Cour suprême du Canada
Swift c. MacDougall, [1976] 1 R.C.S. 240
Date: 1974-12-19
Guthrie Swift (Demandeur) Appelant;
et
Luke MacDougall (Défendeur) Intimé.
1974: le 25 octobre; 1974: le 19 décembre.
Présents: Les juges Judson, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré.
EN APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE, PROVINCE DE QUÉBEC
APPEL d’un jugement de la Cour du banc de la reine, province de Québec, rejetant en partie un jugement de la Cour supérieure. Appel rejeté.
O. Carter, c.r., pour le demandeur, appelant.
P. Lesage, pour le défendeur, intimé.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE DE GRANDPRÉ — La réclamation résulte de la chute de l’appelant dans l’escalier extérieur de la résidence qu’occupait alors l’intimé.
Les faits pertinents sont les suivants:
— l’accident est survenu vers 1 heure du matin, le 4 février 1966, alors qu’il faisait beau;
— la veille, il y avait eu au cours de la journée chute de neige très légère d’environ deux‑dixième de pouce, les derniers flocons étant tombés vers 3 heures de l’après-midi;
— vers 6 heures du soir, le 3 février, l’intimé avait nettoyé parfaitement les trois marches de son escalier, ainsi que la galerie devant la porte;
— vers 8 heures ce soir-là, l’appelant, qui près de vingt ans auparavant avait perdu à toutes fins pratiques l’usage de ses jambes au cours d’un accident, est arrivé chez l’intimé pour participer à une partie de cartes;
— à ce moment-là, l’appelant a constaté que les marches étaient en parfait ordre, sauf que du côté gauche en montant l’escalier, il y avait quelques gouttes d’eau provenant du toit;
— après la partie de cartes, soit vers 12 heures 30 du matin, deux des participants ont quitté les lieux en offrant leur aide à l’appelant; celui-ci a décliné et est resté chez l’intimé jusque vers 1 heure pour prendre avec celui-ci et son épouse une tasse de café;
— l’appelant a alors quitté les lieux en se tenant du côté de l’escalier où il avait remarqué de l’eau en entrant;
— comme il mettait une de ses béquilles sur la première marche, cette béquille a glissé sous lui et il a subi une chute entraînant des lésions corporelles;
— la béquille a glissé pour avoir été posée sur une petite plaque de glace décrite par l’appelant
[Page 242]
comme «a slight patch», «a thin film», le reste de l’escalier étant en parfait ordre;
— à 20 heures, le 3 février, la température était de 25 degrés et à 1 heure, le 4, de 22 degrés.
Pour compléter le tableau des faits, il faut ajouter que l’intimé et son épouse, particulièrement cette dernière, sont positifs qu’au moment du départ, ils ont demandé à l’appelant s’il avait besoin d’aide pour descendre l’escalier et qu’il a répondu dans la négative. Par ailleurs, l’appelant est convaincu qu’aucune offre de cette nature ne lui a été faite. Je ne crois pas que cet aspect ait de l’influence sur le résultat, même si les tribunaux du Québec s’y sont attardés.
Le premier juge en est venu à la conclusion que l’accident avait été causé par la faute des deux parties, l’appelant devant supporter un tiers des dommages et l’intimé les deux-tiers. Notons tout de suite qu’il n’y a pas eu d’appel de cette partie du jugement tenant l’appelant responsable en partie de l’accident.
Quant au demandeur-appelant, le premier juge s’exprime comme suit:
Le demandeur lui-même, il le déclare d’ailleurs, savait qu’il y avait danger de formation de glace, et avant de s’aventurer sur des marches qui, d’après la preuve, restaient dans l’ombre, il aurait pu essayer de vérifier l’état des lieux ou de le faire vérifier par son hôte en lui demandant de l’aider à descendre lesdites marches.
Par ailleurs, pour tenir l’intimé responsable dans la proportion des deux-tiers, le premier juge retient contre lui les faits suivants:
Construction défectueuse de l’escalier
Sur ce point, je partage l’opinion du juge Lajoie en Cour d’appel:
L’escalier dans lequel Swift fit une chute, tel que l’illustrent les photographies, me paraît normalement construit, et aucun expert n’a été entendu pour déclarer qu’il ne l’était pas suivant les règles de l’art ou les normes de la prudence.
Les photographies dont parle le juge Lajoie établissent clairement qu’à main gauche pour l’appelant, qui descendait l’escalier, il y avait une balustrade dont il aurait très bien pu se servir pour
[Page 243]
faciliter sa descente; il est vrai que cette balustrade ne constitute pas une rampe à proprement parler mais elle était certainement suffisante pour lui donner le point d’appui dont il pouvait avoir besoin.
Entretien défectueux de l’escalier
Il s’agit ici de cette plaque de glace qui a entraîné la chute de l’appelant et à ce sujet, il faut se souvenir que cette plaque, dans les mots de l’appelant, était «a thin film», «a slight patch» dans un escalier dont, malheureusement, nous n’avons pas les dimensions exactes mais qui avait apparemment, d’après les photographies, environ trois pieds de large. La présence d’une petite plaque de glace constituée dans la soirée après 20 heures et située à l’extrémité d’une marche près du mur pourrait difficilement constituer une faute. Ici encore, j’adopterais l’opinion du juge Lajoie:
Les conditions atmosphérique qui prévalurent entre le moment où l’escalier fut nettoyé et celui de la chute de l’intimé n’étaient pas telles qu’elles aient dû constituer une incitation au propriétaire de la maison de faire un nouveau nettoyage dans la soirée le premier ayant été bien fait. Je crois que c’est être trop exigeant que de demander qu’un propriétaire qui a pris un soin raisonnable de son escalier vérifie en tout temps pour s’assurer qu’il n’y ait pas la moindre trace de glace l’hiver à Québec.
Défaut d’offrir de l’aide
Comme je l’ai déjà dit plus haut, ce point ne me semble pas majeur. Les parties à l’époque étaient des amis et si l’appelant avait eu besoin d’aide, il est clair qu’il aurait pu le demander et qu’il l’aurait aisément obtenue. Sur ce point, comme sur les deux autres, le juge Lajoie, en Cour d’appel, a parfaitement résumé la situation:
Je suis aussi d’accord avec monsieur le juge Rivard que la prépondérance de la preuve est que MacDougall offrit son aide à Swift pour descendre les quelques marches qui forment l’escalier et que celui-ci la refusa, connaissant bien les lieux, leur conformation et leur éclairage. A mon avis, MacDougall n’avait pas alors le devoir d’insister pour accompagner Swift et l’on ne saurait lui reprocher de ne pas l’avoir fait malgré lui.
Les conclusions erronées du premier juge quant à la conduite de l’intimé ont leurs sources dans l’erreur de droit qu’il a commise lorsqu’il a mis de
[Page 244]
l’avant la proposition que l’intimé «aurait dû, semble-t-il, prévenir toute possibilité d’accident, en étendant sur ces marches un antidérapant qui aurait certainement fait disparaître presque entièrement sinon totalement le danger». (Les mots en italiques sont de moi).
C’est là un critère que les tribunaux ont toujours écarté, la responsabilité de l’intimé devant être étudiée à la lumière de la règle de l’art. 1053 C.c. qui impose la norme d’une conduite raisonnable. Nul n’est tenu à une conduite visant à écarter toute possibilité d’accident. Cette erreur de droit vicie le jugement de première instance et la Cour d’appel a eu raison d’intervenir.
Pour ces motifs, je confirmerais donc le jugement de la Cour d’appel et renverrais l’action, le tout avec dépens.
Appel rejeté avec dépens.
Procureurs du demandeur, appelant: Carter & Richer, Québec.
Procureurs du défendeur, intimé: Amyot, Lesage, de Grandpré, Colas, Bernard & Drolet, Québec.