Synthèse
Référence neutre : [1976] 1 R.C.S. 711
Date de la décision :
05/05/1975Sens de l'arrêt :
Le pourvoi doit être rejeté
Analyses
Taxation - Impôt sur les opérations forestières - Accord prévoyant le paiement d’une indemnité en retour d’une cession des droits de coupe - Accord signé sous la menace de l’expropriation - Impôt prélevé sur la différence entre le montant de l’indemnité reçue et le prix payé pour acquérir les droits de coupe - La compagnie est-elle tenue de payer cet impôt? - Logging Tax Act, R.S.B.C. 1960, c. 225, art. 2b), modifié par 1969, c. 35, art. 16(1)b).
En 1959, la compagnie intimée a acquis du propriétaire d’alors un droit de coupe sur certaines concessions forestières situées dans le Parc national Glacier et le Parc national du mont Revelstoke, droit que lui a accordé le gouvernement du Canada. La compagnie a déboursé la somme de $643,000 pour acquérir ce droit. En 1962, la compagnie a été avisée par le ministère chargé d’administrer les parcs nationaux qu’aucune coupe de bois ne sera dorénavant permise dans les parcs nationaux et qu’un arrangement équitable devra être négocié. La compagnie et le gouvernement ont eu des pourparlers sans toutefois parvenir à un accord.
Après que la compagnie eut manifesté l’intention d’exercer ses droits de coupe, un décret du conseil en date du 20 décembre 1968 a autorisé le gouvernement à les exproprier. L’expropriation a effectivement eu lieu le 7 juin 1970, quoique après que les parties se fussent entendues, en janvier 1969, sur une indemnité de $2,107,125 et qu’un accord en date du 31 octobre 1969 ait été signé.
Le ministre appelant a prélevé un impôt sur la différence entre le montant de l’indemnité reçu par la compagnie et le prix que cette dernière avait payé pour acquérir les droits de coupe. Cette cotisation est fondée sur le par. (1) de l’art. 3 (qui prévoit le prélèvement d’un impôt de 15 pour cent sur tout revenu provenant d’opérations forestières effectuées en Colombie-Britannique au cours d’une année fiscale) et l’al. b) de l’art. 2 (qui prévoit que le «revenu provenant d’opérations forestières» effectuées par une personne au cours d’une année
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fiscale signifie: lorsque du bois sur pied dans la Province ou le droit de couper du bois sur pied dans la Province est vendu par une personne de quelque façon que ce soit… le profit net provenant de l’acquisition de bois sur pied ou du droit de couper du bois sur pied, et le profit net provenant de la vente du bois sur pied ou du droit de couper du bois sur pied) du Logging Tax Act, R.S.B.C. 1960, c. 225, tel que modifié. Le jugement de première instance selon lequel la compagnie n’est pas tenue d’effectuer ce paiement a été confirmé par un arrêt majoritaire de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique.
Arrêt: Le pourvoi doit être rejeté.
L’accord fixant l’indemnité a été conclu après la promulgation du décret du conseil et il est clair que la compagnie a signé cette convention sous la menace de l’expropriation. Cet accord ne prévoit pas la vente et la cession des droits de coupe de la compagnie. Il exige que la compagnie, dans un acte au gré du sous-ministre de la Justice, cède, restitue et abandonne au gouvernement tous les droits qu’elle détient en vertu d’un permis, d’un bail ou d’un accord prévoyant un tel permis ou bail à l’égard de diverses concessions forestières. Le gouvernement n’a pas cherché à faire signer à la compagnie un acte de cession semblable mais a plutôt choisi d’exproprier les droits de cette dernière.
Dans les circonstances, la compagnie n’a pas vendu au gouvernement son droit de coupe au sens de l’al. b) de l’art. 2 de la Loi. Les parties se sont seulement entendues sur le montant que le gouvernement doit payer à la compagnie en guise d’indemnité relativement à l’expropriation des droits de coupe de cette dernière.
POURVOI interjeté à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique[1], qui a rejeté l’appel d’un jugement du juge Ruttan. Pourvoi rejeté.
H.L. Henderson et L.R. Fast, pour l’appelant.
P.N. Thorsteinsson et I.H. Pitfield, pour l’intimée.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE MARTLAND — La question en litige est de savoir si l’intimée, ci-après appelée «la Compagnie», est tenue de payer un impôt sur les opérations forestières au montant de $316,068.75 avec intérêts de $25,910.07, soit un total de $341,-
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978.82, en vertu des dispositions de l’art. 3 du Logging Tax Act, R.S.B.C. 1960, c. 225 et modifications, ci-après appelé «la Loi». Le jugement de première instance selon lequel la Compagnie n’est pas tenue d’effectuer ce paiement a été confirmé par un arrêt majoritaire de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique.
En 1959, la Compagnie a acquis du propriétaire d’alors un droit de coupe sur certaines concessions forestières situées dans le Parc national Glacier et le Parc national du mont Revelstoke, droit que lui a accordé le gouvernement du Canada, ci-après appelé «le gouvernement». La Compagnie a déboursé la somme de $643,000 pour acquérir ce droit. En 1962, la Compagnie a été avisée par le ministère chargé d’administrer les parcs nationaux qu’aucune coupe de bois ne sera dorénavant permise dans les parcs nationaux et qu’un arrangement équitable devra être négocié.
Par la suite, la Compagnie et le gouvernement ont eu des pourparlers, discuté d’échange de droits de coupe et de paiement d’une indemnité équitable à la Compagnie, sans toutefois parvenir à un accord. En juillet 1967, dans le but de presser l’affaire, la Compagnie a annoncé son intention de commencer des opérations forestières et elle a demandé des droits de passage sur les routes, ce qui a accéléré les négociations.
Le 20 décembre 1968, un décret du conseil autorisait l’expropriation de tout droit, titre et intérêt, autres que ceux de Sa Majesté la Reine du chef du Canada et ceux de la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique, sur les concessions forestières situées dans le Parc national Glacier, et de tout droit, titre et intérêt, autres que ceux de Sa Majesté la Reine du chef du Canada, sur les concessions forestières situées dans le Parc national du mont Revelstoke.
Par la suite, lors d’une réunion tenue à Ottawa en janvier 1969, on a abouti à un règlement en espèces au montant de $2,107,125. Un accord, intervenu le 31 octobre 1969, prévoit entre autres:
[TRADUCTION] 2. Dans un ou plusieurs actes au gré du sous-ministre de la Justice, le détenteur s’engage à
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céder, restituer et abandonner ou à faire céder, restituer et abandonner au profit du Canada tous ses droits passés et présents qu’il détient en vertu d’un permis, d’un bail ou d’un accord prévoyant un tel permis ou bail que le Canada lui a émis ou est censé lui avoir émis à l’égard du terrain et des concessions forestières et dont les permis de coupe de bois ci-joints que l’on retrouve aux appendices 7, 8, 9, 10, 11 et 12 sont des renouvellements ….
Aucun acte de cession prévu à la cl. 2 n’a été présenté pour signature à la Compagnie. On lui a plutôt signifié l’avis d’expropriation suivant:
[TRADUCTION] AVIS D’EXPROPRIATION
Sachez que tout droit, titre et intérêt, autres que ceux de Sa Majesté la Reine du chef du Canada et ceux de la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique, sur les terrains délimités en rouge sur le plan ci-joint et décrits en annexe, seront dévolus à Sa Majesté la Reine du chef du Canada, ses héritiers et successeurs, en vertu de la Loi sur l’expropriation, S.R.C. 1952, c. 106, dès l’enregistrement du présent avis au Bureau d’enregistrement des biens-fonds du district Nelson, en la ville de Nelson (Colombie‑Britannique), dans lequel district d’enregistrement lesdits terrains sont situés.
Ottawa, le 7e jour de juin 1970
«H.B. McKinnon»
Sous-ministre des Affaires indiennes et du Nord
Cet avis ainsi qu’une copie de l’accord ont été déposés par le gouvernement au Bureau d’enregistrement des biens-fonds du district Nelson.
La preuve démontre que le Compagnie a considéré avoir en réalité été expropriée en 1962. A compter de cette date, son droit de propriété sur les concessions forestières s’est éteint. La Compagnie ne désirait pas renoncer à son droit sur les terrains. C’est l’exploitation forestière et non la vente des droits qui l’intéressait. Seul l’argument péremptoire de l’expropriation l’a poussée à céder ses droits au gouvernement.
L’appelant, ci-après appelé «le Ministre», a prélevé un impôt sur la différence entre le montant de l’indemnité reçue par la Compagnie et le prix que cette dernière avait payé pour acquérir les droits de coupe. Cette cotisation est fondée sur le par. (1)
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de l’art. 3 et sur l’al. b) de l’art. 2 de la Loi.
Le paragraphe (1) de l’art. 3 prévoit le prélèvement d’un impôt de 15 pour cent sur tout revenu provenant d’opérations forestières effectuées en Colombie-Britannique au cours d’une année fiscale.
L’alinéa b) de l’art. 2 définit l’expression [TRADUCTION] «revenu provenant d’opérations forestières» effectuées par une personne au cours d’une année fiscale:
[TRADUCTION] b) lorsque du bois sur pied dans la Province ou le droit de couper du bois sur pied dans la Province est vendu par une personne de quelque façon que ce soit, y compris par redevance, le profit net provenant de l’acquisition de bois sur pied ou du droit de couper du bois sur pied, et le profit net provenant de la vente du bois sur pied ou du droit de couper du bois sur pied.
La Compagnie a refusé de payer l’impôt pour le motif que l’entente conclue entre elle et le gouvernement ne constitue pas une vente du droit de couper du bois sur pied et n’est donc pas visée par l’al. b) de l’art. 2.
Le juge de première instance a décidé que le consentement des parties était un élément essentiel de la vente et qu’en l’espèce la Compagnie n’avait pas vraiment consenti à céder ses droits de coupe. Le passage suivant illustre cette position:
[TRADUCTION] Dès 1962, on n’a vraiment jamais douté de l’intention du gouvernement d’interdire l’exercice des droits de coupe. Si les parties ne s’étaient pas entendues sur le montant de l’indemnité à payer, elles auraient eu recours à l’arbitrage après l’expropriation. Ces procédures n’auraient tranché que le montant de l’indemnité à payer car la cession du titre n’aurait pas été en litige. L’appelante en l’espèce n’avait pas le choix quant à la cession, et les négociations n’ont porté que sur le montant.
La majorité de la Cour d’appel a tranché en faveur de la Compagnie, mais en se fondant sur d’autres motifs. Elle décida que l’accord entre la Compagnie et le gouvernement ne portait que sur la cession ou l’abandon par la Compagnie des droits que le gouvernement lui avait accordés et que cet acte ne pouvait constituer une vente de droits.
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A la lumière des faits de la présente cause, je ne puis dire que le droit de coupe a été vendu au gouvernement par la Compagnie au sens de l’al. b) de l’art. 2 de la Loi. Comme son titre l’indique, cette loi a trait aux opérations forestières. Elle prévoit le prélèvement d’un impôt sur le revenu provenant de telles opérations. Les alinéas de l’art. 2, autres que l’al. b), traitent des profits tirés de la vente de billes. L’alinéa b) traite, non pas de la vente de billes, mais plutôt de la vente de bois sur pied ou du droit de couper du bois sur pied, tout en prévoyant également dans son contexte la vente de droits qui permettraient à l’acheteur de procéder à des opérations forestières.
La décision du gouvernement de mettre fin aux opérations forestières dans les parcs nationaux a rendu impossible la vente d’un droit de coupe à une personne intéressée aux opérations forestières. Toute personne intéressée à l’exercice de droits semblables subirait l’expropriation. Et c’est exactement ce qui s’est produit. Après que la Compagnie eut manifesté l’intention d’exercer ses droits, un décret du conseil en date du 20 décembre 1968 a autorisé le gouvernement à les exproprier. L’expropriation a effectivement eu lieu le 7 juin 1970, quoique après que les parties se fussent entendues sur l’indemnité à payer.
L’accord fixant l’indemnité a été conclu après la promulgation du décret du conseil et il est clair d’après la preuve que la compagnie a signé cette convention sous la menace de l’expropriation. Cet accord ne prévoit pas la vente et la cession des droits de coupe de la Compagnie. Il exige que la Compagnie, dans un acte au gré du sous-ministre de la Justice, cède, restitue et abandonne au gouvernement tous les droits qu’elle détient en vertu d’un permis, d’un bail ou d’un accord prévoyant un tel permis ou bail à l’égard de diverses concessions forestières. Tel que mentionné ci-dessus, le gouvernement n’a pas cherché à faire signer à la Compagnie un acte de cession semblable mais a plutôt choisi d’exproprier les droits de cette dernière.
Dans les circonstances, je suis d’avis que la Compagnie n’a pas vendu au gouvernement son droit de coupe au sens de l’al. b) de l’art. 2 de la Loi. Les parties se sont seulement entendues sur le
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montant que le gouvernement doit payer à la Compagnie en guise d’indemnité relativement à l’expropriation des droits de coupe de cette dernière.
Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens.
Appel rejeté avec dépens.
Procureurs de l’appelant: Harman & Co., Victoria.
Procureurs de l’intimée: Thorsteinsson, Mitchell, Little, O’Keefe & Davidson, Vancouver.
[1] [1974] 5 W.W.R. 242, 49 D.L.R. (3d) 149.
Parties
Demandeurs :
Ministre des FinancesDéfendeurs :
Kicking Horse Forest Products Ltd.Proposition de citation de la décision:
Ministre des Finances c. Kicking Horse Forest Products Ltd., [1976] 1 R.C.S. 711 (5 mai 1975)
Origine de la décision
Date de l'import :
06/04/2012Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1975-05-05;.1976..1.r.c.s..711