Cour suprême du Canada
Ministre du Revenu National c. Bethlehem Copper Corp. Ltd., [1975] 2 R.C.S. 790
Date: 1974-10-01
Le Ministre du Revenu National Appelant;
et
Bethlehem Copper Corporation Ltd. Intimée.
1974: les 25 et 26 février; 1974: le 1er octobre.
Présents: Les juges Martland, Judson, Pigeon, Dickson et Beetz.
EN APPEL DE LA COUR D’APPEL FÉDÉRALE
APPEL d’un jugement de la Cour d’appel fédérale[1] rejetant un appel du Ministre à l’encontre d’un jugement de première instance accueillant un appel d’une cotisation sur le revenu. Appel rejeté.
J.A. Scollin, c.r., et M.J. Bonner, pour l’appelant.
B.W.F. McLoughlin, c.r., et J. Bruk, pour l’intimée.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE MARTLAND — Cet appel est à rencontre d’un jugement de la Cour d’appel fédérale, qui a rejeté un appel que l’appelant, ci-après appelé «le Ministre», a interjeté à rencontre d’un jugement de première instance prononcé en faveur de l’intimée, ci-après appelée «la Compagnie». Celle-ci en avait appelé de la cotisation établie sur son revenu par le Ministre pour l’exercice financier terminé le 28 février 1967.
La Compagnie a été constituée en corporation en 1955, sous le régime des lois de la Colombie-Britannique, dans le but de faire l’exploration et le dragage de certains claims cuprifères situés dans la région de Highland Valley, dite province. Les deux premières années, les travaux d’exploration et de sondage se sont effectués principalement dans les zones que les rapports annuels de la Compagnie de 1956 et de 1957 appellent zone Iona et zone Jersey. Le juge de première instance a conclu que dès 1958 on reconnaissait qu’il y avait deux gisements dans la zone Jersey — le gisement Jersey et le gisement East Jersey.
En avril 1958, les experts-conseils de la Compagnie recommandèrent que [TRADUCTION] «avant de faire une évaluation précise de la teneur en minerai, on procède à un vaste programme souterrain d’échantillonnage en vrac», ce qui devait nécessiter «surtout des forages au diamant, le sondage percutant ayant été concen-
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tré surtout dans les zones de Jersey et de East Jersey, et ayant révélé l’existence de deux gisements importants et distincts». La Compagnie adjugea un contrat prévoyant la construction d’une galerie à flanc de coteau à travers les gisements de Jersey et de East Jersey ainsi que la mise en œuvre d’un programme d’exploration.
En février 1960, la Compagnie conclut un accord avec certains financiers japonais («les compagnies Sumitomo») afin d’exploiter les gisements sans délai. L’accord prévoyait la vente à Sumitomo d’actions de la Compagnie, moyennant quoi celle-ci compléterait l’exploration des gisements miniers et, en particulier, l’exploration d’une formation irrégulière située entre les zones Jersey et East Jersey, laquelle, si on y avait trouvé suffisamment de minerai à teneur commerciale, aurait pu nécessiter un puits desservant ou incluant toutes les trois zones. Il semble qu’ayant exploré le terrain entre la zone de Jersey et la zone de East Jersey et ayant trouvé des roches insuffisamment minéralisées, la Compagnie ait dû, pour des nécessités d’ordre économique, aménager chacune des zones Jersey et East Jersey séparément.
En 1961, Wright Engineers Limited, une firme d’ingénieurs-conseils engagée par la Compagnie, a préparé un plan de production et une analyse économique. Ce rapport décrivait les différences entre les zones Jersey et East Jersey du point de vue de la roche et du minerai et envisageait la construction d’un broyeur et d’une usine d’une capacité de 3,000 tonnes par jour alimentés d’abord par le minerai provenant de la zone East Jersey. Le rapport envisageait aussi une augmentation ultérieure de la capacité de l’usine pour rendre rentable la manutention de minerai à partir de la zone Jersey. L’extraction devait se faire à ciel ouvert et deux puits étaient prévus, l’un pour East Jersey et l’autre pour Jersey.
Sur la base de l’analyse économique de Wright Engineers, un accord est intervenu entre la Compagnie et le groupe Sumitomo par lequel celui-ci fournissait le capital nécessaire à la mise en production des gisements à une capacité nor-
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male d’usine de 3,000 tonnes par jour. L’accord prévoyait l’agrandissement des installations à une capacité de 5,000 tonnes par jour.
La production à partir du gisement East Jersey a commencé le 31 décembre 1962, avec une usine ayant une capacité de 3,300 tonnes par jour. L’extraction du minerai se faisait par le procédé à ciel ouvert. A la capacité normale d’usine de 3,300 tonnes par jour, le minerai du gisement East Jersey devait être épuisé au bout d’environ trois ans. La Compagnie a produit une demande d’exemption d’impôt en vertu du par. (5) de l’art. 83 de la Loi de l’impôt sur le revenu, S.R.C. 1952, c. 148 et ses amendements, ciaprès appelée «la Loi», pour la période commencée le 1er décembre 1962, quand la production à partir du gisement East Jersey eut commencé à se faire en quantités commerciales raisonnables. L’exemption a été accordée, sujette à certaines réserves.
Quelques travaux d’aménagement ont commencé dans la zone Jersey en 1964, c’est-à-dire les travaux préparatoires nécessaires à l’introduction d’un autre puits à ciel ouvert. En janvier 1964, les administrateurs de la Compagnie ont autorisé l’augmentation de la capacité des installations à 6,000 tonnes par jour, et en janvier 1965 à 10,000 tonnes par jour. En février 1965, l’usine fonctionnait à une capacité d’environ 4,600 tonnes par jour; en avril 1966, ce rendement était passé à 6,000 tonnes par jour, et en décembre 1966 à 10,000 tonnes. Cela faisait partie du programme prévoyant le réaménagement de l’usine aux fins de traiter du minerai provenant du gisement Jersey.
Le 17 février 1965, un glissement rocheux dans la zone East Jersey a forcé la Compagnie à cesser de façon permanente l’exploitation du gisement East Jersey. Le gisement Jersey a été mis en production quelque temps après, soit un peu plus tôt que prévu dans le plan originaire.
En juin 1965, la Compagnie a produit une autre demande d’exemption d’impôt sous le régime du par. (5) de l’art. 83 de la Loi, relative celle-là à une période commencée le 17 février 1965 et concernant le revenu provenant de l’ex-
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ploitation du gisement Jersey. Le Ministre a refusé d’accorder l’exemption. Dans sa déclaration d’impôt de 1967 la Compagnie, dans une annexe intitulée [TRADUCTION] «rajustement d’impôt - février 1967», a réclamé l’exemption d’une somme de $6,646,130.27 en vertu du par. (5) de l’art. 83. Cette somme a été calculée en déduisant les coûts de production et de mise en marché des concentrés du revenu tiré de la production de concentrés. L’impôt a été cotisé par le Ministre à partir du principe que le montant de revenu n’était pas exempt.
Les dispositions pertinentes de la Loi sont les suivantes:
83. (5) Sous réserve des conditions prescrites, il ne faut pas inclure, dans le calcul du revenu d’une corporation, le revenu provenant de l’exploitation d’une mine au cours de la période de 36 mois commençant le jour où la mine est entrée en production.
(6) Dans le paragraphe (5),
a) «mine» ne comprend pas un puits de pétrole, un puits de gaz, un puits de mine de sel, une carrière de sable, une gravière, une carrère d’argile, une carrière de schiste ou une carrière de pierres (autre qu’un dépôt de schiste bitumineux ou de sable bitumineux), mais comprend un puits en vue de l’extraction de matières d’un gisement de sylvine et tous semblables puits dont les matières qui en sont extraites sont envoyées à une seule usine pour y subir des transformations sont réputés constituer une seule et même mine; et
b) «production» signifie la production en quantités commerciales raisonnables.
Le juge de première instance a tiré les conclusions suivantes:
(1) «Pendant l’année fiscale en question, la Compagnie a retiré un revenu de $6,646,130.27 de l’exploitation d’une mine, dite mine Jersey.»
(2) «Il est établi, sans qu’on ait cherché à démontrer le contraire, que le gisement de East Jersey est un gisement à filon étroit de quelque trois millions et demi de tonnes avec un rapport de deux tonnes et demie de roches stériles pour une tonne de minerai. C’est un gisement étroit et le passage du minerai aux roches stériles est très rapide. Le gisement Jersey est plus important, avec une profondeur de 1,000 pieds et une
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largeur de 600 à 1,000 pieds. Il comporte de nombreuses failles, qui le font ressembler à une tasse à thé fêlée; sa minéralisation est accentuée en bordure de ses failles. Sa teneur en minerai est beaucoup plus faible que celle du gisement East Jersey.
«Dans sa déposition, M. Holland, docteur d’Université, a affirmé que la structure géologique contrôlant la minéralisation des deux gisements est orientée nord-sud; le gisement Jersey se trouvant à l’ouest de l’East Jersey, il n’y a, pour reprendre ses propres termes, aucun rapport structurel entre les deux gisements. La distance entre eux est d’environ 1,000 à 1,100 pieds.»
(3) Selon la méthode à ciel ouvert, on enlève les morts-terrain de recouvrement pour dégager le minerai. On procède ensuite au forage, à des tirs d’abattage, pour former ensuite des gradins. Le minerai et les roches stériles sont transportés par des camions qui utilisent un réseau routier.
(4) Les installations ou aménagements du gisement East Jersey n’ont pas été utilisés pour l’exploitation du gisement Jersey, sauf en ce qui concerne une partie minime d’une route de surface. Le gisement East Jersey avait ses propres gradins, ses propres banquettes, son réseau routier et sa ligne de transmission. Le gisement Jersey avait et a toujours les mêmes installations, mais elles ne sont pas reliées à celles de l’East Jersey. Les techniques d’extraction de minerai au gisement Jersey ont été différentes de celles utilisées au gisement East Jersey.
(5) Au moment de traiter à l’usine, une fois celle-ci agrandie, le minerai du gisement Jersey, on a dû faire face à des difficultés qui ne s’étaient pas présentées pour le minerai du gisement East Jersey, et qu’on a pu résoudre avec l’aide d’experts-conseils. L’usine a dû être agrandie pour que l’exploitation du gisement Jersey soit rentable.
(6) Il n’était pas possible d’exploiter les deux gisements au moyen d’un seul puits et par une telle méthode on aurait risqué la ruine de la compagnie. En fait, il y a eu exploitation de deux mines distinctes.
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(7) Il n’était pas rentable d’extraire d’autre minerai du puits de East Jersey en prolongeant ce puits vers le sud et en utilisant la méthode de foudroyage par blocs à partir du puits de Jersey.
(8) Il n’est pas rare qu’une usine broie le minerai de plusieurs mines.
(9) Bien que les deux gisements soient relativement proches l’un de l’autre, il ressort clairement de la preuve qu’ils devaient être exploités séparément en deux puits distincts pour des raisons d’ordre économique.
Sur la base de ces conclusions et après une étude des précédents pertinents, le savant juge de première instance a conclu que la compagnie avait exploité deux mines distinctes et qu’elle avait droit à l’avantage fiscal du par. (5) de l’art. 83 à l’égard de la mine Jersey.
L’appel du Ministre à la Cour d’appel fédérale a été rejeté. Le Juge en chef, qui a rendu le jugement de la Cour, a déclaré:
Je pense que certains faits ne sont pas contestés, notamment les faits suivants:
1. Bien que les gisements East Jersey et Jersey soient proches l’un et l’autre, il n’y a pas continuité de l’un à l’autre sur le terrain et l’extraction du minerai d’un de ces gisements était une opération tout à fait distincte de l’extraction du minerai de l’autre.
2. L’extraction du minerai du gisement East Jersey ou du gisement Jersey aurait bien constitué «l’exploitation d’une mine» au sens de l’article 83(5), si elle avait constitué l’unique activité de l’intimée.
Les conclusions tirées par la Cour d’appel fédérale sont énoncées dans l’extrait suivant du jugement:
Si j’ai bien compris la position de l’appelant il soutient qu’une «mine» au sens de l’article 83(5) signifie une exploitation utilisée pour extraire du minerai «et produire des concentrés de cuivre». Cette interprétation revient en fait à intégrer deux opérations industrielles, à savoir a) l’extraction du minerai et b) la production de concentrés. J’estime que la jurisprudence ne permet pas de donner une portée aussi large à l’exemption prévue à l’article 83(5). En 1958, le juge Cartwright (alors juge puîné) alors qu’il analysait le prédécesseur de l’article 83(5) dans North
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Bay Mica Co. Ltd. c. M.R.N., [1958] R.C.S. 597, à la page 601, a déclaré qu’il inclinait à croire que le mot «mine» signifiait «une entreprise minière prise dans son ensemble et comprenant des dépôts de minerai, des galeries, du matériel d’exploitation et des machines aptes à produire du minerai»; ce passage a été repris par la Cour suprême du Canada dans le jugement rendu par le Juge Pigeon dans l’affaire M.R.N. c. MacLean Mining Co. [1970] R.C.S. 877, aux pp. 882-83. De plus, dans ce dernier arrêt le Juge Pigeon a déclaré, à la page 882: «L’exploitation minière proprement dite est complète par l’abattage et l’extraction du minerai …» J’estime que «l’exploitation d’une mine», au sens de l’article 83(5), vise uniquement l’extraction du minerai d’un gisement et ne comprend pas le traitement du minerai après sa production.
Je déclare par conséquent mal fondé l’argument de l’appelant suivant lequel L’extraction du minerai du gisement Jersey ne constitue qu’une partie de l’exploitation d’une mine, exploitation qui engloberait l’ensemble des opérations d’extraction et de traitement effectuées par l’intimée.
J’estime aussi que, compte tenu du fait que le procès en première instance a été mené en prenant pour acquis que la question en litige consistait à savoir si ce qui semblait être une exploitation minière distincte ne constituait pas en réalité l’exploitation d’une mine au sens de l’article 83(5), parce que le mot «mine» dans ce contexte signifie une entreprise d’extraction de minerai et de production de concentrés, il n’y a pas lieu de se demander dans cet appel si, d’après le sens ordinaire des mots et compte tenu de la définition citée par le Juge Cartwright, l’exploitation de ces deux découvertes constituait en réalité l’exploitation d’une seule et unique «exploitation minière» et non pas, par conséquent, l’exploitation de deux «mines» distinctes. Je suppose que l’application de ces concepts soulèverait des questions de fait extrêmement difficiles, en particulier lorsque les diverses propriétés minières sont, à des degrés divers, distinctes dans l’espace ou quant à l’époque ou aux procédés de leur exploitation. Pour l’analyse de ces questions, il serait nécessaire que l’on sache, de part et d’autre, dès avant le procès, la nature des questions en litige, ce qui permettrait aux parties de mettre au point leur argumentation sur les preuves versées au dossier. Le procès en première instance n’a pas porté sur cette question et j’estime impossible d’envisager l’affaire sous ce rapport dans cet appel.
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La Cour d’appel fédérale a modifié de la façon suivante le jugement de première instance qui avait renvoyé la cotisation au Ministre:
[TRADUCTION] L’appel est accueilli et la cotisation est renvoyée au Ministre pour qu’il établisse une nouvelle cotisation en tenant compte du fait qu’en vertu du par. 5 de l’art. 83 de la Loi de l’impôt sur le revenu, il ne faut pas inclure, dans le calcul du revenu de l’intimée, cette partie de son revenu qui provient de l’extraction du minerai du gisement Jersey au cours de la période de 36 mois commençant le jour où la mine est entrée en production.
La Compagnie a interjeté un appel incident demandant le rétablissement du dispositif du jugement prononcé en première instance, mais cet appel incident a été abandonné lors des plaidoiries devant cette Cour.
Le Ministre a prétendu, dans l’appel devant cette Cour, que la Cour d’appel fédérale avait commis une erreur en statuant que l’expression «exploitation d’une mine» au par. (5) de l’art. 83 de la Loi vise uniquement l’extraction du minerai d’un gisement et ne comprend pas le traitement du minerai après sa production.
On a aussi prétendu que l’exploitation des puits Jersey et East Jersey était l’exploitation d’une seule exploitation minière et, par conséquent, d’une seule mine.
A l’égard du premier point, je souscris à l’avis exprimé par la Cour d’appel fédérale, lequel concorde avec les opinions exprimées en cette Cour dans l’arrêt North Bay Mica Company Limited c. Le Ministre du Revenu national[2], et dans l’arrêt Le Ministre du Revenu national c. The MacLean Mining Company Limited.[3]
Les faits du premier de ces arrêts sont très bien résumés dans le sommaire du recueil:
[TRADUCTION] P.M. Co. a exploité avec succès une mine de mica à compter du mois d’octobre 1942, mais en février 1945 elle avait presque complètement épuisé les sources de mica brut qu’elle connaissait alors. Après avoir fait faire un examen approfondi des lieux par des géologues, la compagnie a décidé de
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ne pas faire plus de recherches, et en octobre 1945 elle a cessé les opérations. En 1949, un autre géologue a procédé à un examen minutieux de la propriété et à la suite de cet examen lui et un associé ont obtenu de P.M. Co. un bail donnant location des claims miniers. Il a fait constituer en corporation la compagnie appelante en 1950 et celle-ci a acheté les claims de P.M. Co. et a continué les opérations. Elle a par la suite réussi à trouver et à aménager un nouveau dyke ou filon de mica dont P.M. Co. avait ignoré l’existence. Du minerai en quantités commerciales raisonnables a été obtenu de ce filon à compter de 1950 et subséquemment.
La majorité de la Cour a décidé que l’appelante avait droit à l’exemption d’impôt conféré par l’art. 74 de la Loi de l’impôt sur le revenu, 1948 (Can.), c. 52 (l’article remplacé par le par. (5) de l’art. 83 de la Loi), parce que la propriété avait perdu son caractère de mine entre son abandon par P.M. Co. et le commencement des travaux par l’appelante. Ce que l’appelante avait acquis n’était pas une mine mais une propriété abandonnée et délaissée qu’elle espérait transformer en une mine.
C’est relativement aux faits précités que le juge Cartwright, alors juge puîné, a dit, à la p. 601:
[TRADUCTION] Pour l’appelante, on soutient que le mot «mine» à l’alinéa b) du par. 1 de l’article 74 ne signifie pas «un terrain renfermant du minerai» mais plutôt «une entreprise minière prise dans son ensemble et comprenant des dépôts de minerai, des galeries, du matériel d’exploitation et des machines aptes à produire du minerai». On appuie cette prétention en l’instance sur le fait que si le mot «mine» a le premier des deux sens proposés, il s’ensuit que: (i) l’expression «d’après le certificat… a exploité des dépôts de minerai» est impropre puisqu’elle pré-suppose une entité capable de faire de l’exploitation; et (ii) le rédacteur aurait dû substituer à l’alinéa «qui a commencé de produire» l’alinéa «qui a été amenée à produire». Partant de là, l’appelante soutient que la «mine» de l’appelante diffère complètement de la «mine» de Purdy Mica Mines Limited.
J’incline à croire que cette thèse est juste; mais, quoi qu’il en soit, les faits me paraissent amener la réclamation de l’appelante dans le cadre du sens clair de l’article.
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Le point qui ressort de ce passage est que l’appelante n’a pas acquis une mine simplement parce qu’elle avait acquis un terrain renfermant du minerai. Il est clair aussi que l’expression «aptes à produire du minerai» signifie que l’exploitation d’une mine vise l’extraction du minerai d’un gisement. Elle ne comprend pas le traitement du minerai après sa production.
Dans le second arrêt, le juge Pigeon, qui a rendu le jugement de la Cour, dit, à la p. 882:
L’exploitation minière proprement dite est complète par l’abattage et l’extraction du minerai et l’on conçoit aisément une usine unique desservant plusieurs mines.
Je dois maintenant examiner le second point qui a été soulevé par le Ministre. On prétend que la mine Jersey, même si elle avait ses propres gradins, ses propres banquettes, son réseau routier et sa ligne de transmission, était simplement un gisement minier pourvu de travaux d’aménagement et non par elle-même une mine, selon le sens du par. (5) de l’art. 83 de la Loi. On se fonde sur un énoncé tiré des motifs de M. le juge Pigeon dans l’affaire MacLean, à la p. 882. Je vais citer en entier le passage où cet énoncé apparaît, en mettant en relief la partie sur laquelle se base le Ministre:
Ce que je trouve concluant pour infirmer la conclusion que les travaux d’aménagement MacLean sont une mine distincte, c’est le fait qu’ils ont été pratiqués en partant du puits et des galeries Rothermere, qu’on avait considérablement modifiés afin de mettre le gisement MacLean en valeur et de l’exploiter pour en extraire du minerai. C’est à cette seule fin qu’on a approfondi le puits Rothermere de quelque 800 pieds et qu’on a percé toute la galerie d’exploration. Ces parties-là du puits et des galeries Rothermere font réellement partie intégrante des travaux d’aménagement du gisement MacLean et, sans elles, celui-ci ne pourrait pas être exploité et produire du minerai.
Pour arriver à une conclusion différente, il faudrait interpréter le mot «mine» au par. 5 de l’art. 83 comme signifiant «un terrain renfermant du minerai». Ce n’est pas le sens usuel, car «gisement» est l’expression consacrée. C’est un fait bien connu que souvent, sinon généralement, une mine comprend plus d’un gisement. Le Parlement n’a pas pu avoir l’intention qu‘une entreprise minière bénéficie de l’exemption
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de trois ans chaque fois qu’elle met un nouveau gisement en exploitation. Il s’agit là d’une exception et il faut l’interpréter restrictivement.
Il s’est ensuite reporté au passage des motifs du juge Cartwright dans l’affaire North Bay Mica, passage qui a déjà été reproduit.
Les faits dans MacLean étaient les suivants:
En 1950, une entreprise qui fait l’exploitation de mines à Buchans (Terre-Neuve) depuis 1928, a fait la découverte d’un nouveau gisement situé à plus de 1,000 pieds du gisement connu le plus rapproché. Un puits existant, le Rothermere, a été approfondi de quelque 800 pieds et on a percé, à 2,300 pieds de profondeur, une galerie d’exploration à partir de ce puits jusqu’au nouveau gisement, qu’on appelle maintenant le MacLean. Un puits a alors été creusé afin d’en permettre l’exploitation et on a construit une galerie de roulage pour acheminer le minerai vers un autre puits à proximité de l’usine. C’est par le puits Rothermere que les mineurs se rendent à leur poste de travail; l’air comprimé, le sable ainsi que l’air pur suivent la même voie; et on évacue par la même voie toute l’eau qui s’infiltre. La production en quantités commerciales a été atteinte en 1963. Le Ministre a considéré que les travaux d’aménagement du gisement MacLean sont un simple prolongement d’une mine existante vers un nouveau gisement, et non une nouvelle mine au sens de l’art. 83(5) de la Loi de l’impôt sur le revenu.
A la p. 880, le juge Pigeon a dit:
A mon avis, la considération décisive en faveur de la décision ministérielle c’est que le gisement MacLean n’a pas été aménagé comme une mine distincte. Une étape essentielle du processus a été le creusage du puits Rothermere à 800 pieds de plus en profondeur, et le percement d’une galerie d’exploration, à quelque 2,300 pieds sous terre, allant de ce puits au gisement MacLean. Les frais considérables subis pour le creusage complémentaire du puits Rothermere ainsi que pour le percement d’une galerie d’exploration sur une distance considérable montrent que l’utilisation des travaux du gisement Rothermere revêtait une importance très grande dans cet aménagement‑là.
Cette utilisation allait aussi être importante dans l’exploitation du gisement MacLean. Il appert que c’est par là que les mineurs se rendent habituellement à leur poste de travail et reviennent à la surface. L’air comprimé qu’il faut pour actionner leurs foreuses, de
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même que le sable pour combler les gradins épuisés, suivent la même voie, ainsi que l’air pur nécessaire à la ventilation, le puits MacLean servant uniquement à l’évacuation de l’air vicié. Au surplus, on évacue par la même voie toute l’eau qui s’infiltre; d’abord, on la pompe du fonds jusqu’au tunnel qui a été creusé comme galerie d’exploration, puis elle y coule par gravité vers le puits Rothermere, grâce à une légère pente prévue à cette fin, finalement on la pompe vers la surface par le puits Rothermere.
Il se peut que le gisement MacLean, qui est entièrement distinct des autres et séparé du plus rapproché, le Rothermere, par une distance considérable (plus de 1,000 pieds), aurait pu être mis en valeur et exploité comme mine séparée. A mon avis, il est clair que ce n’est pas ce qui s’est produit en fait. Ce gisement-là a été mis en valeur comme partie intégrante d’une exploitation minière qui comprend le Rothermere. Non seulement son aménagement a été fait par extension de cette exploitation souterraine jusqu’à l’autre gisement, mais on ne l’a pas conçue autrement que comme un tout avec le Rothermere. Certaines installations essentielles, comme la ventilation, sans lesquelles il serait impossible d’exploiter le gisement MacLean, sont fournies par le puits et les galeries Rothermere. En toute déférence, le Juge Thurlow a fait erreur lorsqu’il a dit: [TRADUCTION] «je vois tous les éléments essentiels d’une mine distincte».
A mon avis, les facteurs qui ont amené à la conclusion à laquelle on en est arrivé dans l’affaire MacLean n’existent pas en l’espèce. Il ne s’agit pas ici de plusieurs gisements de minerai exploités en une seule mine. Il existe en l’espèce des conclusions de fait concordantes que, bien que les gisements East Jersey et Jersey soient près l’un de l’autre, ils ne sont pas reliés physiquement et l’extraction du minerai d’un de ces gisements était tout à fait indépendante physiquement de l’extraction du minerai de l’autre. Le juge de première instance a accepté la preuve qu’exploiter les deux gisements au moyen d’un puits commun n’était pas faisable, et qu’en fait il y avait eu exploitation de deux mines distinctes.
A mon avis il existe «une mine» selon le sens du par. (5) de l’art. 83 s’il existe un gisement de minerai accompagné des travaux d’aménagement, matériel d’exploitation et machinerie aptes à le produire. La mine Jersey n’était pas
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une mine simplement à cause de l’existence d’un gisement de minerai, distinct du gisement East Jersey. Elle ne serait pas devenue une mine distincte si le minerai du gisement Jersey avait été extrait comme conséquence du nouvel aménagement de la mine East Jersey. Mais elle est devenue une mine lorsqu’on a commencé à extraire du minerai de son gisement distinct au moyen de ses installations d’extraction séparées et distinctes.
Le fait qu’elle était exploitée par la même compagnie qui avait exploité le gisement East Jersey n’empêche pas une exemption sous le régime du par. (5) de l’art. 83. Il n’y a rien dans ce paragraphe qui empêche de faire plusieurs réclamations d’exemption, pourvu que chaque réclamation ait trait à une mine différente.
Le fait que la Compagnie a, pour traiter le minerai de Jersey, utilisé la même usine que pour le minerai de East Jersey, ne change pas la situation. Comme il a déjà été noté, l’exploitation minière est complétée par la production du minerai. Ce point de vue est renforcé par les dispositions du par. (6) de l’art. 83 définissant le mot «mine». On y mentionne spécifiquement les puits servant à l’extraction de matières d’un gisement de sylvine et il est prévu que tous semblables puits dont les matières qui en sont extraites sont envoyées à une seule usine pour y subir des transformations sont «réputés constituer une seule et même mine». Ce «réputés» n’est pas fait applicable à des substances autres que la sylvine et suggère donc que, sauf dans le cas de la sylvine, une mine ne cesse pas d’être une mine parce que le minerai qu’on en extrait est transformé dans une usine qui transforme aussi du minerai provenant d’autres mines.
Je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens.
Appel rejeté avec dépens.
Procureur de rappelant: D.S. Thorson, Ottawa.
Procureurs de l’intimée: Lawrence & Shaw, Vancouver.
[1] [1973] C.F. 565.
[2] [1958] R.C.S. 597.
[3] [1970] R.C.S. 877.