Synthèse
Référence neutre : [1976] 1 R.C.S. 53
Date de la décision :
19/12/1974Sens de l'arrêt :
Le pouvoi de thomas boyd doit être accueilli, les pourvois de j. bruce johnston et eric silk doivent être rejetés
Analyses
Véhicule automobile - Accident routier - Obligation statutaire d’un policier d’assurer la sécurité du public après un accident antérieur - Policier tenu à réparer le préjudice subi - Responsabilité civile du Commissaire - The Police Act, R.S.O. 1970, c. 351, art. 3(3) a), 46 et 47.
Police - Obligation de diligence après un accident routier - Obligation statutaire - Omission de prendre les précautions nécessaires pour avertir les automobilistes du danger - Omission d’avoir averti le ministère de la Voirie avec célérité - The Police Act, R.S.O. 1970, c. 351, art. 3(3) a), 46 et 47.
Le ministère de la Voirie, par l’entremise d’une société de construction, avait construit un grand ponceau en ciment et l’excavation en travers de la route, dans laquelle le tuyau avait été installé, était encore ouverte. Une déviation avait été établie sur le côté ouest de la chaussée et un panneau «Construction de route» avait été installé. Cinq autres panneaux avaient également été installés sur l’accotement de la route, à savoir un panneau «Projet», un grand panneau de 3 pieds sur 6 portant, en lettres noires sur fond jaune réfléchissant, l’inscription «Construction d’un ponceau à un demi-mille», un autre grand panneau identique, de même dimension, portant l’inscription «Construction d’un ponceau à un quart de mille», un panneau de 4 pieds sur 4 portant, en lettres noires sur fond jaune, l’inscription «Déviation — 1000 pieds», et finalement un panneau portant une flèche jaune et noire indiquant le sens de la déviation au-dessus des mots «Maximum 20». Ce dernier panneau était surmonté d’un feu clignotant. En face de l’excavation, il y avait un panneau de 7 pieds sur 7 portant une grande flèche noire. Ce panneau était également surmonté d’un feu clignotant. Une automobile a renversé le panneau de 7 pieds sur 7, a franchi l’excavation, a heurté un autre panneau semblable installé de l’autre côté, a fait plusieurs tonneaux et a été complète-
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ment détruite. Plus tard, après que la police eut nettoyé puis quitté les lieux de l’accident mais avant que le ministère de la Voirie ne réinstalle les panneaux, l’intimé Schacht plongea avec sa voiture dans l’excavation où il fut trouvé, blessé, à l’intérieur de sa voiture, par un policier qui était revenu sur les lieux de l’accident pour y chercher le protège-objectif de son appareil photographique. Le premier accident est survenu vers 12 h 30 a.m., un agent de la sûreté municipale est arrivé sur les lieux vers 12 h 45 a.m., le premier agent de la Sûreté provinciale vers 1 h 15 ou 1 h 20 a.m. et le caporal Johnston à 1 h 44 a.m., mais le ministère de la Voirie n’a été avisé qu’à 2 h 55 a.m. ou quelques minutes plus tard. Si ce Ministère avait été averti plus tôt, il semble que les panneaux auraient été remplacés bien avant le deuxième accident. L’intimé intenta une action contre le Commissaire de la Sûreté provinciale de l’Ontario, contre le Caporal Johnston et contre deux policiers, l’action contre ces derniers étant fondée sur des allégations de négligence dans l’exercice de leurs fonctions. L’action a été rejetée en première instance où le juge Fraser a déclaré que s’il avait conclu qu’ils étaient tenus à réparation, il aurait évalué la responsabilité de l’intimé à 50 pour cent, celle du caporal Johnston à 40 pour cent, celle de l’agent Boyd à 10 pour cent et celle de l’agent O’Rourke à néant. La Cour d’appel a accueilli l’appel subséquent, accordant à l’intimé 50 pour cent de la somme de dommages-intérêts déterminée en première instance mais modifiant la part de responsabilité qui avait été imputée au caporal Johnston et à l’agent Boyd. Le Commissaire a été tenu de payer le 50 pour cent adjugé contre ses agents.
Arrêt (les juges Martland, Judson et Pigeon étant dissidents): Le pouvoi de Thomas Boyd doit être accueilli, les pourvois de J. Bruce Johnston et Eric Silk doivent être rejetés.
Le juge en chef Laskin et les juges Ritchie, Spence, Dickson, Beetz et de Grandpré: Les articles 3(3) a) et 46 du Police Act, R.S.O. 1970, c. 351, imposent aux agents de la Sûreté provinciale certaines obligations qui, selon l’interprétation judiciaire, leur incombent non seulement vis-à-vis de leurs supérieurs et du Commissaire mais aussi vis-à-vis de tout citoyen. L’article 3(3) a) impose à un agent de la Sûreté provinciale l’obligation d’essayer de rendre les routes sûres pour la circulation et de prendre les mesures nécessaires pour avertir les éventuels usagers de la route de tout danger découlant d’un accident antérieur et créant un risque déraisonnable de préjudice. Le caporal Johnston a omis de remettre sur pieds les panneaux indicatifs de danger et de prévenir
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avec célérité le ministère de la Voirie et fut à bon droit tenu responsable. L’agent subalterne se trouvait dans une situation différente et on ne peut lui reprocher d’avoir laissé à son supérieur le soin de prendre les mesures que commandait la protection de la circulation routière.
Les juges Martland, Judson et Pigeon, dissidents: Les circonstances de la présente cause ne révèlent aucun manquement à une obligation statutaire de la part du Caporal Johnston. Les fonctions des membres de la Sûreté provinciale de l’Ontario sont définies à l’art. 46 du Police Act et la prétention qu’il y a eu manquement à l’obligation définie à l’al.d) du par. (1) de l’art. 46 «d’accomplir en général les fonctions que leur attribue le commissaire» doit être rejetée car rien ne démontre que la tâche d’effectuer une patrouille de la route ou de la circulation avait été attribuée au caporal Johnston. En tout état de cause, il n’y a rien dans le Police Act qui laisse supposer de la part de la Législature l’intention de retenir la responsabilité d’un membre de la Sûreté qui omet d’accomplir une des fonctions que lui attribue cette loi. Le Commissaire n’est tenu civilement responsable que d’un délit commis par un membre de la Sûreté dans l’accomplissement de ses fonctions; la loi ne prévoit pas que le Commissaire est responsable des dommages résultant de l’omission par un membre de la Sûreté d’accomplir une fonction qui lui a été attribuée. En droit commun, aucune des causes citées ne permet d’établir que le Caporal Johnston, dans cette affaire, avait une obligation légale envers l’intimé.
[Arrêts mentionnés: Dorset Yacht Co. Ltd. v. Home Office, [1970] A.C. 1004; Haynes v. Harwood, [1935] 1 K.B. 146; Priestman c. Colangelo et al., [1959] R.C.S. 615; Dutton v. Bognor Regis Urban District Council, [1972] 1 Q.B. 373.]
POURVOI interjeté à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario[1] qui a accueilli en partie l’appel d’un jugement de première instance rendu par le juge Fraser. Pourvoi de Thomas Boyd accueilli, pourvois de J. Bruce Johnston et Eric Silk rejetés, les juges Martland, Judson et Pigeon étant dissidents.
B. Wright et J.T. McCabe, pour les appelants.
E.A. Cherniak, c.r., pour l’intimé.
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Le jugement du juge en chef Laskin et des juges Ritchie, Spence, Dickson, Beetz et de Grandpré a été rendu par
LE JUGE SPENCE — Le présent pourvoi est interjeté contre un arrêt en date du 25 octobre 1972 de la Cour d’appel de l’Ontario qui avait accueilli partiellement un appel formé contre le jugement que le juge Fraser avait rendu le 7 décembre 1971 à l’issue de l’instruction de l’affaire.
A l’ouverture de l’instruction, fut déposé un consentement en vue du rejet de l’action sans dépens contre Sa Majesté la Reine du chef de la province de l’Ontario, représentée par le ministre de la Voirie de la province de l’Ontario, et contre les compagnies Cox Construction et Wallace Construction, si bien que ces parties ne nous concernent donc plus.
Les faits, qu’il sera nécessaire de décrire de façon très détaillée, sont les suivants: au cours de l’automne 1969, le ministère de la Voirie de la province de l’Ontario a effectué,des travaux de réparation des ponceaux qui passaient sous la route provinciale n° 9 entre la ville d’Harriston et le village de Teviotdale. Vers 12 h 30 a.m., le dimanche 12 octobre 1969, un automobiliste, Blancke, qui roulait en direction sud sur la route 9, a heurté un grand panneau, dont nous donnerons une description précise un peu plus loin, a franchi l’excavation ouverte pour installer un ponceau, a heurté un autre panneau semblable sur le côté sud du croisement et a fait plusieurs tonneaux. Sa voiture a été complètement détruite. Blancke fut très gravement blessé et son passager est décédé des suites de l’accident.
Je reprendrai la description très concise de la configuration des lieux avant l’arrivée de Blancke, qu’a faite le juge d’appel Schroeder dans les excellents motifs de l’arrêt de la Cour d’appel:
[TRADUCTION] Le ministère de la Voirie, par l’entremise d’une société de construction, avait construit un grand ponceau en ciment à l’endroit où l’accident s’est produit. Bien que le ponceau ait été mis en place, la route se trouvait encore ouverte sur toute la longueur de l’excavation. Une déviation avait été établie sur le côté ouest de la chaussée. On avait également installé sur l’accotement de la route 9 un panneau «Construction de route» juste au sud d’Harriston. Au sud de ce panneau,
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se trouvait un autre panneau «Projet», indiquant le nom de l’entrepreneur et le numéro du contrat. En se dirigeant vers le sud sur la route 9, ces panneaux étaient suivis d’un autre panneau de 3 pieds sur 6 portant, en lettres noires sur fond jaune réfléchissant, l’inscription «Construction d’un ponceau à un demi-mille». Ce panneau était suivi un peu plus loin d’un autre panneau identique, de même dimension, qui indiquait «Construction d’un ponceau à un quart de mille».
Il y avait également un cinquième panneau, de 4 pieds sur 4, portant, en lettres noires sur fond jaune, l’inscription: «Déviation — 1,000 pieds». A deux cents pieds au nord de l’endroit où commençait la déviation, on avait également fixé un sixième panneau portant une flèche jaune et noire indiquant le sens de la déviation avec, en-dessous, en lettres noires sur fond blanc, «Maximum 20» et, au-dessus, un feu clignotant. Tous ces panneaux étaient posés sur l’accotement de la chaussée.
Direction en face de l’excavation, tant au nord qu’au sud, il y avait un grand panneau, de 7 pieds sur 7, à fond jaune. Le panneau portait sur les bords des carreaux jaunes et noirs de douze pouces ainsi qu’une grande flèche noire pointant vers l’ouest dans la direction de la déviation. Ce dernier panneau était surmonté d’un feu clignotant. Les accotements de la déviation étaient également jalonnés d’un certain nombre de panneaux indicatifs de danger de 12 pouces sur 36. Ces panneaux, de couleur jaune à bandes noires diagonales venaient, d’après la description qui en a été faite, «à hauteur d’épaule».
Le véhicule de Blancke, ainsi que je l’ai déjà dit, a donc renversé les deux grands panneaux, de forme carrée, qui se trouvaient au milieu de la route, tant celui du côté nord de l’excavation que celui du côté sud. Le panneau nord, le premier que la voiture conduite par Blancke a heurté, a été précipité dans l’excavation et, même si le feu clignotant placé à son extrémité supérieure semblait encore fonctionner, on ne pouvait le voir du fait qu’il se trouvait masqué par la tranchée. William Thackery, agent de police de la ville d’Harriston, a été informé de l’accident par un autre automobiliste quelque temps après 12 h 30 a.m., ou peut-être même un peu avant. L’accident s’étant produit sur une route provinciale relevant de la compétence de la Sûreté provinciale de l’Ontario, il a immédiatement retransmis le message à la permanence téléphonique du poste le plus proche de la Sûreté provinciale de l’Ontario à
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Mount Forest. Il lui fut répondu que la Sûreté provinciale de l’Ontario ne disposait pas d’une voiture à proximité immédiate des lieux de l’accident et il lui fut suggéré de s’y rendre lui‑même. Thackery se rendit immédiatement sur les lieux en empruntant la route 9 vers le sud. Il passa devant sa propre maison qui se trouvait entre la ville d’Harriston et le lieu de l’accident ainsi que devant une station-service située au coin de la route 9 et de la route de comté n° 5 dont je reparlerai plus loin. Il arriva sur les lieux entre 12 h 30 a.m. et 12 h 45 a.m. Il était le premier agent de police sur les lieux.
Thackery stationna sa voiture à environ 150 pieds au nord du ponceau et laissa son clignotant en état de marche. En outre, il remit une lampe à un automobiliste qui passait et lui demanda de se rendre au sud du ponceau afin de stopper la circulation allant vers le nord. Le premier agent de la Sûreté provinciale de l’Ontario arriva sur les lieux de l’accident vers 1 h 15 ou 1 h 20 a.m.; le caporal William Johnston qui était chargé de diriger le travail des policiers, arriva à 1 h 44 a.m. Thackery resta sur place jusqu’à 2 h 30 a.m. Le caporal Johnston et les agents de la Sûreté provinciale de l’Ontario étaient occupés à dégager les lieux de l’accident, à évacuer le passager mortellement blessé et le conducteur et à faire enlever le véhicule accidenté par les camions de dépannage. Le caporal Johnston ne quitta les lieux qu’à 3 h 01 a.m. Il ne laissa sur place aucun agent et les seuls signaux qui indiquaient la survenance de l’accident étaient une série de petits feux de Bengale mis en place avant 3 h 01 a.m. et d’une durée de fonctionnement de vingt minutes au maximum.
Un autre agent de la Sûreté provinciale, Thomas Boyd, se trouvait également en mission cette nuit-là au nord d’Harriston. Vers les 3 h du matin, il reçut l’ordre de se rendre sur la route de comté n° 10, bien au sud du lieu de l’accident et au sud également de Teviotdale, pour enquêter sur un autre accident qui, semblait-il, n’avait donné lieu qu’à des dommages matériels. L’agent Boyd prit immédiatement la route 9 vers le sud, passa en face des travaux de construction où l’accident s’était produit et continua son chemin jusqu’à l’en-
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droit où était survenu l’autre accident ainsi qu’il en avait reçu l’ordre. Il savait qu’un accident s’était produit à l’endroit de l’excavation et il remarqua, alors qu’il se dirigeait vers le sud, que le très grand panneau couronné d’un clignotant, qui aurait dû se trouver directement au nord du ponceau, avait été renversé. Il ne s’arrêta pas pour prendre les mesures qui s’imposaient pour écarter le danger. Lors de son interrogatoire préalable, il ne donna pas une réponse catégorique lorsqu’il lui fut demandé s’il avait vu des feux de Bengale qui brûlaient. Il fut cité comme témoin par la défense et, au cours du contre-interrogatoire, on lui posa la question suivante à plusieurs reprises:
[TRADUCTION] Q. Il n’y avait pas de voitures, personne, pas de feux?
R. Non.
Q. Il n’y avait donc rien pour avertir une personne qui ne connaissait pas la route qu’au moment où elle arriverait au ponceau, la route cédait la place à ce ponceau?
R. Non, il n’y avait rien.
Q. Passons aux panneaux. Ceux qui indiquaient la déviation, notamment le panneau avec la barre ondulée, ce panneau avec la barre ondulée se trouvait bien à 200 pieds environ avant les travaux, mais une personne qui parcourait ces 200 derniers pieds n’avait aucun moyen de savoir que la route se terminait sur une excavation, n’est-ce pas?
R. Non.
J’en conclus donc qu’au moment où l’agent Boyd est passé sur les lieux dans la direction sud pour aller constater un autre accident à 3 h 15 a.m., les feux de Bengale étaient déjà éteints et que, bien qu’il y eût des travaux de construction entrepris à cet endroit, il n’y avait rien qui indiquait qu’une excavation profonde avait été percée sur toute la longueur de la chaussée. Je voudrais ajouter que le caporal Johnston n’a appelé le ministère de la Voirie pour l’avertir de la destruction des deux grand panneaux qu’à 2 h 55 a.m., c’est-à-dire six minutes avant de quitter les lieux.
Le demandeur, un jeune homme ayant ses lieux de résidence et de travail à London en Ontario,
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avait décidé de passer la fin de semaine de l’Action de grâces chez ses parents à Durham, au nord-est des lieux de l’accident. Après s’être arrêté à Milverton, il s’était rendu à une soirée dansante en compagnie d’un ami à Listowel, puis était revenu à Milverton où il avait repris sa voiture pour reconduire chez elle une jeune fille qu’il avait rencontrée ce soir-là, elle habitait à environ trois milles au nord d’Harriston sur la route 9. Le demandeur ne connaissait pas très bien les routes de la région et sa passagère lui servit de guide de Milverton à Harriston, en passant par Listowel et Palmerston. Il quitta Palmerston par la route du comté n° 5 qui se dirigeait à peu près en ligne droite vers le nord et aboutissait à la route provinciale n° 9 à moins d’un mille environ au sud de la ville d’Harriston. Le demandeur déposa la jeune fille chez elle, bavarda quelque temps avec elle devant sa porte, puis reprit la direction de Milverton où il avait l’intention de passer la nuit chez son ami. La jeune fille lui avait bien dit qu’il devait tourner à droite sur la route 9 pour prendre la route de comté n° 5 au sud d’Harrriston, mais il manqua le tournant sur la route 9. Le demandeur arriva quasi immédiatement après sur les lieux du chantier de construction, remarqua que la route était en mauvais état et n’aperçut qu’un panneau sur lequel il vit la mention «Déviation». Bien que le demandeur eût déclaré qu’il ne l’avait pas vu, ce panneau portait également en-dessous l’inscription «1,000 pieds».
Se rendant compte qu’il s’était égaré, le demandeur, selon ses dires, réduisit sa vitesse à environ 30 à 40 milles à l’heure et se mit à chercher un endroit pour faire demi-tour et reprendre son chemin. Son témoignage s’achevait en ces termes: [TRADUCTION] «Et tout ce que je me rappelle, c’est de m’être réveillé à l’hôpital».
Il est évident que le demandeur est tombé dans la même excavation que celle dans laquelle avait abouti Blancke trois heures plus tôt. En raison de la vitesse beaucoup plus réduite à laquelle le demandeur circulait, ce deuxième accident ne fut pas aussi grave que le premier, mais le demandeur
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fut toutefois blessé et sa voiture sérieusement endommagée. Il n’a pas été possible de déterminer le moment exact auquel est survenu l’accident du demandeur, mais le caporal Johnston ayant constaté, après avoir quitté les lieux, qu’il avait oublié de reprendre le protège-objectif de son appareil photographique, fit demi-tour pour le retrouver. Il arriva sur les lieux à 3 h 52 a.m. et aperçut la voiture du demandeur dans l’excavation et le demandeur qui y était assis. Aucun autre agent ne se trouvait sur les lieux à ce moment-là si bien que l’on peut présumer, à mon avis, que l’accident s’est produit à 3 h 52 a.m. ou peu de temps avant.
L’agent Boyd, occupé à constater l’accident sur la route de comté n° 10, fut informé de l’accident du demandeur et se rendit immédiatement sur les lieux. Il arriva à 4 h 11 a.m. et constata que deux employés du ministère de la Voirie étaient également présents et avaient redressé les deux grands panneaux. Si l’on sait que les employés du ministère de la Voirie venaient de Stratford en Ontario et n’avaient été avertis qu’à 2 h 55 a.m. ou un peu plus tard, s’être rendus sur les lieux et avoir remis en place les panneaux à 4 h 11 a.m., c’est-à-dire une heure et seize minutes plus tard, prouvent que la réaction du Ministère dans ce cas a été très rapide. Si les employés du Ministère avaient été avertis à 1 h 20 a.m. ou même à 12 h 30 a.m., lorsque la Sûreté provinciale de l’Ontario avait été avisée de l’accident, on aurait été en droit de s’attendre à ce que les panneaux aient été remplacés bien avant le deuxième accident survenu au demandeur dans l’action dont nous sommes saisis.
Sur la base de ces faits, le demandeur a intenté une action contre le caporal Johnston, l’agent O’Rourke (un autre agent de la Sûreté provinciale de l’Ontario qui se trouvait sur les lieux en compagnie du caporal Johnston), contre Thomas Boyd, l’agent de la Sûreté provinciale de l’Ontario qui était passé sur les lieux à 3 h 15 a.m., et contre Eric Silk, c.r., le commissaire de la Sûreté provinciale de l’Ontario. L’action contre le commissaire Silk était fondée sur l’art. 47 de la loi intitulée The Police Act, R.S.O. 1970, c. 351. L’article 47 de cette loi est libellé comme suit:
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[TRADUCTION] 47. (1) Le Commissaire répond des délits civils que commettent les membres de la Sûreté dans l’accomplissement effectif ou présumé de leurs fonctions au même titre qu’un commettant répond de ceux que ses préposés commettent dans le cadre de leur emploi et il est, à l’égard de ces délits, considéré comme coauteur.
(2) Le Trésorier de l’Ontario impute sur le Fonds du revenu consolidé
a) les dommages-intérêts adjugés contre le commissaire dans toute procédure engagée à son encontre en vertu du présent article ainsi que les frais qu’il a exposés au cours de cette procédure et qu’il n’a pas recouvrés; et
b) sous réserve de l’approbation du lieutenant-gouverneur en conseil, toute somme requise pour régler une demande en indemnisation formée contre le commissaire en vertu du présent article.
L’action contre les agents de police se fondait évidemment sur les allégations de négligence dans l’exercice de leurs fonctions. Le juge Fraser reporta son jugement après l’instruction et, dans des motifs soigneusement rédigés, que je fais miens en ce qui concerne la négligence réelle, aboutit à la conclusion suivante:
[TRADUCTION] «Je n’examinerai pas maintenant la question des causes de l’accident et de la responsabilité légale de la police, mais je n’ai aucune hésitation, après avoir étudié les faits, à conclure que la police s’est rendue coupable de négligence grave en ne laissant personne sur les lieux ou en ne prenant pas les mesures qui s’imposaient pour protéger les autres usagers de la route. Leur retard à aviser le ministère de la Voirie constitue également une négligence de leur part. Dans le contexte qui nous occupe, j’emploie le mot «négligence» dans son sens habituel de défaut d’exercer une diligence raisonnable eu égard aux circonstances. J’aborderai plus loin la question de savoir si les policiers ont manqué aux obligations qu’ils avaient envers le demandeur et s’il sont, pour cette raison, tenus à réparation.
Toutefois, le juge Fraser, après une analyse du droit applicable et notamment des dispositions législatives en vigueur, a conclu que ni les agents de la Sûreté provinciale ni le commissaire Silk ne pouvaient être tenus de réparer le préjudice subi. Il a rejeté l’action dirigée contre les défendeurs Johnston, O’Rourke, Boyd et le commissaire Silk sans toutefois condamner le demandeur aux dépens. S’il avait conclu qu’ils étaient tenus à
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réparation, le juge Fraser aurait évalué la responsabilité du demandeur à 50 pour cent, celle du caporal Johnston à 40 pour cent, celle de l’agent Boyd à 10 pour cent et celle de l’agent O’Rourke à néant.
Le demandeur s’est pourvu devant la Cour d’appel dont le jugement unanime a été rendu par le juge Schroeder. La Cour d’appel a accueilli l’appel du demandeur et a fixé les dommages‑intérêts à $5,743, soit cinquante pour cent de la somme déterminée par l’éminent juge de première instance. M. Silk, en sa qualité de commissaire, était tenu de payer cette somme en entier, mais la Cour d’appel a fixé à 80 pour cent la responsabilité du caporal Johnston et à 20 pour cent celle de l’agent Boyd. Je reviendrai par la suite sur la responsabilité de l’agent Boyd.
Dans ses motifs, le juge d’appel Schroeder a cité les conclusions suivantes, tirées des faits, qui avaient été faites par l’éminent juge de première instance et que le juge Fraser a estimées largement étayées par les éléments de la preuve, opinion à laquelle je me rallie.
[TRADUCTION] a) Le grand panneau situé près de l’excavation avait une importance capitale, car il était installé en plein sur la route que suivaient les conducteurs et était surmonté d’un feu clignotant.
b) Renversé au moment du premier accident, ce grand panneau ainsi que le feu clignotant ne pouvaient plus être aperçus par les usagers de la route. Les autres panneaux n’offraient plus qu’une mise en garde très insuffisante pour un danger de la gravité que présentait ce ponceau sur la route provinciale.
c) Lorsque le caporal Johnston a quitté les lieux, il n’y avait aucun autre policier sur place, aucune mesure n’a été prise pour signaler ou baliser le danger; seuls furent placés des feux de Bengale, d’une durée de fonctionnement de vingt minutes, qui avaient été allumés avant le départ du caporal Johnston. Aucune autre précaution particulière ne fut prise.
d) Passant sur les lieux de l’accident à 3 h 15 a.m. pour répondre à un appel non‑urgent, l’agent Boyd a pu se rendre compte de la situation, mais n’est pas intervenu.
e) L’inaction des défendeurs, jointe à la notification tardive de l’accident au ministère de la Voirie, consti-
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tuent une négligence grave de leur part (le terme «négligence» étant entendu dans son sens non-juridique).
f) Le demandeur est un témoin d’une grande franchise et honnêteté, qui a rapporté les faits dans la mesure où il s’en souvenait et son témoignage doit être préféré à celui de l’agent Boyd.
g) Le demandeur ne s’est pas endormi au volant.
h) Le demandeur n’a pas fait preuve de la vigilance voulue. Sa négligence a contribué à l’accident.
i) La négligence des agents de police s’est poursuivie jusqu’au moment de l’accident et était à ce point mêlée et concurrente à celle du demandeur qu’il y a lieu de partager les responsabilités comme suit: 50% au demandeur, 40% au défendeur Johnston et 10% au défendeur Boyd.
Ainsi que le juge Fraser le notait, il n’a été invoqué ni devant la Cour d’appel ni devant cette Cour d’arrêts s’appliquant exactement à la situation que nous sommes appelés à examiner. Il y a bien quelques précédents utiles, je les mentionnerai d’ailleurs par la suite, ainsi que certaines dispositions législatives. Pour le principal, toutefois je reprendrai l’opinion exprimée par lord Diplock dans Dorset Yacht Co. Ltd. v. Home Office[2], à la p. 1058:
[TRADUCTION] Je suis d’accord avec le Maître des Rôles pour déclarer que la question dont nous sommes saisis dans le présent appel «est…au fond une question d’ordre public que nous devons, en tant que juges, résoudre».
Le texte législatif qui nous intéresse le plus en l’espèce est la loi intitulée The Police Act R.S.O. 1970, c. 351, dont l’al. a) du par. (3) de l’art. 3 est libellé comme suit:
[TRADUCTION] 3. (3) En plus d’accomplir les missions de police énumérées au paragraphe (1), la Sûteté provinciale de l’Ontario doit
a) effectuer des patrouilles de la circulation
(i) sur les routes royales, à l’exclusion des tronçons que désigne le Ministre, et
(ii) sur les voies de raccordement, au sens du Highway Improvement Act, que désigne le Ministre:
L’article 46 de cette même loi énonce ce qui suit:
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[TRADUCTION] 46. (1) Sous réserve des dispositions particulières de la présente loi et des ordres du Commissaire, il incombe aux membres de la Sûreté provinciale de l’Ontario
a) d’accomplir toutes les missions qui sont attribuées aux agents de police en vue de conserver la paix, de prévenir le crime et les infractions aux lois en vigueur en Ontario et aux lois pénales du Canada, et d’arrêter les criminels, auteurs d’infraction et autres personnes qui peuvent être légalement mises sous garde;
b) d’exécuter tous les mandats, d’accomplir toutes les missions et fonctions qu’ils prévoient ou qui s’y rattachent, et que les agents de police peuvent légalement exécuter ou accomplir en vertu des lois en vigueur en Ontario;
c) d’accomplir toutes les fonctions que les agents de police peuvent légalement accomplir en vue d’escorter et de conduire les détenus, prisonniers et incapables mentaux aux tribunaux, aux lieux de correction et de détention, aux hôpitaux ou autres endroits et de les en ramener; et
d) d’accomplir en général les fonctions que leur attribue le commissaire.
(2) Sauf dans le cadre d’un accord conclu en vertu de l’art. 62, la Sûreté de l’Ontario n’assume aucune mission se rattachant aux règlements municipaux.
J’insiste particulièrement sur l’al. d) de l’art. 46.
Il est manifeste, selon moi, que ces deux articles imposent certaines obligations spécifiques aux agents de la Sûreté provinciale. Reste à décider si ces obligations existent uniquement envers leurs supérieurs, le Commissaire et la Couronne ou bien s’il s’agit d’obligations qui leur incombent vis-à-vis de citoyens auxquels l’inexécution ou l’exécution négligente de ces fonctions peut causer un préjudice.
Le juge d’appel Schroeder a saisi le problème avec netteté et clairvoyance, si je puis ainsi m’exprimer lorsqu’il a déclaré:
[TRADUCTION] Présentes au niveau municipal, provincial et fédéral, les forces de police exercent des pouvoirs visant à défendre l’ordre, la sécurité, la salubrité, les bonnes mœurs et le bien-être général de la société. Non seulement il est impossible, mais encore il est peu souhaitable d’assigner des limites rigides aux pouvoirs et fonctions des agents de police chargés d’exercer ces pouvoirs à l’égard des particuliers sur lesquels ils ont
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compétence et qu’ils doivent protéger. L’énumération des fonctions que la loi leur impose n’est point limitative. Il vaut infiniment mieux que les tribunaux décident dans chaque affaire qui leur est soumise, compte tenu de l’intérêt public, si la loi impose en l’espèce certaines obligations à la police.
Après s’être référé à certains arrêts, aux dispositions législatives et aux éléments de la preuve il concluait ainsi qu’il suit:
[TRADUCTION] Considérée d’un point de vue superficiel, la passivité des deux agents face au danger manifeste que présentait l’excavation insuffisamment protégée peut sembler être tout au plus une faute par abstention (non-feasance), mais dans le cas de fonctionnaires de l’État qui ne sont pas tenus à une simple obligation sociale, mais à ce que j’estime être une obligation légale, il s’agissait d’une omission équivalant à une exécution fautive (misfeasance). Les agents de la circulation ont les mêmes fonctions et obligations que celles qui incombent aux agents de police. Les obligations que je leur attribuerais découlent non seulement des lois pertinentes dont il a été fait mention, mais aussi de la common law qui reconnaît l’existence d’une obligation large, traditionnelle ou coutumière, à charge de la force de police en tant que prolongement de l’État, de protéger la vie, l’intégrité physique et les biens de l’individu.
Dans Haynes v. Harwood[3], la Cour d’appel d’Angleterre a accordé des dommages-intérêts à un agent de police en réparation des blessures qu’il avait subies en s’efforçant de maîtriser des chevaux qui s’étaient enfuis à cause de la négligence des défendeurs, propriétaires de ces animaux. Il avait été décidé que l’agent de police n’était pas un simple volontaire et, par conséquent, que son droit à réparation n’était pas assujetti aux limites applicables à un simple volontaire. A la p. 162, le juge Maugham déclarait à propos de la police:
[TRADUCTION] A mon avis, les policiers ne sont point de simples spectateurs lorsqu’un accident se produit ou semble sur le point de se produire; ils ont, je crois, une obligation, laissée à leur discrétion, de prévenir un accident découlant de l’action de forces irrésistibles sur la voie publique s’ils sont en mesure de le faire.
Dans Priestman c. Colangelo et al.[4], cette Cour était saisie du problème de la responsabilité d’un agent de police qui, en essayant d’arrêter un voleur
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qui s’enfuyait à bord d’une voiture volée, avait tiré un coup de feu en direction d’un pneu de la voiture et avait atteint le conducteur, le rendant inconscient et lui faisant perdre la maîtrise de la voiture volée qui avait tué deux piétons sur le trottoir. Le juge Locke, chargé de rendre le jugement majoritaire de la Cour, avait déclaré à la p. 627:
[TRADUCTION] J’estime que l’action de l’appelant en l’espèce était raisonnablement nécessaire eu égard aux circonstances et n’était pas plus que raisonnablement nécessaire pour empêcher la fuite du voleur et protéger les personnes dont la sécurité aurait été menacée si la voiture volée avait atteint l’intersection avec l’avenue Pape. En ce qui a trait à Priestman, le fait que la balle ait atteint Smythson constitue, à mon avis, un simple accident. Quant aux pertes de vies humaines provoquées par ce lamentable incident, je considère qu’aucun recours ne peut être exercé contre l’appelant.
Dans cet extrait, le juge Locke mentionnait non seulement l’obligation qu’avaient les agents de police envers leurs supérieurs de capturer le voleur en fuite, mais aussi celle qui leur incombait, vis-à-vis des personnes se trouvant sur la chaussée, de les protéger d’une tragédie quasi inévitable si la voiture volée n’avait pu être arrêtée.
Dans sa dissidence, le juge Cartwright, alors juge puîné, estimait que l’obligation mise à charge des policiers avait été exécutée sans se préoccuper de la sécurité des autres personnes présentes.
J’ai déjà mentionné l’affaire Dorset Yacht Club v. Home Office[5], où la cour était saisie d’un cas où trois employés avaient reçu mission de garder des détenus d’une institution Borstal qui se trouvaient sur une île à proximité d’un mouillage pour bateaux. Les gardiens avaient laissé les détenus sans surveillance et sept d’entre eux s’échappèrent, s’emparèrent d’un bateau dans le bassin, l’endommagèrent et entrèrent en collision avec un autre bateau, causant des dégats considérables aux deux embarcations. Il fut décidé, confirmant sur ce point le jugement de la Cour d’appel, que les gardiens de l’institution avaient envers les propriétaires de bateaux, défendeurs à l’instance, l’obligation de faire preuve de diligence raisonnable que
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commandaient les circonstances pour empêcher les jeunes détenus placés sous leur surveillance d’endommager les biens des demandeurs, chose qui risquait manifestement de se produire s’ils négligeaient leur obligation. En appel, la Chambre des Lords s’est principalement préoccupée de la conduite des détenus dans l’intervalle de temps séparant la négligence des gardiens des dommages causés aux bateaux. Nous ne nous arrêterons pas à cette question puisque ce qui nous intéresse ici, c’est la négligence des agents qui est la cause directe des blessures subies par le demandeur. Toutefois, certaines parties du jugement présentent un intérêt particulier, et je cite le texte de Lord Reid, aux pp. 1026 et 1027:
[TRADUCTION] A une certaine époque, c’eut été un argument de première force. Au début de ce siècle, la majorité des juristes éminents estimaient qu’il y avait un certain nombre de délits civils distincts faisant intervenir la négligence, chaque délit ayant ses propres règles, mais ils étaient peu enclins à en ajouter d’autres. Ils connaissaient évidemment un certain nombre de grands arrêts où les tribunaux avaient reconnu de nouvelles obligations et de nouveaux moyens d’action. Mais l’âge héroïque était, selon eux, du passé, il était temps de consacrer la certitude et la sécurité dans le droit. Les catégories d’actes de négligence étaient virtuellement fermées. Le procureur général nous invite à retrouver ces jours heureux, mais aussi attractive que puisse être cette invitation, je ne puis y accéder.
Par la suite s’est affirmée une tendance constante à considérer le droit de la négligence sous l’angle des principes; c’est-à-dire que chaque fois que se pose un nouveau point de droit, il conviendrait de se demander non plus si les précédents visaient ce cas, mais si des principes reconnus lui étaient applicables. L’affaire Donoghue v. Stevenson [1932] A.C. 562 peut être regardée comme le point de départ de cette nouvelle conception; de même y aurait-il lieu de considérer le passage bien connu du jugement de lord Atkins comme une déclaration de principe. Il ne faut point y voir une définition à caractère législatif. Elle devra être précisée dans chaque nouvelle affaire. Mais j’estime que c’est justement le moment où nous pouvons et devrions affirmer qu’il y aurait lieu de l’appliquer sauf s’il existe une raison ou une explication valable justifiant son exclusion.
…
Mais je ne vois rien en l’espèce qui nous empêche de nous fonder sur les principes posés par Lord Atkin.
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Malgré cela, il a été affirmé que les intimés ne pouvaient avoir gain de cause eu égard au principe général que la responsabilité d’une personne ne peut être engagée à raison des actes d’un tiers qui n’est pas son préposé ou qui n’agit pas pour son compte. Mais, en l’espèce, il n’est pas question de responsabilité pour les actes des fuyards, mais pour le préjudice causé par le manque de diligence des gardiens qui devaient savoir que leur manque de diligence amènerait probablement les détenus à causer un préjudice de ce genre.
La situation dans laquelle l’exécution négligente par un agent d’une obligation que lui imposait la loi ou, en fait, l’inexécution de cette obligation a causé un préjudice au demandeur a également été considérée par la Cour d’appel d’Angleterre dans l’affaire Dutton v. Bognor Regis Urban District Council[6]. Il s’agissait en l’espèce de l’obligation que les règlements imposaient à un inspecteur des bâtiments de vérifier, entre autres choses, les fondations d’une maison neuve. Avisé de l’exécution des tranchées, l’inspecteur s’était rendu sur les lieux et avait examiné les tranchées. Or, comme il fut constaté par la suite, les fondations présentaient de tels défauts que le bâtiment s’affaissa, causant un grave préjudice au propriétaire qui avait acheté la maison au constructeur. Le propriétaire intenta alors une action contre le constructeur et le Conseil de Bognor Regis. Lord Denning déclara à la p. 392:
[TRADUCTION] A mon avis, la mission de contrôle confiée à l’autorité locale est à ce point étendue qu’elle est source d’obligation, elle fait obligation au conseil d’exercer ce contrôle de façon appropriée et avec une diligence raisonnable. La common law a toujours considéré qu’un droit de contrôle sur l’exécution de travaux emportait une certaine responsabilité à l’égard de ces travaux.
A la p. 397, il continuait en ces termes:
[TRADUCTION] Cette affaire est entièrement nouvelle, jamais une action pour négligence lors de l’inspection d’une maison n’a été intentée contre un conseil ou un de ses ingénieurs. On peut lui appliquer les commentaires de Lord Atkin dans Donoghue v. Stevenson. Mais il s’agit de savoir s’il y a lieu de le faire en l’espèce. Dans Dorset Yacht Co. Ltd. v. Home Office [1970] A.C. 1004, lord Reid a déclaré, à la p. 1023, que Lord
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Atkin exprimait un principe qu’il convenait d’appliquer en général «sauf dans les cas où existait une raison ou une explication valable justifiant son exclusion». Lord Pearson s’est exprimé dans les mêmes termes à la p. 1054. Mais Lord Diplock estimait qu’il s’agissait d’un repère et non d’un principe d’application universelle (p. 1060). Pour ma part, il me semble qu’il s’agit là d’une question de principe que nous juges devons trancher. Il nous faut, dans ces affaires qui prennent une importance nouvelle, statuer en fonction du mobile de chaque acte.
Un peu plus loin à la p. 398:
[TRADUCTION] Pour terminer, je me demande: Ouvrons-nous la porte trop grande en autorisant cette nouvelle action? Serons-nous submergés d’affaires que ni le conseil ni les tribunaux ne pourront régler? Ces considérations ont parfois amené les tribunaux par le passé à rejeter des demandes nouvelles. Mais je ne vois aucune raison de rejeter la présente demande pour ce motif. La personne lésée pourra toujours faire valoir son droit contre le constructeur. Plus rarement, pourra-t-elle actionner le conseil et moins encore faire la preuve du bien-fondé de sa demande à son encontre.
Le lord juge Stamp a déclaré à la p. 411:
[TRADUCTION] Les personnes qui viendraient à acheter une maison assise sur des fondations peu sûres sont, à mon sens, à ce point immédiatement et directement lésées par la décision d’une autorité locale d’approuver ou de refuser d’approuver comme sûres les fondations que l’autorité aurait dû raisonnablement les avoir à l’esprit comme lésées lorsqu’elle se demande si elle doit donner ou refuser son approbation. Certes, en l’espèce, il était constant que les vices dont étaient affectées les fondations étaient, comme il fallait s’y attendre, cachés. Un acheteur ne pouvait, en procédant à un examen raisonnable du bâtiment, découvrir ces vices qui ne se manifesteraient qu’au moment où les fondations commenceraient à prendre leur assiette. A moins qu’il ne s’agisse que d’un exercice théorique, pour quel autre motif — si ce n’est principalement pour protéger les futurs propriétaires — la municipalité exercerait-elle ce contrôle? Et même si cette affaire n’est pas exactement comparable à d’autres qui ont été jugées, le tribunal doit se rappeler ce que Lord Macmillan a déclaré dans un passage souvent cité de son jugement dans Donoghue v. Stevenson [1932] A.C. 562, 619:
La diversité et la multiplicité des moyens d’action n’ont d’autres limites que celles des errements de la nature humaine. Le concept de la responsabilité légale peut évoluer pour s’adapter aux changements qui affectent la société et ses normes. Le critère de juge-
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ment doit se régler sur les circonstances changeantes de la vie et s’y adapter. Les diverses sortes de négligence ne sont jamais définitivement figées.
Si, dans le cas qui nous occupe, le conseil défendeur aurait dû raisonnablement avoir à l’esprit quelqu’un dans la position de la demanderesse comme une personne pouvant être lésée par ce qu’il a fait, je pose la question suivante: Pourquoi l’autorité locale ne serait-elle pas responsable envers la demanderesse du préjudice qu’elle a subi?
Faisant application de ces propositions novatrices en matière de responsabilité aux faits de la cause qui nous intéresse, je ferai remarquer que le par. (3) de l’art. 3 du Police Act oblige la Sûreté provinciale de l’Ontario à surveiller la circulation routière et, sur ce point, je me rallie à l’opinion du juge d’appel Schroeder:
[TRADUCTION] Il y a une raison bien précise d’obliger la police à assurer la surveillance des routes qui se trouvent dans leur ressort, notamment celle de faire respecter les règlements de la circulation, de faire enquête en cas d’accidents de la circulation et de porter secours aux victimes d’accident. Toutes ces actions concourent à la prévention des accidents et à la protection des usagers de la route.
Je suis d’avis que ce sont bien ces obligations que le par. (3) de l’art. 3 de cette Loi impose à un agent de police effectuant une patrouille routière. A cette fin, il est essentiel que l’agent de police essaie de rendre les routes sûres pour la circulation, ce qui met certainement à la charge du policier l’obligation de prendre les mesures qui s’imposent pour avertir les éventuels usagers de la route de tout danger découlant d’un accident antérieur et créant un risque déraisonnable de préjudice.
En l’espèce, nous nous trouvons devant un chantier dangereux, constitué par une tranchée profonde creusée en travers de la route, que les sociétés de construction responsables ont convenablement signalée par la mise en place d’une série de panneaux, au nombre de cinq, installés au nord de la tranchée. Un dernier panneau, de grande dimension, de sept pieds de côté, couronné par un feu, se trouvait placé seul au milieu de la route. Tous les autres étaient fixés sur l’accotement droit ou dans le fossé. Le panneau placé au milieu de la chaussée bloquait la circulation et
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indiquait aux automobilistes la déviation à suivre. Ces deux grands panneaux, l’un placé au nord de l’excavation et faisant face au demandeur, l’autre au sud et lui tournant le dos, auraient dû être debout et être nettement visibles, mais ils avaient été renversés lors du premier accident. C’étaient également ces deux panneaux que les agents de police n’ont pas tenté de remettre en place. Même si l’agent Thackery, arrivé le premier sur les lieux, a immédiatement et facilement pris les mesures nécessaires pour éviter un autre accident en plaçant sa voiture, clignotant en marche, à environ 150 pieds au nord du ponceau et en chargeant un automobiliste qui passait d’arrêter à l’aide d’une lampe les véhicules roulant du nord vers le sud et même si le caporal Johnston se trouvait sur les lieux de 1 h 44 a.m. à 3 h 01 a.m., entouré de voitures de police et de camions de dépannage, clignotants en marche, force nous est de constater qu’il a quitté les lieux de l’accident en n’y laissant, pour signaler la survenance de l’accident et l’absence des grands panneaux indicatifs de danger, que quelques feux de Bengale peu puissants qui se sont éteints vers les 3 h 15 a.m. Plusieurs agents auraient pu rester sur les lieux si le caporal Johnston l’avait ordonné et leurs voitures avec le clignotant en marche auraient suffi à prévenir les usagers de la route du danger qu’ils couraient. Il n’aurait fallu que peu de temps et d’effort pour remettre sur pieds les panneaux et rien n’indique qu’ils n’auraient plus assuré le rôle préventif qui était le leur avant qu’ils fussent renversés. De plus, si le caporal Johnston avait choisi de prévenir le ministère de la Voirie dès son arrivée sur les lieux, il est très probable, comme je l’ai déjà mentionné, que les panneaux auraient été remis en place bien avant l’arrivée du demandeur.
Certes, il est vrai qu’il y a eu également négligence de la part du demandeur. Le savant juge de première instance a fixé à cinquante pour cent sa part de responsabilité, décision que la Cour d’appel a confirmée et contre laquelle ne s’est pas pourvu l’intimé qui demande simplement le rejet de l’appel avec dépens et la confirmation du jugement de la Cour d’appel. Ainsi que je l’ai indiqué, je suis d’avis de rejeter l’appel en ce qui a trait aux défendeurs J. Bruce Johnston et le Commissaire Silk.
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Par contre, j’estime en me fondant sur les faits, que l’agent Thomas Boyd se trouve dans une situation différente. L’agent Boyd patrouillait au nord d’Harriston lorsqu’il reçut l’ordre de se rendre sur les lieux d’un autre accident survenu sur la route rurale 10, à Rothsay, à quatorze milles environ au sud de l’accident qui nous concerne. Il reçut cet ordre vers 3 h 00 a.m., prit immédiatement la route 9 en direction du sud et passa devant l’endroit où s’était produit l’accident qui nous concerne ainsi que celui de Blancke. Boyd était au courant du grave accident survenu à Blancke et il savait aussi que ses collègues s’en étaient occupés. Il savait qu’il devait se rendre à quatorze milles au sud de cet endroit pour constater un autre accident qui était censé n’avoir entraîné que des dégâts matériels, mais qui avait aussi provoqué de légères blessures. Il est vrai que l’agent Boyd avait remarqué le grand panneau couché dans l’excavation, mais il n’avait aucun moyen de savoir qu’une équipe du ministère de la Voirie ne se trouverait pas rapidement sur les lieux pour effectuer les réparations nécessaires. Il savait que son chef avait été chargé de l’enquête et de l’intervention de la police pour cet accident et je suis d’avis qu’il a à juste titre laissé à son supérieur le soin de prendre les mesures que commandait la protection de la circulation routière. Je suis d’avis de rejeter l’action engagée à son encontre sans dépens.
En conséquence, je suis d’avis d’accueillir l’appel de Thomas Boyd sans dépens et de rejeter avec dépens ceux de J. Bruce Johnston et d’Eric Silk. Quant au défendeur original Glenn O’Rourke, l’action exercée à son encontre avait évidemment été rejetée avec les autres par le savant juge de première instance.
A l’alinéa 2 de son jugement formel, la Cour d’appel n’accueille l’appel qu’à l’encontre des défendeurs J. Bruce Johnston, Thomas Boyd et Eric Silk et, par conséquent, le jugement de première instance qui a rejeté l’action contre le défendeur O’Rourke est resté inchangé. Lors de l’appel interjeté par Schacht contre O’Rourke, la Cour d’appel de l’Ontario n’a adjugé aucun dépens. Bien que les appelants devant cette Cour donnent à entendre qu’ils forment un pourvoi au nom du défendeur O’Rourke en tant qu’un des appelants,
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l’action ayant été rejetée contre lui et ce rejet confirmé par la Cour d’appel, O’Rourke ne pourrait en appeler que de l’omission d’adjuger des dépens en Cour d’appel.
Je suis d’avis de ne pas faire d’adjudication quant aux dépens d’O’Rourke en cette Cour ni en Cour d’appel de l’Ontario.
Le jugement des juges Martland, Judson et Pigeon a été rendu par
LE JUGE MARTLAND (dissident) — L’intimé, le demandeur dans la présente action, a réclamé des dommages-intérêts en réparation du préjudice corporel qu’il a subi à la suite d’un accident survenu le dimanche 12 octobre 1969, vers 3 h 45, à environ un ou deux milles au sud de la ville de Harriston, alors qu’il conduisait son automobile dans la direction sud sur la route provinciale ontarienne N° 9. Il y avait à cet endroit, en travers de la route, une excavation faite en vue de l’installation d’un ponceau. La circulation était détournée de l’autre côté de l’excavation par une déviation qui, pour la circulation roulant en direction sud, se traduisait par une légère courbe vers la droite qui contournait l’excavation.
L’intimé a intenté une action contre Sa Majesté la Reine du chef de la province de l’Ontario, représentée par le ministre de la Voirie, contre Cox Construction Limited, l’entrepreneur chargé de l’installation du ponceau, contre trois membres de la Sûreté provinciale de l’Ontario, MM. Glenn O’Rourke, J. Bruce Johnston et Thomas Boyd, et contre Eric Silk, le commissaire de la Sûreté provinciale de l’Ontario. Des procédures de mise en cause ont été instituées à l’égard de Cox Construction Limited et de Wallace Construction Limited. A l’ouverture de l’instruction, l’action intentée contre tous les défendeurs, à l’exception de ceux qui sont rattachés à la Sûreté provinciale de l’Ontario, de même que les procédures de mise en cause ont été rejetées de consentement.
Il faisait noir au moment de l’accident, mais la visibilité n’était pas diminuée par la pluie, la neige ou le brouillard. La chaussée était sèche. Après avoir quitté Harriston, l’intimé devait croiser les panneaux suivants installés sur l’accotement droit de la route:
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(1) un panneau situé juste à l’extérieur des limites de la ville de Harriston indiquant que la route était en construction, suivi d’un autre «panneau projet» indiquant le nom de l’entrepreneur et le numéro du contrat;
(2) un panneau de trois pieds sur six portant, en lettres noires sur fond jaune réfléchissant, l’inscription «CONSTRUCTION D’UN PONCEAU À UN DEMI-MILLE»;
(3) un panneau de trois pieds sur six portant, en lettres noires sur fond jaune réfléchissant, l’inscription «CONSTRUCTION D’UN PONCEAU À UN QUART DE MILLE»;
(4) un panneau de quatre pieds sur quatre portant, en lettres noires sur fond jaune réfléchissant, l’inscription «DÉVIATION — 1000 PIEDS»;
(5) un panneau surmonté d’un feu clignotant, situé approximativement à 150 pieds de l’endroit où commençait la déviation qui contournait le chantier de construction; une partie de ce panneau portait une flèche noire sur fond jaune indiquant la direction de la déviation tandis que l’autre partie indiquait la vitesse maximale permise et portait, en lettres noires sur fond blanc, l’inscription «MAXIMUM 20».
Autour de ladite excavation, sur le côté gauche de la déviation, des panneaux indicatifs de danger avaient été placés en partant du point immédiatement au nord de l’excavation. Un examen de la photographie, pièce 3C, indique que le premier de ces panneaux indicatifs est en ligne avec la ligne démarquant le côté droit du chemin qui précède le début de la déviation. Ces panneaux indicatifs consistaient en des plaques d’un pied sur trois sur lesquelles étaient peintes des bandes diagonales. Ces panneaux indicatifs étaient placés sur des supports et venaient, d’après leur description, «à hauteur d’épaule».
Malgré l’existence de toutes ces indications signalant la présence du ponceau, l’intimé ne s’est pas engagé sur la déviation et a plongé directement
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dans l’excavation. Pour ce faire, il a dû rouler à gauche des panneaux indicatifs de danger susmentionnés.
Dans la nuit en question, avant que ne se produise l’accident impliquant l’intimé, deux autres panneaux de sept pieds sur sept avaient été posés à chaque extrémité de l’excavation, l’un faisant face au nord et l’autre au sud; ceux-ci étaient situés au milieu de la route et à proximité de l’excavation. Ces derniers panneaux à fond jaune portaient des carreaux alternatifs jaunes et noirs de douze pouces, de même qu’une flèche noire qui, sur le panneau faisant face au nord, pointait vers le côté ouest de la route. Chaque panneau était surmonté d’un feu clignotant. Le 12 octobre, vers 0 h 30, ces deux panneaux avaient été renversés et abimés par un véhicule roulant en direction sud et conduit par un dénommé Blancke. Ces panneaux n’avaient pas été réparés ni remis en place au moment où est survenu l’accident impliquant l’intimé.
Le savant juge de première instance, même s’il a rejeté l’action intentée contre les autres défendeurs, a toutefois été d’avis que si les agents de police avaient eu une obligation de diligence à rencontrer, il aurait évalué la responsabilité de l’intimé à 50 pour cent, celle de l’appelant Johnston à 40 pour cent, celle de l’appelant Boyd à 10 pour cent et celle de l’agent O’Rourke à néant. Il aurait tenu l’appelant Silk responsable de la négligence de Johnston et de Boyd.
La responsabilité civile de l’appelant Silk est définie à l’art. 47 de la loi intitulée The Police Act, R.S.O. 1970, c. 351, qui prévoit:
[TRADUCTION] 47. (1) Le commissaire répond des délits civils que commettent les membres de la Sûreté dans l’accomplissement effectif ou présumé de leurs fonctions au même titre qu’un commettant répond de ceux que ses préposés commettent dans le cadre de leur emploi et il est, à l’égard de ces délits, considéré comme coauteur.
(2) Le Trésorier de l’Ontario impute sur le Fonds du revenu consolidé
a) les dommages-intérêts adjugés contre le commissaire dans toute procédure engagée à son encontre en vertu du présent article ainsi que les frais qu’il a exposés au cours de cette procédure et qu’il n’a pas recouvrés; et
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b) sous réserve de l’approbation du lieutenant-gouverneur en conseil, toute somme requise pour régler une demande en indemnisation formée contre le commissaire en vertu du présent article.
La Cour d’appel a déclaré les appelants Johnston, Boyd et Silk responsables à l’égard de l’intimé dans la proportion déterminée par le juge de première instance. Les appelants ainsi que O’Rourke ont interjeté appel de cette décision à cette Cour. L’intimé n’a formulé aucun appel incident concernant la responsabilité de O’Rourke.
A l’instar de mon collègue M. le juge Spence, je suis d’avis que la responsabilité de l’appelant Boyd ne peut être retenue. Par conséquent, seule la responsabilité de l’appelant Johnston est à considérer. La responsabilité de l’appelant Silk ne sera engagée que si Johnston est tenu responsable d’avoir commis un délit civil à l’égard de l’intimé.
On cherche à imposer une responsabilité à l’appelant Johnston en raison des circonstances suivantes. Le samedi 11 octobre, il avait terminé son poste de jour à minuit. Le dimanche matin à 1 h 20, il quittait sa demeure ayant été appelé sur les lieux de l’accident impliquant Blancke. Il y arriva vers 11 h 44. L’agent O’Rourke et un autre membre de la Sûreté provinciale de l’Ontario ainsi que deux policiers de Harriston étaient déjà sur les lieux. Il a dirigé l’enquête de l’accident, il a pris des photographies et il a aidé au mesurage. Il a remarqué que les panneaux avaient été renversés et endommagés. Il est demeuré sur les lieux jusque vers 3 h 01 lorsque l’automobile de Blancke a été remorquée. O’Rourke quitta les lieux avant lui. Avant de partir et comme le lui avait demandé Johnston, O’Rourke informa le bureau de son détachement que les panneaux étaient renversés. Avant son départ, Johnston installa des feux de Bengale à chaque extrémité de l’excavation, mais ces feux avaient une durée de fonctionnement d’une quinzaine de minutes seulement.
Le caporal Johnston revint sur les lieux de l’accident vers 3 h 52 dans le but de retrouver le protège-objectif de son appareil photographique qu’il avait perdu. C’est alors qu’il découvrit dans l’excavation l’intimé qui était à l’intérieur de son automobile. Il conduisit l’intimé à l’hôpital.
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Réagissant aux indications reçues plus tôt, les employés du ministère de la Voirie se rendirent sur les lieux de l’excavation et à 4 h 11, les deux grands panneaux étaient redressés.
La conduite de Johnston a été sévèrement critiquée par les cours d’instance inférieure. On était d’avis qu’il aurait dû informer plus rapidement son détachement que les deux panneaux avaient été renversés; qu’il aurait dû lui-même remettre en place les grands panneaux; et qu’il aurait dû voir à ce que quelqu’un demeure sur les lieux de l’accident jusqu’à ce que les panneaux soient redressés afin d’avertir les automobilistes du danger que comportait cette route. Avec respect, ces critiques me semblent surtout rétrospectives en ce qu’elles sont formulées alors que l’on sait qu’un accident est survenu après le départ de Johnston. On aurait supposé que l’absence d’un grand panneau à proximité du ponceau a privé l’intimé d’un avertissement raisonnable de l’existence de l’excavation. Malgré tout, il ressort implicitement de la conclusion établissant la négligence de l’intimé pour son manque de diligence qu’il a effectivement reçu un avertissement raisonnable dont il n’a pas tenu compte.
Il convient d’examiner la conduite de Johnston à la lumière du fait qu’il a été appelé pour enquêter sur un accident (celui impliquant Blancke) qui avait causé la mort d’un des passagers du véhicule. Il est normal qu’il devait d’abord s’occuper de cet accident. Avant son départ, il fit en sorte que son détachement soit informé de l’état desdits panneaux.
Rien ne démontre que ces panneaux auraient pu être remis en position. Le témoignage de Thackeray, le policier de Harriston qui était le premier arrivé sur les lieux de l’accident impliquant Blancke et que l’intimé a convoqué comme témoin, est à l’effet que le panneau en question [TRADUCTION] «gisait par terre en morceaux».
L’omission d’avoir laissé quelqu’un sur les lieux de l’accident doit être jugé à la lumière du fait que, malgré la disparition du grand panneau, un automobiliste roulant en direction sud était averti à maintes reprises de la construction du ponceau, et à environ 150 pieds du ponceau, il y avait même
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un panneau surmonté d’un feu clignotant indiquant le sens de la déviation et la vitesse de 20 milles à l’heure. Et en avant de cet automobiliste, à l’emplacement du ponceau, des panneaux indicatifs bordaient le côté gauche de la déviation. L’absence du grand panneau n’aurait pas mis en danger l’automobiliste roulant en direction sud et faisant preuve d’une diligence raisonnable au volant de son véhicule.
Le savant juge de première instance, tout en décidant que la police n’avait pas fait preuve de diligence raisonnable dans les circonstances, a aussi décidé que ce fait n’engageait pas sa responsabilité puisqu’elle n’avait aucune obligation de diligence envers l’intimé. Il a souligné qu’aucun prédédent ne lui avait été cité où un policier pouvait être tenu responsable du fait d’avoir omis négligemment d’accomplir une fonction qui lui avait été confiée, à l’exception de l’affaire Millette et al. v. Côté et al.[7], où un agent de police et, par conséquent, le commissaire de la Sûreté provinciale de l’Ontario, avaient été tenus responsables. Postérieurement au jugement de première instance dans la présente affaire, l’agent et le commissaire en cause dans l’affaire Millette interjetèrent avec succès un appel à la Cour d’appel qui conclua à l’absence d’un lien de causalité entre les actes reprochés et l’accident ([1972] 3 O.R. 224). La Cour s’est formellement abstenue de décider si une obligation légale existait ou non. Cette cause a été portée en appel devant cette Cour et la décision de la Cour d’appel sur ce point a été confirmée.
En l’espèce, la Cour d’appel fut d’avis que le par. (3) de l’art. 3 du Police Act conférait aux agents de police une obligation statutaire d’effectuer des patrouilles de la circulation. Ce paragraphe est libellé comme suit:
[TRADUCTION] 3. (3) En plus d’accomplir les missions de police énumérées au paragraphe (1), la Sûreté provinciale de l’Ontario doit
a) effectuer des patrouilles de la circulation
(i) sur les routes royales, à l’exclusion des tronçons que désigne le Ministre, et
(ii) sur les voies de raccordement, au sens du Highway Improvement Act, que désigne le Ministre:
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b) sous réserve de toute entente en vigueur aux termes du Liquor Licence Act, faire respecter le Liquor Licence Act, le Liquor Control Act et leurs règlements ainsi que toute autre loi que désigne le Ministre; et
c) assurer un service d’enquêtes criminelles qui, sur l’ordre du Ministre ou sur demande du Procureur de la Couronne, doit prêter main-forte aux sûretés municipales.
Dans la Loi, ce paragraphe figure à la Partie I qui s’intitule [TRADUCTION] «Partage des responsabilités». Cette Partie traite du partage des responsabilités entre la Sûreté provinciale de l’Ontario et les sûretés municipales.
Ce paragraphe, selon ses termes, définit certaines fonctions que la Sûreté provinciale de l’Ontario doit accomplir, c.-à-d. la Sûreté dans son ensemble. Il n’attribue pas ces fonctions à chaque membre individuel de cette Sûreté: voir l’al. c). Il est impossible de soutenir que chaque agent de police doit assurer un service d’enquêtes criminelles.
L’arrêt de la Cour d’appel se réfère également à l’art. 46 du Police Act qui définit les fonctions des membres de la Sûreté provinciale de l’Ontario:
[TRADUCTION] 46. (1) Sous réserve des dispositions particulières de la présente loi et des ordres du commissaire, il incombe aux membres de la Sûreté provinciale de l’Ontario
a) d’accomplir toutes les missions qui sont attribuées aux agents de police en vue de conserver la paix, de prévenir le crime et les infractions aux lois en vigueur en Ontario et aux lois pénales du Canada, et d’arrêter les criminels, auteurs d’infractions et autres personnes qui peuvent être légalement mises sous garde;
b) d’exécuter tous les mandats, d’accomplir toutes les missions et fonctions qu’ils prévoient ou qui s’y rattachent, et que les agents de police peuvent légalement exécuter ou accomplir en vertu des lois en vigueur en Ontario;
c) d’accomplir toutes les fonctions que les agents de police peuvent légalement accomplir en vue d’escorter et de conduire les détenus, prisonniers et incapables mentaux aux tribunaux, aux lieux de correction et de détention, aux hôpitaux ou autres endroits et de les en ramener; et
d) d’accomplir en général les fonctions que leur attribue le commissaire.
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Les circonstances de la présente cause ne révèlent aucun manquement à ces obligations. On a laissé à entendre qu’il y a eu manquement, d’une quelconque façon, à l’obligation prévue à l’al, d), mais rien ne démontre qu’on avait attribué à Johnston, au cours de la nuit en question, une fonction autre que celle d’enquêter sur l’accident de Blancke qui avait entraîné une perte de vie. Rien ne démontre qu’on lui avait attribué la fonction d’effectuer une patrouille de la route ou de la circulation.
De plus, il m’apparaît que l’objet du Police Act était d’assurer la création et l’organisation des forces policières en Ontario. Comme je l’ai déjà mentionné, l’art. 3 figure à la Partie I de la Loi et traite du partage des responsabilités entre la sûreté provinciale et les sûretés municipales. L’art. 46 se trouve à la Partie IV de la Loi et traite de la composition de la Sûreté provinciale de l’Ontario de même que des fonctions attribuées aux membres de cette Sûreté. Je ne vois rien dans la Loi qui laisse supposer de la part de la Législature l’intention de retenir la responsabilité d’un membre de la Sûreté qui omet d’accomplir une des fonctions que lui attribue cette loi.
L’article qui suit immédiatement l’art. 46, que j’ai d’ailleurs cité plus haut au regard de la responsabilité civile du commissaire de la Sûreté provinciale de l’Ontario, ne rend pas ce dernier civilement responsable pour l’omission par les membres de la Sûreté d’accomplir leurs fonctions en tant que membres de cette Sûreté. Il est tenu responsable «des délits civils que commettent les membres de la Sûreté dans l’accomplissement effectif ou présumé de leurs fonctions au même titre qu’un commettant répond de ceux que ses préposés commettent dans le cadre de leur emploi.» Il s’agit d’une responsabilité civile pour un délit commis par un membre de la Sûreté dans l’exécution de ses fonctions. L’article ne prévoit pas que le commissaire est responsable des dommages résultant de l’omission par un membre de la Sûreté d’accomplir une fonction qui lui a été attribuée.
Ayant conclu que l’intimé ne possédait aucun recours contre Johnston pour manquement à une obligation statutaire, il convient d’examiner maintenant si l’intimé peut prétendre à un recours en
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raison d’un manquement à une obligation de droit commun. Cette question soulève celle de savoir si un agent de police peut être tenu responsable en dommages-intérêts, non pas pour certaines actions qu’il aurait accomplies, p. ex. la conduite négligente d’une voiture de police ou avoir commis des voies de fait, mais plutôt parce qu’il aurait omis de poser un geste qui aurait pu prévenir les dommages subis par le demandeur. Tel que mentionné précédemment, le savant juge de première instance a conclu qu’une telle obligation n’existait pas en droit, et il a déclaré qu’aucune jurisprudence à l’appui de cette thèse ne lui avait été soumise, exception faite de l’affaire Millette.
En décidant qu’une telle obligation existait, la Cour d’appel s’est fondée sur deux précédents. Le premier est l’arrêt Haynés v. Harwood[8], dans lequel un agent de police avait réclamé avec succès des dommages-intérêts en réparation des blessures subies lorsqu’il s’efforçait de maîtriser les chevaux emballés des défendeurs. On décida que ces derniers auraient dû prévoir qu’un individu pourrait tenter de maîtriser les chevaux dans le but de prévenir toute blessure ou accident, et comme la police avait l’obligation générale de protéger la vie et la propriété des gens, les gestes posés par le demandeur et les blessures qui en ont résulté étaient les conséquences normales et probables de la négligence des défendeurs.
Dans cette affaire-là, rien ne donne à entendre que l’obligation générale mentionnée n’est due à personne d’autre que le grand public. On a affirmé que l’agent de police n’était sous le coup d’aucune obligation précise lorsqu’il a agi comme il l’a fait. Son obligation de prévenir l’accident était discrétionnaire. Il est évident que si l’agent de police n’avait pas tenté de maîtriser les chevaux, une personne blessée par ceux-ci n’aurait pu intenter une poursuite contre lui.
La seconde cause, Priestman c. Colangelo et al.[9], n’est d’aucune façon analogue à la présente affaire. Il s’agissait d’un agent de police, qui était passager dans un véhicule de police dont le conducteur poursuivait une automobile volée, et qui
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chercha à arrêter cette automobile en tirant un coup de feu dans la direction du pneu arrière gauche. Au moment où il déchargeait son arme, la voiture de police fut secouée par un cahot et la balle atteignit le conducteur. Celui-ci perdit alors la maîtrise de son véhicule qui grimpa la bordure de trottoir frappant et tuant ainsi deux piétons. Le litige consistait à déterminer si l’agent de police avait été négligent compte tenu de son rôle qui consiste à garder la paix, à prévenir les crimes et à appréhender les contrevenants. La majorité de la Cour décida qu’il n’avait fait preuve d’aucune négligence dans son comportement.
Dans cette affaire-là, l’agent de police avait délibérément déchargé son arme à bord d’un véhicule en marche dans une rue de la ville. C’est dans ce contexte que le juge Cartwright, alors juge puîné, a écrit les motifs de sa dissidence dont certains extraits ont été cités dans l’arrêt de la Cour d’appel. A mon avis, ceux-ci ne sont pas pertinents au présent litige. Voici ces extraits (à la p. 634):
[TRADUCTION] A mon avis, ce devoir d’appréhender n’en était pas un que Priestman était tenu d’accomplir indépendamment des conséquences que pourraient subir des personnes autres que Smythson. Ce devoir d’appréhender était relié au devoir fondamental alterum non laedere, c’est-à-dire de ne pas accomplir un acte qui, selon un homme raisonnable tenant le rôle de Priestman, serait susceptible de blesser les gens aux alentours.
…A mon avis, le geste posé par Priestman en déchargeant son arme sans tenir compte des probabilités mentionnées, a directement contribué aux décès et a représenté une négligence susceptible de poursuites sauf si l’on peut affirmer que l’existence du devoir d’appréhender Smythson a délivré cet acte du caractère négligent qui lui aurait autrement été attribué.
La Cour d’appel a cité la décision de la Chambre des Lords dans l’affaire Home Office v. Dorset Yacht Co. Ltd.[10], en réponse à l’opinion émise par le savant juge de première instance pour qui le fait de tenir la police responsable créerait un courant fort de conséquences indésirables, laquelle opinion s’apparentait, selon la Cour d’appel, à une déclaration de principes touchant l’intérêt public. Dans
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cette dernière affaire, quelques détenus de l’institution Borstal qui travaillaient sur une île sous la surveillance de trois agents embauchés par le Home Office, se sont évadés de l’île sur un bateau à la faveur de la nuit et ont endommagé l’embarcation de la demanderesse qui mouillait au large de l’île.
La demanderesse a intenté une action contre le Home Office. Elle a allégué que le défendeur avait négligé de surveiller suffisamment les détenus tout en sachant que cinq de ceux-ci s’étaient déjà évadés; que les trois agents, au cours de la nuit en question, s’étaient couchés et avaient laissé les détenus sans surveillance; qu’aucun des agents n’était en devoir au moment de l’évasion; qu’aucun dispositif n’avait été mis en place pour assurer la surveillance nocturne des détenus; que le défendeur avait omis de donner les directives nécessaires pour assurer la surveillance nocturne des détenus; et qu’aucune clôture efficace n’empêchait les détenus d’atteindre le bateau de la demanderesse.
Une question préliminaire de droit a été soulevée avant le procès et elle fut ainsi définie par Lord Diplock, à la p. 1057:
[TRADUCTION] La question de droit particulière au présent appel peut donc être énoncée comme suit: Est-ce qu’il incombe au Home Office une obligation de diligence consistant à prévenir l’évasion d’un détenu de l’institution Borstal envers les personnes dont la propriété serait susceptible d’être endommagée par les actes délictueux d’un détenu de Borstal qui se serait échappé?
Cette question de droit a été tranchée en faveur de la demanderesse, un lord étant dissident. La Chambre des Lords a appliqué le dictum connu de Lord Atkin énoncé dans l’affaire Donoghue v. Stevenson[11], à la p. 580, que l’on appelle parfois [TRADUCTION] “principe du prochain”.
Dans la cause du Dorset Yacht, l’action avait été intentée uniquement contre le Home Office, l’employeur des agents. Ces derniers n’étaient pas visés individuellement par ce recours. Après avoir conclu que le Home Office avait une obligation de diligence quant à la détention des personnes con-
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damnées à l’institution Borstal, Lord Diplock a précisé en ces termes, à la p. 1071, les questions en litige qui seraient soulevées au procès:
[TRADUCTION] Par conséquent, s’il peut être établi, lors de l’audition de cette action, (1) que les agents de l’institution Borstal, en négligeant de prendre les précautions nécessaires à la prévention d’une évasion de détenus, agissaient en contravention des directives qu’ils avaient reçues et non dans l’exercice réel d’un pouvoir discrétionnaire que leur avait délégué le Home Office quant aux mesures de surveillance à adopter, et (2) que les agents pouvaient raisonnablement prévoir qu’advenant l’évasion de ces détenus, ceux-ci essaieraient probablement de s’emparer d’un bateau ancré dans les parages de l’île Brownsea dans le but d’échapper à la poursuite immédiate et d’endommager ledit bateau, les agents de l’institution Borstal contreviendraient alors à l’obligation de diligence à laquelle ils étaient tenus envers la demanderesse et je suis d’avis que cette dernière pourrait intenter une action contre le Home Office en tant que responsable civilement de la «négligence» des agents de l’institution Borstal.
Dans la présente affaire, il n’a pas été allégué que la Sureté provinciale de l’Ontario était tenue, par obligation envers l’intimé, d’assurer une protection par rapport à l’excavation destinée au ponceau. La réclamation dirigée contre le commissaire n’est pas fondée sur l’inexécution d’une obligation de la part de la Sûreté provinciale de l’Ontario, mais plutôt sur un délit civil commis par un agent de police dans l’exécution de ses fonctions. L’affaire du Dorset Yacht aurait présenté une situation analogue si, au lieu d’imputer au Home Office une obligation légale, un gardien avait été poursuivi parce qu’il aurait omis de poser un geste qui aurait pu empêcher les détenus de s’évader. De plus, en se référant à l’extrait précité des motifs de lord Diplock, il convient de noter que dans la présente affaire, aucune preuve ne démontre qu’en agissant comme il l’a fait, le caporal Johnston a contrevenu à des directives données par un officier supérieur.
Le procureur de l’intimé a cité en appui de sa thèse la cause de Dutton v. Bognor Regis Urban District Council[12]. Dans cette affaire-là, la Cour d’appel d’Angleterre a décidé que le Bognor Regis Urban District Council était responsable envers le
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propriétaire d’une maison des dommages résultant de l’affaissement de cette dernière parce que son inspecteur des bâtiments, qui devait vérifier les fondations conformément aux exigences d’un règlement sur la construction, avait effectué une mauvaise vérification de ces fondations.
Je doute que cette cause ait été correctement décidée, mais, de toute façon, à l’instar de l’affaire du Dorset Yacht, l’action n’a pas été intentée contre l’inspecteur des bâtiments mais plutôt contre l’Urban District Council. La cour a décidé que le Conseil avait une obligation légale envers le demandeur parce que le pouvoir étendu que s’était approprié le Conseil en vertu du Public Health Act, 1936, (R.-U.) et de ses règlements en vue de contrôler tous les travaux de construction sur son territoire, devait s’exercer pour protéger et aider les futurs propriétaires et occupants, et emportait de ce fait l’obligation de droit commun d’être raisonnablement diligent pour assurer le respect desdits règlements. Dans la présente affaire, personne n’a allégué que la Sûreté provinciale de l’Ontario avait une obligation semblable. En fait, on n’a allégué aucune obligation à la charge de la Sûreté.
Je suis d’avis qu’aucune des causes citées ne permet d’établir que Johnston, dans les circonstances de cette affaire, avait une obligation légale envers l’intimé.
Voici la situation telle qu’elle se présente dans cette affaire. L’excavation destinée au ponceau représentait pour les automobilistes un danger routier. Ce danger avait été créé par les entrepreneurs chargés de l’installation du ponceau. Cependant, par une série de panneaux, ces entrepreneurs avaient signalé le danger aux automobilistes utilisant cette route.
Le dernier de ces panneaux d’avertissement avait été renversé par un tiers, un certain Blancke. C’est lui qui était responsable de l’absence de ce panneau au moment où l’intimé roulait sur le chemin.
Johnston savait que le panneau avait été renversé parce qu’il avait été appelé pour enquêter sur l’accident impliquant Blancke. Il n’effectuait pas à ce moment-là une patrouille de route. Il a fait en
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sorte que son détachement soit avisé du fait que le panneau était renversé, et il a par la suite été remis en place.
Un simple particulier qui aurait été mis au courant que ce panneau était renversé n’aurait eu aucune obligation légale de faire quoi que ce soit. La règle de droit commun qu’il n’existe aucune obligation d’avertir une personne qu’un danger imminent la menace, n’a pas été modifiée par «le principe du prochain». Lord Morris de Borth-y-Gest, dans la cause du Dorset Yacht à la p. 1034, s’exprime ainsi:
[TRADUCTION] Il est généralement admis que la déclaration de principe de Lord Atkin ne peut être appliquée comme si ses paroles étaient extraites d’un texte législatif précis. Par conséquent, il est impossible qu’une obligation de diligence prenne naissance dans chaque cas où on peut raisonnablement prévoir certaines conséquences. L’omission de poser un geste préventif ou de porter secours ne dénote pas nécessairement en soi l’inexécution d’une obligation légale de diligence.
En définitive, il s’agit d’une situation dans laquelle l’existence d’un danger sur la route avait été signalée par une série de panneaux qui donnaient un avertissement convenable à tout automobiliste exerçant la vigilance nécessaire à sa propre sécurité. Johnston, qui n’effectuait pas une patrouille de route, savait que le dernier panneau d’avertissement avait été renversé. Il fit en sorte que son détachement soit mis au courant de ce fait. Rien ne démontre qu’il a omis de suivre les directives qui lui avaient été données. Lui imputer la responsabilité des dommages causés à l’intimé revient à dire que parce qu’il était un agent de police, et uniquement pour cette raison, il avait une obligation spéciale de prendre d’autres mesures afin d’empêcher qu’un conducteur négligent plonge dans l’excavation destinée au ponceau. Je suis d’avis qu’il n’existait aucune obligation semblable.
J’accueillerais l’appel et je rétablirais le jugement de première instance, avec dépens en cette Cour et en Cour d’appel.
Appel de Thomas Boyd accueilli sans dépens, les appels de J. Bruce Johnston et Eric Silk rejetés avec dépens, pas d’adjudication de dépens
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quant à Glenn O’Rourke, les juges MARTLAND, JUDSON et PIGEON étaient dissidents.
Procureur des appelants: J.D. Hilton, Toronto.
Procureurs de l’intimé: Lerner & Associates, London.
[1] [1973] 1 O.R. 221, sub nom. Schacht v. The Queen in right of the Province of Ontario et al.
[2] [1970] A.C. 1004.
[3] [1935] 1 K.B. 146.
[4] [1959] R.C.S. 615.
[5] [1970] A.C. 1004.
[6] [1972] 1 Q.B. 373.
[7] [1971] 2 O.R. 155.
[8] [1935] 1 K.B. 146.
[9] [1959] R.C.S. 615.
[10] [1970] A.C. 1004.
[11] [1932] A.C. 562.
[12] [1972] 1 Q.B. 373.
Parties
Demandeurs :
O'Rourke et alDéfendeurs :
SchachtProposition de citation de la décision:
O'Rourke et al c. Schacht, [1976] 1 R.C.S. 53 (19 décembre 1974)
Origine de la décision
Date de l'import :
06/04/2012Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1974-12-19;.1976..1.r.c.s..53