Cour suprême du Canada
O’Neill et al. c. O’Neill et al., [1976] 1 R.C.S. 588
Date: 1975-01-28
Dame Marie Elizabeth O’Neill, Martin O’Neill, Kathleen O’Neill, épouse de Charles Michaud, Leo O’Neill, Marie Agnes O’Neill, Harry O’Neill, Josephine Pare O’Neill, épouse de feu David O’Neill, Richard O’Neill, Charles Emond, époux de feu Evelyne O’Neill (Demandeurs) Appelants;
et
Claude O’Neill, Bernard O’Neill, Alice O’Neill, Marie-Paule O’Neill, Irène O’Neill, Elizabeth O’Neill, épouse de Jacques Plantier, Germaine O’Neill, épouse de Camille Bertrand (Défendeurs) Intimés;
et
Raymond Gagne, en sa qualité d’administrateur du bureau d’enregistrement de Québec Mis en cause.
1974: le 29 octobre; 1975: le 28 janvier.
Présents: Les juges Judson, Ritchie, Pigeon, Beetz et de Grandpré.
EN APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE, PROVINCE DE QUÉBEC
APPEL d’un jugement de la Cour du Banc de la Reine, province de Québec[1], confirmant un jugement de la Cour supérieure rejetant l’action. Appel rejeté.
Mario Bilodeau, pour les demandeurs, appelants.
Charles Cimon et Jacques Flynn, c.r., pour les défendeurs, intimés.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE DE GRANDPRÉ — Par leur action, les appelants demandent d’être déclarés propriétaires des huit dix-huitièmes (8/18) (soit huit neuvièmes (8/9) de la part indivise de Bridget Martin dans l’immeuble) de la partie est des lots numéros 1 et 2 du cadastre officiel de l’Ancienne Lorette, à l’exception de certaines parcelles qu’il n’est pas utile de décrire ici.
[Page 590]
L’arrêt de la Cour d’appel est rapporté à [1973] C.A. 1120. Il est suffisant de mentionner ici les faits suivants:
1) les demandeurs sont six enfants et les héritiers de deux autres enfants de William Patrick O’Neill, fils de Bridget Martin et de Thomas O’Neill;
2) William Patrick O’Neill était en outre père de Thomas John O’Neill, lui-même père des défendeurs-intimés;
3) Thomas O’Neill et Bridget Martin étaient mariés en communauté de biens, faute de contrat de mariage;
4) par testaments du 29 septembre 1894, Thomas O’Neill et Bridget Martin léguèrent chacun sa part de l’immeuble précité à leur fils William Patrick; les clauses pertinentes de ces testaments seront citées plus loin;
5) à son tour, par testament du 21 décembre 1923, William Patrick O’Neill légua cet immeuble à un seul de ses enfants, Thomas John, et cette succession s’ouvrit le 28 novembre 1947;
6) Thomas John O’Neill mourut le 10 mars 1966 ayant légué par testament aux intimés l’immeuble en litige.
Les demandeurs-appelants soumettent que William Patrick O’Neill, aux termes du testament de son père, avait le droit de désigner l’un ou l’autre de ses enfants comme légataire de cet immeuble mais qu’il n’avait pas ce droit aux termes du testament de sa mère, testament qui d’après les demandeurs-appelants constituait une substitution en faveur de tous les enfants de William Patrick O’Neill sans pouvoir de désignation. Si les demandeurs-appelants ont raison, ils ont évidemment droit comme ils l’allèguent, aux 8/9 de la part indivise de Bridget Martin O’Neill dans l’immeuble.
La Cour supérieure a renvoyé l’action et les conclusions de ce jugement ont été confirmées à l’unanimité en appel mais pour des motifs différents. A mes yeux, le jugement de la Cour d’appel est inattaquable et doit être confirmé.
Les appelants fondent leur action sur l’art. V du testament de Bridget Martin O’Neill:
[TRADUCTION] V Je veux et ordonne que mes dits fils John, James, Francis et William O’Neill ne soient en aucune circonstance autorisés à vendre, hypothéquer ou d’une façon quelconque aliéner les fermes ci-dessus; à
[Page 591]
l’exception de mes dits fils Francis et William, qui seront libres de vendre le lopin de terre de Valcartier, et aussi de mon fils James O’Neill, qui est par les présentes autorisé à hypothéquer et mortgager le lopin de terre appelé la «pointe» (retranché de la ferme de Leclerc) aux fins de réunir ou emprunter des fonds pour payer à sa sœur Julia O’Neill ce qu’il est tenu de lui payer en vertu du testament de son père.
Ils soulignent que ce testament a été signé par la testatrice immédiatement après celui de son mari et que les deux ont été reçus par le même notaire devant les mêmes témoins et que l’art. VIII du testament de Thomas O’Neill, traitant de la même matière, se lit différemment, savoir:
[TRADUCTION] VIII Je veux et ordonne que mes dits fils John, James, Francis et William O’Neill ne soient autorisés, en aucune circonstance, à vendre, hypothéquer ou aliéner lesdites fermes et que, à leur décès respectif, lesdites fermes ou lopins de terre deviennent la propriété de leurs héritiers légaux respectifs; mais si un de mes dits fils désire léguer sa ferme ou terre, il est libre de la donner ou d’en donner partie à son enfant ou à n’importe qui parmi ses enfants, du moment que ce ne sera pas à des étrangers. Cependant, advenant que mes dits fils Francis et William désirent vendre le lopin de terre de Valcartier, ils pourront le vendre nonobstant la présente clause; et advenant que mon fils James O’Neill désire réunir ou emprunter des fonds, pour payer sa dite sœur Julia O’Neill, il sera autorisé à mortgager et hypothéquer le dit lopin de terre appelé la «pointe» qui est le lopin retranché de la ferme de Leclerc.
Les appelants en concluent que cette différence dans les textes établit une différence d’intention et que le droit accordé par Thomas O’Neill à son légataire William Patrick de choisir entre ses enfants n’a pas été accordé au même William Patrick par Bridget Martin O’Neill.
Le point de départ de l’argumentation des appelants est que la prohibition d’aliéner exprimée dans l’art. V du testament de Bridget Martin O’Neill constitue nécessairement une substitution. C’est ce point de départ qu’il m’est impossible d’accepter, la section V du chapitre IV du Titre II du Code civil établissant au contraire que la prohibition d’aliéner, bien qu’en certains cas elle puisse constituer une substitution, ne nous amène pas nécessairement à cette conclusion. Au contraire, comme le prescrivent les articles pertinents du Code civil, particulièrement l’art. 975, ce sont les textes de
[Page 592]
même que l’ensemble des circonstances qui permettent de déterminer l’étendue de la prohibition d’aliéner.
La Cour d’appel s’est penchée sur les textes et les circonstances pour affirmer:
1) l’art V du testament de Bridget Martin O’Neill ne permet pas d’affirmer positivement qu’elle avait l’intention d’étendre la prohibition d’aliéner aux actes à cause de mort ni qu’elle voulait la limiter aux actes entre vifs;
2) il faut donc examiner «les autres circonstances» (art. 975 C.c.) pour déterminer l’étendue de cette prohibition d’aliéner stipulée par Bridget Martin O’Neill dans son testament;
3) la circonstance la plus importante en l’espèce est l’ensemble des dispositions contenues dans les testaments des époux Thomas O’Neill signés le même jour devant le même notaire et les mêmes témoins;
4) du testament de Thomas O’Neill, il faut retenir en particulier l’art. VIII qui étend expressément la prohibition d’aliéner aux actes à cause de mort et qui crée une substitution en faveur des héritiers de William Patrick O’Neill auquel en même temps est accordé un pouvoir de désignation;
5) doivent aussi être considérés les autres articles des deux testaments des époux O’Neill, articles qui établissent que ces deux testateurs avaient l’intention d’éviter l’indivision.
A la lumière de ces circonstances, la Cour d’appel conclut unanimement que William Patrick O’Neill, légataire aux termes du testament de sa mère de la moitié indivise de l’immeuble mentionné dans les procédures, en est devenu propriétaire sans limitation aucune quant aux actes à cause de mort et que son testament en faveur de son fils Thomas John a transmis à ce dernier la pleine propriété de l’immeuble de sorte que les intimés en sont maintenant pleinement propriétaires.
M. le juge Rinfret s’est exprimé en ces termes: (p. 1123)
Je trouverais inconsistant que Dame Bridget Martin, après avoir accompagné son époux chez le notaire Roy et avoir, de concert avec son mari, indiqué par son testament son désir de briser l’indivisibilité en laissant à l’un de ses fils, sa part indivise dans la propriété en question ici de la même façon que l’avait fait son époux,
[Page 593]
ait eu l’intention de créer une nouvelle indivisibilité multiple en faveur de ses enfants ou à leur défaut ses petits enfants.
C’est pourtant à cette inconsistance que Ton arriverait si l’on adoptait le point de vue des appelants.
De son côté, M. le juge Montgomery écrit: (p. 1123)
[TRADUCTION] Je trouve des plus probable que Dame Martin ait voulu garder la propriété dans la famille, comme le suggèrent les appelants, mais qu’elle ait considéré que cet objet était suffisamment assuré par les termes du testament de son mari. Elle peut bien avoir considéré peu probable que l’un ou l’autre de ses fils complique délibérément l’administration de sa succession en laissant une moitié de la propriété acquise de ses parents à un enfant, tel qu’autorisé par le testament de son père, et l’autre moitié à un étranger. Si tel est le cas, sa confiance était justifiée dans le cas de son fils William Patrick, qui a laissé la propriété à un de ses fils.
Cette conclusion s’impose puisqu’il est évident que les époux Thomas O’Neill s’étaient concertés avant de se rendre chez le notaire et avaient décidé que les clauses de leurs testaments se compléteraient les unes les autres. C’est ainsi que les autres legs immobiliers stipulés dans les deux testaments attribuent à chacun des trois autres fils, John, James et Francis, la propriété de trois immeubles différents chacun des parents à ces fils sa part indivise dans ces immeubles. De la même manière, l’art. VI du testament de Bridget Martin O’Neill ratifie en ces termes les dispositions testamentaires que vient de faire son mari:
[TRADUCTION] VI Considérant que mon mari, dans son dernier testament, à légué et autrement cédé certaines sommes d’argent, je ratifie lesdits legs et actes de cession et veux et ordonne que, advenant qu’un inventaire de ma succession soit requis ou demandé, je sois considérée comme ayant contribué pour moitié aux dites sommes d’argent, et autant sera inventorié comme ayant été légué par moi pour moitié et par mon mari pour l’autre moitié.
Je renverrais l’appel avec dépens.
Appel rejeté avec dépens.
Procureurs des demandeurs, appelants: Corriveau & Associés, Québec.
[Page 594]
Procureurs des défendeurs intimés: Flynn, Rivard, Jacques, Cimon, Lessard & LeMay, Québec.
[1] [1973] C.A. 1120.