Cour suprême du Canada
Cotroni c. Procureur général du Canada, [1976] 1 R.C.S. 219
Date: 1974-10-23
Frank Cotroni Appelant;
et
Le Procureur général du Canada Intimé.
1974: le 7 octobre; 1974: le 23 octobre.
Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Judson, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré.
EN APPEL DE LA COUR D’APPEL FÉDÉRALE
APPEL d’un jugement de la Cour d’appel fédérale[1] rejetant une demande d’annulation d’un mandat d’incarcération. Appel rejeté.
Kenneth C. Binks, c.r., et William J. Simpson, pour l’appelant.
L.P. Landry, c.r., pour l’intimé.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE SPENCE — Le présent appel est interjeté à l’encontre du jugement de la Cour d’appel fédérale prononcé le 25 janvier 1974. L’appelant a fait une demande à cette Cour en vue d’obtenir l’autorisation d’interjeter appel et il y a mentionné plusieurs moyens d’appel qu’il désirait faire valoir devant la Cour. Cette dernière a refusé d’accorder l’autorisation fondée sur un ou plusieurs de ces moyens mais elle a cependant accordé, par voie d’ordonnance qu’elle a rendue le 29 avril 1974, l’autorisation d’appeler sur la question de droit suivante:
Est-ce que le complot visant l’importation d’un stupéfiant constitue un crime entraînant l’extradition aux termes de la Loi sur l’extradition, S.R.C. 1970, c. E-21?
Le procureur de l’appelant a cherché, dès l’ouverture du débat concernant l’appel, à faire valoir les autres moyens énumérés dans sa demande d’autorisation d’appel et il a déclaré que la compétence de cette Cour, aux termes du par. (3) de l’art. 31 de la Loi sur la Cour fédérale, 1970 (Can.), c. 1, ne permettait pas à cette Cour de limiter les moyens sur lesquels un appel peut être plaidé et que la compétence de cette dernière vis-à-vis une telle demande d’autorisation d’appeler se limitait soit à l’accorder soit à la refuser. Le par. (3) de l’art. 31 de la Loi sur la Cour fédérale se lit comme suit:
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Il peut être interjeté appel, devant la Cour suprême, avec l’autorisation de cette Cour, de tout jugement final ou autre jugement de la Cour d’appel fédérale, que l’autorisation d’en appeler à la Cour suprême ait été refusée ou non par la Cour d’appel fédérale.
La Cour a fait remarquer au procureur de l’appelant que dans la Loi sur la Cour suprême, S.R.C. 1970, c. S-19, il est prévu au par. (1) de l’art. 41 que:
Sous réserve du paragraphe (3), il peut être interjeté appel à la Cour suprême, avec l’autorisation de cette Cour, contre tout jugement définitif ou autre de la plus haute cour de dernier ressort dans une province, ou de l’un de ses juges, où jugement peut-être obtenu dans la cause particulière dont on veut appeler à la Cour suprême, qu’une autre cour ait refusé ou non l’autorisation d’en appeler à la Cour suprême.
et ainsi, il semblerait que les deux articles soient exactement dans le même sens et que la cour ait exercé sa compétence, durant plusieurs décennies, d’accorder l’autorisation d’interjeter appel, énoncée au par. (1) de l’art. 41 de la Loi sur la Cour suprême, uniquement au regard de la question de droit précise énoncée dans son ordonnance. Nous étions tous d’avis que le par. (3) de l’art. 31 de la Loi sur la Cour fédérale devait s’interpréter de la même façon; c’est pourquoi nous avons contraint l’appelant à ne faire valoir que le moyen d’appel à l’égard duquel l’autorisation d’interjeter appel avait été accordée et que j’ai décrit ci-dessus.
Le 9 octobre 1973, l’appelant a été inculpé par un Grand Jury américain, de l’État de New‑York, qui l’a accusé d’avoir comploté avec d’autres en vue d’importer de la cocaïne, un stupéfiant, aux États-Unis contrairement aux art. 173 et 174 du Titre 21 du Code des États‑Unis. L’appelant a également été inculpé d’une autre accusation qui ne concerne cependant pas le présent appel.
L’appelant a allégué que l’accusation d’avoir comploté dans le but d’importer un stupéfiant n’apparaissait pas à l’annexe I de la Loi sur l’extradition, S.R.C. 1970, c. E-21, bien que certains autres complots y figuraient; de plus, l’appelant a allégué que les infractions dont il avait été accusé devant les cours américaines n’auraient pu, s’il en était accusé au Canada, faire l’objet d’une accusa-
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tion portée en vertu des dispositions de la Loi sur les stupéfiants mais uniquement en vertu des dispositions de l’al. d) du par. (1) de l’art. 423 du Code criminel, S.R.C. 1970, c. 34. Ladite Loi sur l’extradition traite des «crimes entraînant l’extradition» et ceux-ci sont définis de cette façon à l’art. 2 de cette Loi:
«crime entraînant l’extradition» peut signifier tout crime qui, s’il était commis au Canada, ou dans la juridiction du Canada, serait l’un des crimes énumérés à l’annexe I; et dans l’application de la présente loi à l’égard de toute convention d’extradition, un crime entraînant l’extradition signifie tout crime décrit dans cette convention, qu’il soit compris dans l’annexe ou non.
Bien que le crime de complot visant l’importation de stupéfiants n’apparaît pas, comme je l’ai déjà signalé, à l’annexe I de la Loi sur l’extradition, il a été ajouté, par voie d’une Convention supplémentaire datant de l’année 1925, une catégorie dont le contenu est énoncé comme suit à son art. 17: «Crimes et infractions contre les lois relatives à la suppression du trafic des narcotiques».
En se référant à la définition des crimes entraînant l’extradition que j’ai citée ci-dessus, nous remarquons qu’elle établit deux catégories distinctes: premièrement, ceux qui sont énumérés à l’annexe I et, deuxièmement, ceux qui sont décrits dans une telle convention, c.-à-d. une convention d’extradition. La Convention supplémentaire de 1925 constitue une convention d’extradition qui tombe sous le coup de ce paragraphe; par conséquent, si le crime de complot visant l’importation d’un stupéfiant représente un crime «contre les lois relatives à la suppression du trafic des narcotiques», il tombe, par le fait même, sous le coup de la définition des «crimes entraînant l’extradition», de sorte que l’honorable juge Lamb avait le pouvoir d’examiner la demande d’ordonnance d’extradition qui lui avait été présentée.
Que ladite inculpation, si elle avait été prononcée au Canada, l’aurait été en vertu des dispositions du Code criminel ou de la Loi sur les stupéfiants ou, en fait, de toute autre loi, cela est, à mon avis, sans importance. Le critère réside en la nature du crime qui fait l’objet de l’accusation. Je suis également d’avis que la nature du crime visé par l’inculpation prononcée par le Grand Jury
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américain était et ne pouvait être que celle d’un crime commis en contravention des lois relatives à la suppression du traffic des narcotiques. Ainsi, selon moi, le juge Lamb était compétent.
Pour en arriver à cette conclusion, je me suis inspiré du jugement prononcé par le juge en chef McRuer de la Haute Cour dans l’affaire Re Brisbois[2], où le savant juge en chef devait examiner une requête en habeas corpus soumise par un individu qui avait été accusé et condamné aux États-Unis d’avoir [TRADUCTION] «volontairement et sciemment comploté dans le but de porter atteinte aux attributions gouvernementales des États-Unis qui lui imposent le devoir légitime de voir à ce que l’administration du Service douanier des États‑Unis soit libre de toute obstruction, corruption, captation d’influence etc., et d’avoir comploté dans le but d’enfreindre les lois des États-Unis sur les stupéfiants (Titre 18, art. 371 du Code des États-Unis) tel qu’il en a été accusé…» Ce sont les derniers mots, «et d’avoir comploté dans le but d’enfreindre les lois des États-Unis sur les stupéfiants» qui nous intéressent.
L’accusé avait été condamné puis admis à caution en attendant l’audition de son appel, mais il s’est dérobé et après avoir vainement tenté d’obtenir son extradition des Bahamas, ledit requérant fut arrêté au Canada et détenu pour interrogatoire. Dans des motifs de jugement très soigneusement rédigés, le savant juge en chef de la Haute Cour a traité des mêmes points qui ont été allégués devant cette Cour. Il dit à la p. 193:
[TRADUCTION] A mon avis, il faut examiner le droit criminel canadien dans son ensemble pour déterminer quelles lois s’appliquent à la répression de la contrebande des stupéfiants. Puisqu’un complot visant à enfreindre la Loi sur l’opium et les drogues narcotiques n’est pas exempté des dispositions prévues à l’art. 408, tout comme il n’était pas exempté des dispositions prévues à l’ancien article 573, il en découle qu’un complot visant à commettre tout acte criminel prévu dans la Loi sur l’opium et les drogues narcotiques doit être considéré comme tombant également sous le coup des lois visant la répression de la contrebande des stupéfiants.
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Le savant juge en chef de la Haute Cour a conclu que le requérant avait été condamné pour une infraction visée par le Traité liant le Canada et les États-Unis d’Amérique et il a rejeté la requête d’habeas corpus.
Par conséquent, je suis d’avis de rejeter l’appel et de confirmer l’arrêt de la Cour d’appel fédérale.
Appel rejeté.
Procureurs de l’appelant: Binks, Chilcott & Simpson, Ottawa.
Procureur de l’intimé: L.P. Landry, Montréal.
[1] [1974] 1 C.F. 36.
[2] (1962), 133 C.C.C. 188.