Cour suprême du Canada
Air-Care Ltd. c. United Steel Workers of America et al., [1976] 1 R.C.S. 2
Date: 1974-10-01
Air-Care Ltd. Appelante;
et
United Steel Workers of America et al. Intimés.
1974: les 21 et 22 mars; 1974: le 1er octobre.
Présents: Les juges Spence, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré.
EN APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE, PROVINCE DE QUÉBEC
APPEL d’un jugement de la Cour du banc de la reine, province de Québec, infirmant un jugement de la Cour supérieure sur une sentence du tribunal d’arbitrage. Appel accueilli.
K.J. MacDougall et P.J. Perrault, pour l’appelante.
P. Lesage, pour les intimés.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE DICKSON — La question en litige en ce pourvoi est de savoir si Air-Care Ltd. devait, selon les dispositions de sa convention collective avec le local 7010 des Métallurgistes unis d’Amérique, et durant un manque temporaire d’ouvrage, mettre à pied des employés, comme le syndicat le prétend, ou si la compagnie avait droit, comme elle le soutient, de réduire la semaine régulière de travail de tous les employés. Il n’y a aucune contestation sur les faits.
Le 30 septembre 1970, Monsieur G.O. Burton, directeur de la division «Air Distribution» de la compagnie, a fait afficher à l’usine de la division «Air Distribution», un avis informant tous les employés qu’à cause d’un manque temporaire d’ouvrage la semaine de travail serait de quatre jours pour les périodes suivantes:
Fermeture le vendredi, 9 octobre 1970, à minuit trente, et
réouverture le mardi, 13 octobre 1970, à 7h30 de l’avant-midi, et,
Fermeture le vendredi, 23 octobre 1970, à minuit trente, et
[Page 4]
réouverture le lundi, 26 octobre 1970, à 7h30 de l’avant-midi.
Le 14 octobre 1970, Monsieur J.A. Baillies, directeur de la division «Air Handling», a fait afficher à l’usine de la division «Air Handling» un avis selon lequel à cause d’un manque temporaire d’ouvrage la semaine de travail serait de quatre jours de travail pour les périodes suivantes:
Fermeture le vendredi, 23 octobre 1970, à minuit trente, et
réouverture le lundi, 26 octobre 1970, à 7h30 de l’avant-midi, et,
Fermeture le vendredi, 30 octobre 1970, à minuit trente, et
réouverture le lundi, 2 novembre 1970, à 7h30 de l’avant midi.
Le syndicat a présenté un grief dans lequel il prétend que la compagnie n’avait pas le droit de réduire la semaine de travail; que tous les employés doivent être payés sur la base d’une semaine de quarante heures, et qu’en cas de manque d’ouvrage, on doit réduire le nombre d’employés. La majorité du tribunal d’arbitrage désigné pour étudier le grief a décidé en faveur du point de vue du syndicat, tout en trouvant louable le désir de la compagnie de vouloir garder tous ses employés au travail avec un salaire réduit plutôt que d’en favoriser un certain nombre au détriment des autres. M. le juge Nichols, de la Cour supérieure du district de Montréal, a infirmé la sentence d’arbitrage. La Cour d’appel (M. le Juge en chef et M. le juge Deschenes, avec dissidence de M. le juge Casey) a accueilli l’appel et rejeté la requête de la compagnie.
Les articles de la convention collective particulièrement pertinents sont ceux-ci:
ARTICLE 2. L’OBJET DE CETTE CONVENTION
2.01 Il est dans l’intention et l’objet de cette Convention de maintenir des relations cordiales dans l’usine, définir clairement les heures de travail et autres conditions de travail, à prévoir une méthode de règlement ordonné des griefs, et promouvoir la sécurité et la santé des employés.
[Page 5]
ARTICLE 4. LES DROITS DE LA DIRECTION
4.01 Le Syndicat reconnaît les droits inaliénables de la Compagnie à diriger son entreprise et convient que ce droit doit rester inaltéré, sauf en autant que les dispositions expresses de la présente Convention en stipulent autrement, toujours pourvu que toute dispute pour déterminer si les Règles et Règlements sont raisonnables, ou toute dispute concernant l’allégation de discrimination contre un employé dans l’application de ces Règles et Règlements soit sujette aux procédures de règlement de griefs de cette Convention.
ARTICLE 7. ARBITRAGE
7.03 La décision de la majorité sera la décision du tribunal d’arbitrage, et s’il n’y a pas de majorité, la décision sera la décision du Président, mais la juridiction du tribunal ne pourra décider de la question en litige que selon les clauses de cette Convention et en aucun cas le tribunal d’arbitrage n’aura le pouvoir de changer ou d’amender les présentes ni d’y ajouter ou retrancher quoi que ce soit.
ARTICLE 10. MANQUE D’OUVRAGE
10.01 Dans tous les cas de mise-à-pied pour manque d’ouvrage, une liste des employés doit être faite par occupation et dans l’ordre de leur service continu, le dernier engagé au bas de la liste. Procédant en montant du bas de la liste les facteurs suivants seront considérés:
a) Service.
b) Connaissances, efficacité et habileté à exécuter le travail.
c) Aptitude physique.
Quand les facteurs b) et c) sont relativement égaux, le facteur a) prédominera.
ARTICLE 23. HEURES DE TRAVAIL
23.01 Une journée comprend une période de vingt-quatre (24) heures partant de l’heure du commencement du quart de l’employé.
23.02 a) La semaine de travail sera de quarante (40) heures comprenant huit (8) heures par jour du lundi au vendredi inclusivement.
23.09 Rien dans cette Convention ne sera lu et compris comme étant une garantie des heures de travail journalier ou par semaine, ni une garantie du nombre de journées de travail de la semaine.
En résumé, la prétention du syndicat est qu’en vertu de la convention collective la semaine de
[Page 6]
travail doit être de quarante heures et que dans les cas de manque d’ouvrage l’art. 10.01 s’applique et oblige la compagnie à mettre à pied des employés en tenant dûment compte de l’ancienneté et des autres facteurs mentionnés. La compagnie, par contre, dit qu’aucun employé n’est assuré de quarante heures de travail par semaine, que l’art. 23.09 est sans équivoque à ce sujet et que s’il y a un manque d’ouvrage, les droits de direction inaliénables qui appartiennent à la compagnie, et qui sont préservés par l’art. 4.01, laissent à cette dernière trois options: (i) garder à son service tous les employés et leur payer un plein salaire quoique travaillant à temps partiel, (ii) instituer une semaine de travail réduite pour tous les employés ou (iii) procéder à la mise à pied d’employés de la façon décrite a l’art. 10.01.
La prétention du syndicat se fonde en grande partie sur l’argument qu’il n’existe pas de différence entre une réduction des heures de travail et une mise à pied et qu’ainsi, dès qu’un individu voit ses heures de travail réduites, celui-ci est mis à pied (laid off). «Mise à pied» n’est pas défini au Code du travail du Québec, S.R.Q. 1964, c. 141. Cependant le Nouveau Larousse Universel, tome 2, définit «mise à pied» comme étant un «retrait temporaire d’emploi», et le Shorter Oxford English Dictionary définit «lay-off» comme étant [TRADUCTION] «une période durant laquelle un salarié est temporairement licencié.» A mon avis aucun des employés de Air-Care Ltd. n’a été mis à pied dans les cas qui ont donné ouverture au grief. Il n’y a pas eu de réduction des effectifs et le statut des employés en tant qu’employés n’a pas été modifié par les avis affichés par M. Burton et M. Baillies. La protection de l’ancienneté, garantie par la convention, n’a subi aucun préjudice par le geste posé. Je ne crois pas que l’art. 10.01 puisse avoir quelque application, pour le motif qu’il n’y a tout simplement pas eu de «cas de mise-à-pied». L’article 10.01 décrit en détail la procédure à suivre lorsque des mises à pied se produisent pour manque d’ouvrage mais il est impossible d’interpréter les termes de l’article comme comportant l’obligation de mettre à pied des employés chaque fois qu’il y a un manque d’ouvrage. En vertu de la clause des droits de la direction, qui se trouve à l’art. 4.01, la compagnie a conservé le droit de
[Page 7]
planifier la production selon ce qu’elle juge être au mieux de ses intérêts, ainsi que le droit de réduire la semaine de travail si les besoins de l’exploitation l’exigent; il n’y a dans la convention aucune clause qui porte atteinte à l’un de ces droits ou les limite. La convention aurait pu exiger que la compagnie procède à la mise à pied d’employés avant de réduire la semaine de travail; elle aurait pu imposer une limite à l’étendue de la réduction de la semaine de travail, ou à la fréquence de la réduction permise avant l’application d’une procédure de mise à pied; mais la convention demeure silencieuse sur ces deux points.
Si une pénurie de matières premières, un bris de la machinerie, un incendie, ou une inondation avait forcé la compagnie à fermer les usines pour quelques heures ou une journée, personne n’aurait pu sérieusement prétendre que cela équivaut à une mise à pied et qu’à moins d’une certaine reconnaissance de l’ancienneté les employés ont le droit d’être payés pour les heures durant lesquelles ils n’ont pas travaillé.
La compagnie a le droit, à mon avis, en vertu des dispositions de la convention, de réduire les heures de travail pour une période donnée plutôt que de procéder à des mises à pied. En statuant dans un autre sens, le tribunal d’arbitrage s’est trouvé à ajouter à la convention collective en imposant à la compagnie une obligation, qu’elle n’a pas assumée à la suite d’une négociation collective, de mettre à pied des employés chaque fois qu’il se produit un manque d’ouvrage, et en agissant ainsi il est allé à l’encontre de l’art. 7.03 qui limite expressément la juridiction du tribunal au pouvoir de décider la question selon les clauses de la convention et qui lui dénie expressément tout pouvoir de changer ou d’amender la convention ou d’y ajouter ou retrancher quoi que ce soit. Bell Canada c. Office and Professional Employees’ International Union Local 131[1].
La compagnie a avancé un argument additionnel selon lequel le tribunal d’arbitrage avait perdu sa juridiction et rendu une sentence qui était nulle, vu qu’il avait attendu presque un an (20 janvier 1972) avant de rendre sa décision après la fin de
[Page 8]
l’audition (11 février 1971) et laissé écouler presque six mois après que les dernières notes écrites lui eurent été soumises (13 juillet 1971), alors que l’art. 7.02 de la convention collective exige que le tribunal d’arbitrage rende sa décision dans les trente jours civils de la fin de l’audition. Lorsqu’elle a entendu les plaidoiries en ce pourvoi la Cour a clairement laissé entendre que l’argument est sans fondement. Le droit d’une partie ne doit pas se perdre ni subir de préjudice quelconque parce qu’un tribunal sur lequel elle a peu ou pas de contrôle tarde à agir.
Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer l’arrêt de la Cour d’appel et de rétablir le jugement de M. le juge Nichols avec dépens en cette Cour et dans les cours d’instance inférieure.
Pourvoi accueilli avec dépens.
Procureurs de l’appelante: Duquet, MacKay, Weldon, Bronstetter & Johnston, Montréal.
Procureurs des intimés: Trudel, Nadeau & Associés, Montréal.
[1] [1974] R.C.S. 335.