Synthèse
Référence neutre : [1976] 1 R.C.S. 126
Date de la décision :
28/01/1975Sens de l'arrêt :
Le pourvoi doit être accueilli et le jugement de première instance rétabli
Analyses
Véhicules automobiles - Négligence - Conducteur d’un camion roulant au milieu de la route pour éviter une lisière d’huile fraîche - Omission de se ranger devant un véhicule venant en sens inverse parce que le camion serait probablement éclaboussé d’huile - La conductrice de la voiture venant en sens inverse braque à droite et tombe dans le fossé - Conducteur du camion seul responsable - The Vehicles Act, R.S.S. 1965, c. 377, art. 137(1)a).
Il a été décidé en première instance que les deux premiers défendeurs (intimés en cette Cour) sont les seuls responsables d’un accident d’automobile qui s’est produit dans les circonstances suivantes. L’appelante, au volant de son automobile faisait route vers l’est et le premier défendeur, au volant d’un gros camion-remorque appartenant au deuxième défendeur, se dirigeait en direction opposée et roulait à peu près au milieu de la route afin d’éviter une lisière d’huile fraîche, répandue sur une largeur d’environ trois pieds dans sa voie de circulation (côté nord). Alors que les deux véhicules approchaient l’un de l’autre, la demanderesse, qui roulait à environ 50 milles à l’heure, a ralenti et s’est alors rendu compte que le camion ne réintégrait pas son côté de la route. Craignant une collision, elle a braqué à droite et est tombée dans le fossé, où elle a perdu le contrôle et a capoté. Elle a subi de graves blessures.
La Cour d’appel a accueilli l’appel et rejeté l’action de la demanderesse. La demanderesse a alors interjeté appel à cette Cour.
Arrêt: Le pourvoi doit être accueilli et le jugement de première instance rétabli.
La probabilité que son camion soit éclaboussé d’huile est la seule raison pour laquelle le premier défendeur ne s’est pas rangé jusqu’à la bordure nord de la route. Ce n’était pas là une raison valable de rouler au milieu de la route et de constituer ainsi un risque pour la circulation venant en sens inverse. Le fait pour la demanderesse de ne pas remarquer la surface couverte d’huile sur une largeur de trois pieds du côté opposé de la route ne
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constituait pas de la négligence de sa part, et, de toute façon, il n’y avait aucune obligation pour elle de prévoir que le conducteur du camion venant en sens inverse ferait comme si la surface couverte d’huile ne faisait pas partie de la route.
POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de la Saskatchewan accueillant un appel d’un jugement du juge MacPherson. Pourvoi accueilli.
G.J. K. Neill, pour la demanderesse, appelante.
B. Dubinsky, c.r., et N.B. Yeo, pour les défendeurs, intimés, Lorne Coleman et H.M. Trimble & Sons Ltd.
E.R. Gritzfeld, c.r., pour le Gouvernement de la Saskatchewan.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE RITCHIE — Le pourvoi est à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de la Saskatchewan qui a accueilli un appel d’un jugement rendu en première instance par M. le juge MacPherson. Celui-ci avait conclu que les intimés en l’espèce, Coleman et H.M. Trimble & Sons Ltd. (ci-après appelée «Trimble»), étaient les seuls responsables d’un accident d’automobile qui s’était produit lorsque l’appelante roulait en direction est sur la route 33 vers Fillmore dans la province de la Saskatchewan et que l’intimé Coleman, au volant d’un gros camion-remorque appartenant à l’intimée Trimble, se dirigeait sur la même route en direction opposée et roulait à peu près au milieu de la route de 21 pieds de largeur afin d’éviter une lisière d’huile fraîche qui avait été répandue sur une largeur d’environ 3 pieds dans sa voie de circulation (côté nord).
Un appel a également été inscrit contre le gouvernement de la Saskatchewan qui était représenté devant nous, mais au cours des plaidoiries, on a fait remarquer qu’il ne pouvait y avoir d’appel contre le gouvernement puisque l’appelante n’avait pas interjeté appel du jugement de la Cour du banc de la reine de la Saskatchewan qui avait rejeté l’action contre le gouvernement et qu’il n’y avait aucune conclusion relative à la responsabilité de celui-ci dans l’arrêt dont il y a appel. Ce pourvoi contre le gouvernement a par conséquent été rejeté avec les dépens d’une requête en annulation.
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Alors que les deux véhicules approchaient l’un de l’autre, l’appelante, qui roulait à environ 50 milles à l’heure, a ralenti et s’est alors rendue compte que le camion ne se déplaçait pas vers sa droite de la route. Craignant une collision, elle a alors braqué à droite projetant sa Javelin dans le fossé où, selon le juge de première instance, elle a perdu le contrôle de sa voiture qui a capoté. Elle a subi de graves blessures et sa passagère a reçu des contusions.
En décrivant les actes du conducteur du camion, le savant juge de première instance a fait les constatations suivantes:
[TRADUCTION] Il est arrivé sur une section droite d’environ trois-quart de mille où une équipe du ministère de la Voirie venait de répandre, sur une largeur de trois pieds à la limite nord de la surface carrossable, une mince couche d’huile. A l’extrémité est de cette section de la route, un employé lui a fait un signal avec un drapeau. La couche d’huile fraîche couvrait trois pieds de surface de la voie de circulation de Coleman. Celui-ci a vu la demanderesse approcher et a obliqué vers sa droite mais sans toucher la partie huilée. Par conséquent, il était pratiquement au milieu du chemin. Il a cru que la demanderesse avait amplement d’espace pour passer mais, à mon avis, il n’y en n’avait pas. Il a évité de circuler sur l’huile pour ne pas éclabousser son véhicule.
J’ai mis des mots en italique.
Le camion-remorque mesurait environ huit pieds de largeur et Coleman a déclaré à plusieurs reprises durant son témoignage que lorsqu’il approchait de la voiture de l’appelante, il roulait dans le milieu du chemin et, en contre-interrogatoire, il a admis que son camion occupait quatre pieds de la voie du côté sud et quatre pieds de la voie nord. Il a expliqué qu’il circulait ainsi parce qu’il voulait éviter l’huile pour ne pas salir son camion. A ce sujet, il a déclaré en contre-interrogatoire ce qui suit:
[TRADUCTION] Q. Vous êtes-vous, alors que cette voiture s’approchait de vous, rangé davantage dans la voie nord?
R. Je suis allé aussi loin que je pouvais le faire sans toucher d’huile.
Q. Était-ce là la seule raison qui vous ait empêché d’aller plus vers le nord?
R. Bien, j’aurais pu passer directement dessus je crois.
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Q. Je crains de ne pas saisir très bien votre pensée.
R. J’aurais probablement pu passer directement sur la couche d’huile, mais alors j’aurais été dans l’huile jusqu’au cou.
Q. Votre camion aurait été arrosé d’huile, je présume?
R. Oui.
Q. Très difficile a enlever, j’imagine?
R. Oui.
Q. Et la présence de l’huile est la seule raison pour laquelle vous ne vous êtes pas rangé davantage a votre droite?
R. Oui.
L’alinéa a) du par. (1) de l’art. 137 du Vehicles Act, R.S.S. 1965, c. 377, requiert que:
[TRADUCTION] 137. (1) Un conducteur de véhicule automobile ou d’une voiture a traction animale ou une personne à dos d’animal qui circule sur un chemin public
a) doit, lorsqu’il croise une autre personne sur le chemin, se diriger en temps utile vers la droite de la ligne centrale de la partie carossable de la route et circuler à droite de cette ligne tant qu’il n’a pas croisé l’autre personne.
Que Coleman ait fait ou non une tentative pour se diriger à sa droite immédiatement avant la collision, rien n’indique qu’en aucun temps le camion a été complètement à droite de la ligne centrale et il violait par conséquent cet article, ce qui, à la lumière de la décision de cette Cour dans l’arrêt Gauthier & Co. Ltd. c. Le Roi[1], est suffisant pour établir une preuve prima facie de négligence de sa part.
M. le juge Hall, parlant au nom de la majorité de la Cour d’appel, a exprimé l’avis que la déposition de Coleman lue dans son ensemble révélait que son camion touchait presque la couche d’huile fraîche lorsque l’accident est arrivé et que l’intimée avait suffisamment d’espace sur la route pour passer si elle avait
[TRADUCTION] …conduit avec le degré de vigilance et à la vitesse réduite que commandaient les circonstances. Son défaut d’agir ainsi a été le résultat de sa propre négligence à se tenir sur le qui-vive.
Le même savant juge a ajouté:
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Je suis d’accord avec mon collègue le juge Woods pour les raisons qu’il a données que, dans les circonstances, le fait de Coleman de ne pas passer sur la partie huilée de la route n’a pas constituée de la négligence.
Il me semble que c’est cette dernière conclusion qui a été cruciale dans la décision de la Cour d’appel et après avoir cité l’al. a) du par. (1) de l’art. 137 supra, M. le juge Woods l’a énoncée en ces termes:
[TRADUCTION] Ceci impose au conducteur l’obligation de rouler à droite de la ligne centrale de la partie de la route généralement carossable. Lorsque se présente une situation comme celle que nous retrouvons ici où trois pieds de la chaussée sont couverts d’huile fraîche, la partie carossable ne comprend pas la surface où l’huile vient d’être répandue. En l’espèce, la demanderesse aurait dû voir l’état de la route. Et si elle avait connu cette condition, elle pouvait difficilement s’attendre à ce qu’un autre véhicule circule dans cette matière visqueuse et glissante qui couvrait la chaussée.
Avec le plus grand respect pour les opinions exprimées, je crois qu’il faut signaler que Coleman, selon son propre témoignage, aurait pu rouler sans danger sur la partie de la route couverte d’huile compte tenu des dimensions de son véhicule et que la probabilité d’être éclaboussé d’huile a été la seule raison qui l’a empêché de se ranger vers la bordure nord de la route de 21 pieds. A mon avis cela ne constituait pas une raison valide pour créer un risque en roulant au milieu de la route.
Je ne puis conclure à quelque négligence de la part de Mme Jordan qui n’a pas remarqué la surface couverte d’huile sur une largeur de trois pieds du côté opposé de la route et, de toute façon, je suis d’opinion qu’il n’y avait aucune obligation pour elle de prévoir que le camion qui s’en venait en sens inverse considérerait la surface couverte d’huile comme ne faisant pas partie de la route.
Les faits dans d’autres affaires ne peuvent aider à décider une question comme celle en l’espèce, mais les conclusions du savant juge de première instance qui a observé les témoins, méritent le plus grand respect et, à mon avis, il doit y avoir quelque erreur de droit manifeste ou une fausse interprétation de la preuve avant qu’une cour d’appel ne puisse substituer son opinion à celle du juge qui a
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entendu le procès. Je ne puis déceler d’erreur de cette nature ni de fausse interprétation de ce genre dans le jugement du savant juge de première instance.
Peut-être Mme Jordan aurait-elle pu croiser le camion des intimés sans prendre le fossé mais le danger que représentait l’étroit passage qui s’offrait à elle, l’a mise dans une situation où le geste qu’elle a fait pour éviter l’accident était justifié. Je ne crois pas non plus que la preuve prima facie de négligence établit par l’al. a) du par. (1) de L’art. 137 (supra) puisse être réfuté par la prétention que le geste de l’intimé était excusable parce que l’huile aurait éclaboussé son camion s’il avait agi conformément aux dispositions de la loi.
Pour tous ces motifs, je suis d’avis d’accueillir ce pourvoi avec dépens en cette Cour et en Cour d’appel et de rétablir le jugement du savant juge de première instance. Comme je l’ai mentionné, le pourvoi contre le gouvernement de la Saskatchewan est rejeté avec les dépens d’une requête en annulation.
Pourvoi accueilli; jugement de première instance rétabli.
Procureurs de la demanderesse, appelante: Davidson, Davidson & Neill, Regina.
Procureurs des défendeurs, intimés, Lorne Coleman et H.M. Trimble & Sons Ltd.: Dubinsky, Phillips & Andreychuk, Moose Jaw.
Procureurs du gouvernement de la Saskatchewan: Embury, Molisky, Gritzfeld & Embury, Regina.
[1] [1945] R.C.S. 143.
Parties
Demandeurs :
JordanDéfendeurs :
Coleman et al.Proposition de citation de la décision:
Jordan c. Coleman et al., [1976] 1 R.C.S. 126 (28 janvier 1975)
Origine de la décision
Date de l'import :
06/04/2012Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1975-01-28;.1976..1.r.c.s..126