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28/01/1975 | CANADA | N°[1976]_1_R.C.S._254

Canada | Slavutych c. Baker et al., [1976] 1 R.C.S. 254 (28 janvier 1975)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Slavutych c. Baker et al., [1976] 1 R.C.S. 254

Date : 1975-01-28

Yar Slavutych Appelant; et

T. D. Baker, Dr H. B. Collier, Dr W. H. Swift et l’Assemblée des gouverneurs de l’Université de l’Alberta Intimés.

1974: le 10 décembre; 1975: le 28 janvier.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Judson, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré.

EN APPEL DE LA DIVISION D’APPEL DE LA COUR SUPRÊME D’ALBERTA

COUR SUPRÊME DU CANADA

Slavutych c. Baker et al., [1976] 1 R.C.S. 254

Date : 1975-01-28

Yar Slavutych Appelant; et

T. D. Baker, Dr H. B. Collier, Dr W. H. Swift et l’Assemblée des gouverneurs de l’Université de l’Alberta Intimés.

1974: le 10 décembre; 1975: le 28 janvier.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Judson, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré.

EN APPEL DE LA DIVISION D’APPEL DE LA COUR SUPRÊME D’ALBERTA


Synthèse
Référence neutre : [1976] 1 R.C.S. 254 ?
Date de la décision : 28/01/1975
Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être accueilli

Analyses

Preuve - Membre de la faculté requis de donné son opinion sur un collègue - Déclaration faite dans un document confidentiel - Le conseil d’arbitrage a commis une erreur en droit en considérant les déclara­tions faites par un membre de la faculté comme motif de son licenciement.

Conformément à l’art. 122 du manuel des facultés de l’Université de l’Alberta, on a entamé des procédures en vue de licencier l’appelant, un membre du département des Langues slaves de l’Université. Un conseil d’arbi­trage, composé des trois intimés, a examiné quatre accusations contenues dans une lettre envoyée par le président de l’Université à l’appelant. Quant à trois d’entre-elles, le conseil d’arbitrage a conclu que deux n’avaient pas été prouvées et que la troisième, bien que prouvée, n’était pas suffisante pour justifier un licenciement. Quant à la quatrième accusation qui traitait d’un document confidentiel, désigné comme un «formulaire relatif à la permanence», le conseil a conclu que la preuve fournissait des motifs suffisants de licenciement. Le conseil a été d’avis que l’appelant, en parlant d’un collègue dans les termes qu’il a employés, s’était rendu coupable d’un acte de mauvaise conduite justifiant son licenciement.

Le document dont il s’agit avait été rempli par l’appe­lant à la demande du directeur du département des Langues slaves au nom des autorités de l’Université. Ce document portait la cote «Confidentiel» et les instruc­tions pour le transmettre précisaient de l’expédier dans «une enveloppe cachetée marquée Confidentiel». De plus l’appelant a déclaré, et il n’a pas été contredit, qu’il avait été avisé par le directeur du département que les rensei­gnements reçus demeureraient strictement confidentiels jusqu’à la réunion du comité sur la permanence et qu’ensuite le document serait détruit.

L’appel de l’appelant à l’encontre de la sentence du conseil d’arbitrage a été rejeté par la Division d’appel de

[Page 255]

la Cour suprême de l’Alberta, et l’appelant, avec autori­sation, a interjeté appel devant cette Cour.

Arrêt: Le pourvoi doit être accueilli.

Lorsque la procédure de permanence est engagée par l’Université, des communications confidentielles, faites de bonne foi par une personne qui a un intérêt légitime dans la procédure, ne doivent pas servir à l’encontre de cette dernière. Cette Cour ne souscrit pas à la conclusion de la Cour inférieure qui a décidé que les déclarations de l’appelant n’ont pas été faites de bonne foi. La produc­tion du formulaire relatif à la permanence sur lequel est fondé l’accusation de mauvaise conduite n’aurait pas dû être permise et par conséquent le conseil d’arbitrage, pour employer les mots du par. (2) de l’art. 11 du Arbitration Act, R.S.A. 1970, c. 21, a manqué à ses obligations et sa sentence devrait être annulée.

Arrêts appliqués: Seager v. Copydex, Ltd., [1967] 2 All. E.R. 415; Terrapin Ltd. v. Builders’ Supply Co. (Hayes) Ltd. et al., [1960] R.P.C. 128; Horrocks v. Lowe, [1972] 3 All E.R. 1098. Arrêts mentionnés: Argyll v. Argyll, [1967] Ch. 302; Bell v. University of Auckland, [1969] N.Z.L.R. 1029.

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Division d’appel de la Cour suprême d’Alberta[1] qui a rejeté un appel d’une sentence d’un conseil d’arbitrage. Le pourvoi est accueilli et la sentence annulée.

J. W. McClung, c.r, pour l’appelant.

W. J. Girgullis, pour les intimés.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE SPENCE — Il s’agit d’un pourvoi à l’encontre d’un arrêt rendu le 22 juin 1973 par la Division d’appel de l’Alberta qui a rejeté un appel d’une sentence prononcée le 9 juin 1972 par un conseil d’arbitrage composé des intimés Baker Collier et Swift.

Cette Cour a autorisé l’appel par son ordon­nance en date du 5 novembre 1973.

Les trois intimés, membres du conseil d’arbitrage, n’étaient pas représentés lors des plaidoiries devant la Division d’appel ni devant cette Cour, e en ce jugement je considérerai l’affaire comme un pourvoi par l’appelant contre une seule intimée

[Page 256]

l’Assemblée des gouverneurs de l’Université de l’Alberta.

L’appelant était professeur adjoint au département des Langues slaves de la faculté des Arts de l’Université de l’Alberta. Conformément aux dispositions du manuel de la faculté de cette univer­sité, qui traite des procédures et des règlements relatifs à la nomination des membres à plein temps de la faculté et de leur licenciement, le Dr Wyman, président de l’Université, a entamé des procédures en vue de licencier l’appelant. Le 16 décembre 1971, il a fait parvenir à l’appelant une lettre très longue et très détaillée. Dans celle-ci, qui portait en rubrique [TRADUCTION] «Preuve de mauvaise conduite», le Dr Wyman énonce en détail ses repro­ches et termine ainsi:

[TRADUCTION] J’ai l’intention de passer au prochain palier prévu à la procédure de licenciement de cette université et de proposer à l’Assemblée des gouverneurs que vous soyez lincencié [sic].

Conformément à l’art. 122.3, j’attendrai au moins 21 jours avant de prendre d’autres mesures.

L’article 122.3 du manuel permettait à un membre, sur réception du président d’un avis qu’il entendait proposer son licenciement, de soumettre la question au Comité des affaires pédagogiques de l’Association des professeurs et ce comité pouvait s’occuper du cas et faire des recommandations.

L’appelant a effectivement soumis la question au Comité et l’Association dans une lettre du 4 février 1972 envoyée au Dr Wyman, cite sa résolu­tion qui se lit comme suit:

[TRADUCTION] Que l’exécutif de l’Association est d’avis que la preuve présentée dans l’affaire Slavutych est insuffisante pour justifier les procédures de licenciement et il recommande qu’elles soient abandonnées.

L’exécutif veut que soit également inscrit au procès-ver­bal qu’il est profondément contrarié que des documents confidentiels qui devaient servir aux fins d’une enquête relative à la permanence ont été utilisés dans un contexte différent de leur destination originelle.

Malgré cette recommandation, le Dr Wyman a de toute évidence décidé de continuer la procédure de licenciement et un conseil d’arbitrage, composé des trois intimés, a été formé.

[Page 257]

Il n’y a pas dans le dossier d’appel de document officiel déférant le cas à l’arbitrage et il semble que la lettre du Dr Wyman du 16 décembre 1971, que j’ai déjà mentionnée, a constitué le document de renvoi. Dans cette lettre, quatre accusations différentes sont portées. Les trois premières peuvent être traitées très brièvement. Quant à la première et la troisième qui traitent, respectivement, d’une lettre à un futur diplômé et de la liste de ses publications et autres rapports au cours des différentes années, le conseil d’arbitrage a statué que [TRADUCTION] «la preuve n’était pas suffi­samment solide et précise pour conclure qu’il y ait eu faute». Quant à la deuxième accusation relative à l’implication d’étudiants dans des questions concernant l’appelant et l’université, le conseil a conclu que l’accusation avait été prouvée mais, [TRADUCTION] «cependant, cela n’était pas suffi­sant pour justifier le licenciement». La quatrième accusation traite d’un document appelé [TRADUC­TION] «formulaire relatif à la permanence». Ce document a été produit comme addenda aux motifs de jugement du juge d’appel Sinclair de la Division d’appel et je le cite au complet:

[TRADUCTION] DÉPARTEMENT DES LANGUES SLAVES

FORMULAIRE RELATIF À LA PERMANENCE CONFIDENTIEL

Au-dessous du nom suivant, dites franchement votre opinion sur l’à-propos de la permanence du candidat en vous basant sur des faits vérifiables. Répondez OUI, NON ou SANS OPINION, en donnant le plus de détails possible sur les motifs de votre réponse. Sont particulièrement considérés les renseignements sur les recherches du candidat, son enseignement, son travail en comité, son civisme, sa personnalité (son influence sur l’ensemble du département).

Nom T. R. CARLTON, (Candidat à la permanence)

«Oui» «Non»

«Sans Opinion» ?

Motifs Il a été très malhonnête et a souvent violé l’éthique professionnelle.

[Page 258]

Il a favorisé certains étudiants en leur donnant des notes élevées de façon que ceux-ci puissent faire son éloge auprès des administrateurs.

Bien qu’enseignant l’ukrainien, il n’a pas perfectionné cette langue parlée. Au contraire, il a régressé puisqu’il emploie presque exclusivement l’an­glais dans ses cours avancés d’ukrai­nien.

Il s’est associé aux intrigues menées par son ancien supérieur et aux propos diffamatoires inventés par ce dernier. Il n’a toutefois pas hésité à poignarder dans le dos son ancien directeur après que celui-ci eut été relevé de ses fonctions.

Étant âgé de près de 40 ans et n’ayant encore rien publié, il a démontré qu’il n’avait absolument aucune vie intellec­tuelle.

Malgré ces commentaires, je res­pecterai toute décision du comité de permanence.

Date le 7 nov. 1970 Signature «Yar Slavutych»

Retourner avant le 5 novembre 1970, dans une enve­loppe cachetée marquée «CONFIDENTIEL» au DIRECTEUR, DÉPARTEMENT DES LANGUES SLAVES, à l’attention de Mme M. Murphy.

Dans sa réponse à une lettre antérieure du prési­dent en date du 12 novembre 1971, l’appelant mentionnait, au sujet de ce formulaire relatif à la permanence:

[TRADUCTION] 3. FORMULAIRE RELATIF À LA PERMANENCE .. .

Le Dr Schaarschmidt m’a demandé à deux reprises une opinion confidentielle sur le professeur T. Carlton, en m’assurant que les renseignements reçus seraient gardés strictement confidentiels jusqu’à la réunion du comité de permanence et que le formulaire serait ensuite détruit. Après quelque hésitation, j’ai exprimé ouvertement ce que je pensais de cette personne. Chaque mot dans ce formulaire que j’ai signé est véridique. Mainte­nant, un an plus tard, vous m’apprenez, Monsieur le Président, que ledit formulaire a été conservé et que les renseignements confidentiels demandés ont été utilisés contre moi. J’aimerais discuter avec vous de cette ques­tion au moment d’une nomination.

[Page 259]

Cette déclaration faisait partie d’une lettre en date du 16 novembre 1971 adressée par l’appelant au président qui l’a produite à l’arbitrage comme pièce Wy-v. Celle-ci n’a nullement été réfutée par les témoignages à l’arbitrage.

On a beaucoup parlé à l’enquête devant le con­seil d’arbitrage de ce formulaire de permanence. Les témoins ne semblent pas avoir été assermentés et il est presque impossible de séparer la preuve de la plaidoirie. Je n’ai pas l’intention de m’étendre sur les procédures devant le conseil d’arbitrage, bien qu’il puisse être nécessaire d’en parler briève­ment plus loin. La véritable accusation portée par le Dr Wyman contre l’appelant relativement à ce formulaire ne semble pas avoir été formulée avec précision mais j’extrais de la lettre du 16 décembre 1971, une déclaration qui, comme je l’ai déjà mentionné, constitue en soi une accusation. Cette déclaration est la suivante:

[TRADUCTION] Ma conclusion est que vous avez porté une accusation très sérieuse en vous basant sur des motifs des plus superficiels et que vous n’avez apporté aucune preuve satisfaisante pour en établir la véracité.

Malgré l’objection énoncée dans la lettre de l’appelant du 16 novembre 1971, dont j’ai déjà parlé, le président a maintenu cette accusation et le Conseil d’arbitrage a rendu la décision suivante:

[TRADUCTION]

Quatrième accusation Re: Formulaire relatif à la permanence

Le conseil conclut que la preuve produite sur la quatrième accusation fournit des motifs suffisants de licenciement. C’est l’opinion du Conseil que le profes­seur Slavutych, en parlant d’un collègue dans les termes qu’il a employés, s’est rendu coupable d’un acte de mauvaise conduite grave justifiant son licen­ciement pour cause.

Le conseil a conclu son rapport en déclarant que l’appelant soit licencié en recommandant qu’on lui alloue douze mois de salaire et en ajoutant à la suite ce qu’on a appelé une «Remarque» qui se lit comme suit:

[TRADUCTION] Le manuel du personnel, à l’article 122.6, exige que le conseil d’arbitrage rende une décision par un Oui ou un Non à l’égard d’un licenciement. Le

[Page 260]

conseil est convaincu que le licenciement est justifié en se fondant sur la preuve. Cependant, il recommande au Président et à l’assemblée des gouverneurs qu’ils exami­nent si quelque sanction moins sévère pourrait suffisam­ment servir les intérêts de l’université.

L’appelant a interjeté appel du rapport du Con­seil d’arbitrage à la Division d’appel et les motifs de jugement de cette cour-là ont été rendus par le juge d’appel Sinclair, qui a fait remarquer que la seule question à déterminer était de savoir si les arbitres s’étaient fourvoyés ou avaient autrement commis une erreur en droit en considérant comme motifs de licenciement des déclarations faites par l’appelant dans un document confidentiel appelé «formulaire relatif à la permanence».

Dans ses motifs, le juge d’appel Sinclair s’est d’abord demandé si ce formulaire devait être classé dans les documents de caractère confidentiel et il cite le volume 8 de Wigmore on Evidence, 3e éd., (McNaughton Revision, 1961), par. 2285, qui édicte quatre conditions essentielles pour que des communications soient privilégiées et qu’on ne puisse les divulguer:

[TRADUCTION] «(1) Les communications doivent avoir été transmises confidentiellement avec l’assurance qu’el­les ne seraient pas divulguées.

(2) Le caractère confidentiel doit être un élément essentiel au maintien complet et satisfaisant des rela­tions entre les parties.

(3) Les relations doivent être de la nature de celles qui, selon l’opinion de la collectivité, doivent être entretenues assidûment.

(4) Le préjudice permanent que subiraient les relations par la divulgation des communications doit être plus considérable que l’avantage à retirer d’une juste décision.»

Le juge d’appel Sinclair a conclu son étude de ces motifs par cette déclaration:

[TRADUCTION] Si le problème en cause doit être considéré seulement du point de vue de la preuve, je ne crois pas qu’une prétention que le caractère confidentiel devrait s’appliquer au formulaire relatif à la permanence puisse s’appuyer sur des motifs d’intérêt public.

En revanche, si la question doit être considérée du point de vue de la communication privilégiée, je ne partage pas cet avis. Je renvoie aux quatre conditions essentielles énoncées par Wigmore et

[Page 261]

citées ci-dessus. Quant à la première condition, la communication a été transmise à titre confidentiel, tel qu’il appert au texte même du formulaire que l’appelant avait à remplir et comme le directeur du département l’a répété avec insistance lorsqu’il a demandé à l’appelant de remplir le formulaire. A l’égard de la deuxième condition, le caractère con­fidentiel était certainement essentiel au bon fonc­tionnement de la procédure par laquelle on deman­dait à des membres du personnel de l’université, collègues du requérant, de donner leur opinion sur une demande aussi importante qu’une nomination permanente. Ces personnes travaillaient quotidien­nement ensemble et on n’aurait pu permettre que la déclaration faite par l’une, à la demande des autorités de l’université, relativement au mérite d’une autre, soit portée à la connaissance de cel­le-ci ou des autres membres du personnel. Quant à la troisième condition, il était sûrement dans l’inté­rêt de la collectivité universitaire que les relations entre les collègues soient entretenues et que la procédure régulière pour accorder la permanence aux membres du personnel soit facilitée. Quant à la quatrième condition, tous les éléments que je viens de mentionner font ressortir l’avantage de préserver la nature confidentielle de la communi­cation. Il existe naturellement un avantage au bon fonctionnement de la procédure régulière de licen­ciement et on pourrait dire, bien que je ne le crois pas à propos, que cet avantage justifierait la viola­tion du caractère confidentiel de la communication mais je ne crois pas qu’on pourrait dire que cet avantage est supérieur à celui du maintien du caractère confidentiel. Et si les deux avantages s’équivalent, on devrait certainement attacher plus d’importance au maintien du caractère confiden­tiel d’un document qui a été remis avec l’accord formel des deux parties qu’il demeurerait confi­dentiel, même qu’il devrait être détruit dès qu’il aurait été lu et examiné. Cela s’applique particu­lièrement lorsque la partie qui propose la violation du caractère confidentiel, c.-à-d. l’Université de l’Alberta, est la partie qui s’est engagée formellement à ce que le caractère confidentiel soit absolu.

Par conséquent, je suis d’avis qu’en considérant cette affaire seulement du point de vue de la preuve et selon la règle des communications privi­légiées, comme elle a été si bien exposée par

[Page 262]

Wigmore, le document confidentiel aurait dû être déclaré irrecevable. Par conséquent, toute accusa­tion fondée sur ce dernier n’aurait pas dû être maintenue.

Je suis toutefois d’avis, comme le juge d’appel Sinclair, qu’il ne faut pas envisager la question sous l’angle de l’application de la règle des com­munications privilégiées à la lumière de la preuve mais plutôt, en raison des circonstances que j’ai déjà décrites, que ce sont les administrateurs mêmes de l’Université de l’Alberta, et en particu­lier le directeur du département des langues slaves, qui sont à l’origine de l’existence du document et du caractère confidentiel qui lui a été donné. Comme je l’ai mentionné, le document porte la cote «Confidentiel» et les instructions pour le transmettre précisent qu’il soit expédié dans (traduc­tion) «une enveloppe cachetée marquée Confiden­tiel». De plus l’appelant a déclaré, et il n’a pas été contredit, qu’il avait été avisé par le Dr Schwaarschmidt, le directeur du département, que les renseignements reçus demeureraient strictement confidentiels jusqu’à la réunion du comité sur la permanence et qu’ensuite le document serait détruit.

Le juge d’appel Sinclair cite lord Denning, maître des rôles, qui, dans Seager v. Copydex Ltd.[2], à la p. 417, a lui-même adopté la déclaration du juge Roxburgh dans Terrapin Ltd. v. Builders’ Supply Co. (Hayes) Ltd. et al.[3]

[TRADUCTION] «Comme je le comprends, le fondement de cette branche du droit, quelle que soit son origine, est qu’une personne qui a obtenu un renseignement à titre confidentiel ne peut s’en servir comme base d’agisse­ments préjudiciables à la personne qui a fourni le rensei­gnement confidentiel. Et ce document demeurera à la base même lorsque tous ses éléments ont été publiés ou sont effectivement disponibles à l’examen du public.»

Je suis d’avis que ce passage constitue un énoncé valable de la règle relative à la divulgation des communications confidentielles lorsqu’elle traite des actes des personnes qui leur ont donné le caractère confidentiel. Le fait que cet énoncé par­ticulier renvoie à une situation de caractère com­mercial n’est pas, comme l’a signalé le juge d’appel

[Page 263]

Sinclair, un motif pour en restreindre l’application à de telles situations et de fait, l’arrêt Argyll v. Argyll[4], un jugement du juge Ungoed-Thomas, démontre qu’elle peut viser des situations personnelles; en cette affaire-là, il s’agissait de révéla­tions confidentielles faites par une femme à son mari pendant le mariage. La règle est appliquée par le juge Turner dans l’affaire Bell v. University of Auckland[5], alors qu’on a examiné ce qui était une tentative du demandeur d’obtenir que la défenderesse produise certaines notes et recom­mandations qui avaient été données à cette der­nière par des personnes que le demandeur avait indiquées comme pouvant fournir des renseigne­ments confidentiels. Comme on le verra, certains faits ressemblent étrangement à ceux de l’espèce. Ici, c’est la partie même qui a été à la source de la communication privilégiée et qui a insisté sur le caractère confidentiel qui désire non pas la pro­duire, mais s’en servir comme fondement d’une accusation de mauvaise conduite justifiant le licen­ciement. Je cite le jugement du juge Turner à la p. 1036:

[TRADUCTION] Les parties en l’espèce ont solennellement convenu avant l’action que les documents qui sont maintenant en cause seraient rédigés sur l’engagement solennel des deux parties que le demandeur n’aurait pas le droit de voir les documents.

L’une de ces deux parties était le demandeur, et c’était ce dernier qui cherchait à voir les docu­ments. En l’espèce, l’engagement solennel a été fait entre l’université d’une part, par l’intermédiaire du directeur de département, et l’appelant d’autre part, et c’est l’université qui cherche à se servir du document.

Après son renvoi à Argyll v. Argyll, supra, le juge d’appel Sinclair a poursuivi:

[TRADUCTION] Je crois que le principe équitable rela­tif à la violation du caractère confidentiel a un rôle à jouer dans le présent appel. Il me semble que lorsque la procédure de permanence à l’égard d’un candidat est engagée, il s’établit alors, dans les murs de l’Université de l’Alberta, quelque chose que j’appellerai, faute de meilleure expression, un abri du caractère confidentiel. La protection offerte par cet abri s’étend à tous ceux qui dans l’institution ont un intérêt légitime dans la procédure

[Page 264]

de permanence. La nature de cette protection est telle que des communications confidentielles, faites de bonne foi, ne doivent pas servir à l’encontre de leur auteur à titre de membres de la collectivité universitaire. Ceci étant admis, si le formulaire relatif à la perma­nence avait été soumis par l’appelant de bonne foi, il n’aurait pas dû servir dans les procédures visant son licenciement.

Respectueusement, je suis complètement d’accord avec cet énoncé et je crois qu’il situe l’affaire de façon exacte et succinte. Le juge d’appel Sinclair a continué, après avoir cité des extraits du formu­laire relatif à la permanence:

[TRADUCTION] Lorsqu’on examine le dossier devant nous, il est clair que ces accusations très sérieuses, lancées dans des circonstances vitales pour la carrière d’un collègue, n’ont jamais été prouvées. On ne peut tirer d’autre conclusion que ces allégations non étayées n’ont pas été faites de bonne foi.

Respectueusement, je ne puis souscrire à cette façon de décider le pourvoi.

On doit se rappeler qu’en vertu des dispositions de l’art. 122.8 du manuel qui, évidemment, contient les règles relatives à la procédure de licenciement, y inclus l’arbitrage, il est expressément prévu: [TRADUCTION] «Il incombe au président de prouver le bien-fondé du licenciement».

La très courte sentence arbitrale ne fait aucunement mention de bonne ou mauvaise foi. La sen­tence doit être considérée à la lumière de la recom­mandation faite à la fin et que j’ai citée ci-dessus à savoir que le Président et l’assemblée des gouver­neurs examinent si quelque sanction moins sévère pourrait suffisamment servir les intérêts de l’uni­versité. Une recommandation de cette nature n’au­rait pu être faite si le conseil d’arbitrage avait été d’avis que l’appelant avait agi de mauvaise foi.

Dans l’arrêt Horrocks c. Lowe[6], la Cour d’appel avait à décider d’une action en diffamation et d’une défense d’immunité relative. Naturellement, cette défense pouvait seulement être plaidée si le défendeur avait agi sans malice, ce qui équivaut, dans les circonstances en l’espèce, à agir de bonne foi. Lord Denning, maître des rôles, a donné les

[Page 265]

motifs de la Cour et a déclaré à la p. 1101:

[TRADUCTION] Il est admis que l’occasion était «pri­vilégiée». Il est de la plus haute importance que les administrateurs locaux puissent s’exprimer avec toute latitude sur les questions intéressant la localité dans la mesure où ils croient honnêtement que ce qu’ils disent est vrai, ils ne devraient pas être responsables de diffa­mation. Ils peuvent avoir des préjugés et agir de façon déraisonnable. Ils peuvent ne pas avoir la véritable version des faits. Ils peuvent offenser sérieusement autrui. Mais dans la mesure où ils sont honnêtes, ils ne peuvent être blâmés. Aucun échevin ne doit être gêné dans ses critiques par crainte d’un procès pour diffama­tion verbale. Il ne doit pas constamment se demander si ce qu’il dit est diffamatoire. Il est libre d’exprimer son point de vue, même si celui-ci fait l’objet de farouches controverses. C’est là l’essence d’une libre discussion.

La seule restriction à sa liberté est qu’il ne doit pas agir avec malice. Mais, à cette fin, qu’est-ce que la malice? Je soulignerais qu’un refus de se rétracter n’est pas une preuve de malice pas plus que le refus de s’excuser. Comme le dit le juge, cette attitude peut s’expliquer par son honnêteté et la sincérité de sa croyance, même si le refus est obstiné et déraisonnable. La malice s’accompagne ordinairement de rancunes per­sonnelles ou de malveillance; ou encore il y a malice lorsque le défendeur ne croit pas honnêtement en la véracité de ses propos. Le juge n’a rien trouvé de tel. Mais il a conclu que M. Lowe était mû par des préjugés graves et déraisonnables; et c’est sur ce motif que la malice a été établie.

Et à la p. 1102, le savant maître des rôles a cité et adopté Gatley:

[TRADUCTION] «Si le défendeur a honnêtement cru que sa déclaration était vraie, on ne doit pas conclure qu’il a agi avec malice simplement parce que sa croyance ne s’appuyait pas sur des motifs raisonnables; ou. parce qu’il a pris une décision précipitée ou irréflé­chie, ou parce qu’il a été déraisonnable ou inconsidéré dans sa croyance ou qu’il a fait preuve d’entêtement ou d’obstination.»

J’applique cette déclaration à laquelle, respec­tueusement, je souscris, à la situation actuelle et particulièrement à l’accent que l’avocat de l’inti­mée a mis sur le défaut de l’appelant de rétracter de quelque façon ses déclarations et, d’autre part, à ses allégations continues dans les procédures que ses déclarations étaient véridiques et aussi en réponse aux observations du président devant le conseil d’arbitrage à l’effet que l’appelant avait

[Page 266]

fait des déclarations et n’avait apporté aucune preuve satisfaisante pour en établir la véracité.

Par conséquent, j’en viens à la conclusion que la production de ce formulaire relatif à la perma­nence sur lequel est fondé l’accusation de mauvaise conduite n’aurait pas dû être permise et que le conseil d’arbitrage, pour employer les mots du par. (2) de l’art. 11 du Arbitration Act, R.S.A. 1970, c. 21, a manqué à ses obligations et sa sentence devrait être annulée. La sentence traite, comme je l’ai signalé, de trois autres accusations et elle a conclu que deux d’entre elles n’avaient pas été prouvées et que la troisième, bien que prouvée, n’était pas suffisante pour justifier un licenciement. L’avocat de l’université ne s’est pas objecté à cette conclusion du conseil d’arbitrage et il n’a pas interjeté d’appel incident en cette Cour ni en la Division d’appel.

Dans les circonstances, je ne vois pas pourquoi ces parties de la sentence arbitrale ne devraient pas subsister et la seule partie de ladite sentence qui devrait être annulée est celle qui apparaît à la dernière page et qui traite du document relatif à la permanence. Cette partie de la sentence était inti­tulée «4e accusation».

Dans les présents motifs, je ne conclus pas seulement que ce document n’était pas recevable mais je conclus également qu’aucune accusation ne peut être fondée sur ce document. Par conséquent, il n’y a pas de raison d’annuler la sentence et de la renvoyer pour examen au conseil d’arbitrage; j’an­nulerais simplement la sentence en ce qui concerne la 4e accusation.

L’appelant a droit à ses frais dans toutes les Cours à l’encontre de l’intimée, l’Assemblée des gouverneurs de l’Université de l’Alberta.

Pourvoi accueilli; sentence annulée.

Procureurs de l’appelant: McClung & Baker, Edmonton.

Procureurs de l’intimée, l’Assemblée des gouver­neurs de l’Université de l’Alberta: Field, Hynd­man, Edmonton.

[1] [1973] 5 W.W.R. 723, 41 D.L.R. (3d) 71.

[2] [1967] 2 All E.R. 415.

[3] [1960] R.P.C. 128.

[4] [1967] Ch, 302,

[5] [1969] N.Z. L. R. 1029.

[6] [1972] 3 All E.R. 1098.


Parties
Demandeurs : Slavutych
Défendeurs : Baker et al.
Proposition de citation de la décision: Slavutych c. Baker et al., [1976] 1 R.C.S. 254 (28 janvier 1975)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1975-01-28;.1976..1.r.c.s..254 ?
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