Cour suprême du Canada
Breck’s Sporting Goods Co. Ltd. c. Magder et al., [1976] 1 R.C.S. 527
Date: 1975-01-28
Breck’s Sporting Goods Co. Ltd. (Demanderesse) Appelante;
et
Jesse Magder, exerçant des affaires sous la raison sociale de Sportcam ou Sportcam Co. (Défendeur) Intimé;
et
Breck’s Sporting Goods Co. Ltd. (Demanderesse) Appelante;
et
Sportcam Co. Limited (Défenderesse) Intimée.
1974: les 14, 15 et 19 novembre; 1975: le 28 janvier.
Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Judson, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré.
EN APPEL DE LA COUR D’APPEL FÉDÉRALE
APPEL d’un jugement de la Cour d’appel fédérale[1] infirmant une décision de la division de première instance qui a déclaré valide l’enregistrement d’une marque de commerce. Appel rejeté.
Weldon F. Green et James G. Fogo, pour l’appelante.
G.F. Henderson, c.r., et Kent H.E. Plumley, pour les intimés.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE EN CHEF — La principale question en litige de ce pourvoi concerne la validité de l’enregistrement de la marque de commerce «Mepps» utilisée par l’appelante à titre de propriétaire enregistré relativement à des marchandises consistant en des articles de pêche et, surtout, en des leurres de types variés. La marque de commerce «Mepps» provient des initiales du nom du fabricant français de ces divers leurres et il est reconnu que ces leurres, que l’appelante importe de France et qu’elle assemble et emballe ici même au Canada, portent la marque de commerce en question telle qu’elle a été estampillée sur les pièces par le fabricant. L’intimée en cette Cour, la défenderesse dans une action en contrefaçon intentée par l’appelante, a concurrencé cette dernière en vendant au Canada des leurres «Mepps» qui ne provenaient ni de l’appelante ni de Mepps. Cette situation a engendré le litige d’où découle le présent pourvoi.
Le juge Gibson, qui a entendu l’action en première instance, a conclu à la lumière de la preuve que l’intimée n’était pas parvenue à repousser la présomption de validité de l’enregistrement qu’elle avait attaqué en alléguant que cette marque de commerce n’était pas suffisamment distinctive, selon la définition de ce terme dans la Loi sur les marques de commerce, et en alléguant également que les autres exigences prévues à l’art. 18 pour un enregistrement valide n’avaient pas été remplies. Sous ce dernier rapport, on a fait valoir en défense que le requérant de l’enregistrement, soit le cédant de l’appelante, Boehm-Sheldon Inc., une compagnie américaine, n’avait pas droit à l’enregistrement à l’époque où il fut demandé et accordé. En 1954, le prédécesseur de cette compagnie avait
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obtenu du fabricant français les droits exclusifs de distribution des leurres «Mepps» aux États-Unis et au Canada. Par le biais de cette compagnie américaine, qui n’a d’ailleurs jamais vendu de leurres «Mepps» au Canada, l’appelante avait obtenu, quoique directement de France, des leurres «Mepps» pour vendre au Canada, développant ainsi un commerce important grâce à la publicité et à d’autres formes de promotion. En 1955, le fabricant français qui, lui-même, n’avait jamais exercé d’affaires au Canada (même si ses leurres étaient vendus ici depuis 1951 ou 1952 par le directeur de l’appelante, agissant comme propriétaire unique à cette époque) a produit une demande en vue de l’enregistrement de l’appellation «Mepps» pour des articles de pêche au registre canadien des marques de commerce, et, en 1956, elle cédait à la compagnie américaine tous les droits afférents à la marque de commerce ainsi que l’achalandage qui s’y rattachait et la demande d’enregistrement. Le 29 juin 1956, Boehm-Sheldon Inc. obtenait l’enregistrement et le 7 juillet 1959, elle cédait au prédécesseur de l’appelante ses droits dans la marque de commerce déposée ainsi que l’achalandage qui s’y rattachait.
C’est en ces mots que le juge Gibson a conclu en faveur de l’appelante.
A mon avis, après examen de l’ensemble de la preuve, de novembre 1951 jusqu’en 1956, la marque de commerce «MEPPS» a bien distingué au sens de l’article 2d) de la Loi sur les marques de commerce les leurres de la société Mepps de France qui les vendait au Canada des autres leurres; de 1956 au 7 juillet 1959, la marque de commerce canadienne «MEPPS» a distingué au sens de l’article 2d) de la Loi sur les marques de commerce les leurres vendus au Canada par la société demanderesse (mais fabriqués en France) des autres leurres, même si la demanderesse n’était pas un utilisateur enregistré de ladite marque de commerce; et du 7 juillet 1959 à ce jour la marque de commerce canadienne «MEPPS» a de même distingué les leurres vendus par elle au Canada.
A mon avis, il suffit d’établir l’origine de ces leurres au Canada. Le fait que certaines personnes au Canada savaient que ces leurres venaient de France où ils étaient fabriqués n’a aucune importance dans cette affaire, en ce sens qu’elle concerne une réclamation à l’égard d’une marque de commerce utilisée uniquement aux fins de vendre des marchandises au Canada.
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En définitive, la défense n’a rien établi qui soit de nature à repousser même la présomption de validité du premier enregistrement et de toutes ses cessions et transports subséquents en raison du fait que la demanderesse est enregistrée comme titulaire de l’enregistrement de la marque de commerce numéro 103,702; et certainement pas de nature à repousser la preuve produite par la demanderesse.
La Cour d’appel fédérale a opiné différemment. Elle a conclu que ladite marque de commerce n’était pas suffisamment distinctive, au sens de la définition que l’on retrouve à l’art. 2d) et au sens des dispositions de l’al. b) du par. (1) de l’art. 18, et elle a jugé inutile d’examiner tout autre motif d’invalidité. Le juge en chef Jackett s’est exprimé ainsi:
A mon avis, un examen des preuves présentées fait ressortir qu’avant son enregistrement, la marque de commerce «Mepps» était utilisée au Canada pour indiquer que les leurres vendus sous cette marque provenaient d’un certain fabricant français et que c’est ce qu’entendaient les familiers de cette marque au Canada. C’est ce fait-là qui était important, bien que l’enregistrement ait été au nom des distributeurs.
Si mon appréciation des preuves est juste, il s’ensuit qu’à l’époque où ont été intentées ces actions, la marque de commerce «Mepps» ne distinguait pas vraiment les «marchandises» en liaison avec lesquelles elle était employée par l’intimée (qui, en vertu de l’enregistrement de cette marque, en était propriétaire) des «marchandises» de personnes autres que l’intimée. Et notamment, l’utilisation par l’intimée de la marque «Mepps» pour certaines marchandises n’aurait pas permis à cette époque de distinguer ces marchandises des marchandises du fabricant français. J’en conclus donc qu’à l’époque où ont été intentées les actions contestant la validité de l’enregistrement, la marque n’était pas «distinctive» au sens de la loi et que, par conséquent, en vertu de l’article 18(1)b) l’enregistrement est «invalide».
Ce n’est qu’après un examen approfondi des conclusions du savant juge de première instance sur cet aspect de l’affaire que j’en suis arrivé à la conclusion que la marque de commerce «Mepps» n’était pas à l’époque en question «distinctive». Le juge de première instance avait conclu que «de 1956 au 7 juillet 1959, la marque de commerce canadienne «MEPPS» a servi à distinguer au sens de l’article 2d) de la Loi sur les marques de commerce les leurres vendus au Canada par la société demanderesse (mais fabriqués en France) des autres leurres, même si la demanderesse n’était pas une utilisatrice enregistrée de la marque de commerce; et du 7
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juillet 1959 à ce jour, la marque de commerce canadienne «MEPPS» de même, a servi à distinguer les leurres qu’elle vendait au Canada». Quand il conclut qu’aux époques en question, la marque de commerce distinguait au sens de l’article 2d) des leurres vendus au Canada par l’intimée de ceux fabriqués ou vendus par d’autres, il conclut qu’à ces époques la marque de commerce était une marque «qui distingue véritablement les marchandises … en liaison avec lesquelles elle est employée par son propriétaire des marchandises … d’autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi». En d’autres termes, ces conclusions sembleraient indiquer qu’à l’époque en question, la marque «Mepps» apposée à des leurres indiquait aux acheteurs que ces appâts étaient fabriqués par l’intimée. Si l’on se base sur le fait retenu par le savant juge de première instance et amplement confirmé par la preuve qu’antérieurement à 1956, la marque de commerce «Mepps» distinguait, au sens de l’article 2d), les leurres du fabricant français de leurres fabriqués par d’autres, rien n’indique qu’à partir de 1956 un effort ait été fait pour donner au public une autre image de cette marque….
Je suis d’accord avec la Cour d’appel fédérale que la marque de commerce n’était pas suffisamment distinctive comme le requièrent l’art. 2d) et l’art. 18 de la Loi sur les marques de commerce dont voici le texte:
2. d) «distinctive», par rapport à une marque de commerce, désigne une marque de commerce qui distingue véritablement les marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des marchandises ou services d’autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi;
18. (1) L’enregistrement d’une marque de commerce est invalide si
a) la marque de commerce n’était pas enregistrable à la date de l’enregistrement;
b) la marque de commerce n’est pas distinctive à l’époque où sont entamées les procédures contestant la validité de l’enregistrement; du
c) la marque de commerce a été abandonnée;
et, subordonnément à l’article 17, elle est invalide si le demandeur de l’enregistrement n’était pas la personne ayant droit d’obtenir l’enregistrement.
(2) Nul enregistrement d’une marque de commerce qui était employée au Canada par l’inscrivant ou son prédécesseur en titre, au point d’être devenue distinctive à la date d’enregistrement, ne doit être considéré comme invalide pour la seule raison que la preuve de ce carac-
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tère distinctif n’a pas été soumise à l’autorité ou au tribunal compétent avant l’octroi de cet enregistrement.
Il ne suffit pas pour l’appelante de compter sur son enregistrement et sur le fait qu’elle a fait la promotion, par un travail assidu sur le marché canadien, de la vente sur une grande échelle des leurres Mepps, si la situation est telle qu’aux époques en cause, ces marchandises, ainsi estampillées par le fournisseur française n’ont pas été identifiées comme étant celles que l’appelante aurait fabriquées ou vendues. C’est à partir de cette prémisse que l’appelante a prétendu que les conclusions sur les faits du juge de première instance devraient être confirmées et que la Cour d’appel fédérale n’avait pas eu raison de les modifier.
Pour trancher ce litige, il est nécessaire de considérer d’autres faits qui lui sont pertinents. De 1954 à 1959, le prédécesseur de l’appelante obtenait ses leurres du fabricant français par le biais d’une entente avec la compagnie américaine qui détenait les droits exclusifs de distribution au Canada. Cette dernière percevait, sans aucun effort de sa part, un pourcentage du chiffre d’affaire et ceci a favorisé l’appelante lorsqu’elle a tenté, avec succès d’obtenir la cession de la marque de commerce canadienne déposée. Environ une semaine après avoir obtenu cession de la marque de commerce déposée, l’appelante a signé un accord avec le fabricant français assurant à celle-ci, pour une période de cinq ans, les droits exclusifs de distribution des leurres Mepps au Canada et lui interdisant toute transaction impliquant un produit concurrent à Mepps sans l’autorisation écrite de la compagnie française. Cet accord, qui prévoyait l’importation d’un nombre minimum de leurres Mepps, a été renouvelé pour des périodes additionnelles de cinq ans en 1964 et en 1969. L’appelante a payé une commission de dix pour cent sur ses achats à une personne en France, à qui une telle commission avait été payée avant 1959 par la compagnie américaine, et cette commission, à laquelle s’ajoutait un autre dix pour cent payable à la compagnie américaine, était perçu par l’appelante sur ses achats entre 1954 et 1959.
Des divergences d’opinions sont survenues entre les parties concernant le décalage qui existe au niveau du prix de détail des leurres Mepps au
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Canada et en France, l’intimée alléguant que, pour le même produit, les prix fixés par l’appelante pour le marché canadien étaient beaucoup plus élevés. L’intimée a fait valoir qu’elle pouvait les vendre moins cher au Canada. Je ne crois pas que la question du prix soit pertinente dans la présente affaire. Cependant, l’intimée a fait valoir que les transactions entre la compagnie américaine et Mepps, entre l’appelante et la compagnie américaine et, par la suite, entre l’appelante et Mepps ont démontré que la marque de commerce en question appartenait en fait à Mepps, que son utilisation était prévue dans les accords quinquennaux portant sur les droits exclusifs de distribution, et qu’elle devait revenir au fabricant français à l’expiration des contrats. Bref, l’allégation est à l’effet que la marque de commerce était un élément qui permettait de contrôler l’importation au Canada des leurres Mepps au profit de l’appelante et de Mepps et qu’elle ne représentait aucune association, sur le marché canadien, de marchandises autres que celles fabriquées par Mepps.
L’appelante a prétendu que cette allégation interprétait trop restrictivement la protection qu’accorde aux marques de commerce l’actuelle Loi sur les marques de commerce par opposition à la loi antérieure, et elle a insisté particulièrement sur le par. (1) de l’art. 47 de la Loi que voici:
47. (1) Une marque de commerce, déposée ou non, est transférable et est censée avoir toujours été transférable, soit à l’égard de la clientèle de l’entreprise, soit isolément, et soit à l’égard de la totalité, soit à l’égard de quelques-unes des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle a été employée.
De plus, l’appelante a prétendu que selon les conclusions du juge de première instance, elle avait droit à la protection de la marque de commerce déposée «Mepps» en vertu du caractère distinctif des leurres Mepps qu’elle vendait au Canada. Quant à la preuve portant sur le commerce des leurres Mepps et les conclusions de première instance sur ce propos, l’appelante a principalement invoqué, en faveur de la validité de sa marque de commerce déposée, certaines règles issues des
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causes de A. Bourjois & Co., Inc. v. Katzel[2], et R.J. Reuter Coy. Ltd. v. Mulhens[3].
Durant toutes les périodes visées par les accords avec le fabricant français, les leurres importés étaient toujours marqués «Made in France», mais la preuve a démontré que l’appelante en est venue à assembler et à emballer des leurres Mepps pour la vente au Canada. Si l’on s’appuie sur ce fait, et tel semble être le cas, pour démontrer que l’utilisation de la marque de commerce «Mepps» pour ces leurres accordait à l’appelante le droit de revendiquer qu’un message différent était communiqué au public après 1956 plutôt qu’avant cette époque, je ne peux accepter cet argument. A cet égard, Wilkinson Sword (Canada) Ltd. c. Juda[4], est très explicite.
Pour mieux comprendre les causes de Bourjois et Reuter, il convient d’exposer les principes fondamentaux de notre législation sur les marques de commerce qui ont influé sur la cession des marques de commerce avant l’adoption de l’art. 47 et d’examiner l’effet de l’art. 47. Antérieurement à son introduction, l’exigence d’un caractère distinctif, au sens de l’identification de la source ou de l’origine des marchandises auxquelles était liée la marque de commerce, était étayée par celle voulant que le message communiqué par la marque de commerce ne soit pas de nature à tromper le public ou à induire en erreur. Ainsi, la cession d’une marque de commerce ne pouvait être valide que si elle s’accompagnait de tout l’achalandage relatif aux marchandises concernant lesquelles la marque de commerce était déposée. Il suffit de nous référer ici aux décisions rendues dans Great Atlantic and Pacific Tea Co. Ltd. c. Le registraire des marques de commerce[5], et Wilkinson Sword (Canada) Ltd. c. Juda, précitée, où furent examinés les divers principes touchant la validité d’une cession. Il importe de souligner qu’une cession telle que décrite ci-dessus n’affirme pas invariablement le droit du cessionnaire à la protection offerte par la marque de commerce si le message communiqué
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par celle-ci, suivant son utilisation par le cessionnaire, a induit le public en erreur, c’est-à-dire si le public en a déduit que la marque de commerce se rattachait toujours à l’origine de la marchandise, donc qu’elle provenait du cédant, plutôt qu’à l’endroit de fabrication. Comme nous l’indique lord Cransworth dans Leather Cloth Co. v. American Leather Cloth Co.[6], à la p. 534:
[TRADUCTION] Dans une cause semblable, nous devons toujours décider si l’acheteur, en continuant d’utiliser la marque de commerce originale, suggère l’idée, selon les pratiques commerciales courantes, qu’il fait plus qu’exercer le même commerce qu’exerçait antérieurement la personne dont le nom constituait la marque de commerce. Dans pareil cas, je ne vois rien qui puisse empêcher l’acheteur d’utiliser les anciennes marques de commerce car, dans une situation semblable, la marque indiquerait seulement que les marchandises ainsi marquées ont été fabriquées à la manufacture qu’il avait achetée.
Sous ce rapport, je fais également référence aux propos de lord Phillimore dans Imperial Tobacco Co. of India Ltd. v. Bonnan[7], (à la p. 760):
[TRADUCTION] … Un importateur peut acquérir, pour lui-même et pour sa marchandise, une excellente réputation par une sélection soignée ou par ses précautions lors du transport et de l’entreposage, ou grâce à sa renommée qui confère à la marchandise un caractère d’authenticité; et, par conséquent, si des concurrents font passer de la marchandise, bien que de la même marque, comme étant importée par lui, ce dernier aura alors un droit d’action.
L’affaire Bourjois, sur laquelle s’est appuyée l’appelante, se conforme aux principes jurisprudentiels exposés plus haut relativement à la cession. Dans cette cause-là, un fabricant français qui exerçait des affaires aux États-Unis et en France, a vendu au demandeur son commerce américain, son achalandage et deux marques de commerce déposées aux États‑Unis qui avaient trait à de la poudre. Les marques de commerce ont été enregistrées de nouveau par le demandeur qui continua à exercer le commerce qu’il avait acheté, important sa poudre de France et utilisant à peu près les mêmes contenants et les mêmes étiquettes que son vendeur avait utilisés. Tout comme l’appelante en
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cette cause, le demandeur dans l’affaire Bourjois a développé un commerce florissant. Cependant, l’exposé des faits dans cette affaire-là nous révèle que le public avait déduit des étiquettes que les marchandises provenaient du demandeur. En décidant que la défenderesse s’était rendue coupable de contrefaçon en achetant la même poudre en France et en la vendant aux États-Unis dans les boîtes françaises originales, le juge Holmes a également souligné que le demandeur avait acheté la marque de commerce avec l’achalandage propre à ce commerce et que la marque de commerce ne pouvait être vendue sans l’achalandage. La différence entre cette cause et celle présentement en litige, outre le fait qu’il n’y avait ici aucun achalandage qui accompagnait le commerce de la compagnie américaine ou de Mepps au Canada, est que le demandeur dans cette cause-là avait modifié le message de sorte que la marque de commerce distinguait son produit. Tel n’est pas le cas dans la présente affaire.
Abordons maintenant l’art. 47 et ses conséquences sur une cession de marques de commerce qui va au-delà de ce que permettait la loi antérieure. Selon moi, le texte de l’art. 47 ne permet pas une cession libre et complète sans égard au caractère d’association de la marque de commerce cédée qui identifie les marchandises comme étant celles du propriétaire cessionnaire. L’article 47 se distingue de sa contrepartie anglaise, soit le par. (1) de l’art. 22 du Trade Marks Act de 1938, que l’on avait appliqué dans l’affaire Reuter. Le droit de propriété sur une marque de commerce qui permet d’en faire une cession complète est renforcé dans la loi anglaise qui prévoit l’intervention du registraire pour certifier que la cession n’est pas contraire à l’ordre public et qui prévoit également qu’une cession qui ne comprends pas l’achalandage ne prendra pas effet à moins que le cessionnaire ait demandé au registraire, dans les délais prescrits, des directives concernant la publicité de la cession et qu’il se soit conformé à ces directives. La loi canadienne ne comprend aucune disposition semblable pour protéger le public contre la tromperie, et c’est toujours à la définition du caractère distinctif de l’art. 2d) et à l’application de l’art. 18 que revient le rôle de protecteur. L’affaire Reuter traite entre autres de l’application de la loi sur les
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relations commerciales avec l’ennemi et de certaines ordonnances établies sous son autorité, mais sous l’angle des marques de commerce, il s’agissait d’une compagnie anglaise qui fabriquait depuis plusieurs années certains produits sous une étiquette indiquant leur origine anglaise bien qu’elle indiquât également une source allemande pour ses produits dont des marques de commerce déposées existaient en Angleterre et que la compagnie anglaise avait obtenues par cession du curateur des biens de l’ennemi. Voici deux extraits des motifs du juge Evershed, maître des rôles, que je désire citer et je me dois de souligner ici que l’appelante en cette Cour s’appuie très fortement sur le second extrait:
[TRADUCTION] Il peut être encore vrai qu’une marque qui paraît distinctive des marchandises fabriquées par «A» ne peut faire l’objet d’une cession ou d’un transport afin d’être apposée aux marchandises fabriquées par «B»; car une marque de commerce distingue toujours l’origine. (Voir Aristoc Ld. v. Rysta Ld. (1945), 62 R.P.C. 65, où il a été décidé qu’une marque de commerce ne pouvait pas être validement déposée pour des marchandises si elle ne distingue pas l’origine commerciale des marchandises, mais seulement le fait que ces marchandises ont subi une remise en état.) Une marque qui paraît être distinctive d’une origine ne saurait être apposée sur des marchandises d’origine différente sans être trompeuse à première vue et tomberait ainsi sous le coup des dispositions de l’art. 11 de la Loi.
Cependant, le défendeur en la présente affaire n’a pas allégué que les marques induiraient ainsi en erreur si elles étaient déposées au nom de la compagnie demanderesse. Elles indiquent toujours l’origine de leur fabrication qui est, en fait, le commerce de la compagnie demanderesse; et, à mon avis, il ne fait aucun doute maintenant qu’en vertu du par. (1) de l’art. 22 de la Loi de 1938, une marque peut être validement cédée d’un fabricant à un autre sans aucune cession du commerce ou de l’achalandage du cédant, et ainsi être désormais distinctive d’une origine de fabrication véritablement différente de l’origine de fabrication antérieure et ce, tant et aussi longtemps que la marque n’induit pas en erreur. Depuis cette loi, il ne fait également aucun doute qu’une marque distinctive d’une origine de fabrication, qui est en fait le commerce de «A», peut être cédée par «A» à «B» qui l’apposera désormais sur des marchandises qui proviennent de «A» de sorte que la marque demeure toujours distinctive de la même origine de fabrication….
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Ce second passage doit être lu au regard de la loi particulière sur laquelle il repose. De plus, la mention de l’origine de fabrication et du fait que la marque considérée était celle d’un fabricant constitue le trait significatif du passage sur lequel s’appuie l’appelante. Si l’on renvoie à une marque que l’on considère déjà comme distinctive des marchandises d’un commerçant donné dans un marché donné, alors cela ne reflète pas la présente situation. D’ailleurs, si l’appelante prétend véritablement qu’elle peut obtenir une cession complète d’une marque de commerce représentant une certaine origine de fabrication et l’utiliser comme la marque d’un vendeur relativement à des marchandises qu’elle ne fabrique pas mais qu’elle obtient toujours du même fabricant qui leur appose ladite marque, je ne vois pas comment l’on peut, sous ce rapport, satisfaire à l’exigence d’un caractère distinctif que prévoit la loi canadienne, surtout en présence des ententes de distribution intervenues entre l’appelante et Mepps.
Le juge Gibson semble avoir interprété différemment les faits, sinon la loi, concernant cette affaire comme en témoigne ce passage de ses motifs que je cite de nouveau:
A mon avis, il suffit d’établir l’origine de ces leurres au Canada. Le fait que certaines personnes au Canada savaient que ces leurres venaient de France où ils étaient fabriqués n’a aucune importance dans cette affaire, en ce sens qu’elle concerne une réclamation à l’égard d’une marque de commerce utilisée uniquement aux fins de vendre des marchandises au Canada.
Si cet extrait signifie qu’il existe, au sein du marché canadien, un fondement sur lequel peut s’appuyer la validité de la marque de commerce utilisée comme marque d’un vendeur qui représente des marchandises vendues par l’appelante, je suis d’accord avec le juge en chef Jackett que cette conclusion n’est pas étayée par le dossier.
Cela suffit à décider du pourvoi qui, à mon avis, doit être rejeté avec dépens. En raison de cette conclusion, je m’abstiens de statuer sur l’allégation de l’intimée voulant que l’enregistrement initial de la marque de commerce par la compagnie américaine soit invalide parce que cette compagnie n’était pas une requérante autorisée aux fins de l’enregistrement ou une demanderesse autorisée.
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J’ajouterais également que je suis d’accord avec la Cour d’appel fédérale que l’appelante ne peut fonder un recours sur les art. 7 et 22 de la Loi sur les marques de commerce.
Appel rejeté avec dépens.
Procureur de la demanderesse, appelante: Weldon F. Green, Toronto.
Procureurs de la défenderesse, intimée: Gowling & Henderson, Ottawa.
[1] [1973] C.F. 360.
[2] (1923), 260 U.S. 689.
[3] (1953), 70 R.P.C. 235.
[4] [1968] 2 R.C.E. 137.
[5] [1945] R.C.E. 233.
[6] (1865), L.R. 11 H.L.C. 522.
[7] [1924] A.C. 755.