Cour suprême du Canada
Burton Parsons Chemicals, Inc. c. Hewlett-Packard (Canada) Ltd., [1976] 1 R.C.S. 555
Date: 1974-12-19
Burton Parsons Chemicals, Inc. et Burton Parsons and Company of Canada, Limited (Demanderesses) Appelantes;
et
Hewlett-Packard (Canada) Ltd. and X-Ray and Radium Limited (Défenderesses) Intimées.
1974: les 6, 7 et 12 novembre; 1974: le 19 décembre.
Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Judson, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré.
EN APPEL DE LA COUR D’APPEL FÉDÉRALE
APPEL d’un jugement de la Cour d’appel fédérale[1] infirmant un jugement rendu en Division de première instance, lequel confirmait la redélivrance d’un brevet. Appel accueilli.
D.J. Wright, c.r., et D.N. Plumley, pour les demanderesses, appelantes.
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D.F. Sim, c.r., et R.T. Hughes, pour les défenderesses, intimées.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE PIGEON — Le présent pourvoi est interjeté contre un arrêt de la Cour d’appel fédérale qui a infirmé le jugement rendu par le Juge en chef adjoint siégeant en Division de première instance. Ce jugement avait accueilli l’action des demanderesses, les appelantes en cette Cour («Burton Parsons»), avait confirmé la redélivrance de leur brevet et conclu à contre-façon par les défenderesses-intimées («Hewlett-Packard»).
Le brevet en cause concerne une crème conductrice d’électricité servant à la prise d’électrocardiogrammes, d’électroencéphalogrammes et à d’autres examens semblables. Il porte également sur le procédé de fabrication. Pour de bons enregistrements il faut un contact électrique suffisant entre les électrodes de l’appareil et les parties du corps humain sur lesquelles ces électrodes sont appliquées. A cette fin, il est ordinairement nécessaire d’appliquer sur la peau une substance conductrice d’électricité. Avant la présente invention, la plupart des substances utilisées possédaient des propriétés indésirables. D’ordinaire, une poudre de ponce abrasive était mêlée à une espèce de pâte appliquée sur l’épiderme que l’on devait nettoyer une fois l’enregistrement effectué. La substance brevetée se compose d’une émulsion aqueuse qui contient suffisamment de sel très ionisable pour assurer une bonne conductibilité électrique. En termes courants, cela signifie environ cinq pour cent de sel ordinaire. Une solution-tampon est généralement utilisée dans la préparation de l’émulsion, mais elle est facultative. Hewlett-Packard ne nie plus la contrefaçon mais conteste toujours la validité du brevet.
Le juge de première instance a examiné minutieusement tous les motifs de la contestation et il les a tous rejetés. La majorité de la Cour d’appel, c’est-à-dire le juge en chef Jackett et le juge Thurlow, a conclu, comme l’a énoncé ce dernier, «qu’au nombre des revendications en cause se trouvent des revendications visant l’emploi de substances impropres à cette utilisation et que, pour ce motif, elles sont invalides». Le juge MacKay, dissident, a dit:
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Si on lit le mémoire descriptif et les revendications en regard les uns des autres, il me paraît ressortir que les revendications contestées portent uniquement sur un composé conducteur d’électricité
1. susceptible d’être utilisé pour la prise d’électrocardiogrammes et d’électroencéphalogrammes;
2. consistant en une émulsion aqueuse à base d’une substance anionique, cationique ou non ionique, à laquelle on ajoute un sel très ionisable dans une proportion de 1 à 10% du produit et, dans le cas de certaines des revendications, à laquelle on ajoute une solution-tampon qui donne un pH de 4 à 8 environ, et, dans le cas de certaines revendications, à laquelle on ajoute des inhibiteurs tels que les esters de l’acide p-hydroxybenzoïque pour empêcher la prolifération des bactéries, des moisissures ou des levures;
3. constitué de celles, parmi les substances entrant dans la catégorie générale décrite par l’inventeur, qui sont compatibles avec une peau humaine normale en même temps que faciles à appliquer et susceptibles d’être enlevées sans qu’il faille procéder par la suite à un nettoyage.
Je suis d’avis que ces restrictions quant à l’emploi de la chose inventée et quant aux substances susceptibles d’être utilisées, constituent une réponse satisfaisante à l’objection soulevée par les appelantes, selon laquelle certaines des substances faisant partie des catégories énumérées dans le brevet seraient dangereuses si on les employait sur la peau humaine. Le brevet ne prétend pas que l’on puisse utiliser indifféremment n’importe quelle émulsion ou n’importe quel sel très ionisable.
…
En l’espèce, les brevetés, dans leur mémoire descriptif et leurs revendications, n’affirment pas que tout sel très ionisable ou toute émulsion aqueuse convient à l’emploi qu’on veut faire du produit. Ils précisent, ou du moins laissent clairement entendre, que l’homme de l’art devra choisir, à l’intérieur de catégories générales, les substances qui conviendront aux fins de l’invention et à l’usage qu’on veut faire du produit en question, ce qui restreint le choix aux seules substances des catégories énumérées qui sont compatibles avec la peau humaine, faciles à appliquer et susceptibles d’être enlevées sans qu’il faille ensuite procéder à un nettoyage.
Je suis d’avis que les précisions données dans le mémoire descriptif et les revendications sont suffisantes, de sorte que ces documents sont conformes à l’article 36(1) de la Loi sur les brevets, et que l’homme de l’art n’aurait aucune peine à trouver les substances à employer, leurs proportions et leur consistance.
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En concluant différemment, le Juge en chef a précisé ce qui suit dans une note explicative:
Il est vrai qu’aux termes de l’article 36(1), la divulgation doit décrire l’invention d’une façon qui permette «à toute personne versée dans l’art ou la science» de confectionner, construire, composer ou utiliser l’objet de l’invention. En ce sens, le mémoire descriptif s’adresse à l’homme de l’art. Cela ne veut cependant pas dire qu’il faut l’interpréter comme le ferait un homme de l’art. Voir l’arrêt Northern Electric Co. Ltd. et autres c. Photo Sound Corporation et autres, [1936] R.C.S. 649, prononcé par le juge en chef Duff, aux pages 676 et suivantes. Remarquons notamment que le témoin expert (c’est‑à-dire l’homme de l’art) peut donner son avis sur l’état de l’art à un moment donné, sur le sens de termes techniques, sur la possibilité pour un technicien expérimenté de mettre à exécution ce qui est divulgé dans un mémoire descriptif «dans l’hypothèse ou celui-ci aurait tel ou tel sens», ou sur ce qu’une phrase donnée, à un moment précis, lui aurait appris ou laissé entendre en tant qu’homme de l’art, «dans l’hypothèse où elle aurait tel ou tel sens», mais qu’il ne peut exprimer d’opinion sur le sens du mémoire descriptif, ni sur la façon dont il l’interprète en tant qu’homme de l’art.
Avec respect, je ne puis admettre l’affirmation que l’art. 36 «ne veut pas dire qu’il faut l’interpréter (le mémoire descriptif) comme le ferait un homme de l’art». Dans le passage cité, M. le juge en chef Duff ne parlait pas de l’interprétation du mémoire descriptif mais plutôt de la preuve admissible à ce sujet. Dans ses remarques, qui étaient tout aussi obiter que celles de lord Tomlin qu’il citait, il s’opposait à l’usage qui permet à un expert de dire ce que signifie pour lui le mémoire descriptif à titre d’ingénieur ou de chimiste, bornant ainsi les experts à la seule tâche de fournir des renseignements sur la science alors en cause et sur sa terminologie de sorte que le juge entendant la cause puisse tirer ses propres conclusions quant à la signification du document. Il n’est pas nécessaire de considérer la valeur pratique de ces remarques dans la présente affaire puisque celle-ci ne donne lieu à aucune objection de droit strict à la preuve.
Le procureur de Hewlett-Packard n’a pas nié que le mémoire descriptif devait s’interpréter comme étant destiné à l’homme de l’art, mais il a allégué qu’une distinction doit être établie entre la divulgation et les revendications. Je suis en désaccord
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avec cette allégation. Les revendications font partie du mémoire descriptif qui, selon la Loi, doit «se terminer» par elles. Il nous faut déterminer ce que le tout signifiait pour l’homme de Fart à la date de la délivrance du brevet. Dans Minerals Separation North American Corporation v. Noranda Mines Ltd.[2], Lord Reid s’est exprimé comme suit (à la p. 92):
[TRADUCTION] Plusieurs motifs sont invoqués à l’encontre de cette revendication. Le premier porte sur l’expression “un xanthate alcalin”. Le sens de cette expression est décisif puisqu’en cette revendication, l’inventeur ne revendique un monopole que si un xanthate alcalin est utilisé dans le procédé: l’utilisation d’un xanthate non alcalin ne constitue pas une contrefaçon de cette revendication. Il est donc nécessaire de considérer ce que cette expression aurait signifié à la date de la délivrance du brevet pour le destinataire imaginaire du mémoire descriptif, soit un homme maître dans l’art de faire flotter une mousse. (Les italiques sont de moi).
Dans cette dernière affaire, sur laquelle l’avocat de Hewlett-Packard tout comme le juge en chef Jackett et le juge Thurlow se sont fortement appuyés, les revendications ont été déclarées invalides en raison, principalement, des motifs suivants (lord Reid aux pp. 93 et 95):
[TRADUCTION] Même si les difficultés découlant de l’emploi du mot alcalin étaient surmontées, l’appelante aurait encore à faire face à d’autres obstacles. Les xanthates de métal alcalin comprennent les xanthates de cellulose dans lesquels le métal est un alcalin, p. ex. le xanthate de cellulose potassique. Lorsque leurs Seigneuries étudieront la revendication N° 9, il apparaîtra qu’un tel xanthate n’est d’aucune utilité dans le procédé pour faire flotter une mousse; au contraire, il y est nuisible. Par conséquent, la revendication N° 6 ne peut être valide que si sa dernière partie, qui commence par les mots «adapté pour réagir», peut être interprétée comme excluant ces xanthates de métal alcalin qui ne sont d’aucune utilité quant au procédé, et si cette façon de restreindre la portée de la revendication est déclarée légitime en l’espèce. Puisque leurs Seigneuries ont déjà décidé que la revendication N° 6 est invalide, il n’est plus nécessaire de traiter des autres objections qui s’y rapportent. Mais leurs Seigneuries sont d’avis qu’il convient d’ajouter que, sur ce point, de solides arguments ont été présentés par l’intimée.…
Mais l’appelante a allégué que la locution «un radical organique tel qu’un radical alkyl» est une expression
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technique unique et indivisible qui doit être interprétée comme un chimiste l’interpréterait. S’il découle de la preuve qu’un mot du mémoire descriptif a acquis une signification technique pour les gens à qui ce mémoire descriptif s’adresse, alors ce mot doit conserver cette signification et cette règle s’applique également à toute une locution. Mais il n’y a aucune preuve en l’espèce, et il pourrait difficilement y en avoir, que ladite locution a acquis une signification technique pour les chimistes ou les métallurgistes. Les expressions «radical organique» et «radical alkyl» ont une signification technique, mais rien de plus. C’est donc à la Cour qu’il appartient d’interpréter une locution ou une phrase où apparaissent ces mots après que la signification de ces termes a été déterminée par la preuve. Pour les motifs qui ont été exposés, leurs Seigneuries sont d’avis que la présente locution n’exclut pas le radical cellulose et, par conséquent, même s’il était décidé qu’elle qualifie le mot «xanthate» dans la revendication N° 9, ladite revendication serait toujours invalide en raison de son inutilité….
Un autre motif d’exclusion des xanthates de cellulose a été proposé au cours de la présente affaire. On a prétendu que, pour diverses raisons d’ordre pratique, un homme de l’art ne tenterait jamais de se servir de ces xanthates pour faire flotter une mousse et que, par conséquent, on n’a pas à en tenir compte. Dans sa plaidoirie devant leurs Seigneuries, toutefois, l’avocat des défenderesses a renoncé à faire valoir cet argument. Il est bien établi que, lorsque la portée d’une revendication s’étend à une méthode non susceptible d’application, cette revendication ne peut pas être déclarée valide du seul fait qu’on réussit à prouver qu’un homme de l’art ne chercherait jamais à utiliser cette méthode.
La situation est très différente dans la présente affaire. Il n’y a vraiment pas de preuve qu’aucune crème préparée selon le mémoire descriptif avec une émulsion aqueuse contenant suffisamment de sel très ionisable pour assurer une bonne conductibilité électrique serait inutilisable. Au cours du procès, Hewlett-Packard a allégué que certaines combinaisons étaient impraticables, mais son avocat a dû admettre devant cette Cour que ces allégations avaient été réfutées de façon décisive. Son argumentation ne reposait plus que sur quelques réponses qui ont été fournies par le Dr Shansky, le témoin-expert indépendant de Burton Parsons. En voici les principales:
[TRADUCTION] Q. Dois-je comprendre Dr Shansky que parmi les centaines de composés émulsifiables, de sels très ionisables et de solutions-tampons qui
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étaient connus et disponibles en 1957, il y en a qui ne seraient pas compatibles avec la peau humaine?
R. J’imagine que oui, que parmi tous ceux qui sont disponibles il pourrait y en avoir qui seraient incompatibles.
Q. En fait, il faudrait s’attendre à ce que parmi les nombreuses combinaisons, il y en ait qui soient incompatibles?
R. Oui, je m’attendrais à cela.
Il faut souligner qu’il n’est pas dit dans ce témoignage qu’il y a des combinaisons qui ne produisent pas l’effet désiré, mais plutôt qu’il existe des substances visées par le mémoire descriptif qui ne peuvent être utilisées parce qu’elles sont toxiques ou autrement incompatibles avec la peau humaine. Évidemment, l’homme de l’art n’envisagerait pas d’utiliser de telles substances. On peut lire dans la déposition de Shansky:
[TRADUCTION] Q. Et vous avez indiqué que ceci entraîne le rejet des sels qui tachent ou qui sont autrement dommageables ou toxiques pour la peau humaine. Encore, vous dites cela en connaissance de cause, en sachant que cette substance sera appliquée sur la peau car vous savez que ceci est une propriété désirable?
R. C’est exact.
En fait, le juge en chef Jackett a rejeté ces motifs en ces termes:
…je renvoie à l’ensemble de la revendication, dont voici le texte:
[TRADUCTION] 17. Une crème pour électrocardiographes, à utiliser avec les électrodes de contact avec la peau, qui soit compatible avec une peau normale, comprenant une émulsion aqueuse stable, anionique, cationique ou non ionique, et contenant suffisamment de sel très ionisable pour assurer une bonne conductibilité électrique.
Si je donne à cette revendication le seul sens qu’il soit possible de lui donner, l’inventeur y prétend avoir inventé un produit qui est une invention en raison de son caractère nouveau et utile dans la prise des électrocardiogrammes, que cette crème est destinée à être utilisée avec les électrodes de contact avec la peau et qu’elle est compatible avec une peau normale; il ressort en outre de la revendication que le produit visé est celui qui est défini par tous les mots suivant le mot «comprenant». Ce dernier mot sépare la partie de la revendication qui a pour objet le «bornage» du monopole de celle qui explique l’usage du produit inventé. Si l’on considère que les affirmations constituant la première partie de la reven-
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dication limitent la portée de l’invention décrite, le public peut, de cette façon, être complètement privé de la protection à laquelle il a droit en vertu de l’article 36(2).
Avec respect, je ne puis admettre que la revendication N° 17 est invalide parce que les mots «qui soit compatible avec une peau normale» précèdent le mot «comprenant» au lieu de le suivre, de sorte. que la revendication serait valide, semble-t-il, si les mots étaient réarrangés de cette façon:
17. Une crème pour électrocardiographes, à utiliser avec les électrodes de contact avec la peau, comprenant une émulsion aqueuse stable, anionique, cationique ou non ionique, et contenant suffisamment de sel très ionisable pour assurer une bonne conductibilité électrique et qui est compatible avec une peau normale.
A mon avis, on ne peut faire échec aux droits des titulaires de brevets par de telles considérations. Même si la Cour doit interpréter un brevet comme tout autre document juridique, cette interprétation doit se faire en tenant compte du fait que le destinataire est un homme de l’art, et en tenant compte également du savoir que cet homme est censé posséder. Il doit être évident pour l’homme de l’art, qu’une crème à utiliser avec des électrodes de contact avec la peau ne peut pas être composée d’éléments qui seraient toxiques, irritants ou susceptibles de tacher ou de décolorer la peau. L’homme de l’art apercevra tout aussi bien cette nécessité que la crème soit décrite comme «compatible avec une peau normale» ou qu’elle soit décrite comme ne contenant que des éléments compatibles avec une peau normale. La présente situation est complètement différente de celles qu’on retrouve dans Minerals Separation et dans Société des usines chimiques Rhône‑Poulenc c. Jules R. Gilbert Ltd.[3]. Dans ces causes-là, des produits de composition chimique définie faisaient l’objet des brevets: des xanthates dans la première et des dérivés de diamines dans la seconde. Malheureusement pour les titulaires de brevets, les revendications portaient également sur des xanthates qui ne produisaient pas les résultats voulus dans le premier cas, alors que dans le second, certains isomères n’avaient aucune valeur thérapeutique. C’est pourquoi ces brevets ont été déclarés invalides.
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En l’espèce, l’invention a trait à un mélange et à son procédé de fabrication. Ce mélange n’a aucune composition bien arrêtée. Selon Shansky, des centaines sinon des milliers de produits différents peuvent être utilisés. L’essentiel consiste à combiner un sel très ionisable avec une émulsion aqueuse. L’effet de cette combinaison sur la peau rend possible l’utilisation d’une faible teneur de sel (de un à dix pour cent). Pour avoir quelque valeur en pratique, le brevet doit englober toutes les émulsions et tous les sels qui peuvent produire les résultats voulus, c’est-à-dire toutes [TRADUCTION] «les émulsions où l’eau constitue la phase continue ou externe» et tous les sels qui sont très ionisables à un degré suffisant pour véhiculer sans trop de résistance un courant électrique sur la peau, en excluant uniquement les produits incompatibles avec la peau humaine normale. Il appert de la preuve que cela était manifeste pour tout homme de l’art parce que les propriétés des émulsions et des sels appropriés étaient bien connues. Seule la combinaison était nouvelle.
C’est cet aspect qui distingue la présente affaire des autres causes dans lesquelles l’invention avait pour objet les propriétés des xanthates dans le procédé pour faire flotter une mousse et les propriétés de certains dérivés de diamines comme antihistaminiques. L’inutilité des xanthates de cellulose dans Minerals Separation, de même que celle de certains isomères de tripelennamine dans Rhône-Poulenc était antérieurement inconnue des hommes de l’art dans ces domaines. C’est tout le contraire qu’il faut dire des propriétés indésirables de certains sels très ionisables que Hewlett-Packard a considérés comme inacceptables. Leur nocivité était bien connue et aucun homme de l’art n’aurait songé à s’en servir dans la fabrication d’une crème à utiliser avec les électrodes de contact avec la peau, pas plus qu’un tel homme de l’art avait besoin qu’on lui dise que, pour fabriquer une telle crème, il devait utiliser une telle quantité de liquide et de produit émulsionné afin d’obtenir une consistance convenable.
Une telle application de ses connaissances par un homme de l’art est analogue à l’addition d’un
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agent pharmaceutiquement acceptable à une drogue lorsque la bonne administration le requiert. Dans Le commissaire des brevets c. Farbwerke Hoechst A.G.[4], cette Cour a décidé que cette dernière étape dans la fabrication d’une drogue en doses individuelles ne peut être brevetée parce qu’elle ne comporte aucune invention. A mon avis, l’élimination des sels inappropriés en raison de leur nocivité notoire ne représente rien de plus que l’application des connaissances que possède normalement l’homme de l’art. Dans Sandoz Patents Ltd. v. Gilcross Ltd.[5], c’est sans hésitation que nous avons confirmé la validité des réclamations qui visaient des «sels thérapeutiquement tolérables» de thioridazine obtenus par la réaction «avec un acide thérapeutiquement acceptable». Je ne puis croire que l’omission de la qualification «thérapeutiquement acceptable» aurait invalidé le brevet et je remarque que cette question n’a pas été tranchée dans l’affaire Rhône-Poulenc.
Plusieurs arrêts signalent qu’un inventeur est libre de formuler ses revendications aussi étroitement qu’il le juge à propos dans le but de se protéger de l’invalidité qui pourrait résulter d’une formulation trop générale. En pratique, cette liberté est vraiment très limitée car le brevet peut avoir aussi peu de valeur que s’il était invalide si, pour éviter toute possibilité d’invalidité, il laisse un champ inoccupé entre ce que représente l’invention telle que divulguée et ce qui est visé par les revendications. Tout chacun peut alors utiliser l’invention dans les limites de ce champ laissé inoccupé. A mon avis, l’inventeur ne doit pas être considéré comme un Shylock réclamant sa livre de chair. En l’espèce, ainsi qu’il a été reconnu, il s’agit d’une invention méritoire et Hewlett-Packard, après avoir vainement tenté d’en déprécier l’utilité, s’en est effrontément emparée. Elle n’a été d’aucune façon induite en erreur, ni sur la véritable nature de la divulgation, ni sur les méthodes appropriées pour fabriquer une crème concurrente. Les objections soulevées à l’encontre des revendications sont à l’effet que, exception faite des revendications relatives à certaines réalisations de l’invention, les
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autres sont formulées de façon à viser toutes les réalisations d’ordre pratique, laissant à l’homme de l’art la tâche d’éviter dans la fabrication du mélange l’emploi de produits impropres, ce qu’un homme de l’art doit pouvoir faire de sa propre initiative puisque tout ce qui rend certains produits impropres découle de caractéristiques notoires. Aucun résultat indésirable imprévu ou généralement inconnu n’a été prouvé ou même allégué; la présente cause est donc très différente de celles de Minerals Separation et de Rhône-Poulenc.
Les remarques ci-dessus règlent donc le sort de l’objection portant que les revendications vont au-delà de l’invention. Il faut donc examiner maintenant les autres motifs d’invalidité que le juge de première instance a rejetés et que la majorité des juges d’appel n’a pas eu à considérer. La première de ces objections est que les revendications sont ambiguës à cause de l’emploi de l’expression «sel très ionisable» et du mot «comprenant». Quant à la première expression, la preuve démontre qu’il n’existe aucune ligne de démarcation généralement acceptée entre les sels très ionisables et ceux qui ne le sont pas. Des chimistes compétents peuvent différer d’opinion sur la question de savoir si certains sels sont visés ou non par la description. On ne nous a pas précisé pourquoi quelqu’un pourrait désirer employer des sels dont l’utilité est douteuse alors qu’on peut facilement employer des centaines sinon des milliers de sels indiscutablement utilisables. A mon avis, ceci suffit à réfuter cette objection. En ce qui a trait au terme «comprenant», la question est encore plus vite réglée. C’est un mot fréquemment utilisé dans les revendications de brevet. Il n’est pas plus vague que «inclut».
Une autre objection se rapporte à la validité du brevet litigieux comme brevet redélivré. La présente action a été intentée par Burton Parsons le 7 juin 1967. Cependant, le 10 juin 1964, Hewlett-Packard avait intenté une autre action en contestation du brevet canadien N° 631,424 qui avait été délivré à Burton Parsons le 21 novembre 1961. Un des motifs de contestation était à l’effet que certaines des revendications étaient suffisamment générales pour inclure non seulement des émulsions, mais aussi des «dispersions colloïdales» dont l’utilisation à de telles fins avait été envisagée dans un
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brevet antérieur délivré à un nommé Jensen. Dans les circonstances, Burton-Parsons a présenté, le 16 août 1965, une requête en redélivrance qui exposait ces faits et qui reconnaissait que l’inventeur avait omis, par inadvertance, de modifier convenablement les revendications canadiennes bien que le brevet de Jensen eût été mentionné par le Patent Office des États-Unis. On a également cherché à apporter d’autres modifications, tout particulièrement l’addition de revendications de produit. Le commissaire des brevets a accueilli la demande en redélivrance à l’insu de Hewlett-Packard et les présentes procédures ont été subséquemment instituées.
Le premier motif de contestation invoqué repose sur la prétention qu’un brevet invalide ne peut être redélivré. Cet argument est fondé sur la décision rendue par cette Cour dans Farbwerke Hoechst Aktiengesellschaft Vormals Meister Lucius & Bruning c. Le commissaire des brevets[6] où, après avoir fait référence à une décision de la Cour d’appel des États-Unis, M. le juge Martland a dit, alors qu’il s’exprimait au nom de la Cour (aux pp. 614 et 615):
[TRADUCTION] Deux points sont à souligner au sujet de cette décision-là. Premièrement, elle traite de la redélivrance d’un brevet qui a été déclaré invalide. Comme nous l’avons fait remarquer précédemment, la loi américaine autorise expressément la redélivrance d’un brevet invalide dans certaines circonstances. Cependant, la loi canadienne ne contient aucune disposition semblable. L’article 50 vise uniquement un brevet jugé défectueux ou inopérant. A mon avis, il envisage l’existence d’un brevet valide qui requiert redélivrance pour devenir pleinement applicable et opérant. Dans le cas présent, du moins en ce qui concerne la tolbutamide, le brevet dont on recherche la redélivrance a été déclaré invalide par cette Cour.
Il convient de remarquer que ces paroles ont été prononcées dans une cause où le Commissaire des brevets avait rejeté la demande en redélivrance après que cette Cour eut déclaré le brevet invalide. Le pourvoi était interjeté à l’encontre d’un arrêt de la Cour de l’Échiquier qui confirmait la décision du Commissaire. La conclusion finale (à la p. 619) était que [TRADUCTION] «le Commissaire avait
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des raisons valables d’exercer ainsi le pouvoir discrétionnaire que lui confère l’art. 50».
Le procureur de Hewlett-Packard a également allégué l’arrêt rendu par cette Cour dans Northern Electric Co. Ltd. c. Photo Sound Corpn.[7] où un brevet redélivré a été jugé invalide parce que le Commissaire avait outrepassé son autorité en l’accordant. Cependant, il faut souligner que la loi a subi une modification importante depuis la redélivrance du brevet en cause dans cette affaire-là. A cette époque, l’article traitant de la redélivrance de brevets était formulé ainsi:
24. Lorsqu’un brevet est jugé défectueux ou inefficace par suite de l’insuffisance de la description, ou parce que le breveté a réclamé plus qu’il n’avait droit de réclamer à titre d’invention nouvelle,…
Dans la Loi sur les brevets de 1923 (art. 27), cette disposition avait été modifiée ainsi qu’on peut le lire à l’art. 50 de la loi actuelle, soit «a revendiqué plus ou moins», mais cette modification ne pouvait valider la redélivrance accordée le 28 novembre 1922. Il appert des motifs exposés par M. le juge en chef Duff au nom de la Cour que ceci constituait le principal motif de l’invalidité (à la p. 652):
[TRADUCTION] … bien que l’article prévoie un recours lorsque le breveté a revendiqué plus qu’il ne le devait, il faut noter que ce même article ne prévoit aucun recours lorsque le breveté a omis de revendiquer quelque chose à quoi il peut avoir droit.
Quant à la prétention qu’aucune «erreur» n’a été commise parce que toute inadvertance ou faute est celle des avocats de brevets et non celle de l’inventeur lui-même, je ne vois rien qui puisse motiver une interprétation à ce point restrictive de la Loi. Dans les cas de demandes de prorogation de délai, de redressement suite à une non-comparution et d’autres demandes semblables, aucune cour ne retiendrait la prétention que le délai ou la négligence résulte du fait de l’avocat de la partie et non de la partie elle-même. Bien au contraire, c’est une règle fondamentale régissant l’exercice du pouvoir discrétionnaire des juges en pareils cas qu’une partie ne doit pas perdre ses droits à cause d’une erreur ou d’une négligence commise par son avocat. On ne peut pas sérieusement alléguer que
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l’omission de modifier la demande de brevet canadienne à l’instar de la demande américaine de façon à tenir compte du brevet Jensen a été faite délibérément plutôt que fautivement ou par inadvertance.
Concernant l’allégation que la requête en redélivrance contenait de fausses déclarations, je suis d’avis qu’en vérité il n’y avait rien d’autre que l’omission de donner une description complète de certains détails secondaires. Que l’inventeur ait connu l’existence du brevet Jensen avant ou après avoir déposé sa demande canadienne, que son erreur soit de ne pas l’avoir rédigée ou révisée de façon à exclure les dispersions colloïdales, cela est sans importance. Ce qui importe, c’est que la bonne foi de l’inventeur ne soit pas mise en doute; il n’est pas contesté sérieusement que le brevet initial divulguait la même invention que le brevet redélivré.
Le dernier motif de contestation se rapporte uniquement à la validité des revendications de produit. On allègue leur invalidité en raison du par. (1) de l’art. 41 parce qu’elles viseraient «des substances préparées ou produites par des procédés chimiques et destinées à l’alimentation ou à la médication». Le juge de première instance a décidé que Hewlett‑Packard n’avait pu prouver que la préparation se faisait par un procédé chimique. J’entretiens quelques doutes sur cette conclusion. Il est vrai que ceci doit être déterminé en se fondant sur la signification populaire et non sur le sens scientifique de l’expression «procédé chimique». Au cours de son témoignage, Shansky a très bien expliqué pourquoi les scientifiques ne peuvent guère nous aider à trancher cette question:
[TRADUCTION] … C’est la différence entre les réactions physiques et chimiques. C’est controversé, cela dépend de votre orientation professionnelle. Pour certaines gens le papier qui se déchire représente une réaction physique, alors que pour d’autres cela constitue une réaction chimique à cause des liaisons d’hydrogène qui se rompent; solubiliser c’est une réaction chimique car cela fait passer un produit d’un état à un autre, et dans ce sens, c’est chimique. (Les italiques sont de moi)
Le juge de première instance a insisté sur le caractère peu concluant du fait que le procédé en cause ne consiste qu’en un mélange d’ingrédients.
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Cela dépend de ce qui en résulte. Je doute que l’on puisse comparer la préparation de cette crème avec la préparation de la mayonnaise, également une émulsion; je crois que cette dernière préparation ne serait pas considérée comme un procédé chimique au sens ordinaire. Mais la majorité des substances mentionnées au brevet comme susceptibles de convenir à la préparation d’une crème conductrice d’électricité sont indubitablement des «produits chimiques» au sens propre de cette expression, surtout les agents émulsifiants. L’extrait précité du témoignage du Dr Shansky, le témoin-expert de Burton Parsons, implique que, selon un chimiste du moins, le procédé de préparation d’une émulsion qui Utilise un émulsifiant emporte l’utilisation de ses propriétés chimiques.
Je crois qu’il serait superflu de trancher cette question car je suis d’accord avec la conclusion du juge de première instance que cette crème n’est pas «destinée à la médication» au sens de l’art. 41. La jurisprudence portant sur la signification de cette expression a récemment été examinée dans Tennessee Eastman c. Le commissaire des brevets[8]. On a statué que cela comprend les substances destinées à un emploi chirurgical. Je n’ai aucun doute qu’une crème conductrice est susceptible d’être utilisée chaque fois que des électrodes sont placées sur la peau durant une intervention chirurgicale. Cependant, rien dans la preuve ne vient appuyer la conclusion que c’est l’utilisation principale de ce produit. Il est clair que cette crème sert principalement à la prise d’électrocardiogrammes lors d’examens routiniers, et non pas nécessairement ou principalement au traitement des maladies. Il est évidemment assez difficile de dire exactement ce qui constitue un médicament et ce qui ne constitue qu’un produit susceptible d’être utilisé à l’occasion de traitement médicaux. En l’espèce cependant, c’était à Hewlett-Packard de prouver que le produit est un médicament. La preuve n’a pas convaincu le juge de première instance que tel est le cas et je ne vois aucune raison de modifier sa conclusion.
Pour tous ces motifs, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer la décision de la Division d’ap-
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pel et de rétablir le jugement de première instance avec dépens dans toutes les cours contre les intimées.
Appel accueilli avec dépens.
Procureurs des demanderesses, appelantes: Ridout & Maybee, Toronto.
Procureur des défenderesses, intimées: Donald F. Sim, Toronto.
[1] [1973] C.F. 405.
[2] (1952), 69 R.P.C. 81.
[3] [1968] R.C.S. 950.
[4] [1964] R.C.S. 49.
[5] (1973), 8 C.P.R. (2d) 210.
[6] [1966] R.C.S. 604.
[7] [1936] R.C.S. 649.
[8] [1974] R.C.S. 111.