Synthèse
Référence neutre : [1976] 1 R.C.S. 815
Date de la décision :
20/05/1975Sens de l'arrêt :
Les pourvois doivent être accueillis et les pourvois incidents doivent être rejetés
Analyses
Chemins de fer - Commission canadienne des transports - Augmentation proposée des taux - Pouvoir de la Commission de proroger le délai d’avis après la date d’entrée en vigueur - Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, c. R-2, art. 275(2)(4).
Lois - Interprétation - L’augmentation proposée des taux doit être déposée et publiée 30 jours avant son entrée en vigueur - Pouvoir de la Commission canadienne des transports de réduire l’augmentation proposée des taux et de retarder la date d’entrée en vigueur - Pouvoir de la Commission canadienne des transports de proroger le délai d’avis après la date d’entrée en.
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vigueur - Ordonnance déclarée invalide par la Cour, ultra vires ab initio - Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, c. R-2, art. 275(2)(4) - Loi nationale sur les transports, S.R.C. 1970, c. N‑17, art. 64(5).
Les compagnies de chemin de fer appelantes ont déposé auprès de la Commission canadienne des transports et publié un tarif comportant d’importantes majorations. La date de son entrée en vigueur avait été fixée au 1er janvier 1975. Le tarif a été déposé et publié et l’avis en a été donné conformément aux règlements, aux ordres et aux instructions établis par la C.C.T. conformément à l’art. 275 de la Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, c. R-2. Un peu plus tard, le 24 décembre 1974, plusieurs des intimés ont présenté une demande au Comité des transports par chemin de fer de la C.C.T. en vue d’obtenir une ordonnance pour suspendre ou retarder l’entrée en vigueur des taux décrétés au tarif majoré et interdire aux compagnies de chemin de fer d’exiger les taux fixés dans ce tarif. Les autres intimés sont intervenus pour appuyer la demande de suspension des nouveaux taux présentée au Comité qui, le 31 décembre 1974, a rendu une ordonnance accordant en partie la demande des intimés, en retardant jusqu’au 1er mars 1975 cinquante pour cent de l’augmentation. Les compagnies ont interjeté appel à la Cour d’appel fédérale alléguant que le Comité avait outrepassé ses pouvoirs en rendant cette ordonnance. Cette Cour-là a décidé d’infirmer l’ordonnance, et c’est cette partie du jugement qui fait l’objet des pourvois incidents interjetés à la Cour suprême, et elle a également décidé que la C.C.T. était autorisée en vertu du par. (2) de l’art. 275 de proroger la période minimale de trente jours y mentionnée et elle a statué qu’à la suite de l’annulation de l’ordonnance de la C.C.T., il incombait à celle-ci d’examiner si une ordonnance de la catégorie prévue au par. (2) de l’art. 275 devait être rendue, et c’est contre cette dernière partie du jugement, à la base de l’ordonnance du Comité, que les compagnies de chemin de fer se pourvoient devant la Cour suprême.
Arrêt: Les pourvois doivent être accueillis et les pourvois incidents doivent être rejetés.
Relativement au pourvoi incident, même si les intimés ont prétendu que l’ordonnance retardant la mise en vigueur de 50 pour cent de l’augmentation prévue au tarif a été faite conformément au pouvoir conféré à la C.C.T. par le par. (2) de l’art. 275, cet article ne peut être interprété comme conférant à la C.C.T. le pouvoir de rendre une telle ordonnance. L’abrogation de l’art. 382 de l’ancienne loi (la Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1952, c. 234) et l’adoption du par. (4) de l’art. 275 visent à réaliser l’objectif énoncé à l’al. a) de l’art. 3 de la Loi nationale sur les transports, c’est-à-dire que la
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réglementation de tous les moyens de transport ne sera pas de nature à restreindre la capacité de l’un d’eux de faire librement concurrence à tous les autres moyens de transport. La C.C.T. n’avait donc pas le pouvoir de faire ce qu’elle visait par son ordonnance.
Le pourvoi a également trait aux par. (2) et (4) de l’art. 275. Même dans l’hypothèse que la C.C.T. avait le pouvoir de proroger la période de trente jours prescrite par le par. (2) de l’art. 275, et même dans l’hypothèse qu’une telle prorogation pourrait être prescrite après le dépôt du tarif, la prorogation de la période de préavis devait être décrétée avant la date d’entrée en vigueur puisque, autrement, le tarif deviendrait en vigueur à cette date. En fait, la C.C.T. a tenté de remettre à plus tard l’application du tarif, c.-à-d. de faire indirectement ce qu’elle ne peut faire directement.
L’exigence prévue au par. (5) de l’art. 64 de la Loi nationale sur les transports, S.R.C. 1970, c. N-17, portant que la Cour d’appel fédérale doit transmettre son opinion certifiée à la C.C.T. et que celle-ci doit rendre une ordonnance conformément à cette opinion ne signifie pas qu’une ordonnance invalide a le même effet qu’une ordonnance valide entre le moment où elle a été rendue et celui où elle a été infirmée. Le par. (5) ne fait rien d’autre que prescrire une procédure d’exécution de l’opinion rendue par la Cour saisie de l’appel. Interpréter différemment cette disposition irait à l’encontre de la doctrine juridique de l’ultra vires.
Arrêt mentionné: Hoffmann-La Roche v. Secretary of State for Trade and Industry, [1974] 2 All E.R. 1128.
POURVOIS et POURVOIS INCIDENTS interjetés à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel fédérale[1] qui a accueilli l’appel d’une ordonnance rendue par le Comité des transports par chemin de fer de la Commission canadienne des transports selon laquelle la date d’entrée en vigueur d’un tarif augmentant les taux de fret était retardée. Pourvois accueillis, pourvois incidents rejetés.
C.R.O. Munro, c.r., et Gordon Miller, c.r., pour l’appelante, Canadien Pacifique Limitée.
John Schiller, pour l’appelante, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada.
Gordon Blair, c.r., François Lemieux, et Martin Kay, pour les procureurs généraux de l’Alberta, de la Saskatchewan et du Manitoba, intimés.
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D. Burtnick, pour le procureur général de l’Ontario, intimé.
J.M. Davison, et G.T. Hayes, pour The Atlantic Provinces Transportation Commission, intimée.
G.W. Ainslie, c.r., et André Garneau, pour le procureur général du Canada, intervenant.
W.G. Burke-Robertson, c.r., pour le procureur général de la Colombie-Britannique, intervenant.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE MARTLAND — Le 22 novembre 1974, les appelantes, ci-après appelées «les compagnies de chemin de fer» ont déposé et publié le tarif C.F.A. n° 1005 qui comportait d’importantes majorations. La date de son entrée en vigueur avait été fixée au 1er janvier 1975. Il est admis que le tarif a été déposé et publié et que l’avis en a été donné conformément aux règlements, ordres ou instructions établis par la Commission canadienne des transports, ci-après appelée «la Commission», conformément à l’art. 275 de la Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1970, c. R-2, qui se lit comme suit:
275. (1) Tout tarif de marchandises et chaque modification d’un tarif de marchandises doivent être déposés et publiés, et un avis de leur émission et de l’annulation de tout semblable tarif ou partie de tarif doit être donné conformément aux règlements, ordres ou instructions édictés par la Commission.
(2) Sauf ordre contraire de la Commission, lorsqu’un tarif-marchandises majore une taxe dont l’imposition était antérieurement autorisée sous le régime de la présente loi, la compagnie doit de la même manière déposer et publier ce tarif au moins trente jours avant la date de son entrée en vigueur.
(3) Un tarif-marchandises qui réduit une taxe dont l’imposition était antérieurement autorisée sous le régime de la présente loi peut devenir applicable et être appliqué dès l’émission du tarif avant même d’avoir été déposé à la Commission.
(4) Lorsqu’un tarif de marchandises est déposé et qu’un avis de son émission est donné conformément à la présente loi et aux règlements, ordres et instructions de la Commission, les taxes y prévues, à moins que la Commission ne les rejette, et tant qu’elle ne l’aura pas fait, sont péremptoirement censées être les taxes licites et doivent prendre effet à la date mentionnée dans le tarif comme étant la date où elles doivent prendre effet,
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et le tarif remplace tout tarif antérieur ou toute partie d’un tel tarif dans la mesure où il réduit ou majore les taxes y prévues; et la compagnie doit par la suite imposer les taxes qui y sont spécifiées jusqu’à ce que ledit tarif expire, ou que la Commission le rejette ou qu’un autre tarif le remplace.
Le 24 décembre 1974, les gouvernements des provinces de l’Alberta, de la Saskatchewan et du Manitoba, ci-après appelés «les intimés», ont présenté une demande au Comité des transports par chemin de fer de la Commission, ci-après appelé «le Comité», en vue d’obtenir une ordonnance pour suspendre ou retarder l’entrée en vigueur des taxes décrétées au tarif n° 1005 et interdire aux compagnies de chemin de fer d’exiger les taux fixés dans ce tarif.
Le Comité a procédé à l’audition de la demande les 30 et 31 décembre 1974. Le gouvernement de la province de l’Ontario et l’Atlantic Provinces Transportation Commission sont intervenus à l’appui de la demande.
Le 31 décembre 1974, le Comité a rendu une ordonnance accordant en partie la demande des intimés. Le paragraphe 1 de l’ordonnance prévoit:
1. Les taxes figurant au tarif CFA 1005 et autres tarifs applicables, devant entrer en vigueur le 1er janvier 1975, seront majorées à cette date de 50 p. cent, la seconde étape de l’augmentation étant retardée jusqu’au 1er mars 1975.
Les compagnies de chemin de fer ont interjeté appel de cette ordonnance à la Cour d’appel fédérale, ci-après appelée «la Cour», avec l’autorisation de celle-ci, alléguant que la Commission n’avait pas le pouvoir de retarder la mise en vigueur d’un tarif de marchandises régulièrement déposé et publié conformément à l’art. 275 de la Loi sur les chemins de fer. Le gouvernement de la province de la Colombie-Britannique et le Procureur général du Canada sont intervenus lorsque l’affaire a été soumise à la Cour.
A l’unanimité, la Cour a décidé d’accueillir les appels. Dans les motifs, on dit que le par. (2) de l’art. 275, que les intimés invoquaient comme conférant l’autorité pour rendre l’ordonnance, ne pouvait pas être interprété «comme conférant à la Commission le pouvoir de rendre une ordonnance
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retardant la date d’entrée en vigueur d’une partie ou de l’ensemble d’un tarif dûment déposé et publié et de fixer une nouvelle date pour l’entrée en vigueur de l’ensemble ou d’une partie de ce tarif». L’arrêt ayant conclu à l’annulation de l’ordonnance, les intimés interjettent devant cette Cour un appel incident.
Trois des juges de la Cour, qui constituaient la majorité, ont conclu que la Commission avait le pouvoir, en vertu du par. (2) de l’art. 275, de proroger la période minimale de trente jours y mentionnée et statué qu’à la suite de l’annulation de l’ordonnance de la Commission, il incombait à celle-ci d’examiner si, sur présentation d’une demande à cet effet, une ordonnance de la catégorie prévue au par. (2) de l’art. 275 devait être rendue.
Deux des juges de la Cour ont été dissidents sur ce dernier point.
Le jugement a été rendu le 25 janvier 1975. Le 5 février 1975, le Comité a rendu une ordonnance infirmant son ordonnance du 31 décembre 1974. L’ordonnance décrète ensuite ce qui suit:
2. Le délai de préavis de dépôt et de publication du tarif CFA 1005, et de tous les autres tarifs pertinents, est reporté du 22 novembre 1974, soit la date du dépôt, au 28 février 1975, ce qui représente en tout 98 jours.
C’est contre la dernière partie du jugement de la Cour que les companies de chemin de fer se pourvoient avec autorisation.
Je traiterai d’abord de l’appel incident des intimés. Sur ce point, je suis d’accord avec la décision unanime de la Cour. Les intimés prétendent que l’ordonnance du Comité, retardant au 1er mars 1975 la mise en vigueur de 50 pour cent de l’augmentation prévue au tarif, a été faite conformément au pouvoir conféré à la Commission par le par. (2) de l’art. 275 de la Loi sur les chemins de fer. A ce sujet, le juge d’appel Thurlow dit, au nom de la Cour:
Je ne pense pas possible de l’interpréter comme conférant à la Commission le pouvoir de rendre une ordonnance retardant la date d’entrée en vigueur d’une partie
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ou de l’ensemble d’un tarif dûment déposé et publié ou de fixer une nouvelle date pour l’entrée en vigueur de l’ensemble ou d’une partie de ce tarif.
La Cour mentionne aussi, après l’étude des dispositions pertinentes de la Loi sur les chemins de fer, que la Commission ne dispose d’aucun pouvoir général de suspendre ou retarder l’entrée en vigueur de tarifs.
Avant l’adoption de la Loi nationale sur les transports, Statuts du Canada 1966-7, c. 69, la Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1952, c. 234, conférait de tels pouvoirs au prédécesseur de la Commission, la Commission des transports du Canada. L’article 328 de cette dernière loi prévoyait:
328. (1) La Commission peut rejeter un tarif ou une partie de tarif qu’elle considère injuste ou déraisonnable, ou contraire à quelqu’une des dispositions de la présente loi, et exiger de la compagnie qu’elle y substitue, dans un délai prescrit, un tarif jugé satisfaisant par la Commission, ou elle peut prescrire d’autres taxes pour remplacer celles qui ont été ainsi rejetées.
(2) La Commission peut fixer la date à laquelle un tarif doit entrer en vigueur et, soit sur demande, soit de son propre chef, elle peut, en attendant une enquête ou pour une raison quelconque, retarder la date de son application effective, ou, soit avant, soit après son entrée en vigueur, suspendre un tarif ou une partie de tarif.
Ces dispositions ont été abrogées par la Loi nationale sur les transports et n’ont pas été édictées de nouveau.
Le paragraphe (4) de l’art. 275 de l’actuelle Loi sur les chemins de fer prévoit que, lorsqu’un tarif de marchandises est déposé et qu’un avis de son émission est donné conformément à la loi et aux règlements, ordres et instructions de la Commission, les taxes y prévues doivent prendre effet à la date mentionnée dans le tarif comme étant la date où elles doivent prendre effet et que les taxes sont péremptoirement censées être les taxes licites, à moins que la Commission ne les rejette, et tant qu’elle ne l’aura pas fait.
Le paragraphe (3) de l’art. 333 de la Loi de 1952 renfermait des dispositions pratiquement identiques au par. (2) de l’art. 275 de la Loi actuelle, mais le par. (5), qui est le prédécesseur du par. (4) de l’art. 275, prévoyait:
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(5) Lorsqu’un tarif de marchandises est déposé et qu’un avis de son émission est donné conformément à la présente loi et aux règlements, ordres et instructions de la Commission, les taxes y prévues, à moins que la Commission ne les rejette, ou n’en suspende ou remette à plus tard l’application, et tant qu’elle ne l’aura pas fait, sont péremptoirement censées être les taxes licites et doivent prendre effet à la date mentionnée dans le tarif comme étant celle où on a l’intention de le mettre en vigueur, et un tel tarif doit remplacer tout tarif antérieur, ou une partie quelconque de ce dernier, dans la mesure où il réduit ou majore les taxes y prévues; et la compagnie doit, par la suite, imposer les taxes qui y sont spécifiées, jusqu’à ce que ledit tarif expire, ou que la Commission le rejette ou en suspende l’application ou qu’un autre tarif le remplace.
Lorsque la Loi actuelle a été adoptée, on a omis au par. (4) de l’art. 275, les mentions relatives à la suspension et à la remise à plus tard.
A mon avis, l’abrogation de l’art. 328 de l’ancienne loi et l’adoption du par. (4) de l’art. 275 visent à réaliser l’objectif énoncé à l’al. a) du par. (3) de la Loi nationale sur les transports; c.‑à-d.:
a) que la réglementation de tous les moyens de transport ne sera pas de nature à restreindre la capacité de l’un d’eux de faire librement concurrence à tous les autres moyens de transport;
Je conclus que la Commission n’avait pas le pouvoir de faire ce qu’elle visait par son ordonnance du 31 décembre 1974, à savoir, retarder la mise en vigueur de 50 pour cent de l’augmentation des taxes. Je suis d’avis de rejeter l’appel incident.
L’appel, comme l’appel incident, a trait au sens et à l’effet des par. (2) et (4) de l’art. 275. Les compagnies de chemin de fer prétendent d’abord que le par. (2) de l’art. 275 signifie qu’elles doivent donner un préavis d’au moins trente jours de toute majoration de taxes, à moins que la Commission ne les en exempte. Les intimés et les intervenants prétendent que les mots «sauf ordre contraire de la Commission» autorisent la Commission à proroger ou à raccourcir la période prescrite pour l’avis. En raison de la façon dont j’envisage les faits en l’espèce, il ne m’est pas nécessaire de trancher cette question.
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Le 22 novembre 1974, les compagnies de chemin de fer ont dûment déposé et publié le Tarif C.F.A. n° 1005. Celui-ci devait entrer en vigueur le 1er janvier 1975, soit plus d’un mois après la date du dépôt. Le paragraphe (4) de l’art. 275 s’applique alors: il prévoit que les taxes doivent prendre effet à la date mentionnée dans le tarif. Même dans l’hypothèse que la Commission avait le pouvoir de proroger la période de trente jours prescrite par le par. (2) de l’art. 275, et même dans l’hypothèse qu’une telle prorogation pourrait être prescrite après le dépôt du tarif (une question sur laquelle je n’ai pas à exprimer d’opinion), la prorogation de la période de préavis devrait être décrétée avant la date d’entrée en vigueur puisque autrement, le tarif deviendrait en vigueur à cette date conformément au par. (4) de l’art. 275.
La Commission n’a pas voulu proroger la période de préavis avant le 1er janvier 1975. Elle a tenté de retarder la date de la mise en vigueur, ce qu’elle n’avait pas le pouvoir de faire. Une ordonnance de la Commission, rendue après la date de la mise en vigueur du tarif, visant à proroger la période de préavis que doivent donner les compagnies de chemin de fer lorsqu’elles fixent la date d’entrée en vigueur du tarif, ne peut pas constituer véritablement une prorogation de cette période; ce serait une tentative de la Commission de faire indirectement ce qu’elle ne peut faire directement, c’est-à-dire remettre à plus tard l’application du tarif.
Les intimés prétendent que l’ordonnance de la Commission, en date du 31 décembre 1974, est demeurée en vigueur jusqu’à ce que la Commission elle-même infirme son ordonnance, soit le 5 février 1975, alors qu’elle a rendu l’ordonnance qu’elle était, selon la majorité de la Cour, habilitée à rendre. On prétend que, le 5 février, la nouvelle ordonnance remplaçant la première, il n’y a pas eu d’interprétation et que par conséquent le Tarif C.F.A. n° 1005 n’a jamais été en vigueur.
Cette proposition s’appuie sur les dispositions du par. (5) de l’art. 64 de la Loi nationale sur les transports. Le paragraphe (2) de cet article prévoit qu’il y a appel d’une décision à la Cour d’appel fédérale sur une question de droit ou de compétence, avec l’autorisation de ladite Cour. Le paragraphe (5) prévoit:
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(5) Lors de l’audition d’un appel, la cour peut déduire toutes les conclusions qui ne sont pas incompatibles avec les faits formellement établis devant la Commission, et qui sont nécessaires pour déterminer la question de compétence ou de droit, suivant le cas; puis, elle transmet son opinion certifiée à la Commission, qui doit alors rendre une ordonnance conforme à cette opinion.
Parce que ce dernier paragraphe prescrit que la Cour doit transmettre son opinion certifiée à la Commission et que celle-ci doit rendre une ordonnance conformément à cette opinion, on prétend, en l’espèce, que l’ordonnance du 31 décembre 1974 demeurait en vigueur et s’appliquait tant qu’elle n’avait pas été infirmée par la dernière ordonnance de la Commission. Je ne suis pas d’accord avec cette prétention. Cette partie du paragraphe qui est ici en cause ne fait rien d’autre que prescrire une procédure d’exécution de l’opinion rendue par la Cour saisie de l’appel. En l’espèce, cette opinion était que l’ordonnance de la Commission dont il y avait eu appel était invalide et que, pour cette raison, elle devait être infirmée. La Commission l’a infirmée et, ce faisant, elle infirmait une ordonnance que la Cour avait déclarée invalide. Il n’y a rien dans le paragraphe pour appuyer la proposition que l’ordonnance invalide avait le même effet qu’une ordonnance valide entre le moment où elle a été rendue et celui où elle a été infirmée. Interpréter ainsi cette disposition irait à l’encontre de la doctrine juridique de l’ultra vires.
En réponse à la prétention des compagnies de chemin de fer que l’ordonnance du 31 décembre 1974 était invalide et ne pouvait avoir aucun effet légal, l’avocat du Procureur général du Canada s’est appuyé sur un énoncé de lord Diplock dans l’arrêt Hoffmann-La Roche v. Secretary of State for Trade and Industry[2], à la p. 1153:
[TRADUCTION] Toutefois dans notre système juridique, les tribunaux à titre de branche judiciaire du gouvernement n’agissent pas de leur propre initiative. Ils n’ont pas juridiction pour décider qu’un décret est ultra vires à moins que sa validité soit contestée dans des procédures inter partes intentées par une partie pour appliquer à l’autre la disposition décrétée ou par une partie dont les intérêts sont suffisamment touchés par le décret pour lui fournir directement le locus standi lui permettant d’en contester la validité. En l’absence d’une
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telle contestation et, s’il y en a une, tant qu’un tribunal n’en a pas reconnu le bien-fondé, il y a présomption de validité du décret et de légalité des actes faits conformément à ses dispositions.
Cependant, il faut observer que ce passage est, dans le même alinéa, suivi immédiatement de l’énoncé suivant:
[TRADUCTION] Il serait, toutefois, contraire à la doctrine de l’ultra vires, selon son évolution dans le droit anglais comme moyen de contrôle des abus du pouvoir exécutif, si la décision d’un tribunal dans des procédures régulièrement intentées et statuant qu’un décret est ultra vires, ne devait pas au moins, en nullifier tout effet juridique sur les droits et obligations des parties aux procédures (cf Ridge v. Baldwin, [1963] 2 All E.R. 66).
En l’espèce, dans des procédures régulièrement intentées, la Cour a exprimé l’opinion que l’ordonnance de la Commission, en date du 31 décembre 1974, était invalide.
Je suis d’avis d’accueillir les appels. Les jugements de la Cour d’appel fédérale doivent être modifiés en retranchant tout ce qui suit les mots «est invalide et doit être annulé». Les compagnies de chemin de fer ont droit aux dépens des appels et des appels incidents ainsi que de leurs appels à la Cour d’appel fédérale, à l’encontre des gouvernements des provinces de l’Alberta, de la Saskatchewan et du Manitoba. Il n’y a pas d’adjudication de dépens en faveur des intervenants ni contre eux.
Appels accueillis, appels incidents rejetés, avec dépens.
Procureur de la Canadien Pacifique Limitée: G.P. Miller, Montréal.
Procureur de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada: H.J.G. Pye, Montréal.
Procureur des gouvernements de la Saskatchewan et du Manitoba: Gordon Blair, Ottawa.
Procureur du gouvernement de l’Alberta: H.M. Kay, Calgary.
Procureur du gouvernement de l’Ontario: D.W. Burtnick, Downsview.
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Procureur de The Atlantic Provinces Transportation Commission: L.J. Hayes, Halifax.
Procureur du gouvernement de la Colombie-Britannique: W.G. Burke-Robertson, Ottawa.
Procureur de la Commission canadienne des transports: Jules Portier, Ottawa.
Procureur du procureur général du Canada: D.S. Thorson, Ottawa.
[1] [1975] C.F. 171.
[2] [1974] 2 All E.R. 1128.
Parties
Demandeurs :
Canadien Pacifique LtéeDéfendeurs :
AlbertaProposition de citation de la décision:
Canadien Pacifique Ltée c. Alberta, [1976] 1 R.C.S. 815 (20 mai 1975)
Origine de la décision
Date de l'import :
06/04/2012Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1975-05-20;.1976..1.r.c.s..815