Synthèse
Référence neutre : [1977] 1 R.C.S. 147
Date de la décision :
26/06/1975Sens de l'arrêt :
Le pourvoi doit être accueilli
Analyses
Dommages-intérêts - Indemnité à la veuve et aux enfants de la victime - Perte subie par la succession - Code civil, art. 1056.
Appel - Amendement qui accorde une indemnité plus considérable que celle réclamée en première instance - Code de procédure civile, art. 203, 500, 523 - Loi sur la Cour suprême, S.R.C. 1970, c. S-19, art. 50.
A la suite d’un accident de la route où son époux a trouvé la mort, l’appelante a pris des procédures contre les deux intimés que les tribunaux de Québec ont trouvés solidairement responsables. En Cour supérieure la demanderesse a obtenu $51,082 personnellement et elle a demandé et obtenu $21,000 en sa qualité de tutrice à ses trois enfants mineurs et $10,000 en sa qualité de curatrice à son enfant à naître. Le juge de première instance a ajouté que si un montant plus considérable avait été réclamé pour ces derniers, il aurait accordé $53,894.45. Les défendeurs ayant interjeté appel en vue de faire réduire le montant des dommages accordés, la demanderesse a formé un appel incident conformément à l’art. 500 du Code de procédure civile et demandé: a) qu’on ajoute une somme de $15,000 représentant une perte encourue par la succession; b) qu’on lui permette, conformément à l’art. 523 du Code de procédure civile, d’amender sa déclaration aux fins de porter le montant réclamé pour ses enfants à la somme totale de $53,894.45, de façon que la Cour d’appel accorde le montant entier auquel le juge du procès avait estimé les dommages.
La Cour d’appel, majoritairement, a réduit à $35,000 l’indemnité payable à la veuve et, unanimement, a refusé de réduire l’indemnité payable aux enfants ainsi que d’accorder la réclamation pour la perte subie par la succession et la requête en amendement.
D’où le pourvoi interjeté par la veuve. Cette Cour ayant souligné qu’elle avait déjà décidé que les actifs de la succession ne doivent pas entrer en ligne de compte
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dans rétablissement de l’indemnité, l’appelante a abandonné sa réclamation du chef de la succession.
Arrêt (Le juge de Grandpré étant dissident en partie): Le pourvoi doit être accueilli.
Les juges Martland, Pigeon, Dickson et Beetz: Pour les motifs énoncés par le juge de Grandpré, le montant accordé en première instance à la veuve personnellement doit être rétabli.
Quant à la requête pour amender, elle a été formée en vertu de l’art. 523 du Code de procédure civile et refusée par la Cour d’appel pour l’unique motif que la «demande se trouverait portée, après le jugement de la Cour supérieure, à une somme plus considérable que celle réclamée en première instance, au-delà de laquelle le premier juge ne pouvait adjuger, c.p.c. 468». L’article 523 s’inscrit dans le cadre d’une réforme dont l’intention générale est exprimée à l’art. 2 du Code de procédure civile. C’est aller directement à l’encontre de l’intention exprimée par le législateur en décrétant le nouveau Code que de refuser une demande d’amendement formée en appel pour le motif qu’en l’admettant on accorderait ce que la Cour supérieure ne pouvait pas accorder. Lorsque l’on lit ensemble toutes les dispositions du nouveau Code de procédure civile touchant les amendements, il devient évident que le législateur a voulu que l’on permette aussi bien en appel qu’en première instance tout amendement nécessaire pour juger le litige objectivement.
Même sous le régime de l’ancien Code de procédure, la jurisprudence était fixée en ce sens que l’on ne doit pas refuser un amendement nécessaire sans motif valable. En l’espèce les intimés n’en invoquent aucun sauf celui qui a été retenu par Sa Cour d’appel. Il n’y a aucune raison de supposer que si en première instance l’appelante avait réclamé un montant plus élevé du chef des enfants, les défendeurs auraient apporté des preuves qu’ils se sont abstenus de présenter. L’amendement étant permis, il y a lieu d’accorder le montant de l’indemnité estimé par le premier juge pour chacun des enfants.
Le juge de Grandpré dissident en partie: Sur la réduction par la Cour d’appel de l’indemnité accordée à la veuve il y a lieu d’appliquer le principe exprimé à maintes reprises par cette Cour, savoir qu’un tribunal d’appel ne doit pas intervenir dans l’estimation des dommages sauf «si le montant accordé est tellement excessif ou tellement insuffisant qu’il constitue une estimation entièrement erronée».
La demande d’amendement se fonde sur l’art. 523 du Code de procédure civile. Cet article permet-il à la Cour d’appel de modifier le contrat judiciaire au point d’ac-
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corder au demandeur une indemnité plus considérable que le chiffre mentionné dans la déclaration originale? Il ne semble pas que cette Cour ait jamais utilisé ses pouvoirs aux termes de l’art. 50 de la Loi sur la Cour suprême pour en arriver à une telle conclusion. Si les conclusions de l’action avaient réclamé $53,894.45 pour les enfants plutôt que $31,000, il est raisonnable d’imaginer que plusieurs des prémisses posées par le premier juge sans appui dans la preuve auraient été soumises à un examen critique.
Même s’il est possible de recevoir l’amendement, l’indemnité suggérée par le premier juge était erronée. Le respect dû au calcul du juge de première instance ne s’étend pas à cette partie qui dépasse le montant réclamé lorsqu’il ne s’est pas prévalu de son pouvoir d’ordonner une réouverture d’enquête permettant aux parties de mettre tous les faits devant le tribunal. Le chiffre de $31,000 pour les quatre enfants est conforme à la réalité. En l’additionnant à l’indemnité de $51,082 accordée à l’appelante personnellement, on arrive à un total qui représente plus de neuf fois les gains annuels du défunt, soit l’extrême limite de ce qui est susceptible d’être justifié.
[Arrêts suivis: Watt c. Smith, [1968] R.C.S. 177; Pantel et al. c. Air Canada, [1975] 1 R.C.S. 472; arrêts mentionnés: Frank c. Alpert, [1971] R.C.S. 637, 17 D.L.R. (3d) 491; Basarsky c. Quinlan, [1972] R.C.S. 380, 24 D.L.R. (3d) 720; Ladouceur c. Howarth, [1974] R.C.S. 1111, 41 D.L.R. (3d) 416; Witco Chemical Co. c. Oakville, [1975] 1 R.C.S. 273, 43 D.L.R. (3d) 413; Racicot c. Cartier, [1961] B.R. 596; Cité de Québec c. Labrecque, [1947] B.R. 411; Conway c. La Cité de Québec, [1942] B.R. 366; Commission des Accidents du travail c. Rheault, [1952], B.R. 28; Le Procureur Général c. Vallières, [1959] C.S. 140; Lussier c. Marquis, [1960] B.R. 20, infirmé à [1960] R.C.S. 442; Smith & Rhuland Ltd. c. La Reine, [1953] 2 R.C.S. 95; arrêt discuté: Burland c. La Ville de Montréal (1903), 33 R.C.S. 373.]
POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel du Québec qui a réduit l’indemnité accordée à l’appelante personnellement en Cour supérieure et écarté la demande d’amendement présentée à la Cour d’appel. Pourvoi accueilli, le juge de Grandpré étant dissident en partie.
G.G. Boudreau, pour l’appelante.
J.M. Cantin, c.r., pour l’intimé Brunelle.
B. Gratton, pour l’intimé Labonté.
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Le jugement des juges Martland, Pigeon, Dickson et Beetz a été rendu par
LE JUGE PIGEON — M. le juge de Grandpré a fait l’exposé de cette affaire. Je suis d’accord avec lui sauf quant à l’indemnité réclamée par la demanderesse-appelante pour ses enfants. Par son action, elle a demandé $21,000 en qualité de tutrice de ses trois enfants mineurs et $10,000 en sa qualité de curatrice à son enfant à naître dont elle est devenue tutrice après sa naissance. Sur cette partie de la réclamation, le juge du procès a statué comme suit:
Comme l’a expliqué ci-dessus le tribunal, il considère que le père, en moyenne au cours des années jusqu’à l’âge de 24 ans pour chacun des enfants, aurait consacré $1,000.00 par année. Lorsque le tribunal parle de $1,000.00, il entend tout ce que le père fournit aux enfants, gîte, logement, nourriture, récréation, éducation, etc.
C’est donc dire qu’il aurait fourni ce montant pour chacun des enfants pendant la période et pour les montants indiqués ci-après:
Céline, 6 ans, pendant 18 ans
$ 11,689.59
Louise, 4 ans, pendant 20 ans
$ 12,462.21
Jean, 3 ans, pendant 21 ans
$ 12,821.15
Michel, 0, pendant 24 ans
$ 13,798.64
Il y a lieu de réduire ce montant dans la même proportion que le tribunal l’a fait pour celui accordé à la demanderesse, soit de 10%, de sorte que chacun des enfants aurait droit au capital suivant:
Céline
$ 10,420.64
Louise
$ 11,215.99
Jean
$ 11,539.04
Michel
$ 12,418.78
Reste la perte de leur père en tant que conseiller et guide dans la vie, support moral et affectueux. Le tribunal en est venu à la conclusion que malgré la difficulté d’évaluer en argent cette perte, il accordera $100.00 par année pendant les années d’étude de ces enfants, de sorte qu’il accordera à Céline $1,800.00, à Louise, $2,000.00, Jean, $2,100.00 et Michel, $2,400, ce qui fait en définitive pour chacun des enfants la somme suivante:
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Céline
$ 12,220.64
Louise
$ 13,215.99
Jean
$ 13,639.04
Michel
$ 14,818.78
Quant aux trois plus vieux, il y a lieu évidemment de réduire le montant proportionnellement parce que la somme réclamée n’est que de $21,000.00, de sorte qu’en réduisant en proportion, le tribunal arrive aux chiffres définitifs suivants:
Céline
$ 6,566.90
Louise
$ 7,102.67
Jean
$ 7,330.43
Quant à Michel, c’est la somme de $10,000.00, soit le plein montant réclamé.
Après inscription de la cause en appel par chacun des défendeurs-intimés en cette Cour, la demanderesse a formé un appel incident en conformité de l’art. 500 du Code de procédure civile du Québec:
500. Sans préjudice de son droit d’interjeter lui-même appel en la manière et dans le délai prévus aux articles 494 et 495, l’intimé peut former appel incident, sans autre formalité qu’une simple déclaration, signifiée à la partie adverse et produite en même temps que son acte de comparution, qu’il demande la réformation, en sa faveur, du jugement frappé d’appel; cette déclaration doit énoncer les conclusions recherchées.
Dans sa déclaration faite suivant ces dispositions, elle a demandé qu’on lui permette d’amender sa déclaration aux fins de porter le montant réclamé pour ses enfants à la somme totale de $53,894.45 au lieu de $31,000, de façon que la Cour accorde pour eux le montant entier auquel le juge du procès avait estimé les dommages subis par le décès de leur père. Cette demande d’amendement a été formée en vertu de l’art. 523 du Code de procédure civile dont le premier alinéa est comme suit:
523. La Cour d’appel peut, si les fins de la justice le requièrent, permettre à une partie d’amender ses actes de procédure, de mettre en cause une personne dont la présence est nécessaire, ou encore, en des circonstances exceptionnelles, de présenter, selon le mode qu’elle indique, une preuve nouvelle indispensable.
L’amendement a été refusé pour l’unique motif exposé comme suit par M. le juge Lajoie:
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Cette demande d’amendement faite pour la première fois en Cour d’appel doit être refusée. Si elle était accordée, la demande se trouverait portée, après le jugement de la Cour supérieure, à une somme plus considérable que celle réclamée en première instance et au-delà de laquelle le premier juge ne pouvait adjuger, c.p.c. 468.
A mon avis en statuant ainsi, la Cour d’appel n’a pas exercé sa discrétion, elle a, au contraire, refusé de l’exercer. En effet, dans tous les cas où une demande d’amendement est faite pour la première fois en Cour d’appel, l’objet en est nécessairement de permettre que l’on accorde ce que la Cour supérieure ne pouvait pas accorder, celle-ci ne pouvant adjuger au-delà de ce qui est réclamé et allégué. Par conséquent, si l’on admet le raisonnement de la Cour d’appel, on prive de tout effet la disposition du Code de procédure de 1965 qui autorise expressément l’amendement des actes de procédure au cours de l’instance en appel. Ce que le législateur vise là ne peut pas être le cas où une demande d’amendement a été faite et refusée en Cour supérieure car, en pareil cas, ce texte n’est pas nécessaire, la Cour d’appel ayant déjà par ailleurs le pouvoir de réformer les interlocutoires. Au surplus, il est certain que l’article a été décrété précisément pour permettre l’amendement des procédures au cours de l’instance en appel. Dans leur rapport, les commissaires qui l’ont rédigé ont dit:
Ce même article 523 accorde du reste à la Cour d’appel, d’une façon générale, des pouvoirs analogues à ceux que possède la Cour Suprême, ce qui n’est que normal, comme l’ont souligné plus d’une fois les juges de la Cour Suprême eux-mêmes.
M. le juge de Grandpré a fait une revue des décisions de notre Cour qui ont permis des amendements. Il est certain qu’on y a considéré que le pouvoir d’autoriser des amendements s’étend à des amendements qui y sont demandés pour la première fois. Le texte, aujourd’hui l’art. 50 de la Loi sur la Cour suprême, se lit comme suit:
50. (1) En tout temps durant la litispendance d’un appel devant la Cour, la Cour peut, sur requête de l’une des parties ou en l’absence de cette requête, faire tous les amendements nécessaires aux fins de prononcer sur l’appel ou sur la véritable question ou contestation entre les parties, qui ressort des plaidoiries écrites, de la preuve ou des procédures.
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(2) Tout amendement mentionné au paragraphe (1) peut être effectué, que la nécessité en ait été ou non occasionnée par le défaut, l’erreur, l’acte, le manquement ou la négligence de la partie qui demande l’amendement.
L’article 523 du Code de procédure civile de 1965 s’inscrit dans le cadre d’une réforme dont l’intention générale est exprimée comme suit à l’art. 2:
2. Les règles de procédure édictées par ce code sont destinées à faire apparaître le droit et en assurer la sanction; et à moins d’une disposition contraire, l’inobservation de celles qui ne sont pas d’ordre public ne pourra affecter le sort d’une demande que s’il n’y a pas été remédié alors qu’il était possible de le faire. Ces dispositions doivent s’interpréter les unes par les autres et, autant que possible, de manière à faciliter la marche normale des procès, plutôt qu’à la retarder ou à y mettre fin prématurément.
A ce sujet, les commissaires ont dit:
Ce texte exprime formellement dans quel sens les règles du nouveau code devraient être appliquées et interprétées. Cette disposition conforme à l’esprit de la réforme, contribuera, de l’avis des Commissaires, à donner à la procédure l’orientation nouvelle souhaitée.
A mon avis, c’est aller directement à l’encontre de l’intention exprimée par le législateur en décrétant le nouveau Code que de refuser une demande d’amendement formée en appel pour le motif qu’en l’admettant on accorderait ce que la Cour supérieure ne pouvait pas accorder. L’article qui interdit au tribunal d’adjuger au-delà des conclusions n’est pas nouveau. En l’absence d’une disposition permettant les amendements pendant l’instance en Cour d’appel, celle-ci était évidemment liée à la règle antique. Le seul recours du justiciable, quand un amendement était nécessaire pour lui donner justice, c’était alors de porter l’affaire jusqu’en cette Cour où, par une singulière anomalie juridique, il pouvait espérer obtenir ce que la Cour d’appel n’avait pas le pouvoir de lui accorder. Voilà la situation à laquelle la Législature a voulu porter remède en décrétant le nouveau Code à la suite de la recommandation en ce sens faite par les commissaires.
A mon avis, il importe d’intervenir pour faire respecter la volonté du législateur québecois
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d’abroger le vieil adage que «la forme emporte le fond». Pour ne citer que des arrêts récents, c’est le rejet du formalisme injuste qui a motivé l’intervention de cette Cour sur des questions de procédure dans Frank c. Alpert[1], Basarsky c. Quinlan[2], Ladouceur c. Howarth[3], Witco Chemical Co. c. Oakville[4]. Quand la décision sur une question de forme a pour conséquence qu’un justiciable perd son droit, elle cesse d’être une question de forme et devient une question de droit. Ce n’est une question de forme qu’en autant qu’un remède est possible, non quand cela emporte le droit. C’est pourquoi ici, on ne peut considérer le point comme une simple question de procédure.
La décision de la Cour d’appel signifie qu’elle prive quatre orphelins d’une partie importante, plus de $22,000, de l’indemnité à laquelle au jugement de la Cour supérieure ils ont droit en raison du décès de leur père. Le principe régissant les amendements en cette Cour et qui a inspiré les rédacteurs du nouveau Code de procédure québecois, c’est qu’il importe peu que la nécessité de l’amendement ait été «occasionnée par le défaut, l’erreur, l’acte, le manquement ou la négligence de la partie qui demande l’amendement», la Cour peut toujours le permettre aux fins «de prononcer sur la véritable question» entre les parties.
Il importe également de souligner une autre importante différence entre les dispositions de l’ancien Code de procédure civile et celles de la Loi sur la Cour suprême qui ont inspiré le nouveau. Celles-ci n’ont jamais comporté aucune restriction et par conséquent, notre Cour n’a pas hésité à s’en servir même pour changer la nature de la demande, comme dans Burland c. La Ville de Montréal[5]. Or, amender pour changer la nature de la demande était formellement interdit par l’art. 522 de l’ancien Code de procédure et cette disposition était interprétée avec la dernière rigueur. Même en 1961, la Cour d’appel citant plusieurs arrêts antérieurs, statuait dans Racicot c. Cartier[6]
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qu’il ne pouvait être permis d’amender pour alléguer qu’un accident de voiture avait été causé par le préposé du propriétaire et non pas par le propriétaire conduisant lui-même, sous prétexte que c’était «changer la nature de la demande». En 1947, dans Cité de Québec c. Labrecque[7] elle avait confirmé un jugement refusant pour ce motif un amendement ayant pour objet de réclamer l’annulation de tout un acte de vente et non pas d’une seule clause.
Pendant longtemps, plusieurs juges du Québec refusaient tout amendement ayant pour objet d’augmenter le montant réclamé en disant qu’il fallait recourir à une demande incidente. C’est ce que la Cour d’appel elle-même avait décidé dans Conway c. La Cité de Québec[8]. Malgré l’arrêt en sens contraire dans Commission des Accidents du Travail c. Rheault[9], les adversaires du droit d’amender à cette fin restaient nombreux, comme on peut le voir en lisant Le Procureur Général c. Vallières[10]. Conséquence importante de cette attitude, ceux qui étaient opposés au droit d’amender et tenaient à la nécessité de la demande incidente, tenaient également celle-ci pour une nouvelle instance de telle sorte que, d’après eux, la courte prescription s’accomplissait pour tout ce qui excédait le montant réclamé par la demande originaire. L’arrêt de la Cour d’appel statuant en ce sens à l’encontre d’une demande incidente dans Lussier c. Marquis[11] provoqua l’intervention de la Législature (1959‑60 (Qué), c. 98, art. 4). Il s’avéra ensuite que l’on n’avait guère fait que surcharger le texte car l’arrêt fut unanimement infirmé par notre Cour (Marquis c. Lussier[12]).
Ce n’est que par le nouveau Code que l’on devait faire disparaître l’interdiction de l’amendement changeant la nature de la demande, le nouvel art. 203 se lisant comme suit:
203. Nul amendement ne sera admis qui serait inutile, ou contraire aux intérêts de la justice, ou d’où résulterait une demande entièrement nouvelle n’ayant aucun rapport avec la demande originaire.
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A ce sujet, on lit dans les rapports des commissaires:
Les restrictions actuelles au droit d’amender ont été abolies, et une seule limite est établie: nul amendement ne sera admis qui serait inutile ou contraire aux intérêts de la justice, ou d’où résulterait une demande entièrement nouvelle n’ayant aucun rapport avec la demande originaire (Art. 203). Les Commissaires sont d’avis qu’une fois les parties devant le tribunal, il doit leur être permis, si cela est nécessaire, d’amender leurs actes de procédure de manière à exposer tout le véritable litige qui les oppose. C’est là un principe admis par la plupart des législations modernes; et d’ailleurs, il est incontestable que la règle de l’article 522 C.P., telle qu’interprétée par les tribunaux, introduit un formalisme désuet et inopportun.
A mon avis, lorsqu’on lit ensemble toutes les dispositions du nouveau Code de procédure civile touchant les amendements, il devient évident que le législateur a vraiment voulu, comme les commissaires le suggéraient, que l’on permette aussi bien en appel qu’en première instance tout amendement nécessaire pour juger le litige objectivement, autrement dit pour que la procédure reste la servante de la justice et n’en devienne jamais la maîtresse. Il est vrai qu’il s’agit ici d’un pouvoir discrétionnaire mais il ne faut pas oublier que c’est d’une discrétion judiciaire qu’il s’agit. Par conséquent, le tribunal a le devoir de l’exercer et c’est refuser de l’exercer que d’opposer un refus pour un motif mal fondé en droit (Smith & Rhuland Ltd. c. La Reine[13]). D’ailleurs, même sous le régime de l’ancien Code de procédure, la jurisprudence était fixée en ce sens que l’on ne doit pas refuser un amendement nécessaire sans motif valable.
Ici, peut-on trouver quelque motif valable de refuser l’amendement? Les intimés n’en invoquent aucun. Ils soulèvent uniquement celui qui a été retenu par la Cour d’appel. Si le premier juge, au lieu de rendre jugement comme il l’a fait, avait ordonné la réouverture des débats, comme l’art. 463 du Code de procédure lui permet de le faire «même de sa propre initiative», les défendeurs auraient-ils pu faire valoir quelque objection à l’encontre de l’amendement? Je ne le crois pas. S’ils avaient voulu prétendre qu’en fonction du montant plus élevé ils auraient pu apporter une
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preuve qu’ils n’ont pas présentée, ils auraient été obligés de dire quelle est cette preuve et pourquoi ils ne l’avaient pas avancée. Ils auraient été bien en peine de le faire. Au reste, les faits à prendre en considération pour fixer l’indemnité due aux enfants sont, sauf leur âge, essentiellement les mêmes que ceux qu’il fallait examiner pour fixer l’indemnité due à l’appelante de son chef. Cette partie de la réclamation n’a pas été admise en entier et ils l’ont contestée devant toutes les juridictions. Il n’y a aucune raison de supposer que si dans les procédures la demanderesse avait également réclamé un montant plus élevé du chef des enfants, les défendeurs auraient apporté des preuves qu’ils se sont abstenus de présenter. De toute façon, s’ils voulaient élever cette prétention, ils auraient dû le faire devant la Cour d’appel comme devant cette Cour, et ils ne l’ont pas fait. Il faut présumer que c’est parce qu’ils étaient incapables de l’avancer à bon droit.
Pour ces motifs, je conclus que la Cour d’appel a fait erreur en refusant la demande d’amendement, que celle-ci aurait dû être accordée et qu’il s’agit d’un cas où il y a lieu d’ordonner que l’amendement soit réputé fait sans autre formalité et sans frais. Si l’on permet l’amendement, je pense qu’il y a lieu d’accorder le montant de l’indemnité estimé par le premier juge pour chacun des enfants tout, comme il y a lieu, de rétablir celui de l’indemnité accordée à l’appelante personnellement et pour les mêmes raisons.
En conséquence, j’accueillerais le pourvoi, casserais l’arrêt de la Cour d’appel et rétablirais la condamnation solidaire prononcée par la Cour supérieure contre les deux intimés mais en accordant l’amendement de la demande aux fins d’en porter le montant et celui du jugement à celui de $104,976.45 dont $51,082.00 à la demanderesse personnellement et $53,894.45 ès-qualité de tutrice à ses quatre enfants dont $12,220.64 pour Céline; $13,215.99 pour Louise; $13,669.04 pour Jean et $14,818.78 pour Michel, le tout avec intérêts depuis l’assignation et les dépens dans toutes les cours.
LE JUGE DE GRANDPRÉ (dissident): — A la suite d’un accident de la route où Fernand Labonté a trouvé la mort, sa veuve et ses enfants
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ont pris des procédures contre les deux intimés que les tribunaux du Québec ont trouvés solidairement responsables. Cette conclusion est acquise et le seul problème qui nous est soumis est l’étendue des dommages payables aux réclamants.
A ce sujet, la Cour supérieure en est arrivée aux conclusions suivantes:
$51,082.00 à la demanderesse personnellement;
$31,000.00 à la demanderesse en sa qualité de représentante de ses enfants.
Le juge de première instance a ajouté que si un montant plus considérable avait été réclamé pour ces derniers, il leur aurait accordé une somme totale de $53,894.45.
Les trois parties ont porté l’affaire devant la Cour d’appel du Québec. Si l’on fait abstraction de la question responsabilité, les conclusions recherchées étaient les suivantes:
(a) les auteurs de l’accident, intimés devant nous, voulaient voir réduire le montant des dommages accordés à la veuve et à ses enfants;
(b) les réclamants, appelants devant nous, voulaient voir modifier le jugement de première instance sur deux points:
(i) en y ajoutant un chiffre de $15,000 représentant la perte encourue par la succession lors de la vente quasi forcée de la ferme résultant de la mort de Fernand Labonté;
(ii) faire augmenter à $53,894.45 l’indemnité payable aux enfants; pour ce faire, une requête pour amender a été présentée à la Cour d’appel aux termes de l’art. 523 du Code de procédure civile.
La Cour d’appel majoritairement a réduit de $51,082 à $35,000 l’indemnité payable à la veuve et a unanimement refusé de diminuer l’indemnité payable aux enfants; par ailleurs, elle a aussi unanimement écarté la requête demandant la permission d’amender les procédures aux fins de recouvrer le montant de $53,894.45 mentionné par le juge de première instance.
Devant nous, la veuve et ses enfants sont les seuls appelants. Ils soumettent que la Cour d’appel a erré dans trois matières:
1) en réduisant l’indemnité payable à la veuve;
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2) en n’accordant pas la somme de $15,000, soit la perte qui aurait été le résultat de la vente forcée de la ferme;
3) en refusant la requête pour amender présentée aux termes de l’art. 523 C.P.
Sur le premier point, je suis d’accord avec l’appelante. Le principe qui doit nous guider en l’espèce a été exprimé à maintes reprises, en particulier dans l’affaire Watt c. Smith[14], où, comme en l’espèce, la Cour d’appel avait substitué son appréciation à celle du jugement de première instance. M. le juge Pigeon, parlant pour la Cour, s’exprimait en ces termes à la p. 181:
En face de ces jugements, devons-nous procéder à une nouvelle estimation pour en apprécier le bien-fondé. Je ne le crois pas. A mon avis, nous devons nous demander si la Cour d’appel a appliqué le principe qu’un tribunal d’appel doit suivre en l’occurrence. Ce principe n’est pas de se demander si, siégeant en première instance on aurait accordé le même montant, ce qui est au fond la même chose que de se demander si ce qui a été accordé dépasse ce qui est dû en justice. Ce qu’il faut rechercher c’est si le montant accordé est tellement excessif ou tellement insuffisant qu’il constitue une estimation entièrement erronée.
Il est vrai que les calculs du juge de première instance ne sont pas en tous points conformes aux règles que doivent suivre les tribunaux dans l’établissement d’une indemnité réclamée aux termes de l’art. 1056 du Code civil. Toutefois, pour décider du pourvoi quant à l’indemnité due à la veuve, il n’est pas nécessaire d’entrer dans le détail des règles pertinentes d’autant plus que certaines d’entre elles seront examinées plus loin lorsqu’il sera question de l’indemnité due aux enfants. Il reste que, même si je ne suis pas prêt à accepter dans sa totalité le raisonnement du premier juge pour en arriver à sa conclusion que la demanderesse personnellement a droit à une indemnité de $51,082, je ne puis me convaincre que cette conclusion est tellement erronée qu’elle exigeait l’intervention de la Cour d’appel.
Quant au deuxième point, savoir la perte qu’aurait subie la succession à raison de la vente forcée de la ferme, il a été abandonné par l’appelante lorsque nous lui avons souligné que, tout comme
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les actifs de la succession ne doivent pas entrer en ligne de compte dans l’établissement de l’indemnité réclamée aux termes de l’art. 1056 C.c., la perte que la succession peut subir par suite du décès ne peut pas constituer un chef de dommage. (Voir Pantel et al c. Air Canada[15]).
Reste le dernier moyen de l’appelante. Le premier alinéa de l’art. 523 du Code de procédure civile se lit comme suit:
La Cour d’appel peut, si les fins de la justice le requièrent, permettre à une partie d’amender ses actes de procédure, de mettre en cause une personne dont la présence est nécessaire, ou encore, en des circonstances exceptionnelles, de présenter, selon le mode qu’elle indique, une preuve nouvelle indispensable.
Dans leur rapport, les commissaires font ce commentaire:
Ce même article 523 accorde du reste à la Cour d’appel, d’une façon générale, des pouvoirs analogues à ceux que possède la Cour Suprême, ce qui n’est que normal, comme l’ont souligné plus d’une fois les juges de la Cour Suprême eux-mêmes.
Ceci m’amène donc à citer le paragraphe pertinent de l’art. 50 de notre Loi:
(1) En tout temps durant la litispendance d’un appel devant la Cour, la Cour peut, sur requête de l’une des parties ou en l’absence de cette requête, faire tous les amendements nécessaires aux fins de prononcer sur l’appel ou sur la véritable question ou contestation entre les parties, qui ressort des plaidoiries écrites, de la preuve ou des procédures.
Lu dans son contexte, l’art. 523 du Code permet-il à la Cour d’appel de modifier le contrat judiciaire au point d’accorder au demandeur une indemnité plus considérable que le chiffre mentionné dans la déclaration originale? Les parties n’ont retracé aucune autorité sur le point et il ne semble pas que cette Cour ait jamais utilisé ses pouvoirs aux termes de l’art. 50 pour en arriver à une telle conclusion.
A titre d’exemples, j’indiquerai que cette Cour a utilisé l’art. 50 aux fins
— de faire inscrire le nom de tous les intéressés dans les procédures aux fins de disposer du litige — Ville de Montreal c. Hogan, 31 R.C.S. 1;
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— de corriger une erreur de copiste — Hill c. Hill, 34 R.C.S. 13;
— de considérer comme dûment constituée une reprise d’instance pouvant souffrir d’un vice de forme — The North Shore Power Company c. Duguay et uxor, 37 R.C.S. 624;
— de permettre à l’appelant de soulever un moyen de droit nouveau tiré des erreurs qu’aurait commises le juge de première instance dans son adresse au jury au cours d’un procès en responsabilité civile — Landreville c. Brown, 27 mai 1941, dossier no 6886;
— de prononcer une ordonnance donnant ouverture à la correction d’erreurs dans la traduction des notes sténographiques — McArter c. Hill, 20 juin 1951, dossier no 7756 auquel il est fait allusion dans le jugement final rapporté à [1952] 2 R.C.S. 154;
— d’ajouter d’autres conclusions à celles mentionnées par l’appelant dans son avis d’appel — Levy c. Manley, un jugement du 24 avril 1974 dans le dossier no 12,912 (publié à [1975] 2 R.C.S. 70).
Par contre a été rejetée dans une action délictuelle dirigée contre la Couronne une demande d’amendement visant à alléguer la faute d’un serviteur de l’État dont la conduite n’avait pas été mentionnée dans l’action originale — Gootson c. The King, jugement du 27 avril 1948 dans le dossier no 7387; d’après les procès-verbaux la Cour statua que [TRADUCTION] «l’amendement introduirait des allégations qui constitueraient une nouvelle cause d’action» (M.B. No. 10, p. 78). De la même façon, fut refusée une permission d’amender visant à invoquer de nouveaux textes de lois du Québec dans une affaire mue devant les tribunaux d’Ontario — Upper Ottawa Improvement Co. et al c. The Hydro-Electric Power Commission of Ontario, jugement du 13 juin 1960 dans l’affaire no 9102 auquel référence est faite dans le jugement final rapporté à [1961] R.C.S. 486.
C’est dans l’arrêt Burland c. Ville de Montréal[16], que cette Cour est allée le plus loin en matière d’amendement. Le jugé résume la situation:
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[TRADUCTION] Le demandeur a intenté son action en vue de recouvrer la valeur d’un morceau de terrain dont la défenderesse avait illégalement pris possession. Les cours d’instance inférieure ont rejeté l’action pour le motif que le recours approprié est une action en bornage ou au pétitoire. De façon à mettre un terme au litige, la Cour suprême du Canada a infirmé les jugements des cours d’instance inférieure, ordonné que le dossier soit renvoyé au tribunal de première instance afin de déterminer l’étendue exacte du terrain pris, et en a ordonné la restitution au demandeur.
M. le juge en chef Taschereau en donne les raisons à la p. 374:
[TRADUCTION] Les jugements de la Cour supérieure et de la Cour d’appel reconnaissent que l’intimée est, de fait, illégalement en possession d’une partie du terrain de l’appelant, mais ils rejettent l’action pour le motif que le seul recours dont peut se prévaloir l’appelant est une action en bornage ou au pétitoire.
J’estime que le litige entre les parties, tel qu’il apparaît au dossier, doit être tranché en l’espèce de façon à éviter un autre procès sur cette question.
Quel est maintenant le véritable litige entre les parties? (Voir l’art. 63 de la Loi sur la Cour suprême) Pas autre chose qu’une contestation sur l’étendue du terrain de l’appelant dont les entrepreneurs de l’intimée ont pris possession lorsqu’ils ont construit, en 1892, un trottoir permanent en bordure de ce terrain.
Et ses conclusions se retrouvent à la page suivante:
[TRADUCTION] AU procès, un des témoins a donné une étendue de 473 pieds et un autre, 271 pieds. C’est pourquoi, dans les circonstances, le dossier doit être renvoyé à la Cour supérieure afin de déterminer, par expertise ou autrement, selon la méthode jugée convenable par le tribunal, quelle est l’étendue du terrain de l’appelant sur laquelle ledit trottoir a été construit, et d’en ordonner la restitution à l’appelant par l’intimée et ce, dans le délai fixé par le tribunal et dans un état identique à celui où il se trouvait lorsque le trottoir a été construit, tous les amendements nécessaires aux procédures étant censés faits.
Relu à la lumière des décisions qui l’ont suivi, cet arrêt ne me semble pas justifier la conclusion que la demande d’amendement en la présente cause est fondée. Dans Burland, si l’amendement était refusé, une autre action était nécessaire pour que le demandeur ne se voit pas frustré de tous ses recours. Cette Cour, pour éviter un nouveau litige,
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décida de faire les amendements nécessaires aux fins de prononcer sur la véritable contestation entre les parties et ce nonobstant le fait que la nature de l’action en pouvait être changée. Le dossier fut retourné à la Cour supérieure aux fins de compléter la preuve.
En l’espèce, le refus de l’amendement n’aurait pas pour effet de priver la partie demanderesse de tout recours. La véritable contestation entre les parties est le chiffre de l’indemnité et la demanderesse, en toute connaissance de cause, a tout simplement choisi d’évaluer ses dommages quant aux enfants à la somme de $31,000, un chiffre qui me semble bien proche de la réalité (ainsi que je tente de le démontrer plus loin). Les parties, et particulièrement les défendeurs, auraient-ils soumis la même preuve si les conclusions de l’action avaient réclamé $53,894.45 pour les enfants? Cette question, même laissée sans réponse, me convainc que la Cour d’appel a eu raison de ne pas accepter cette demande d’amendement.
Essentiellement, la preuve des faits relatifs aux dommages se retrouve dans le seul témoignage de la demanderesse. Un agronome, Alain Mayer, a aussi été entendu pour la demande mais son témoignage, complété par un document intitulé «Bilan de l’exploitation agricole», ne jette aucune lumière sur la question de l’indemnité due aux enfants. Sur ce point, la demanderesse elle-même, à part son affirmation générale que le défunt était un bon père, jouissait d’une bonne santé et faisait un revenu déclaré d’environ $9,000 par année, n’a pu ajouter qu’une chose, savoir que son mari et elle avaient l’intention de faire instruire les enfants «autant que cela est possible et autant que c’était nécessaire, selon qu’ils l’auraient désiré». Dans cet esprit, les parents avaient inscrit leurs enfants à un plan de bourses universitaires. Dans un autre domaine, la demanderesse a ajouté qu’elle n’avait pas de budget pour voir aux dépenses de la maison et elle n’a donné aucun renseignement quant aux dépenses familiales.
A la fin de son témoignage au préalable, elle a conclu comme suit dans un échange avec son procureur:
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Q. Et également, vous réclamez vingt et un mille dollars ($21,000.00) pour les trois enfants qui étaient nés avant le décès?
R. Oui.
Q. Et vous réclamez dix mille dollars ($10,000.00) pour l’enfant qui était conçu, mais né après le décès de votre mari?
R. Oui.
Au procès, à la fin de son témoignage en chef, elle a réaffirmé sa position:
Q. Maintenant pour vos trois enfants, vous réclamez la somme de vingt et un mille dollars ($21,000.00)?
R. Oui.
Q. Et pour Michel qui était conçu mais pas né à ce moment-là?
R. Je réclame d’avantage (sic) pour lui, parce que lui n’a pas eu la chance de connaître son père et de profiter de son affection, et je crois que c’est une chose dont il pourra se ressentir toute sa vie, et c’est pour ça que je réclame d’avantage (sic) pour lui.
Il n’est pas étonnant que devant cette preuve en tous points conforme aux allégués de Faction les défendeurs n’aient pas offert la moindre preuve quant aux dommages subis par les enfants. Si la réclamation de ce chef avait été de $53,894.45 plutôt que $31,000, il est raisonnable d’imaginer que plusieurs des prémisses posées par le premier juge sans appui dans la preuve auraient été soumises à un examen critique. Sans prétendre dresser une liste exhaustive des possibilités, liste que seule rendrait valable une connaissance intime du dossier alimentée par des recherches en diverses disciplines, il me semble que les points suivants auraient pu être approfondis:
(a) dans une famille composée du père, de la mère et de quatre enfants, quelle portion du revenu brut de $9,000 est affectée aux enfants à chaque étape de leur croissance?
(b) quelles sont les probabilités que chaque enfant poursuive ses études et ce jusqu’à quel âge?
(c) compte tenu du contexte social et économique, quelles sont les probabilités que les enfants,
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même aux études, aient encore besoin de l’aide financière de leurs parents à 18, 20 et 22 ans?
(d) quelles sont les probabilités que des aléas de la vie frappent le père ou l’un ou l’autre des enfants au cours de la période retenue par le premier juge?
(e) quel était le rendement raisonnable d’un capital sur le marché financier à la date du jugement de première instance?
Les questions qui précèdent, encore une fois, ne couvrent qu’une partie du sujet. D’autres domaines auraient pu être exploités; par exemple, aucun actuaire n’a été entendu. Dans les circonstances du dossier, la Cour d’appel a eu raison de ne pas accorder la motion pour amender.
Par ailleurs, même s’il était possible en principe de recevoir la motion, je suis d’accord avec la remarque de M. le juge Lajoie que l’indemnité suggérée par le premier juge eût été «entièrement erronée». J’ai cité plus haut l’arrêt de cette Cour dans Watt c. Smith. A mes yeux, le respect dû au calcul du premier juge ne s’étend pas à cette partie qui dépasse le montant réclamé lorsque, comme en l’espèce, il ne s’est pas prévalu de son pouvoir d’ordonner une réouverture d’enquête permettant ainsi aux parties de mettre tous les faits devant le tribunal. D’ailleurs le principe énoncé dans l’arrêt Watt est tempéré par un autre reconnu par une longue jurisprudence et exprimé en ces termes par M. le juge Spence dans l’affaire Gorman c. Hertz Drive Yourself[17], à la p. 18:
[TRADUCTION] Pour résumer la jurisprudence établie par cette Cour, cette Cour ne modifiera pas les dommages-intérêts adjugés par la Cour d’appel d’une province qui a modifié ceux qu’avait adjugés le juge de permière instance «sauf dans des circonstances tout à fait exceptionnelles», et il semble en outre que ces «circonstances exceptionnelles» soient celles où cette Cour est d’avis que la Cour d’appel a commis une erreur de principe.
A mes yeux, la remarque de M. le juge Lajoie sur la question de l’indemnité aux enfants a d’autant plus de poids que les erreurs commises par le juge de première instance visaient ses calculs. Son point de départ est un gain annuel net de $9,000 que j’accepte pour les fins de mon étude. A partir
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de là, le premier juge fait quatre affirmations qui n’ont aucun fondement dans la preuve:
(1) ce $9,000 doit être partagé comme suit:
père
$ 2,700
mère
$ 2,300
enfants (4)
$ 4,000
(2) chacun des enfants a en moyenne droit à cette somme de $1,000 jusqu’à la fin de ses études universitaires, soit jusqu’à l’âge de 24 ans;
(3) le capital nécessaire pour accorder aux enfants cette aide financière pour la période ainsi déterminée doit être fixé en regard d’un rendement de 5%;
(4) ce capital, pour tenir compte des aléas de la vie, doit être réduit de 10%.
Je ne m’arrêterai pas aux deux premières propositions qui pourtant donneraient ouverture à de longs développements; il m’apparaît que cette approche mathématique rigide ne tient aucun compte de la réalité qui elle est beaucoup plus fluide. Entre autres, elle n’accorde aucun poids au travail des étudiants, à la tendance vers la gratuité de l’enseignement, à la facilité d’obtenir des bourses. Par ailleurs, la proportion du revenu familial consacrée aux enfants est carrément trop élevée. Il me suffit toutefois de relever les erreurs contenues dans les deux dernières propositions:
(a) comme l’a souligné à juste titre la Cour d’appel, un intérêt de 5% à l’époque du procès, savoir en décembre 1970, ne tenait aucunement compte de la réalité. Il suffit de rappeler que le 15 décembre 1971, savoir moins de six semaines après le jugement de la Cour supérieure, l’arrêté en conseil n° 4302 adopté aux termes de la Loi du ministère du revenu fixait à 8% l’intérêt légal; à l’époque du procès comme à l’époque du jugement, celui-ci était de 6%;
(b) quant aux aléas de la vie, il n’est pas nécessaire de décider si dans une affaire de ce genre, il faut les fixer à 30, 40 ou 50%; il m’apparaît toutefois bien établi que le chiffre de 30% est un strict minimum.
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Au chapitre de l’aide financière, le juge de première instance
a) en utilisant un intérêt de 5%, en est arrivé à un capital de $50,771.59 pour les quatre enfants; s’il avait utilisé un intérêt de 6%, ce total aurait été réduit de un-cinquième pour se lire $40,617.27.
b) par ailleurs, ce total, pour tenir compte des aléas de la vie de tous genres s’appliquant au père et à chacun des quatre enfants, aurait dû être réduit au grand minimum de 30% pour donner un montant de $28,432.09.
Ce montant de $28,432.09 pour répondre aux besoins d’aide financière aurait été augmenté d’un montant de $8,300 (fort substantiel) au chapitre support moral pour donner un grand total de $36,732.09. Ce grand total est un maximum si l’on tient compte de tous les facteurs auxquels j’ai fait allusion, y compris les questions que soulèvent les deux premières propositions du juge de première instance. Je n’ai aucune hésitation à conclure que le chiffre de $31,000 réclamé dans l’action pour les quatre enfants est conforme à la réalité.
Une autre façon d’examiner la validité de cette conclusion est d’additionner l’indemnité accordée à la demanderesse personnellement, soit $51,082 et celle que j’accorderais aux enfants, savoir $31,000. Cette addition donne comme résultat $82,082. Ce total représente plus de neuf fois les gains annuels du défunt. Or, dans l’arrêt Watt, cette Cour à l’unanimité, par la voix de M. le juge Pigeon, a affirmé à la p. 181:
C’est environ neuf fois le revenu annuel du défunt. Si l’on considère que l’on peut présumer que la moitié du revenu annuel d’un père de famille est susceptible d’être consacrée à faire vivre sa femme et ses enfants puisque son salaire est saisissable à cette fin dans cette proportion (C.P.C. art. 553, dernier alinéa), peut-on dire qu’en accordant environ dix-huit fois cette partie du revenu annuel du défunt comme compensation pour son décès, la Cour supérieure a accordé un montant tellement excessif, qu’il s’agit d’une estimation entièrement erronée du préjudice? Quoique l’on se trouve évidemment à l’extrême limite de ce qui est susceptible d’être justifié, je ne pense pas que l’on puisse dire qu’il s’agit d’un montant manifestement excessif.
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En accordant plus de $82,000 en l’espèce, les tribunaux sont à l’extrême limite de ce qui est susceptible d’être justifié. Je trouve donc la conclusion de la Cour d’appel quant à l’indemnité due aux enfants tout à fait conforme aux principes pertinents.
Pour toutes ces raisons, j’accueillerais le pourvoi, casserais le jugement de la Cour d’appel et rétablirais la condamnation solidaire prononcée par la Cour supérieure contre les deux intimés, le tout avec dépens dans toutes les cours.
Pourvoi accueilli, le juge DE GRANDPRÉ étant dissident en partie.
Procureur de l’appelante: Gérard G. Boudreau, Sherbrooke.
Procureurs de l’intimé, Brunelle: Gagnon, de Billy, Cantin, Dionne & Martin, Québec.
Procureurs de l’intimé, Labonté: Allaire, L’Heureux, Gratton & Blain, Montréal.
[1] [1971] R.C.S. 637, 17 D.L.R. (3d) 491.
[2] [1972] R.C.S. 380, 24 D.L.R. (3d) 720.
[3] [1974] R.C.S. 1111, 41 D.L.R. (3d) 416.
[4] [1975] 1 R.C.S. 273, 43 D.L.R. (3d) 413.
[5] (1903), 33 R.C.S. 373.
[6] [1961] B.R. 596.
[7] [1947] B.R. 411.
[8] [1942] B.R. 366.
[9] [1952] B.R. 28.
[10] [1959] C.S. 140.
[11] [1960] B.R. 20.
[12] [1960] R.C.S. 442.
[13] [1953] 2 R.C.S. 95.
[14] [1968] R.C.S. 177.
[15] [1975] 1 R.C.S. 472, 48 D.L.R. (3d) 1.
[16] (1903), 33 R.C.S. 373.
[17] [1966] R.C.S. 13.
Parties
Demandeurs :
HamelDéfendeurs :
Brunelle et LabontéProposition de citation de la décision:
Hamel c. Brunelle et Labonté, [1977] 1 R.C.S. 147 (26 juin 1975)
Origine de la décision
Date de l'import :
06/04/2012Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1975-06-26;.1977..1.r.c.s..147