Synthèse
Référence neutre : [1976] 2 R.C.S. 147
Date de la décision :
21/04/1975Sens de l'arrêt :
Le pouvoi doit être rejeté
Analyses
Restitution - Paiements effectués par la section comptable de la compagnie à la suite d’une erreur de fait - Autre agent de la compagnie au courant de tous les faits - La compagnie a‑t‑elle le droit de recouvrer l’argent qu’elle a versé? - La réception des paiements n’a pas changé la situation du bénéficiaire à un point tel qu’il serait inéquitable d’en exiger le remboursement.
En avril 1964, la compagnie intimée effectua, aux termes de deux baux portant sur la location des droits relatifs au pétrole et au gaz naturel et du droit de forer pour recouvrer ces substances sur un terrain d’un quart de section, ses premiers paiements de redevances compensatoires à la Municipalité appelante. Le 16 juillet 1964, la compagnie écrivit à la Municipalité pour l’informer du délaissement du premier bail portant sur deux subdivisions officielles; une autre lettre annonçant le délaissement complet du bail portant sur une fraction d’acre exclue du premier bail fut envoyée le lendemain. L’obligation de payer d’autres redevances compensatoires avait donc pris fin. Les lettres de délaissement furent signées par un dirigeant de la compagnie; toutefois, puisque ces délaissements n’ont pas, par erreur, été communiqués à la section comptable de la compagnie, les paiements de redevances compensatoires n’ont pas été interrompus et ils ont été erronément effectués à la Municipalité jusqu’au mois de mars 1968 inclusivement. La somme payée en trop s’élevait à $31,163.95. Malgré les demandes de remboursement, la Municipalité n’en fit aucun et une action fut alors intentée par la compagnie.
Le juge de première instance a rejeté la réclamation de la compagnie pour le motif que celle-ci n’avait, en fait, commis aucune erreur de fait puisque ses dirigeants étaient au courant des délaissements. Il a décidé que les paiements étaient volontaires et non recouvrables. En appel, ce jugement a été infirmé pour le motif que les versements résultaient d’une erreur de fait et que le
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principe émis dans Kelly v. Solari (1841), 9 M. & W. 54 s’appliquait en l’espèce.
Arrêt: Le pouvoi doit être rejeté.
Tel qu’énoncé dans Turvey v. Dentons (1923) Ltd., [1953] [???] B. 218, lorsque des paiements sont effectués à la suite d’une véritable erreur de fait commise par un agent d’une compagnie, le fait qu’un autre agent de la même compagnie soit parfaitement au courant de tous les faits n’enlève pas à la compagnie le droit de recouvrer l’argent ainsi versé, en autant que l’agent qui est au courant des faits ne sache pas que des paiements sont erronément effectués. En l’espèce, l’erreur qu’a commise la section comptable de la compagnie en continuant d’effectuer les paiements à la Municipalité après les délaissements, tout en ne sachant pas que le bail était éteint au regard de deux subdivisions officielles, était une erreur de fait de la part de la compagnie aux termes de la règle énoncée dans Kelly v. Solari.
La Municipalité n’a pas démontré que sa situation, par suite de la réception des paiements, avait changé à un point tel qu’il serait inéquitable d’en exiger le remboursement. L’autre prétention, soit l’opposition d’une fin de non-recevoir, est également rejetée. Il n’a pas été démontré que les agissements de la Municipalité fondés sur toute interprétation du comportement de la compagnie qui a continué de payer des redevances après les délaissements lui ont été préjudiciables.
Arrêt appliqué: Anglo-Scottish Beet Sugar Corp., Ltd. v. Spalding Urban District Council, [1937] 2 K.B. 607; arrêts mentionnés: R.E. Jones, Ltd. v. Waring and Gillow, Ltd., [1926] A.C. 670; Purity Dairy Ltd. v. Collinson (1966), 58 D.L.R. (2d) 67; Rural Municipality of Garden River v. Montreuil, [1929] 2 D.L.R. 396; Royal Bank of Canada v. Huber (1972), 23 D.L.R. (3d) 209; La Banque de Montréal c. Le Roi (1907), 38 R.C.S. 258; Dominion Bank c. Union Bank of Canada (1908), 40 R.C.S. 366; Baylis v. Bishop of London, [1913] 1 Ch. 127; Sinclair v. Brougham, [1914] A.C. 398; Holt v. Markham, [1923] 1 K.B. 504; Morgan v. Ashcroft, [1938] 1 K.B. 49; Moses v. Macferlan, 2 Burr. 1005; Fibrosa Spolka Akcyjna v. Fairbairn Lawson Combe Barbour, Ltd., [1943] A.C. 32; Boissevain v. Weil, [1950] A.C. 327; Reading v. Attorney-General, [1951] A.C. 507; U.S. v. National Park Bank of New York (1881), 6 F. 852; Deglman c. Guaranty Trust Co. of Canada et Constantineau, [1954] R.C.S. 725; Corporation of the County of Carleton c. Corporation of the City of Ottawa, [1965] R.C.S. 663; Larner v. London County Council, [1949] 2 K.B. 683.
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POURVOI interjeté à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de la Saskatchewan[1] qui a accueilli un appel d’un jugement du juge Tucker. Pourvoi rejeté.
M.A. Shumiatcher, c.r., pour la défenderesse, appelante.
R.L. Barclay et M.J. Sychuk, pour la demanderesse, intimée.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE MARTLAND — Il s’agit d’un pourvoi à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de la Saskatchewan qui accueillait l’appel interjeté par l’intimée (ci-après appelée «Mobil») à l’encontre du jugement de première instance qui avait rejeté l’action intentée par Mobil dans le but de recouvrer de l’appelante (ci-après appelée «la Municipalité») la somme de $31,163.95.
Le 11 avril 1962, la Municipalité accordait au prédécesseur de Mobil un bail portant sur du pétrole et du gaz naturel relativement au quart nord-est de la section 17, canton 5, rang 31, à l’ouest du premier méridien, en Saskatchewan, à l’exception d’une parcelle de 0.52 acre, et ce pour une période de cinq ans et pour aussi longtemps que seront produites, après l’expiration de cette période, les substances en cause dans le bail en question.
Le 19 mars 1964, un bail similaire était accordé à Mobil sur la parcelle exclue du premier bail.
Ces baux contenaient les dispositions suivantes:
[TRADUCTION] 8. PUITS DE LIMITE:
Advenant qu’une production commerciale soit obtenue d’un puits foré sur une unité d’implanation de forage qui soit adjacente auxdits terrains et qui n’appartienne pas au Bailleur, ou, si elle lui appartient, qui n’ait pas été cédée par bail au Locataire, ce dernier doit ou bien:
(a) entreprendre ou faire entreprendre, dans un délai de six (6) mois de la date où ce puits a été mis en production, le forage d’un puits de limite sur l’unité d’implantation de forage des terrains adjacents à l’unité d’implantation de forage productive, puis procéder au
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forage horizontal du puits de limite dans la formation d’où ladite unité d’implantation de forage adjacente tire sa productivité; ou bien
(b) sous réserve de la clause 4 du présent bail, payer au Bailleur, à compter du sixième mois suivant la mise en production commerciale du puits en question et de temps en temps par la suite, la redevance qui aurait été payable si le pétrole et le gaz naturel tirés du puits de drainage horizontal étaient effectivement tirés d’un puits de l’unité d’implantation de forage du terrain adjacent à l’unité d’implantation de forage productive; TOUTEFOIS, si une unité d’implantation de forage desdits terrains est ainsi drainée par plus d’un puits, la redevance payable au Bailleur en vertu de la présente clause ne sera fondée que sur la production du premier de ces puits;
ou bien
(c) délaisser au Bailleur l’unité d’implantation de forage qui nécessite un puits de limite, ce délaissement ayant trait à toutes les formations visées par le bail à l’exception des zones productives de pétrole et de gaz naturel exploitées par le Locataire;
TOUTEFOIS, si un puits foré sur les terrains adjacents aux terrains en question se révèle producteur surtout ou uniquement de gaz naturel, le Locataire ne sera tenu à aucune obligation en vertu de la clause 8 si on ne peut préalablement mettre sur pied et assurer des débouchés convenables et rentables pour le gaz naturel qui pourrait être tiré du puits de limite. 15. Délaissement:
Nonobstant toute disposition du présent bail, le Locataire peut, en tout temps et à sa discrétion, résilier ou délaisser le présent bail ainsi que la période de jouissance qui y était prévue relativement à la totalité ou à une ou plusieurs parties des substances en cause dans le présent bail ou relativement aux terrains en question, après avoir donné au Bailleur avis écrit à cet effet, APRÈS QUOI le présent bail et ladite période de jouissance prendront fin au regard de la totalité ou d’une ou plusieurs parties de l’objet de la cession, et toutes les obligations du Locataire à cet égard seront éteintes, et le loyer, les redevances ou autres disparaîtront ou seront réduits en proportion selon le cas, mais le Locataire n’aura droit au remboursement d’aucun loyer jusqu’alors payé.
En vertu d’un décret du Conseil promulgué en conformité du Oil and Gas Conservation Act et visant la région dans laquelle sont situés les terrains loués, des unités d’implantation de forage couvrant une superficie de 80 acres ont été éta-
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blies. Ces unités comprenaient deux subdivisions officielles pour chaque lot et ces subdivisions étaient groupées comme suit: subdivisions 1 et 2; 3 et 4; 5 et 6; 7 et 8; 9 et 10; 11 et 12; 13 et 14; 15 et 16.
Mobil a foré avec succès un puits sur la subdivision 14 de la section 16, canton 5, rang 31, à l’ouest du premier méridien, donc sur un terrain qu’elle n’avait pas loué de la Municipalité. L’unité d’implantation de forage sur laquelle le puits était situé était adjacente à l’unité d’implantation de forage située sur les terrains loués qui comprenaient les subdivisions 15 et 16.
En vertu de la cl. 8, Mobil devait alors choisir entre: (a) forer un puits de limite sur cette dernière unité d’implantation de forage; (b) payer des redevances compensatoires fondées sur la production du puits productif; ou (c) délaisser l’unité d’implantation de forage touchée par la cl. 8.
Mobil décida de payer des redevances compensatoires en conformité de la cl. 8(b); c’est pourquoi des chèques ont été mensuellement expédiés à la Municipalité.
A la suite de deux forages improductifs sur les subdivisions 9 et 10 des terrains loués, situées immédiatement au sud des subdivisions 15 et 16, Mobil décida de délaisser ces deux dernières subdivisions. Le 16 juillet 1964, Mobil envoyait à la Municipalité la lettre suivante:
[TRADUCTION] AU regard du bail portant sur du pétrole et du gaz naturel en date du 11 avril 1962, consenti par la Municipalité rurale de Storthoaks, le Bailleur à la compagnie Mobil Oil of Canada, Ltd., le locataire, que ladite Mobil Oil of Canada, Ltd. a par la suite cédé aux compagnies Socony Mobil Oil of Canada, Ltd., The Pure Oil Company et Sinclair Canada Oil Company, et qui avait trait entre autres terrains aux subdivisions 15 et 16 de la section 17, canton 5, rang 31, OPM, nous désirons vous faire part que Socony Mobil Oil of Canada Ltd., The Pure Oil Company et Sinclair Canada Oil Company délaisseront tous les droits, titres et intérêts que leur accordait ledit bail sur lesdites subvidisions officielles 15 et 16 de la section 17, canton 5, rang 31, OPM.
Ce délaissement s’effectuera le 16 juillet 1964, et Socony Mobil Oil of Canada, Ltd., The Pure Oil Com-
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pany et Sinclair Oil Company seront ainsi déchargées de toute obligation afférente au bail en question.
Votre tout dévoué, SOCONY MOBIL OIL OF CANADA, LTD. K.C. Coulter (signature) James B. Morris James B. Morris, Agent des terres JBM:fs
cc: The Pure Oil Company (2), Calgary The Pure Oil Company, Régina Sinclair Canada Oil Company, Calgary H.H. Haraldson, Calgary
Une autre lettre annonçant le délaissement complet du bail portant sur la fraction d’acre a été envoyée le lendemain.
M. Haraldson, à qui fut envoyée une copie de chacune de ces lettres, était le directeur de la division de l’enregistrement des titres de biens-fonds pour Mobil aux bureaux de cette dernière à Calgary. La section de comptabilité de la production était chargée de faire parvenir à la Municipalité les chèques de redevances compensatoires. C’est donc à M. Haraldson qu’il incombait normalement d’aviser les personnes concernées, y compris la section comptable chargée de payer les redevances compensatoires, que les baux avaient été délaissés.
Pour une raison encore inexpliquée, la section comptable n’a pas été avisée du délaissement des deux baux. Le calcul des redevances compensatoires, fondé sur la production du puits productif adjacent, était toujours effectué, et Mobil envoyait mensuellement à la Municipalité un chèque pour le montant ainsi calculé. Ces paiements se poursuivirent jusqu’au mois d’août 1967, date à laquelle ils cessèrent temporairement.
Le 20 février 1968, Mme Gauthier, la secrétaire-trésorière de la Municipalité, écrivait la lettre suivante:
[TRADUCTION] Mobil Oil Canada Ltd. Edifice Mobil Oil Calgary (Alberta)
Messieurs,
Objet: redevances relatives aux puits limites
Au cours des trois ou quatre dernières années nous
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avons reçu les redevances relatives aux puits limites pour le gisement Nottingham 14‑16-5-31-01er. N’ayant reçu aucun paiement depuis le mois d’août 1967, nous aimerions connaître la raison de la cessation de ces paiements.
Auriez-vous l’obligeance de nous communiquer cette raison le plus tôt possible.
Votre dévouée, (Mme) Rita Gauthier Secrétaire-trésorière
Mobil répondit par une lettre en date du 29 février 1968. En voici les extraits pertinents:
[TRADUCTION]
Chère madame Gauthier,
A cause de certains changements administratifs, les dossiers concernant les redevances qui vous sont dues ont été égarés.
Vous trouverez ci-après un état détaillé des sommes qui vous sont dues pour la période d’août 1967 à janvier 1968.
Suivait un état détaillé des montants que Mobil devait à la Municipalité pour chaque mois de la période d’août 1967 à janvier 1968 inclusivement, soit un total de $3,781.82 que Mobil a d’ailleurs payé à la Municipalité. Cette lettre était signée [TRADUCTION] «pour D.M. Hinchee, directeur, division de la comptabilité, de l’informatique et des services».
Par la suite, d’autres paiements mensuels ont été faits pour les mois de février et mars 1968. Plus tard, M. Simington, le chef de la section des comptes à payer, chargea son adjoint d’obtenir certains renseignements de la division de l’enregistrement des titres de biens-fonds. C’est alors que l’on a découvert que certaines parties des terrains loués avaient été délaissées.
Le 24 juin 1968, Mobil envoyait la lettre suivante à la Municipalité:
[TRADUCTION] En conformité des dispositions de l’alinéa (b) de la clause 8 du bail en question, Socony Mobil, au nom des locataires, paye depuis avril 1964 des redevances compensatoires à la Municipalité rurale de Storthoaks. Cette obligation découle du forage, de l’achèvement et de l’exploitation du puits SMPS Nottingham 14-16-5-31 OPM. En conformité de la clause 15 et du
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par. (c) de la clause 8 du bail, Socony Mobil délaissait le 16 juillet 1964, au nom des locataires, les subdivisions officielles 15 et 16 de la section 17, canton 5, rang 31, OPM, ainsi que la parcelle de 0.58 acre qui faisait l’objet d’un bail distinct. Ce délaissement, en faveur du bailleur, s’est opéré par la signification d’avis d’abandon par lettre recommandée à la municipalité rurale de Storthoaks n° 31. Ce délaissement n’ayant pas, par erreur, été communiqué à la section de comptabilité de la production, les paiements de redevances compensatoires n’ont pas été interrompus et ils ont été erronément effectués à la Municipalité jusqu’au mois de mars de cette année inclusivement. La somme payée en trop s’élève à $31,163.95, telle qu’établie à la présente annexe.
Dans les circonstances, nous nous voyons dans l’obligation de demander le remboursement de la somme en question. Auriez-vous l’obligeance de nous communiquer la date à laquelle vous comptez nous rembourser cette somme.
Votre tout dévoué,
(signature) W.F. Brann
ACMcMillan:bml
W.F. Brann
Contrôleur financier
La Municipalité ne fit aucun remboursement et la présente action a été intentée.
La preuve faite au cours du procès a démontré que la Municipalité avait considéré les paiements effectués comme étant une compensation pour le pétrole extrait du terrain loué par le puits productif de Mobil situé sur le terrain adjacent. Lorsqu’on lui a demandé ce qu’avaient signifié pour la Municipalité les avis de délaissement, la secrétaire-trésorière a rendu le témoignage suivant:
[TRADUCTION] Q. Quelle signification leur avez-vous attribuée?
R. Bien, ces avis signifiaient seulement que Mobil Oil, à l’avenir, ne pourrait plus s’installer sur les terrains et y forer des puits.
Q. Sur ces terrains?
R. Sur ces deux subdivisions officielles.
Son témoignage nous indique également que les sommes d’argent reçues de Mobil avaient été déposées dans un compte général et dépensées à des fins municipales. La Municipalité ne disposait d’aucun fonds qui lui aurait permis de rembourser Mobil. Le prélèvement de cette somme à même les taxes municipales entraînerait une augmentation de $15 du mille dollars d’évaluation.
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Le savant juge de première instance a rejeté la réclamation de Mobil pour le motif que celle-ci n’avait, commis aucune erreur de fait puisque ses administrateurs étaient au courant des délaissements. Il a décidé que les paiements étaient volontaires et non recouvrables.
En appel, ce jugement a été infirmé pour le motif que les versements résultaient d’une erreur de fait et que le principe émis dans Kelly v. Solari[2], s’appliquait en l’espèce. Le juge d’appel Maguire aurait déduit du montant de la réclamation les sommes payées par Mobil à la Municipalité après l’échange de correspondance du mois de février 1968. Il était d’avis que la lettre de Mobil en date du 29 février 1968 constituait une reconnaissance que ces versements étaient dus, et qu’il serait injuste d’en exiger le remboursement.
La première prétention de la Municipalité est que Mobil n’avait pas le droit de délaisser ses droits de location sur les subdivisions 15 et 16. Selon l’argumentation, lorsqu’une production commerciale de pétrole était obtenue d’une unité d’implantation de forage adjacente, Mobil devait choisir d’exécuter l’une de trois choses en vertu de la cl. 8 du bail. Ayant choisi d’effectuer les paiements définis au par. (b) de la cl. 8, Mobil ne pouvait, par la suite, choisir de délaisser l’unité d’implantation de forage comprenant les subdivisions 15 et 16, et Mobil était tenue de continuer d’effectuer les paiements prévus au par. (b) jusqu’à l’expiration du bail.
La valeur de cette prétention ne serait pas mise en doute si le droit de Mobil de délaisser les deux subdivisions reposait exclusivement sur le par. (c) de la cl. 8, mais tel n’est pas le cas. Un droit général de délaissement est accordé à Mobil par la cl. 15 du bail qui débute par les mots [TRADUCTION] «Nonobstant toute disposition du présent bail». Cette clause accordait à Mobil le droit de délaisser en tout temps ses droits de location au regard d’une ou plusieurs parties des terrains loués, et elle prévoyait l’extinction de l’obligation de Mobil à l’égard du terrain délaissé dès la réalisation de ce délaissement. A mon avis, Mobil avait le droit d’effectuer ces délaissements.
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Suivant la deuxième prétention, les paiements ont été effectués volontairement et en pleine connaissance de tous les faits. On prétend que la connaissance que M. Morris, l’agent des terres du district, qui a signé les lettres de délaissement, avait de la situation peut être assimilée à celle de Mobil et, par conséquent, que cette dernière a effectué les paiements à la Municipalité en pleine connaissance de cause. Ceci soulève la question de savoir si une compagnie, dont l’agent autorisé effectue des versements au nom de cette dernière à la suite d’une erreur de fait, a le droit de recouvrer l’argent si un autre de ses agents était au courant de tous les faits.
Cette question a été étudiée dans l’affaire Anglo-Scottish Beet Sugar Corp., Ltd. v. Spalding Urban District Council[3]. La compagnie demanderesse avait son siège social à Glasgow, un bureau de district à Nottingham et une sous-raffinerie à Spalding. L’eau était fournie à cette raffinerie par le Conseil régional, le défendeur, en exécution d’un contrat passé en 1925 qui exigeait en retour un paiement minimum trimestriel de £375. En 1927, un nouveau contrat était passé qui prévoyait un paiement minimum trimestriel de £100. Ce dernier contrat avait été négocié au siège social de la demanderesse à Glasgow par son directeur général. A la suite d’une erreur, le directeur de la raffinerie à Spalding et le directeur régional à Nottingham n’ont pas été avisés de la nouvelle convention. Par erreur, le défendeur continua à facturer la demanderesse à l’ancien taux. Le directeur à Spalding envoyait les factures au directeur commercial à Nottingham qui les réglait. L’erreur n’a été découverte qu’en 1936, date du dépôt d’une réclamation pour les montants payés en trop.
La demanderesse eut gain de cause. Le juge Atkinson s’appuya sur l’affaire Kelly v. Solari, et, à la p. 613, il cita le passage célèbre des motifs du baron Parke dans cette affaire-là, ainsi qu’un extrait des motifs du baron Rolfe:
[TRADUCTION] «Si un montant d’argent est payé à une autre personne à la suite d’une erreur, c’est-à-dire en raison de la conviction de l’exactitude d’un fait précis qui donne à l’autre personne droit à cet argent, et que ce fait se révèle inexact, de sorte que le débiteur ne l’aurait
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pas payé s’il avait su que ce fait était inexact, j’estime qu’une action peut être intentée pour recouvrer le montant payé car il est moralement inacceptable de le garder; une demande peut toutefois être nécessaire dans les cas où la partie qui recevait le montant d’argent ignorait l’erreur en question. Le principe voulant qu’une personne qui a ainsi payé ne puisse recouvrer son argent à cause de sa négligence, ne s’étant pas prévalu des sources d’informations à sa disposition, semble, à la lumière des précédents invoqués, fondé sur le dictum du juge Bayley dans l’affaire Milnes v. Duncan, (1827) 6 B. & C. 671; avec respect, je ne crois pas que cette décision soit bien fondée en droit. Si, effectivement, l’argent est intentionnellement versé, sans égard à l’exactitude ou l’inexactitude du fait, le demandeur ayant l’intention de renoncer à toute enquête sur le fait en question et de verser l’argent à la personne qui doit le recevoir quoi qu’il arrive, que le fait soit exact ou non, cette dernière a sans aucun doute le droit de garder cet argent; mais si l’argent est versé à la suite d’une méprise sur l’exactitude d’un fait, il peut, en général, être recouvré, peu importe la négligence du payeur qui a omis de se renseigner diligemment sur le fait en question.» Le baron Rolfe a dit: «Quant à l’allégation selon laquelle l’argent ne peut être recouvré sauf dans les cas où il est moralement inacceptable de le garder, il me semble que tel est le cas lorsque l’argent est versé à la suite d’une erreur de fait et que la partie ne l’aurait pas versé si elle avait été informée de ce fait.»
Le juge Atkinson a souligné que l’arrêt Kelly v. Solari avait été cité et approuvé dans les jugements qu’ont prononcés lord Shaw, lord Sumner et lord Carson dans la cause R.E. Jones, Ltd. v. Waring and Gillow, Ltd.[4]
Il a conclu, à la p. 627:
[TRADUCTION] A mon avis, le simple fait qu’un agent de la compagnie était au courant de la deuxième convention est sans importance tant et aussi longtemps qu’il n’avait pas la moindre idée qu’on ne donnait pas suite à cette convention. Je crois que la présente affaire est bel et bien régie par le principe émis dans Kelly v. Solari, et il n’y a aucun doute que le point présentement invoqué ne l’a pas été dans cette affaire-là même si, de toute évidence, certains employés de la compagnie étaient parfaitement au courant de la caducité de la convention.
L’arrêt Anglo-Scottish a été suivi dans Turvey v. Dentons (1923) Ltd.[5] Il s’agissait d’une réclama-
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tion aux fins de recouvrer le loyer payé en trop aux termes d’un bail. Le comptable du locataire avait commis une erreur en effectuant les paiements du loyer parce qu’il pensait que le bail avait été signé pour une durée de 10 ans alors qu’en fait elle était de 99 ans. La différence entre ces durées influa sur les déductions qui pouvaient être faites du loyer en vertu du Finance Act, 1940. Le secrétaire de la compagnie connaissait la durée véritable du bail en question.
Dans cette cause-là, à la p. 224, le juge Pilcher s’est exprimé ainsi:
[TRADUCTION] Cependant, il est clair selon la jurisprudence que, dans une affaire comme celle-ci où il est question d’une compagnie à responsabilité limitée et de paiements effectués à la suite d’une véritable erreur de fait commise par un agent de cette compagnie, le fait qu’un autre agent de la même compagnie soit parfaitement au courant de tous les faits n’enlève pas à la compagnie le droit de recouvrer l’argent ainsi versé, en autant que l’agent qui est au courant des faits ne sache pas que des paiements sont erronément effectués. A cet égard, il suffit de se reporter à la cause Anglo-Scottish Beet Sugar Corporation Ld. v. Spalding Urban District Council, où les faits étaient curieusement semblables à ceux que j’ai examinés en l’espèce.
La cause Anglo-Scottish a été invoquée par le juge Davey de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans Purity Dairy Ltd. v. Collinson[6], une affaire où des paiements en trop avaient été effectués pour l’achat de lait à la suite d’erreurs du commis de la compagnie préposé aux factures.
J’accepte d’emblée le principe formulé par le juge Pilcher et que je viens de citer. A mon avis, l’erreur qu’a commise la section comptable de Mobil en continuant d’effectuer les paiements à la Municipalité après les délaissements, tout en ne sachant pas que le bail était éteint au regard des subdivisions 15 et 16, était une erreur de fait de la part de Mobil aux termes de la règle énoncée dans Kelly v. Solari.
Cette conclusion ne tranche pas la question puisque la Municipalité prétend que, même si les paiements ont été effectués à la suite d’une erreur de fait, Mobil n’a pas droit de les recouvrer s’il
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existe des considérations qui rendent leur remboursement inéquitable.
Ce principe qu’invoque la Municipalité a été énoncé par le juge d’appel McKay dans Rural Municipality of Garden River v. Montreuil[7], un arrêt de la Cour d’appel de la Saskatchewan, à la p. 400:
[TRADUCTION] Pour que la demanderesse ait le droit d’exiger le remboursement de l’argent, il doit non seulement être démontré que l’argent a été versé à la suite d’une erreur de fait mais aussi que le défendeur n’a pas le droit de le garder. Ou bien, comme l’a dit le baron Parke dans Kelly v. Solari (1841) 152 E.R. 24, à la p. 26 «Il est moralement inacceptable de le garder.»
La même Cour a cité ce passage dans l’arrêt Royal Bank of Canada v. Huber[8].
Avec respect, je ne crois pas que l’interprétation donnée à l’extrait du jugement du baron Parke dans Kelly v. Solari soit exacte. Ce dernier n’a pas cherché à restreindre le droit au recouvrement de l’argent versé à la suite d’une erreur de fait aux seuls cas où il serait moralement inacceptable pour la personne qui a reçu l’argent de le garder. Ce qu’il a voulu dire, c’est que si un montant d’argent est versé en raison de la conviction de l’exactitude d’un fait précis qui donne à l’autre personne droit à cet argent, alors que le fait en question est inexact, de sorte que le montant d’argent n’aurait pas été versé si l’on avait su que ce fait était inexact, il peut alors être recouvré «et il est moralement inacceptable de le garder». En d’autres mots, en raison des circonstances qu’il relate, il est moralement inacceptable pour la personne qui a reçu l’argent de le garder.
La prétention de la Municipalité à cet égard est étayée jusqu’à un certain point par la déclaration du juge Idington dans La Banque de Montréal c. Le Roi[9], à la p. 280:
[TRADUCTION] N’oublions pas que l’action pour enrichissement sans cause en vertu de laquelle le présent droit a ordinairement été affirmé, repose sur le principe suivant lequel, de prime abord, il est contraire à l’équité et la bonne conscience de garder l’argent reçu, et nous devons également nous souvenir qu’en plusieurs cas, ce
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principe est souvent rejeté en raison de circonstances qui existaient à l’époque du paiement, ou en raison d’événements ultérieurs qui créent, en quelque sorte, une équité compensatoire en vertu de laquelle il serait contraire à l’équité et à la bonne conscience d’en exiger le remboursement.
Cependant, cette affaire ne traitait pas d’une réclamation visant le recouvrement d’argent versé à la suite d’une erreur de fait, mais plutôt d’une réclamation déposée par le ministère public aux fins de recouvrer de l’argent tiré de son compte en banque par le biais de faux chèques. Le véritable litige consistait à déterminer si le gouvernement, qui avait reconnu l’exactitude de la situation de son compte en banque, pouvait être empêché de faire valoir sa réclamation.
Au regard du droit applicable, le juge Duff (alors juge puîné) exprima une opinion semblable dans Dominion Bank c. Union Bank of Canada[10], à la p. 381:
[TRADUCTION] L’action pour enrichissement sans cause est une action en equity; «le motif principal de cette action», selon les propos exprimés par lord Mansfield dans Moses v. Macferlan, 2 Burr. 1005, à la page 1012
est que le défendeur est obligé en vertu des règles de justice naturelle et d’equity de rembourser l’argent.
Tregoning v. Attenborough, 7 Bing. 97; Phillips v. School Board of London, [1898] 2 Q.B. 447, aux pages 452 et 453; Jacobs v. Morris, [1901] 1 Ch. 261; In re The Bodega Co., [1904] 1 Ch. 276; Lodge v. National Union Investment Co., [1907] 1 Ch. 300, aux pages 311 et 312. Par conséquent, dans une action en recouvrement d’argent versé à la suite d’une erreur de fait, ou versé dans un but ou dessein qui ne s’est pas concrétisé, le défendeur peut répondre à la réclamation du demandeur en démontrant qu’un aspect du comportement du payeur, ou de la transaction elle-même, ou de ses conséquences juridiques rend inéquitable que le défendeur soit obligé de restituer ce qu’il a reçu. La Banque de Montréal c. Le Roi, 38 Can. R.C.S. 258; Phillips v. School Board for London, [1898] 2 Q.B. 447.
Les moyens «d’equity» ont plus tard été rejetés en Angleterre comme fondement de l’action en recouvrement de l’argent versé à la suite d’une erreur de fait. On a plutôt considéré qu’une telle réclamation avait un fondement contractuel qui découlait d’un engagement implicite de payer.
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Ainsi, le lord juge Hamilton a déclaré dans l’affaire Baylis v. Bishop of London[11], à la p. 140:
[TRADUCTION] Demander quelle ligne de conduite serait ex aequo et bono à la fois pour les deux parties, n’a jamais été un guide très précis, et son application en tant que règle a depuis longtemps été écartée par les décisions de Standish v. Ross, 3 Ex. 527; et Kelly v. Solari, 9 M. & W. 54. Quoi qu’il en fût il y a 146 ans, nous ne sommes pas libres aujourd’hui, au vingtième siècle, d’appliquer cette vague jurisprudence que l’on qualifie parfois de «justice rendue d’homme à homme.»
Dans Sinclair v. Brougham[12], lord Sumner, au regard d’une réclamation pour de l’argent versé à la suite d’une erreur de fait, et d’autres réclamations semblables, disait à la p. 452:
[TRADUCTION] Toutes ces causes d’action sont propres au genus assumpsit. Elles reposent toutes maintenant, et depuis longtemps, sur une promesse fictive ou sous‑entendue de rembourser.
Dans Holt v. Markham[13], à la p. 513, le lord juge Scrutton a traité de l’opinion de lord Mansfield en des termes plutôt caustiques lorsqu’il a dit:
[TRADUCTION] Il s’agit d’une demande embarrassante propre à une catégorie d’action particulièrement embarrassante. C’est une action pour enrichissement sans cause des demandeurs, fondée sur le motif que le paiement a été effectué à la suite d’une erreur de fait. Avec respect, je suis d’avis que depuis l’époque où cet éminent juge, lord Mansfield, a obscurci la nature de l’action pour enrichissement sans cause, sans aucun doute avec l’intention louable de libérer la Cour du carcan des règles juridiques pour ainsi laisser aux juges la liberté d’agir comme bon leur semble dans chaque cas, en disant dans Sadler v. Evans, (1766) 4 Burr. 1984, 1986: «C’est une action libérale, fondée sur de grands principes d’equity, où le défendeur ne peut, en toute conscience, garder l’argent. On peut opposer en défense tout moyen d’equity susceptible de faire rejeter l’action», toute l’histoire de cette forme particulière d’action se résume à ce que je qualifierais d’histoire caractérisée d’une bienveillante mollesse intellectuelle. Je ne désire pas répéter les critiques acerbes formulées par lord Sumner à l’égard de la théorie, d’ailleurs rejetée aujourd’hui, que lord Mansfield avait énoncée dans Baylis v. Bishop of London ou dans Sinclair v. Brougham, mais je dois, avec respect, me rallier entièrement aux propos qu’il a tenus dans cette première décision.
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Dans Morgan v. Ashcroft[14], à la p. 62, lord Greene a dit que:
[TRADUCTION] Les opinions de lord Mansfield sur ces questions, toutes séduisantes soient-elles, ne peuvent aujourd’hui être acceptées comme constituant le fondement réel de la réclamation.
La portée du problème débattu dans ces décisions réside dans le fait que si une réclamation pour le remboursement d’argent versé à la suite d’une erreur de fait est fondée sur les principes formulés par lord Mansfield dans Moses v. Macferlan, alors, comme celui-ci l’a exprimé à la p. 1010 de cette affaire, la personne qui a reçu l’argent peut [TRADUCTION] «à l’égard du fond, invoquer tous les moyens d‘equity permis en défense» et [TRADUCTION] «se défendre en invoquant tout ce qui peut démontrer que le demandeur ex aequo et bono n’a pas droit à l’intégralité de sa demande ou à aucune partie de celle-ci.» Cependant, si l’obligation de rembourser est contractuelle, il n’importe pas alors qu’elle soit juste et équitable. Pour s’opposer avec succès à une réclamation visée par la définition énoncée dans Kelly v. Solari, il faudrait prouver son irrecevabilité.
Le problème n’est peut-être pas encore tout à fait résolu en droit anglais. Dans Fibrosa Spolka Akcyjna v. Fairbairn Lawson Combe Barbour, Ltd.[15], à la p. 61, lord Wright a dit:
[TRADUCTION] Il est clair que tout système de droit civilisé se doit de prévoir des recours pour ces situations qualifiées d’enrichissement ou d’avantage sans cause, c’est‑à-dire empêcher une personne de garder l’argent ou de conserver un avantage qu’elle a reçu d’une autre personne et qu’il serait moralement inacceptable de garder ou de conserver. Ces recours en droit anglais sont génériquement différents de ceux qui sont propres aux contrats ou aux délits, et ils appartiennent maintenant à une troisième catégorie du common law appelée quasi-contrat ou restitution.
Il a également dit, à la p. 62, en parlant de l’affaire Moses v. Macferlan:
[TRADUCTION] Lord Mansfield ne dit pas que la loi sous-entend une promesse. La loi sous-entend une dette ou une obligation, ce qui est différent. En fait, il refuse d’admettre l’existence d’un contrat; l’obligation est aussi contraignante que si elle était contenue dans un contrat.
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Cette obligation est une création du droit tout autant qu’une obligation découlant d’un délit. Cette obligation appartient à une troisième catégorie, distincte de la première propre aux contrats et de la deuxième propre aux délits, quoiqu’elle se rapproche davantage de la première catégorie que de la deuxième. Cette déclaration de lord Mansfield fut à la base de la théorie moderne des quasi-contrats et ce, malgré les critiques qu’elle a eu à essuyer. A l’instar de toutes les grandes généralisations, cette théorie avait besoin d’être précisée, ce que la pratique s’est chargée de faire. Par exemple, on a précisé qu’une action pour enrichissement sans cause ne pouvait être intentée pour recouvrer de l’argent versé en exécution d’un jugement erroné ou à la suite d’une saisie illégale ou excessive. Le droit a prévu d’autres recours plus appropriés. Le critère de ce qui est moralement inacceptable dans le présent contexte a été plus ou moins canalisé ou défini, mais ce concept juridique demeure, en substance, tel que lord Mansfield l’a établi.
Deux dicta plus récents nous indiquent que la question de savoir si l’action pour enrichissement sans cause est subordonnée à une promesse sous-entendue de payer, n’est pas encore définitivement tranchée. (Voir les propos de lord Radcliffe dans Boissevain v. Weil[16], à la p. 341; et les propos de lord Porter dans Reading v. Attorney-General[17], à la p. 513.)
Une décision américaine a reconnu que la règle, voulant que l’argent versé à la suite d’une erreur soit recouvrable, [TRADUCTION] «est équitable mais ne doit pas s’appliquer lorsqu’il serait inéquitable de permettre le recouvrement» (U.S. v. National Park Bank of New York[18], aux pp. 853 et 854).
Le Restatement of Restitution déclare:
[TRADUCTION] Le droit à la restitution d’un avantage disparaît ou est réduit si, après que l’avantage a été reçu, les circonstances ont changé à un point tel qu’il serait inéquitable d’en exiger la restitution complète.
Les déclarations de lord Wright dans l’affaire Fibrosa que j’ai citées, l’ont également été, favorablement, par le juge Cartwright (alors juge puîné) alors qu’il exprimait les motifs de la majorité de cette Cour dans Deglman c. Guaranty Trust Co.
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of Canada and Constantineau[19], à la p. 734, ainsi que par le juge Hall lorsqu’il a rendu le jugement de la Cour dans Corporation of the County of Carleton c. Corporation of the City of Ottawa[20], à la p. 669.
A mon avis, il devrait être possible pour la Municipalité de tenter de se soustraire à l’obligation de rembourser l’argent qu’elle a reçu, si elle réussissait à prouver que, par suite de la réception de cet argent, elle a modifié sensiblement sa situation. J’ai donc examiné la preuve afin de déterminer s’il y avait eu une telle modification. J’en ai conclu que non. Suivant le témoignage de Mme Gauthier, la secrétaire-trésorière de la Municipalité, l’argent reçu de Mobil a été déposé dans un compte général, avec l’argent provenant des taxes, pour défrayer les dépenses courantes. Il n’y a aucune preuve que des projets spéciaux ont été entrepris ou que des engagements financiers spéciaux ont été contractés à la suite de la réception de cet argent, ou que la Municipalité a modifié sa position d’une quelconque façon parce qu’elle recevait cet argent. Le simple fait qu’il a été dépensé ne suffit pas, par lui-même, à invalider la demande de remboursement. Si on exige de la Municipalité qu’elle rembourse l’argent à Mobil, elle aura donc eu l’usage de cet argent pendant un certain temps sans avoir eu à payer un intérêt.
J’ai longuement réfléchi à la proposition voulant que la Municipalité ait subi un préjudice en ayant été privée de l’occasion de chercher un nouveau locataire, à la suite des délaissements, parce que les paiements l’auraient portée à croire que Mobil revendiquait toujours ses droits aux termes du bail. Cependant, cette prétention comporte deux difficultés qui suffisent, selon moi, à empêcher de l’accepter.
En premier lieu, selon la preuve, la Municipalité ne considérait pas le bail relatif aux deux subdivisions comme étant toujours en vigueur après les délaissements. J’ai déjà cité le témoignage de Mme Gauthier au regard de son interprétation des avis de délaissement; c’est-à-dire qu’à l’avenir, Mobil n’aurait plus le droit de s’installer sur ces terrains et d’y forer des puits. Plus loin dans son témoi-
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gnage, elle a dit que telle était l’interprétation que le conseil municipal avait donnée aux lettres. Par conséquent, la Municipalité était au courant que Mobil avait délaissé son droit de forage, et il n’y a aucune preuve que cette opinion ait été modifiée d’une quelconque façon par la réception des paiements ultérieurs.
L’autre difficulté est que, d’après la preuve, il est clair qu’il aurait été impossible pour la municipalité de louer les deux subdivisions à un autre locataire après les délaissements. Les deux baux portaient sur la location des droits relatifs au pétrole et au gaz naturel et du droit de forer pour recouvrer ces substances sur un terrain d’un quart de section. Après que Mobil eut foré avec succès sur l’unité d’implantation de forage adjacente aux subdivisions 15 et 16, au mois d’octobre 1963, elle se plia aux exigences de la cl. 8(b) des baux et effectua les paiements de redevances compensatoires. Elle a ensuite poursuivi son programme de forage en forant un puits sur la subdivision 10 des terrains loués. Ce puits fut terminé le 27 avril 1964. Il était sec. Elle a ensuite obtenu un permis pour forer un second puits sur la même unité d’implantation de forage, mais cette fois sur la subdivision 9. Ce puits fut terminé le 30 juin 1964. Lui aussi était sec. Ces deux puits secs étaient situés sur les deux subdivisions contiguës aux subdivisions 15 et 16, au sud. A la lumière de cette exploration, Mobil en est alors venu à la conclusion qu’il n’y avait aucune possibilité de production économique pour les subdivisions 15 et 16; c’est pourquoi elles ont été délaissées.
En raison de ces éléments, je suis d’avis que, même si la Municipalité avait estimé que les paiements qu’elle recevait de Mobil l’empêchaient de chercher un nouveau locataire, bien qu’il n’y ait aucune preuve à cet effet, il aurait été impossible de consentir un nouveau bail parce que les forages antérieurs sur les terrains loués avaient établi qu’un tel bail serait sans valeur.
Par conséquent, je suis d’avis que la Municipalité n’a pu démontrer que sa situation, par suite de la réception des paiements, avait changé à un point tel qu’il serait inéquitable d’en exiger le remboursement.
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Le dernier argument invoqué au nom de la Municipalité est la fin de non-recevoir. Selon moi, cette prétention doit également être rejetée.
Peu importe l’interprétation donnée au comportement de Mobil qui a continué de payer des redevances après les délaissements, il incombe à la Municipalité de démontrer que ses agissements fondés sur cette interprétation lui ont été préjudiciables. La Municipalité prétend avoir subi un préjudice puisqu’elle a dépensé l’argent et qu’il lui faudrait hausser les taxes pour le rembourser. On ne nous a cité aucun précédent qui appuierait la proposition voulant que la personne qui a versé de l’argent à la suite d’une erreur de fait soit empêchée de le recouvrer uniquement parce que la personne qui a reçu cet argent l’a dépensé. Certains précédents affirment le contraire.
Dans R.E. Jones, Ltd. v. Waring and Gillow, Ltd., déjà cité, on a opposé une fin de non‑recevoir à une réclamation aux fins de recouvrer de l’argent versé à la suite d’une erreur de fait. Ce moyen de défense a été rejeté, mais deux lords étaient dissidents. Lord Cave, qui a exprimé les motifs de la dissidence accueillant cette défense, a dit, à la p. 684:
[TRADUCTION] Il a été décidé, lorsque le bénéficiaire n’a fait rien de plus que dépenser l’argent pour ses propres fins, que cela ne constituait pas un moyen de défense: Standish v. Ross; Baylis v. Bishop of London; mais peut-être était-ce parce que le bénéficiaire n’avait subi aucun préjudice réel.
Cet énoncé n’a fait l’objet d’aucun désaccord dans les motifs de la majorité.
Dans Lamer v. London County Council[21], à la p. 688, le lord juge Denning (comme il était alors) traite du sujet en ces termes:
[TRADUCTION] Cependant, on dit ensuite que la situation de M. Larner s’est détériorée avant que le Conseil ne lui demande l’argent. Il a dépensé l’argent pour des biens de consommation — ou son épouse l’a dépensé pour lui — et ce d’une façon qui ne lui était pas familière. Cette défense d’irrecevabilité, comme on l’appelle — ou plus précisément, de changement de situation — ne doit cependant pas dépasser son champ d’application. En général, le fait que la personne qui a reçu l’argent l’ait dépensé sans possibilité de le récupérer ne
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constitue pas un moyen de défense à moins qu’une faute ait été commise, comme par exemple, un manquement au devoir — de la part du payeur et non du bénéficiaire, comme ce fut le cas dans les affaires Skyring v. Greenwood and Cox, 4 B. & C. 281, et Holt v. Markham, [1923] 1 K.B. 504. Voir les propos de lord Sumner dans Jones (R.E.) Ld. v. Waring and Gillow Ld. [1926] A.C. 670, à la p. 693.
Notons également que dans l’affaire Holt v. Markham le bénéficiaire, qui croyait avoir droit à l’argent, l’avait investi dans une compagnie qui avait été liquidée antérieurement au procès. En l’espèce, comme je l’ai souligné précédemment, les fonds reçus par la Municipalité ont été employés à des fins municipales ordinaires, desquelles elle a tiré profit.
J’ai déjà traité de la proposition voulant que la Municipalité ait pu subir un préjudice en présumant que la réception des paiements l’empêchait de chercher un nouveau locataire pour les subdivisions 15 et 16. Ces motifs s’appliquent également à la défense d’irrecevabilité. J’ajouterais seulement qu’il n’existe aucune preuve que la Municipalité a considéré la continuation des paiements comme une modification aux avis de délaissement. La Municipalité a mal interprété la portée exacte des délaissements, mais elle en a quand même déduit qu’ils mettaient fin au droit de forage de Mobil sur les terrains délaissés.
Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.
Appel rejeté avec dépens.
Procureurs de la défenderesse, appelante: Shumiatcher and Associates, Regina.
Procureurs de la demanderesse, intimée: MacPherson, Leslie & Tyerman, Regina.
[1] [1973] 6 W.W.R. 644, 39 D.L.R. (3d) 598.
[2] (1841), 9 M. & W. 54, 152 E.R. 24.
[3] [1937] 2 K.B. 607.
[4] [1926] A.C. 670.
[5] [1953] 1 Q.B. 218.
[6] (1966), 58 D.L.R. (2d) 67.
[7] [1929] 2 D.L.R. 396.
[8] (1972), 23 D.L.R. (3d) 209.
[9] (1907), 38 R.C.S. 258.
[10] (1908), 40 R.C.S. 366.
[11] [1913] 1 Ch. 127.
[12] [1914] A.C. 398.
[13] [1923] 1 K.B. 504.
[14] [1938] 1 K.B. 49.
[15] [1943] A.C. 32.
[16] [1950] A.C. 327.
[17] [1951] A.C. 507.
[18] (1881), 6 F. 852.
[19] [1954] R.C.S. 725.
[20] [1965] R.C.S. 663.
[21] [1949] 2 K.B. 683.
Parties
Demandeurs :
StorthoaksDéfendeurs :
Mobil Oil Canada, Ltd.Proposition de citation de la décision:
Storthoaks c. Mobil Oil Canada, Ltd., [1976] 2 R.C.S. 147 (21 avril 1975)
Origine de la décision
Date de l'import :
06/04/2012Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1975-04-21;.1976..2.r.c.s..147