La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/06/1975 | CANADA | N°[1977]_1_R.C.S._175

Canada | Île Perrot (Cité de) c. Goulet-Wiseman, [1977] 1 R.C.S. 175 (26 juin 1975)


Cour suprême du Canada

Île Perrot (Cité de) c. Goulet-Wiseman, [1977] 1 R.C.S. 175

Date: 1975-06-26

Cité de Île Perrot (Défenderesse) Appelante;

et

Dame Cécile Goulet-Wiseman (Demanderesse) Intimée.

1975: le 19 juin; 1975: le 26 juin.

Présents: Les juges Judson, Ritchie, Pigeon, Beetz et de Grandpré.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC

Cour suprême du Canada

Île Perrot (Cité de) c. Goulet-Wiseman, [1977] 1 R.C.S. 175

Date: 1975-06-26

Cité de Île Perrot (Défenderesse) Appelante;

et

Dame Cécile Goulet-Wiseman (Demanderesse) Intimée.

1975: le 19 juin; 1975: le 26 juin.

Présents: Les juges Judson, Ritchie, Pigeon, Beetz et de Grandpré.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC


Synthèse
Référence neutre : [1977] 1 R.C.S. 175 ?
Date de la décision : 26/06/1975
Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être rejeté

Analyses

Droit municipal - Avis d’intention de poursuite - Raisons suffisantes pour justifier l’absence d’avis - Dispense de l’obligation de donner l’avis après l’expiration du délai prescrit - Loi des cités et villes, S.R.Q. 1964, c. 193, art. 622.

L’intimée, victime d’un accident de la rue dont elle tient l’appelante responsable, a intenté une action en dommages sans avoir au préalable donné l’avis dans le délai de quinze jours prévu à l’art. 622 de la Loi des cités et villes. L’exception à la forme présentée par l’appelante, invoquant ce défaut, a été rejetée par la Cour supérieure et la majorité de la Cour d’appel. Ces tribunaux ont reconnu que l’intimée avait des raisons valables de ne pas donner l’avis dans le délai prescrit et ont conclu que la condition préalable à l’exercice du recours avait cessé d’exister.

Arrêt: Le pourvoi doit être rejeté.

La Cour d’appel a eu raison d’affirmer que s’il y a absence d’avis et que cette absence a eu pour cause des raisons suffisantes, la victime est relevée de son obligation et peut entamer des procédures sans autre condition préalable. D’une part, le par. 4 de l’art. 622 qui traite de l’irrégularité de l’avis, expression qui comprend l’absence, n’impose pas à la victime l’obligation de corriger la situation lorsque les raisons sont jugées suffisantes. D’autre part, le par. 5 de cet article établit deux points de départ possibles de la prescription, l’un de ceux-ci étant la date de l’accident; c’est donc reconnaître qu’une fois le délai expiré, la victime est définitivement dispensée de l’obligation d’avis lorsque se retrouvent les circonstances prévues par la Loi.

Arrêts mentionnés: Cité de Québec c. Baribeau, [1934] R.C.S. 622; Dufour c. Cité de Chicoutimi, [1945] B.R. 127; Méthot c. Commission de Transport de Montréal [1972] R.C.S. 387.

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel du Québec qui a confirmé un jugement de

[Page 176]

la Cour supérieure rejetant une exception à la forme. Pourvoi rejeté.

G.Y. Renaud, pour l’appelante.

S. Goldwater, pour l’intimée.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE DE GRANDPRÉ — L’appelante, poursuivie en dommages par l’intimée à la suite d’un accident de la rue, a opposé à cette action une exception à la forme invoquant absence d’avis. Cette exception a été rejetée par la Cour supérieure et par la majorité de la Cour d’appel.

Le premier juge, s’appuyant sur le quatrième par. de l’art. 622 de la Loi des cités et villes, S.R.Q. 1964, c. 193, a conclu:

[TRADUCTION] Considérant que la demanderesse a prouvé qu’elle avait été empêchée de donner l’avis pour une raison que la cour juge suffisante.

En Cour d’appel, les deux juges de la majorité en vinrent à la conclusion que le premier juge, dans les mots de M. le juge Casey,

[TRADUCTION] n’a pas abusé du pouvoir discrétionnaire que lui confère la Loi.

Et M. le juge Casey ajoutait:

[TRADUCTION] Ayant expliqué à la satisfaction de la Cour pourquoi elle a omis de donner un avis dans le délai de 15 jours prévu au par. 1 de l’art. 622, la condition préalable à l’institution de procédures judiciaires — soit de donner un avis — a cessé d’exister. En effet, la Loi ne prévoit ni expressément ni implicitement que cette condition continue toujours d’exister après l’expiration du délai de 15 jours.

La Loi prévoit uniquement que la victime doit donner un avis dans les 15 jours de la date de l’accident et qu’une action ne peut être intentée avant l’expiration d’un délai de 15 jours de la date de la signification de cet avis. Plus loin, la Loi mitige cette règle en ajoutant que le défaut de donner un tel avis ne prive pas la personne victime d’un accident de son droit d’action «si elle prouve qu’elle a été empêchée de donner cet avis pour des raisons jugées suffisantes par le juge ou par le tribunal». Si, comme en l’espèce, la victime convainc le tribunal, la sanction disparaît et puisque la Loi n’exige aucun autre avis, la victime est libre d’intenter une action sans autre formalité ou délai à observer.

[Page 177]

Dans son mémoire au soutien de son pourvoi, l’appelante nous a soumis deux propositions:

1) la discrétion accordée aux tribunaux par le quatrième par. de l’art. 622 de la Loi n’a pas été exercée judiciairement;

2) même si l’intimée avait des raisons valables de ne pas donner l’avis prescrit par la Loi dans le délai de 15 jours y stipulé, elle avait l’obligation de donner cet avis avant de prendre action dès le moment où disparaissait l’empêchement reconnu valable par les tribunaux.

A l’audition, le procureur de l’appelante a déclaré ne pas insister sur son premier moyen. Je n’aurai donc pas à examiner si nous avons juridiction en l’espèce vu l’art. 44 de notre Loi et, dans l’affirmative, si le premier juge avait des motifs juridiques d’exercer sa discrétion dans le sens déjà indiqué.

La seule question qui se pose est celle que laissait sans réponse M. le juge Rinfret, tel qu’il était alors, dans La Cité de Québec c. Baribeau[1], à la p. 634:

Il resterait une question soulevée par l’intimé, et qui est celle-ci:

Il semble bien démontré que, pendant les trente jours qui ont suivi l’accident, l’intimé a été empêché par force majeure de donner l’avis requis; et la question qui se pose est de savoir si, une fois le délai passé, l’obligation de donner l’avis subsistait, ou si, au contraire, l’empêchement pendant la période des trente jours ne dispense pas définitivement de l’obligation d’avis.

Nous réservons notre décision sur ce point pour un cas où elle sera nécessaire au jugement de la cause. Dans le cas actuel, l’intimé a prouvé à notre satisfaction qu’il avait été empêché de donner l’avis plus tôt qu’il ne l’a fait par une raison de la nature de celles qui sont prévues par l’article 535, et que nous jugeons valable.

Le sujet a aussi été mentionné par la Cour d’appel dans Dufour c. Cité de Chicoutimi[2], où, tout comme dans l’arrêt Baribeau, la victime avait de fait donné avis après l’expiration des délais mais avant d’intenter ses procédures.

[Page 178]

A cette question, la Cour suprême n’a pas apporté de réponse depuis lors, sinon un obiter de M. le juge en chef Fauteux que l’on retrouve à la p. 393 de Méthot c. Commission de Transport de Montréal:[3]

De plus, à la vérité, si les raisons invoquées pour justifier le défaut d’avis sont jugées valables par le juge au procès, celui-ci reconnaîtra par jugement que le défaut d’avis n’a pas privé la victime d’accident du droit d’action que lui reconnaît le droit commun, sujet cependant à la prescription exceptionnelle de six mois.

Il y a lieu de citer ici les paragraphes pertinents de l’art. 622:

622. 1. Si une personne prétend s’être infligé, par suite d’un accident, des blessures corporelles, pour lesquelles elle se propose de réclamer de la municipalité des dommages-intérêts, elle doit, dans les quinze jours de la date de tel accident, donner ou faire donner un avis écrit au greffier de la municipalité de son intention d’intenter une poursuite, en indiquant en même temps les détails de sa réclamation et l’endroit où elle demeure, faute de quoi la municipalité n’est pas tenue à des dommages-intérêts à raison de tel accident, nonobstant toute disposition de la loi à ce contraire.

3. Aucune telle action ne peut être intentée avant l’expiration de quinze jours de la date de la signification de cet avis.

4. Le défaut de donner l’avis ci-dessus ne prive pas cependant la personne victime d’un accident de son droit d’action, si elle prouve qu’elle a été empêchée de donner cet avis pour des raisons jugées suffisantes par le juge ou par le tribunal.

C’est par exception à la forme et non par un plaidoyer au mérite, que doit être plaidée l’absence d’avis ou son irrégularité, parce que tardif, insuffisant ou autrement défectueux. Le défaut d’invoquer ce moyen par exception à la forme dans les délais et suivant les règles établies par le Code de procédure civile, couvre cette irrégularité.

Nulle contestation en fait ne peut être inscrite avant que jugement ne soit rendu sur ladite exception à la forme et ce jugement doit en disposer sans la réserver au mérite.

5. Aucune action en réclamation de dommages n’est recevable à moins qu’elle ne soit intentée dans les six mois qui suivent le jour où l’accident est arrivé, ou le jour où le droit d’action a pris naissance.

[Page 179]

Je m’attarderai d’abord au quatrième paragraphe. Au cas de défaut quant à l’avis prescrit par le premier paragraphe, la victime de l’accident n’est pas privée de son recours si elle a des raisons suffisantes à invoquer. Ce défaut, comme l’indique la deuxième phrase, est soit une absence, soit une irrégularité et, dans ce dernier cas, il peut s’agir d’un avis tardif, d’un avis insuffisant ou d’un avis défectueux. Qu’il s’agisse de l’un ou l’autre de ces cas, on est en face, comme le dit la troisième phrase, d’une «irrégularité» et toutes les irrégularités sont traitées sur le même pied. Il est clair que si l’avis est irrégulier parce que tardif, insuffisant ou autrement défectueux, la victime n’a pas à en donner un deuxième de façon à corriger son défaut. Pourquoi dans le cas d’absence, devant le silence du texte, faudrait-il affirmer que ce défaut doit être corrigé avant l’institution des procédures?

Le cinquième paragraphe me confirme dans cette conclusion. Lorsqu’il s’agit de déterminer le point de départ de la prescription, la Loi énonce deux propositions:

1) le jour où l’accident est arrivé;

2) le jour où le droit d’action a pris naissance.

Le deuxième cas est clairement celui où un avis a été donné puisque, comme il a été décidé dans l’arrêt Méthot précité sur un texte référant au «jour où le droit d’action a pris naissance», le point de départ de la prescription n’est pas le jour de l’accident mais une date ultérieure qui est au plus tôt la date de réception de l’avis. Si le législateur, en l’espèce, a mentionné deux points de départ, c’est donc qu’il avait à l’esprit deux cas différents, l’un où l’avis serait donné et l’autre où l’avis ne le serait pas, ni dans le délai prescrit, ni par la suite. C’est donc reconnaître qu’une fois le délai passé, la victime est définitivement dispensée de l’obligation d’avis.

La Cour d’appel a eu raison d’affirmer que s’il y a absence d’avis et que cette absence a eu pour cause des raisons suffisantes, la victime est relevée de son obligation et peut entamer des procédures sans autre condition préalable.

[Page 180]

L’appelante objecte que cette conclusion a pour effet de suspendre pendant la période du troisième paragraphe le droit d’action de la victime lorsqu’elle donne un avis alors qu’elle est libre de ses mouvements lorsqu’elle n’en donne pas. En soi, cette objection n’est pas suffisante pour nous permettre, en l’absence d’un texte clair, d’imposer à la victime l’obligation d’un avis dans un cas comme le nôtre. D’autant plus qu’il y a un envers à cette médaille: la victime qui a donné un avis jouit d’une plus longue période de prescription.

Je rejetterais donc le pourvoi avec dépens.

Pourvoi rejeté avec dépens.

Procureurs de l’appelante: Pagé, Beauregard, Duchesne, Renaud & Desmarais, Montréal.

Procureur de l’intimée: Sam Goldwater, Montréal.

[1] [1934] R.C.S. 622.

[2] [1945] B.R. 127.

[3] [1972] R.C.S. 387.


Parties
Demandeurs : Île Perrot (Cité de)
Défendeurs : Goulet-Wiseman
Proposition de citation de la décision: Île Perrot (Cité de) c. Goulet-Wiseman, [1977] 1 R.C.S. 175 (26 juin 1975)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1975-06-26;.1977..1.r.c.s..175 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award