bien
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énoncé dans l’arrêt Montreal v. Sun Life Assurance Co. of Canada, [1952] 2 D.L.R. 81. Le propriétaire doit être considéré comme un acheteur possible ou une estimation doit être faite de ce qu’il serait prêt à dépenser sur un bâtiment pour remplacer celui qu’on évalue.
Arrêt appliqué: Montreal v. Sun Life Assurance Co. of Canada, [1952] 2 D.L.R. 81.
POURVOIS à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario[1] accueillant les appels de décisions de la commission municipale de l’Ontario confirmant des évaluations établies pour les années d’imposition 1970 et 1971. Pourvois accueillis, décisions de la commission municipale confirmées, avec dépens.
B. Chernos, c.r., et R.M. Syer, pour les appelants.
Dennis Lane, c.r., pour les intimés.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE JUDSON — Nous sommes saisis de deux appels concernant deux évaluations de bâtiment faites en 1969 et 1970 pour imposition durant les années 1970 et 1971. L’évaluation de 1969 était au montant de $655,600. Sur appel au juge de la Cour de comté, cette évaluation a été réduite à $300,000. Un appel subséquent à la commission municipale a fait porter l’évaluation à $663,200. La cour d’appel a renvoyé l’évaluation à la commission municipale pour nouvelle audition conformément à certains principes qu’a formulés la Cour. L’évaluation de 1970 pour imposition durant l’année 1971 a suivi le même cours sauf que l’appel au juge de la Cour de comté a été omis.
L’évaluation de 1969 a été faite en vertu de l’art. 35 de l’Assessment Act, R.S.O. 1960, c. 23, qui exigeait que l’évaluation soit faite à la valeur réelle et obligeait l’évaluateur [TRADUCTION] «en évaluant les terrains bâtis, (à) apprécier la valeur du terrain et du bâtiment en tenant compte de l’utilisation présente, de l’emplacement, du coût de remplacement, de la valeur locative, de la valeur de vente, et des autres
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circonstances influant sur la valeur…». L’évaluation de 1970 a été faite en vertu de l’art. 27 de l’Assessment Act, 1968-69 (Ont.), c. 6, qui exigeait que l’évaluation soit à la valeur marchande et obligeait l’évaluateur à faire en sorte que [TRADUCTION] «la valeur marchande du terrain évalué soit ce qu’un vendeur qui veut vendre peut s’attendre de réaliser s’il le vend sur le marché libre à un acheteur qui veut acheter». Les deux évaluations ont été faites, et toute la preuve de l’appelante devant la commission a été offerte, à partir du principe que la valeur réelle et la valeur marchande, en l’espèce, étaient des termes juridiques interchangeables.
Les évaluations de 1969 et 1970 afférentes au bâtiment ont été faites sur la base du coût de remplacement déprécié. L’évaluateur a fait son évaluation en utilisant le manuel d’évaluation provinciale qui était basé sur des coûts réels vérifiés par le marché, et uniformément appliqué par tout le comté.
Le bâtiment en question est un immeuble moderne sans étage dans le village de Holland Landing dans le comté de York. Il convient entièrement aux fins pour lesquelles il est présentement utilisé. Il a été construit en quatre stades comme suit: 20,664 pi. car. en 1949, 36,240 pi. car. en 1956; 86,976 pi. car. en 1967, et environ 57,000 pi. car. commencés vers la fin de 1970 et complétés tôt en 1971. L’addition mentionnée en dernier lieu a été construite après les évaluations maintenant en litige.
Office Specialty Limited a commencé ses affaires dans la ville de Newmarket. Le transfert de ses opérations de cette ville-là au nouvel immeuble à Holland Landing a été lent et s’est fait par étapes; il a été complété en 1967.
La difficulté qui nous fait face est clairement énoncée dans les motifs rédigés par la commission municipale dans les termes suivants:
[TRADUCTION] Premièrement, il est tenu compte de l’effet de la nouvelle législation sur l’évaluation des biens-fonds. Un appel est porté en vertu de l’Assessment Act, R.S.O. 1960 modifié et le second appel est régi par la nouvelle loi, l’Assessment Act, 1968-69 modifié. Conformément aux dispositions de
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l’ancienne loi, l’évaluation doit être faite suivant la valeur réelle, que les tribunaux ont dit être la valeur marchande. La nouvelle loi dit spécifiquement que l’évaluation sera faite à la valeur marchande et cette expression est définie comme étant le montant qu’un vendeur qui veut vendre peut s’attendre de réaliser s’il vend le terrain sur le marché libre à un acheteur qui veut acheter. Ce principe a longtemps été accepté comme le critère à suivre en déterminant la valeur marchande, et la commission a par conséquent conclu qu’il n’y a aucune distinction utile à faire entre la valeur réelle telle qu’énumérée dans l’ancienne loi et la valeur marchande telle qu’énoncée dans la nouvelle législation.
La question de base en l’espèce est de savoir, en fixant l’évaluation conformément à la valeur marchande, si l’évaluateur peut établir cette valeur en utilisant un manuel de taux pour déterminer le coût de remplacement déprécié, lorsque la propriété, si elle était mise sur le marché et qu’une vente fût effectivement consommée, rapporterait le plus probablement une somme considérablement moindre que ce coût de remplacement déprécié. Les agents immobiliers cités par Office Specialty Limited sont naturellement plus au courant des tendances courantes des prix afférents aux propriétés industrielles dans le secteur, et si la propriété en cause était vacante et inutilisée à ce moment, la commission serait dans une meilleure position pour donner effet aux conditions dépressives du marché. Cependant, la contribuable utilisait la propriété à son plein potentiel et d’après la preuve présentée l’activité manufacturière légère à laquelle on se livre semble être viable et efficace. La compagnie doit être incluse comme un acheteur possible d’une telle propriété si elle était offerte en vente, ce qui aurait une portée sur la détermination du prix qu’un acheteur qui veut acheter paierait pour les biens-fonds en cause s’ils étaient offerts sur le marché libre. Le marché libre tel qu’envisagé par la loi veut dire un marché normal avec suffisamment d’acheteurs et de vendeurs pour produire un climat de concurrence. Lorsque pour une raison ou pour une autre le marché concurrentiel n’est pas disponible, l’évaluateur doit établir l’évaluation de la propriété en utilisant quelque autre méthode raisonnable. Dans le présent cas, la méthode du coût de remplacement a été choisie comme étant une procédure convenable. On a fait savoir à la commission que cette méthode est utilisée pour d’autres propriétés industrielles dans la municipalité, et fournit une répartition raisonnable du fardeau des coûts municipaux parmi les catégories d’utilisation résidentielle, commerciale et industrielle.
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On n’a pas démontré avec succès que les taux utilisés en calculant le coût de remplacement étaient erronés de quelque manière. La commission a conclu qu’en vertu des circonstances cette méthode est la bonne pour cette propriété, au moins jusqu’à ce que plus de données de marché ne deviennent disponibles. Le commissaire à l’évaluation, à titre d’appelant pour l’évaluation qui a été faite en 1969 en vue de l’année d’imposition 1970, s’est par conséquent déchargé du fardeau qui lui incombait dans le présent appel.
Je suis d’avis que la commission municipale a eu raison de statuer que la preuve devant elle prouvait que la méthode des données de marché dans le cas présent ne pouvait pas être utilisée pour déterminer la valeur réelle ou la valeur marchande. La Cour d’appel a été d’avis contraire. Je ne puis accepter cette façon de voir la preuve. Des témoins ont dit clairement qu’on ne trouverait probablement pas d’acheteur pour le bâtiment en question aux fins de l’utilisation qui en est présentement faite. Cela était entièrement attribuable au fait que le bâtiment se trouvait dans un petit village comme Holland Landing.
Ce bâtiment ne sera pas mis sur le marché. Il est entièrement convenable pour l’entreprise qui est présentement exploitée et il est significatif qu’il était en voie d’être agrandi par sa propriétaire pendant que les appels présents étaient en instance.
Je suis respectueusement d’avis que la Cour d’appel a également fait erreur en caractérisant l’Assessment Act, 1968-69 comme [TRADUCTION] «une approche de base nouvelle dans le domaine de l’évaluation de biens imposables à des fins d’imposition municipale. (qui). doit être reconnue dans l’interprétation du nouveau texte législatif», et en disant qu’il y avait «une différence fondamentale entre les deux lois.» En fait, la seule différence entre l’Assessment Act, R.S.O. 1960, et l’Assessment Act, 1968-69, autant que l’évaluation ou l’estimation de la propriété foncière est concernée, réside dans la substitution de l’exigence de l’évaluation de la propriété foncière à sa valeur marchande à l’exigence de l’évaluation à la valeur réelle. Et cela n’était pas un changement, car les tribunaux avaient jusque-là statué que les
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expressions, telles qu’utilisées dans la législation relative à l’évaluation, étaient interchangeables et synonymes.
Comment un évaluateur détermine-t-il la valeur «réelle» ou «marchande» d’après les faits de la présente espèce? Il s’agit d’un bâtiment moderne, standard, sans étage, mal situé pour un acheteur en général mais entièrement convenable et satisfaisant pour sa propriétaire. Il n’est pas en vente actuellement et il est peu probable qu’il le sera. Je pense qu’en appréciant la valeur «réelle» ou «marchande», un évaluateur doit considérer le propriétaire comme un acheteur possible ou estimer ce qu’il dépenserait sur un bâtiment pour remplacer celui qu’on évalue.
Le principe est bien énoncé dans l’arrêt Montreal v. Sun Life Assurance Co. of Canada[2], à la p. 90, dans les termes suivants:
[TRADUCTION] Leurs Seigneuries conviendraient que lorsqu’une vente n’est pas envisagée, voire lorsqu’elle serait difficile, ce qu’on a appelé le marchandage du marché n’est pas un élément qui porte beaucoup à conséquence, mais il n’empêche que le but à atteindre est de trouver une valeur d’échange pour la propriété, c.-à-d., le prix auquel la propriété est vendable. En arrivant à leur conclusion les membres du tribunal désigné doivent tenir compte pas seulement du montant qu’un acheteur donnerait mais aussi de la somme à laquelle le propriétaire vendrait. Ce que serait cette somme est mieux déterminé, comme les précédents l’indiquent, si on considère ce dernier comme un des acheteurs possibles, ou si on estime ce qu’il serait prêt à dépenser sur un bâtiment pour remplacer celui qu’on évalue. Mais le propriétaire doit être considéré comme tout autre acheteur et le prix qu’il donnerait calculé non pas d’après une quelconque valeur subjective pour lui mais d’après les principes ordinaires, c.-à-d., ce qu’il serait prêt à payer, s’il entrait sur le marché, pour un bâtiment conforme à ses exigences, ou ce qu’il serait prêt à payer pour ériger un bâtiment à la place de celui qu’on évalue.
Je suis d’avis d’accueillir les appels et de confirmer les décisions de la commission municipale. La municipalité a droit à ses dépens dans toutes les cours.
Appel accueilli avec dépens.
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Procureurs des appelants: Feigman & Chernos, Toronto.
Procureurs des intimés: Osler, Haskin & Harcourt, Toronto.
[1] [1973] 1 O.R. 181, sous le nom Re Official Specialty Ltd. and Regional Assessment Commissioner, Region No 14 et al.
[2] [1952] 2 D.L.R. 81.
Parties
Demandeurs :
Regional Assessment Commissioner Region No. 14Défendeurs :
Office Specialty Ltd. et al.Proposition de citation de la décision:
Regional Assessment Commissioner Region No. 14 c. Office Specialty Ltd. et al., [1975] 1 R.C.S. 677 (1 octobre 1974)
Origine de la décision
Date de l'import :
06/04/2012Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1974-10-01;.1975..1.r.c.s..677